Avec permission1.
Amy et frère, pource que, depuis trois ans et plus que j’ay l’honneur de te cognoistre, je t’ay tousjours ouy plaindre de ta fortune, et que tu te trouvois à malaise, encor que je te veisse à une très bonne table ; te plaindre d’argent, et t’ay veu tousjours jouer ; et te plaindre de n’estre assez brave, je t’ay veu très bien paré : on ne sçauroit peindre un roy Herode plus brave que je t’ay veu. Tu te plains de n’estre bien monté, je t’ay veu des poulains et d’assez bons chevaux et bonnes armes. Pour ce que l’honneur t’a mis plus bas que de coustume, je te donne ce mien œuvre, afin que tu y puisse trouver quelque cautelle2 pour recouvrer argent. Et comprens bien ces trois estats, et comment ils sont très lucratifs et plains de finesses et cautelles ; et, si se trouvoit quelqu’un qui, par mespris, voudroit blasmer les discours de ce livre, je luy responds que je ne les ay pas faicts par envye contre aucun de ceste sorte de gens, ains pour laisser couller le temps et pour mon plaisir. À Dieu.
Ayant l’aage de neuf à dix ans, craignant que mon père me donnast le fouët pour quelque faute commise, comme advient à gens de cest aage, je prins résolution d’aller trouver un petit mercier qui venoit souvent à la maison de mon père, et desirant faire quelque beau voyage, je résolu m’en aller avec luy. Il n’estoit coesme3, n’ayant parvenu à ce degré, ains estoit simple blesche4, et sortoit de pechonnerie5, toutefois entervoit le gourd6, et delisberasme d’aller en Poictou, faisant estat d’y estre jusqu’après vendanges. Mon compagnon me disoit que j’eusse beaucoup gaigné à l’entrée des vignes pour mettre en escrit les charges dez raisins. On appelle ce mestier escarter.
J’avois desrobé cinquante cinq sols à ma mère ; je dis à mon compagnon que nous serions à moitié. Il me respond que sa balle valoit quatre livres tournois, et que j’avois part à la concurrence de mes deniers, et qu’eussions7 affuré les ripaux, rippes et milles, et pechons, qui attrimoyent nostre coesmeloterie pour de l’aubert huré. Quand nous eusmes esté trois ou quatre mois à la compagnie j’avois de butin deux rusquins, et demie menée de rons, deux herpes, un froc et un pied8.
Nostre vie estoit plaisante, car quand il faisoit froid, nous peausions9 dans l’abbaye ruffante, c’est dans le four chauld10, où l’on a tiré le pain naguères, ou sur le pelard, c’est sur le foing, sur fretille, sur la paille, sur la dure, la terre. Ces quatres sortes de coucher ne nous manquoient, selon le temps ; car si nos hostes faisoient difficulté de nous loger où la nuict nous prenoit, s’il pleuvoit, nous logions dans l’abbaye rufante, et au beau temps sur le pelardier, c’est-à-dire le pré, et là espionnions les ornies, sont les poules, et etornions, ce sont poulets et chapons, qui perchent au village dans les arbres, près des maisons, aux pruniers fort souvent, et là attrimions l’ornie11 sans zerver, et la goussions ou fouquions pour de l’aubert, c’est-à-dire manger ou vendre ; et en affurant12, selon nostre vouloir et commodité, nous trouvions souvent à des festins où les pechons passoient blesches et coesmes, selon leur capacité. Ainsi faisans bonne chère, chacun apportoit son gain ou larcin, que je ne mente ; j’use de ce mot de gain, parce que tous les larrons en usent. Ceste vie me plaisoit, fors que mon compagnon me faisoit porter la balle en mon rang ; mais les courbes m’acquigeoient fermis, c’est-à-dire que les espaules me faisoient mal. Toutes fois, je ne plaignois pas mon mal, car j’avois dejà veu beaucoup de païs : nous avions esté jusques à Clisson de la Loire, et au Loroux à Bressuire, et en plusieurs fours chauds et froids, de pailliers et prez.
à bon escient.
Advint qu’en nostre voyage mon compagnon demeura malade à Mouchans en Poitou13. Je me résolu d’estre habile homme, et aussi que j’avois bon commencement. Laissant là mon compagnon, je prends la balle et la mets sur mon tendre dos, qui peu à peu s’adurcissoit à ce beau mestier, et allay avec d’autres à la foire de la Chastaigneraye, près Fontenay, où je fus accosté de tous les pechons14, blesches et coesmelotiers hurez, pour sçavoir si j’entervois le gourd et toutime, me demandans le mot et les façons de la ceremonie. Ce fut à moy à entrer en carrière et payer le soupper après la foire passée, car ils congneurent que je n’entervois que de beaux, c’est-à-dire que je n’entendois le langage ny les ceremonies. Lors je paye le festin à mes superieurs, et sur la fin du soupper le plus ancien feist une harangue.
Coesmes, blesches, coesmelotiers et pechons, le pechon qui ambieonosis qui sesis ont fouqué la morfe, il a limé en ternatique et gournitique, et son an ja passé d’enterver. Lors ils me appellent et me font descouvrir, et devant tous me font lever la main, et sur la foy que j’avois pour l’heure, jurer que je ne déclarerois point le secret aux petits mercelots, qu’ils ne payassent comme moy16, et me presentent un baston à deux bouts et une balle, voir si je mettrois bien ma balle sur le dos, me deffendre des chiens d’une main, et de l’autre mettre ma balle sur le dos en mesme temps, et aussi si je savois jouer du baston à deux bouts selon l’antique coustume, en disant : J’atrime au passeligourd du tout, c’est-à-dire je desroberay bien. Je ne sçavois rien alors ; mais ils me monstrèrent fidellement, et avec beaucoup d’affection, ce que dessus, et outre m’apprindrent à faire de mon baston le faux montant17, le rateau, la quige habin, le bracelet, l’endosse18, le courbier19, et plusieurs autres bons tours. Mon compagnon me trouva passé maistre, dont il fut bien resjouy.
Nous assemblasmes nombre de blesches et coesmes, et deliberasmes de peausser en un bon village où y avoit force volaille ; mais il y avoit des plus meschans chiens du monde, qui nous vouloient devorer. L’un de noz compagnons, fort experimenté, nous dict : « Laissez-moy faire. Vous voyez ces chiens bien enragez, mais je les feray bien taire, et vous monstreray que nous aurons le corporal et toute la volaille du village si nous voulons, car j’ay l’herbe qui en guerist. Il tire de sa balle quatre cornes de vache, deux de bœuf et deux de bellier, et une potée de graisse de porc, meslée de poudre de corne de pied de cheval, meslé ensemble, et les emplit de cest unguent, nous en donnant à chacun la sienne, et arrivons dans ce village par divers endroicts. Comme les chiens voulurent s’esmouvoir, nous leur jetions ces cornes. Chasque chien prend la sienne, et de faire chère, n’abayans nullement, et prismes ce que bon nous sembla autour du village, et ambiasmes le pelé juste la targue, c’est-à-dire nous enfilasmes promptement le chemin de la prochaine ville.
Mon compagnon aymoit une limougère20 d’une taverne borgne, où logions souvent venant de Clisson au Loroux Botereau, où il nous coustoit pour le peaux huré deux herpes, c’est-à-dire deux liards pour coucher. La limougère, c’est-à-dire la chambrière, venoit au soir coucher avec mon compagnon, et se vient mettre contre moy. Je fuz tout estonné, comme n’ayant jamais rivé le bis21. Toutes fois mon compagnon dormoit ; je m’aventure à river selon mon pouvoir, et si mon chouard eust esté comme il est, elle se fust mieux trouvée, encores qu’elle me trouvast assez bon petit gars. Mon compagnon s’éveille, et dessus ! et moy de dormir en mon rang. Je vous jure que j’avois bien veu river, mais jamais je n’avois point rivé ; mais je ne sçay si je perdy ce qu’on appelle pucelage, car je pensay esvanouir d’aise. Mon compagnon riva fermis, et au matin nous en allasmes à Clisson, et là trouvasmes une trouppe qui nous surpassoit en félicité, en pompe, subtilité et police, plus qu’il n’y a en l’Estat venicien, comme verrez ci-après.
Mon compagnon et très bon amy, sçachant que nous approchions de la rivière de Loire pour tourner vers noz parents, s’advisa de m’affurer, c’est-à-dire tromper, car il s’en alla avec mon argent, et ne me resta que huict sols. Mon autre compagnon s’en alla chez mon père, près du lieu où nous estions, tellement que je demeure affuré et seulet. Toutesfois j’avois fait amitié avec les plus signalez gueuz de ceste grande trouppe, ne sçachant qui me pouvoit arriver ; car de retourner vers mon pays, je n’en voulois ouyr parler, craignant le fouet, ce que je meritois bien, et m’accommode avec lesdits gueuz.
C’estoit lors d’une assemblée generale où tous les plus signalez gueuz de France estoient assemblez, comme grands coesres, premiers cagouz, avec autres de respect envers leurs supérieurs, comme une court de parlement à petit ressort. Je vous deduiray ci-après ce que j’en appris en neuf mois.
Vous croirez qu’en toutes les provinces il y a un chef de ces docteurs, chose certaine ; et selon qu’il a esté créé vient recognoistre le chef appelé le grand coesre22, et payer le devoir, et faut notter que tous les chassegueux qui sont aujourd’huy aux villes sont grands coerses et tirent de l’argent.
estats généraux.
Ils s’assemblèrent tous à l’issuë d’un grand village près Fontenay le Conte et là, le grand coesre, qui estoit un très bel homme, ayant la majesté d’un grand monarque et la façon brave, avec une grande barbe, un manteau à dix mille pièces, très bien cousues, une hoquette23 bien pleine sur le dos, la bezasse bien garnie à costé, le manteau attaché souz la gorge avec une teste de matraz en guise de bouton, appellé bouzon en nostre paroisse ; une jambe très pourrie, qu’il eust bien guerie s’il eust voulu24 ; une calotte à cinq cens emplastres, et la teste assez fort bien teigneuse ! Le baston de M. le coesre estoit de pommier, et à deux pieds près du bas estoit rapporté, et là dessouz une bonne lame, comme d’un fort grand poignard25, et deux pistolets dans sa bezasse. Il fait mettre à quatre pieds tous les nouveaux venuz, qui estoient douze. Outre se sied le premier dessus le dos de ces nouveaux venuz. Les cagouz, lieutenants du grand coerse par les provinces, s’assirent aussi sur le dos des nouveaux, et sur moy aussi ; et au milieu une escuelle de bois que nous appelions crosle. Je fuz le premier appellé, et avant estre interrogé, falloit mettre trois ronds en la crosle ; les anciens receuz baillent demy escu, un escu ou un quart d’escu. Selon la province que dictes estre, l’on baille le cagou qui meine pour attrimer, et apprend les tours et comme on se doit gouverner pour acquerir de l’honneur et de la reputation pour parvenir à lieutenant de cagou, ou coesre, qui est le plus haut degré.
lieutenans les cagouz, aux nouveaux venuz.
Ce grand prince me demanda qui j’estois et comme j’avois nom, et du lieu de la province. Je luy respons avec respect, mon bonnet en la main, que j’estois Breton, d’auprès de Redon. Lors le cagou26 de Bretagne jette l’œil sur moy, comme pensant que j’estois de son gouvernement et des siens. Le grand coesre me remonstre comme ensuit : « Vozis atriment au tripeligourt ? » Je respons : « Gis ; c’est parce que, quand on passe mercier, le mot c’est : J’atrime le passe ligourt. — Ouy, fils. Ne pensez que nostre vacation ne soit meilleure que celle des merciers, et nous estimons autant que les plus grands du monde : à sçavoir si vous pouvez esgaler à eux ; au reste, nous sçavons vos suptibilitez, comme à faire taire les chiens, et sçavons les quatre sortes de peausser, l’abbaye ruffante, la fretille, le pelard, la dure. Vostre langue est semblable à la nostre ; nous sçavons attrimer ornies, sans zerver l’artois en l’abbaye ruffante. Vostre cagou, qui est l’un des plus anciens, vous apprendra comme devez vivre, car c’est le plus capable qui soit venu devant moy. Pour abreger, vous promettez de ne dire le secret. Sur vostre foy, avez-vous mis les trois ronds en la crosle ? Prenez vostre baston, mettez le gros bout à terre, et le poussez le plus bas que pourrez, et dictes : J’atrime au tripeligourd, et allez baizer les mains de vostre cagou, et luy promettez la foy ; embrassez-moy la cuisse (ce que je feis promptement) ; sur la vie de ne declarer le secret à homme vivant, c’est-à-dire J’atrime au tripeligourd, je desroberay trois fois très bien. Il y a une chose requise de sçavoir, premier de demettre tous les interrogats ; c’est que tous les gueuz que la necessité convie de prendre les armes, comme le pechon, l’escuelle, et la quige habin, et aussi ceux qui ne veulent recognoistre le grand coesre, ou son cagou, on les devalize, et les tient-on pour rebelles à l’Estat, et en rend-on compte au grand coerse ; et là il faict de bons butins, et faict-on la fortune. Le receveur de ces deniers s’appelle Brissart. »
« Pechon de rubi, sur quoy voulez-vous marcher ? — Sur la dure. — Vous estes bien nouveau et bien sot, dit le coerse. Pour te faire entendre, et afin que d’icy à quelque temps que tu ayes plus d’esprit, et que tu respondes plus pertinemment, nous marchons sur la terre de vray, mais nous marchons avec beaucoup d’intelligence. Ne m’advouez-vous pas qu’il y a plusieurs chemins pour aller à Rome ? aussi y a-il plusieurs chemins pour suyvre la vertu. Et, pour conclure, c’est que nozis bient en menues dymes : c’est que nous marchons à plusieurs intentions. »
1. Biez sur le rufe, c’est marcher en homme qui a bruslé sa maison, et feindre y avoir perdu beaucoup de bien, et avoir une fausse attestation du curé de la pretendue paroisse où la maison doit estre bruslée ; et celuy donne au grand coestre ou son cagou un rusquin, c’est un escu.
2. Biez sur le minsu, c’est aller sans artifice ; et tu payeras un testouin et iras simple, et l’on t’apprendra les excellents tours.
3. Biez sur l’anticle, c’est feindre avoir voüé une messe devant quelque sainct pour quelque mal, ou pour quelque hazard où l’on se seroit trouvé, et demanderez en ceste sorte : « Donnez-moy, nobles gentils hommes, et nobles dames et damoiselles, pour achever de quoy payer une messe ; il y a quinze jours que je la cherche, et ne l’ay encore amassée. » Pour ceste façon, vous payerez deux menées de ronds, qui sont quatre sols.
4. Biez sur la foigne, c’est feindre avoir perdu son bien par la guerre, et feindre avoir esté fort riche marchant, et avoir les habits convenables à voz discours, et tu payeras un rusquin ; je te les diray toutes et tu choisiras.
5. Biez sur le franc mitou, c’est d’estre malade à bon escient : tu es sain, tu ne sçaurais y bier ; ceux-là sont privilegiez, ils recognoissent seulement le grand coesre et prennent passeport, dont ils payent cinq ronds ; cela vault beaucoup au chef.
6. Biez sur le toutime, c’est aller à toutes intentions et avoir tant de jugement et dexterité, se contrefaire du franc mitou, du rufle, de l’anticle, et de la foigne ; bref, s’aider de tout. Mais, en bonne foy, il n’y en a guères, et aussi les places sont prinses, et aussi tu es trop sot. Va, tu marcheras sur l’anticle ; au reste, si tu es si osé d’aller sur autre intention sans le faire savoir à ton cagou, je t’en feray punir, comme verrez tantost ce compagnon là que voyez lié, et advoueray la prise bonne de vostre equippage, tant argent qu’autres choses. Vous promettez sur vostre foy ; levez vostre main gauche (c’est une erreur que les cours de parlement font lever la droicte, c’est celle de quoy nous torchons le cul, et tuons les hommes, et faisons tous les maux ; la main gauche est la prochaine du cœur, c’est la main honneste), et, sur la vie, ne declarez le secret.
Faictes comme avez veu ces autres, et de main en main tous les nouveaux passèrent. Les anciens, d’un autre costé, rendoient compte au receveur Brissart, et à la mille du coesre, tant des devalizez que des deniers ordinaires. Je diray, avec verité, que de cinquante ou soixante gueuz qu’il y avoit en la troupe, fut receut trois cens escuz.
Ils font un roolle avec des coches sur le baston du cagou ; chacun a son roolle, et marquent ainsi leurs affaires27.
Le grand coesre se lève de dessus ce nouveau, et les cagouz, il nous prie tous de soupper, et qu’eussions à assembler noz bribes28, veu que chacun n’avoit eu le moyen d’aller chercher à soupper, et mesmes que le jour s’estoit passé en affaires et estoit tard.
Le grand coesre et brave prince, luy et sa femme, tirent de la bezasse et de leurs bissacs et courbières un beau petit trepied, un pot de fer avec sa cueillère, un chaudron joly, une poisle à frire, et en mesme endroict faisons de grands feuz, où chascun cagou avoit son feu, et pots d’aller. Nostre chef tira trois neuds d’eschine, deux pièces de bœuf, une volaille qu’il meist au pot, et un bon morceau de mouton et de lard, et du saffran ; les cagouz à qui mieux mieux et à belles couhourdes pleines de bon vin et du meilleur, où il s’en trouve pour leur argent. Je puis dire n’avoir veu faire meilleure chère depuis sans pastisserie. Nous rotismes deux bons chapons et une oye.
Le plus ancien cagou le prend et le despouille tout nud ; l’on pisse tous en une crosle, avec deux poignées de sel et un peu de vinaigre ; avec un bouchon de paille on luy frotte le bas du ventre et le trou du cul, si bien que le sang en vient, et m’assure que cela luy a demangé à plus d’un mois de là ; et de ceste eau faut qu’il en boive un peu, ou estre bien frotté. Nous partismes ; chacun s’en va avec son gouverneur de province, et moy avec le mien.
En partant, il nous assembla tous et nous remonstre comme nous eussions couru très-heureuse fortune, mais que l’obeissance estoit bien nécessaire à ceste vacation : « Car, mes amis, je vous diray, il faut aller tous par un tel endroit tantost demeurer, car je cognoy tous les bons villages et sçay les lieux où se font les bons butins. » Et ainsi il nous entretenoit.
Il ne faut jamais estre ensemble à l’entrée des villes ny villages, et faut importuner de demander jusques à neuf fois ; et, passans sur les chaussées des estangs où il y a moulins, il ne faut passer qu’une partie sur la chaussée, et les autres derrière le moulin, parce qu’il se presente une infinité de beaux effets, tant aux maisons escartées qu’ailleurs : car, s’il n’y a qu’un chien, il ne pourra mordre ceux de l’autre costé de la maison. S’il y a quelques hardes quand on donnera l’aumosne, de l’autre costé l’on subre, c’est-à-dire attrape.
Il est de besoin d’avoir la bezasse pleine de cornes emplies de graisse, accommodées ainsi qu’il faut pour faire taire les chiens la nuict.
Nostre general avoit un nepveu qu’il desiroit avancer, et de vray luy avoit bien augmenté la creance entre nous, et le faisoit changer de condition sans rien payer, pour l’auctorité qu’il avoit ; et, passant un soir auprès d’un gibet, la vigile d’une foire de Nyort en Poictou, où y avoit trois penduz nouveaux, nostre chef faict ferme auprès, et fismes du feu, faisans feinte de camper, et repeumes environ deux heures de nuict. J’avise mon cagou, qui tire de sa bezasse quatre tirefons et une grande boëste, et nous meine au pied du gibet ; et moy, estonné, les cheveux me levoient en la teste de frayeur. Il pose l’un de ces tirefons contre un des pilliers, qui estoit de bois, appelle ce nepveu et luy dist : « Tien, monte jusques là hault. » Ce qu’il fit promptement. Ce docteur fit coupper un bras de l’un de ces penduz et le met en son bissac, et ambiasmes le pelé à deux lieues de là, et arrivasmes à Nyort, où trouvasmes grand nombre de noz frères, qui ne manquèrent de recognoistre ce lieutenant de roy29, comme la raison leur commandoit. Avant que le jour fust bien esclaircy, il attache le bras de son nepveu derrière, fort serré, et, ayant sur son dos un pacquet pour couvrir le jeu, et un mantelet à mille pièces attaché par soubs la gorge, attache ce bras de pendu au mouvement de l’espaule du nepveu, et en escharpe en un grand linge tacheté de matière de playe et avec proportion, tellement que l’on jugeoit estre le bras naturel. Monsieur le lieutenant du roy prend un cousteau et faict une playe jusques à l’os, le descouvre et verse du sang sur icelle playe et un peu de fleur de froment ; et le bras, qui est prest de corrompu, on jugeoit une parfaicte gangrène, tellement qu’il y avoit presse à donner à ce bras pourry.
Et si quelqu’un n’estoit assez esmeu de pitié, l’oncle luy donnoit invention de se mettre un poinçon à travers le gras, et recevoir plus d’argent que nous tous.
Ce signalé cagou, nous acheminant sur noz subjects, nous advertit qu’il estoit besoin de prendre garde à nous, et estions près d’un moulin à eau, près de Mortaigne. Le meusnier avoit cela de bon de ne donner jamais rien à gens de nostre robbe. « Ne sera il pas bon de l’atrimer au tripeligourd ? » dict le cagou. Chacun respond : « Gis, gis, gis. — Mes enfans, il faut aller trois par trois au dessouz du moulin et nous autres par dessus la chaussée : les premiers importuner fort sur la bille, c’est sur l’argent, sur la crie, sur le pain, ou sur la moulue, c’est la farine ; et au cas qu’on ne nous donne rien, je crieray à la force du roy : ils sortiront du moulin, vous entrerez par la grande porte, et trouverez sur la cheminée le pain du meusnier, et un coffre au pied du lict, dans lequel y a un pot de beurre ; l’autre prendra en la met30 une sachetée de farine, et chacun avec son butin se retirera ; et sans doute je feray sortir le meusnier et les moutaux31. »
Nous acheminous trois et le chef, la troupe à la file, et importunans de demander, eurent un peu de fleur de farine, et la meirent en une escuelle. Pour mieux jouer le roolle, le grand cagou la prend ; cestuy feit semblant de luy donner un coup de baston, et quereller, jusques à en venir aux armes, et crier la force. Le meunier et les mouteaux sortent pour voir le combat. Cependant nous ne perdions le temps, car nous executasmes ce que dessus fort heureusement, et non sans hazard. Après ce bel effect nous ambiasmes le pelé à une lieue de là, afin d’accoustre à soupper, nous mocquans du meunier. Nostre capitaine nous dist qu’il en gardoit une autre bien verte au meunier, et qu’il luy apprendroit avec le temps à donner l’aumosne pour l’amour de Dieu ; et faut croire que ce cagou estoit fort digne de sa charge, et digne de mener les gens à la guerre de l’artie et de la crie.
Peu de temps après, nostre regiment estant près de Beaufort en Vallée, nostre cagou veid un pendu à une potence, qui n’y estoit que du jour ; commande à son nepveu de demeurer derrière, et que la trouppe s’en alloit peausser en un pelardier assez près de là, et luy commanda que quand la nuict seroit venue il coupast la couille du pendart, oslast les couillons de dedans et l’emplist de gros sable de rivière ; et ce faict, qu’il s’en vinst promptement et qu’il trouveroit la sentinelle sur le grand chemin qui le r’adresseroit dans le camp. Estant venu, son oncle luy demande s’il avoit le sac. Le nepveu luy respond qu’il avoit jette les quilles, et que pour le sac il estoit en seureté. Nous avions de bon feu, car le compagnon estoit garny de bon fuzil et allumettes, avec le bon pistolet, et dans son bourdon la bonne lame d’espée, et son nepveu assez bien armé. Pour revenir à nos moutons, il prend les besongnes de nuict32 du pendu, et remplit le sac de paste espicée, et l’enfle fort grosse, presque comme la teste, et la perce tout outre dès le hault venant en bas, et resta là dedans un trou vide ; lors prend du laict de sa femme, et du sang de chapon, demeslant le tout (cela ressembloit à de la matière sortant d’une apostume), et la met en ce trou vuide, et le bousche jusqu’au lendemain. Nous acheminans vers une maison de gentilhomme appellée Montgeffroy, il nous disoit en cheminant qu’il s’en trouvoit tant qui sçavoient la finesse du mal de jambes, mais que cela ne valloit plus rien ; il commanda de passer outre la maison, tous deux avec luy, de quoy j’estois l’un, luy aydant à marcher. Au mesme temps il s’attache ce contre pois aux couilles naturelles, et les enveloppe dans ce sac artificieusement (comme il sçavoit). Allant à ceste porte de Montgeffroy, où y avoit grande compagnie, nostre maistre monstroit ce beau present, faisant le demy mort, et la couleur blesme, avec des feintes douleurs ; et touchant à l’endroit du trou, la matière sortoit de là dedans. La dame de la maison, se promenant en la salle de la dicte maison, jette l’œil sur la douleur de mon maistre, et quelques autres damoiselles, partie desquelles se mirent à rire ; la dame, entr’autres, dit : « Il n’y a pas de quoy rire ; mon mary se blessa un jour en cest endroit, et en est encore mal. » (Ce faict luy touchoit.) Et s’approchant dit : « Couvrez ceste saleté là, l’on vous donnera l’aumosne. » Lors tirant à sa bourse, luy donne un teston, et demande si le cagou avoit jamais essayé à se faire guerir. Luy, qui avoit du jugement et de la cautelle, respond qu’il y avoit un jeune chirurgien d’auprès du lieu où il estoit, qui devoit passer à Saumur dedans deux ou trois jours, qui luy avoit promis de le rendre libre.
Ayant ce ouï la damoiselle et sçachant que son mary en avoit près d’autant que le pauvre patient, luy dit : « Mon amy, j’ay un serviteur qui est malade comme toy, que je voudrois faire guerir ; si tu rencontres ton chirurgien, ameine le moy, et je le nourriray et payeray le chirurgien, et venez ceans vous restaurer. » Il pensa que son nepveu eust esté bon chirurgien, et incontinent allasmes à Saumur, et fit achetter à son nepveu un vieil pourpoint noir et des chaussettes noires, un chapeau, un estuy et un boestier plein d’unguents, et reprismes chemin, le chirurgien à cheval. La dame, très joyeuse, nous loge en une boulangerie, et le barbier en une bonne chambre. On luy demande s’il y avoit esperance de guerir ce pauvre homme ; il dit qu’il le gueriroit dans quinze jours, sur sa vie, encores que le patient ne pourroit endurer la force des unguents, parce que le mal est en lieu fort sensible. Enfin il le traicta si bien que dans dix jours il fut guery. Ce qu’entendant la dame du logis, pour luy mettre son mary en main, le seigneur, ne faisant semblant que fust pour luy, alla voir le gueu, qu’il trouva guery, et ne restoit que quelques plumaceaux pour faire bonne mine. Retournant à sa femme, luy dist : « M’amie, voilà un très excellent chirurgien et heureux en ses cures. » Le seigneur luy demande où il avoit appris, il respondit : « Avec un mien oncle, qui estoit assez suffisant. » La dame, faisant la meilleure chère qu’elle pouvoit au chirurgien, commença à le haranguer comme ensuit :
« Mon cher amy, vous estes fort expert en vostre art, d’avoir si tost guery ce pauvre homme. Estes vous passé maistre ? Non pour tout cela ne laisserez de garder un secret : je vous tiens pour un si honneste homme, que ne voudriez faire une telle faulte de déclarer un homme d’honneur. — Jesus, dict il, Madame, j’aymerois mieux mourir. — Pour vous dire, vous sçavez à combien de misères les gents d’honneur sont subjects : mon mary, que voicy, se blessa un jour, maniant un cheval, les vous m’entendez bien, et sont fort enflez ; mais je croy que pourrez bien le guerir, puisque avez faict la cure de ce pauvre homme ; je vous prie d’y mettre tout vostre pouvoir, et vous asseure que je ne manqueray à vous contenter, et outre vous feray un present honneste. »
La dame va querir son mary et l’amène en une chambre, appelle le chirurgien, et là font exhibition du sac et besongnes de nuict. La dame, soigneuse, comme à la verité le faict luy touchoit : « N’est-il pas vray (disoit-elle) que le gueu estoit plus malade que mon mary ? — Ouy, respond le chirurgien ; mais, madame, il ne faut perdre de temps, il faut avoir des drogues et unguents. Où vous plaist il que j’aille, à Tours ou à Saumur ? — Il me semble que l’on trouve de tout à Saumur. Tenez, voilà vingt escus, prenez ma haquenée, et vous en allez promptement querir tout ce qu’il vous faut. »
Ayant l’instruction du cagou, il s’en va, et est encor à retourner voir le patient. Au mesme temps que nostre chirurgien fut party, et nous de nous en aller, et nous trouvasmes à la Maison-Neufve, trois lieues près d’Angers. Il avoit desjà osté ses accoustremens de chirurgien, et nous cheminasmes vers Ancenis, esperans faire quelqu’autre tour signalé. Croyez que mon maistre entervoit toutime. Ils ont d’autres tours, comme faire venir le mal S. Main33, mal de jambes, comme si on avoit les loups ou ulcères ; ils prennent une vessie de pourceau et la fendent en long dessus l’os de la jambe, et de la paste demeslée avec du sang, et couvrent le reste de la jambe, fors l’endroit blessé, qu’ils cavent, et y paroist de nerfs pourriz, de la chair morte, et une si grande putrefaction qu’il n’est possible de plus.
Ils ont bien d’autres inventions, comme de porter deux enfans, feindre, si c’est un homme qui les porte, que la mère est morte, qui bien souvent se porte bien, et sont le plus souvent de deux mères ; si c’est une femme qui les porte, elle dira que le père est mort. Et tant d’autres beaux artifices ! Ces tigneux, galleux, estropiez, triomphent d’aller droict quand ils sont dehors de devant le peuple, et outre parfaits voleurs quand ils sont les plus forts.
Mon cagou se courrouça contre moy, ayant trouvé près des ponts de Piremil, près de Nantes, une bourse où y avoit huict livres dedans. Je la garday longtemps sans l’en advertir, qui fust cause qu’il me devaliza. Lors je quittay mes gueux, et allay trouver un capitaine d’egyptiens qui estoit dans le faux-bourg de Nantes, qui avoit une belle trouppe d’egyptiens ou boësmiens34, et me donnay à luy. Il me receut à bras ouverts, promenant m’apprendre du bien, dont je fuz très joyeux. Il me nomma Afourète.
Quand ils veulent partir du lieu où ils ont logé, ils s’acheminent tout à l’opposite, et font demie lieue au contraire, puis se jettent en leur chemin36. Ils ont les meilleures chartes et les plus seures, dans lesquelles sont representées toutes les villes et villages, rivières, maisons de gentils hommes et autres, et s’entre-donnent un rendez-vous de dix jours en dix jours, à vingt lieues du lieu où ils sont partiz.
Le capitaine baille aux plus vieux chacun trois ou quatre mesnagères à conduire, prennent leur traverse et se trouvent au rendez-vous ; et ce qui reste de bien montez et armez, il les envoye avec un bon almanach où sont toutes les foires du monde, changeans d’accoustremens et de chevaux.
Quand ils logent en quelque bourgade, c’est tousjours avec la permission des seigneurs du pays ou des plus apparens des lieux37. Leur departement est en quelque grange ou logis inhabité38.
Là, le capitaine, leur donne quartier et à chacun mesnage en son coing à part.
Ils prennent fort peu auprès du lieu où ils sont logez ; mais aux prochaines parroisses ils font rage de desrober et crochetter les fermetures39, et, s’ils y trouvent quelque somme d’argent, ils donnent l’advertissement au capitaine, et s’esloignent promptement à dix lieues de là. Ils font la fausse monnoye40 et la mettent avec industrie ; ils jouent à toutes sortes de jeux ; ils achètent toutes sortes de chevaux, quelque vice qu’ils ayent41, pourveu qu’ils passent leur monnoye.
Quand ils prennent des vivres, ils baillent gages de bon argent pour la première fois, sur la deffiance que l’on a d’eux ; mais, quand ils sont prests à desloger, ils prennent encor quelque chose, dont ils baillent pour gage quelque fausse pièce et retirent de bon argent, et à Dieu.
Au temps de la moisson, s’ils trouvent les portes fermées, avec leurs crochets ils ouvrent tout, et desrobent linges, manteaux, poisles, argent et tous autres meubles42, et de tout rendent compte à leur capitaine, qui y prend son droict. De tout ce qu’ils gaignent au jeu ils rendent aussi compte, fors ce qu’ils gaignent à dire la bonne aventure43.
Ils hardent fort heureusement, et couvrent fort bien le vice d’un cheval44.
Quand ils sçavent quelque bon marchant qui passe pays, ils se deguisent et les attrapent, et font ordinairement cela près de quelque noblesse, faignant d’y faire leur retraicte ; puis changent d’accoustremens et font ferrer leurs chevaux à rebours, et couvrent les fers de fustres, craignans qu’on les entende marcher.
en Bourbonnois.
Un jour de feste, à un petit village près de Moulins, y avoit des nopces d’un paysan fort riche. Aucuns se mettent à jouer avec de noz compagnons, et perdent quelque argent. Comme les uns jouent, leurs femmes desrobent ; et, de vray, y avoit butin de cinq cens escus, tant aux conviez qu’à plusieurs autres. Nous fusmes descouverts pour quatre francs qu’un jeune marchand perdit qui dançoit aux nopces, lequel avoit fermé sa maison et ses coffres. Cela empescha que feit ouverture. Les paysans se jettent sur noz malles, et nous sur leurs vallizes et sur leurs testes, et eux sur nostre dos, à coups d’espée et de poictrinal46, et noz dames à coups de cousteau : de façon que nous les estrillasmes bien. Ces paysans se vont plaindre au gouverneur de Moulins. Ce qu’ayant ouï, envoyé vingt-cinq cuirasses et cinquante harquebuziers pour nous charger. L’une de noz femmes, qui estoit à Moulins, nous en donna l’advertissement, et nous falloit passer une rivière qui nous incommodoit. Nostre capitaine s’avance au grand trot et laisse un poitrinalier demie lieue derrière, luy enchargeant qu’aussitost qu’il descouvriroit quelque chose, il nous advertist de leur nombre, ce qu’il fist. Le capitaine ordonne ce qui en suit :
Tout le monde fut commandé de mettre pied à terre, et feindre les hommes d’estre estropiez et blessez, et commande à deux femmes de se laisser tomber de cheval et faire les demies mortes. L’une, qui avoit eu enfant depuis deux jours47, ensanglante elle et son enfant, et ainsi le met entre ses jambes.
Le capitaine Charles saigne la bouche de ses chevaux et ensanglante ses enfans et ses gents pour faire bonne pippée.
Charles va au devant de ceste noblesse tout sanglant, lesquels, esmeuz de pitié, tournent vers les paysans, ayans plus d’envie de les charger que nous. Les uns avoient les bras au col, les jambes à l’arçon de la selle ; et nostre colonnel, qui ne manquoit de remonstrer son bon droit : tellement qu’ils se retirent, et nous de picquer. Après leur retraicte, croyez que tout se portoit bien, et allasmes repaistre à quinze lieues de là. J’ay passé depuis par ce lieu, où je vous jure qu’encores aujourd’huy ce traict est en memoire à ceux du pays. Si j’avois eu temps d’escrire les bons tours que j’ay veu faire à ces trois sortes de gents, il n’y auroit volume plus gros. Ces folies meslées de cautelles, c’est afin que chacun s’en prenne garde.
Le daulvage biant à l’antigle, au rivage huré et violente la hurette, et pelant la mille au coesre : c’est le mariage des gueuz et gueuzes quand ils vont epouzer à la messe, et comme ils disent ceste chanson en ceremonie.
Hau rivage trutage,
Gourt à biart à nozis ;
Lime gourne rivage,
Son yme foncera le bis.
Ne le fougue aux coesmes,
Ny hurez cagouz à viis ;
Fougue aux gours coesres
Qui le riveront fermis.
S’en suivent les plus signalez mots de blesche.
Le franc mitou, | Dieu48. |
Les franches volantes, | Les anges. |
Franc razis, | Pape. |
Franc ripault49, | Roy. |
Ripois, | Prince. |
Francs ripois, | Princes. |
Ripaudier de la vironne, | Gouverneur de la province. |
Franche ripe, | Royne. |
Franc cagou, | Lieutenant du roy. |
Gueliel, | Le diable. |
Ripaudier de la vergne, | Gouverneur d’une ville. |
Ripault, | Gentil homme. |
Ripe, | Dame. |
Rupiole, | Damoiselle. |
Comblette ou tronche50, | La teste. |
Louschant, | Yeux. |
Pantière à miettes51, | La bouche. |
Piloches, | Dents. |
Platuë52, | Langue. |
Anses, | Oreilles. |
Lians, | Bras. |
Courbes53, | Espaules. |
Gratantes, | Mains. |
Sœurs54, | Cuisses. |
Proais, | Cul. |
Chouart55, | Vit. |
Quilles, | Jambes. |
Les portans ou trotins, | Pieds. |
Minois56, | Nez. |
Filée, | Barbe. |
Filots, | Cheveux. |
Batoches, | Couillons. |
Bis, | Con. |
La quige proys, | La couille. |
Rivard, | Paillard. |
Artois57, | Pain. |
Pihouais58, | Vin. |
Ance59, | De l’eau. |
Lignante60, | La vie. |
Franc foignard, | Capitaine. |
Foignart, | Soldat. |
Aquige ornie, | Goujat. |
Foigne, | Guerre. |
L’orloge, | Le coq. |
Ornie, | Poule. |
Ornions, | Poulets. |
Ornioys ou catrots, | Chapons. |
Crie, | Chair. |
Hanois, | Cheval. |
Hanoche, | Jument. |
Huré ou gourdi, | Bon vin ou mauvais. |
Mille, | Femme. |
Millogère, | Chambrière. |
Milloget, | Valet. |
Pelardier, | Pré. |
Coesmelotrie, | Mercerie. |
Coesmelotier, | Mercier. |
Coesme, | Bon mercier. |
Coesmelotier huré, | Marchant grossier. |
Gourt razis61, | Archevesque. |
Trimé razis, | Cordelier. |
Huré razis, | Evesque. |
Goussé razis, | Abbé. |
Razis, | Prestre simple. |
L’anticle, | La messe. |
Possante, | Harquebuze. |
Flambe, | Espées. |
Flambart, | Poignard. |
Volant, | Manteau62. |
Estregnante, | Ceinture. |
Liettes, | Esguillettes. |
La forest du prois, | Hault de chausses. |
Tirnoles, | Les triquehouzes. |
Passans, | Souliers. |
Ligots, | Jartières. |
Comble, | Chapeau63. |
Mitouflets, | Gans64. |
Aubion, | Bonnet. |
Georget, | Pourpoint65. |
River, | Foutre. |
Filler du prois, | Chier. |
Gousser66, | Manger. |
Ambier, | Fuir. |
Vergne, | Ville67. |
Habin, | Chien. |
Aquiger, | Tromper68. |
Le pelé, | Le chemin69. |
Fretille, | Paille. |
Pelard, | Foing70. |
Fouquer, | Bailler. |
Coues, | Maison71. |
Moulue, | Merde. |
Grohant, | Pourceau. |
Soustard, coquard ou brusslon, |
Mareschal. |
Cornans, | Bœuf. |
Cornantes, | Vaches. |
Zervart72, | Predicateur. |
Franc pilois, | Président. |
Minsus pilois, | Conseillers. |
Pilois vain, | Juge de village. |
Zervinois, | Procureurs. |
Zervinois gourd, | Advocat. |
Coesre, | Le premier des gueuz. |
Cagou, | Lieutenant des gueuz. |
Serard, | Notaire. |
Affurard, | Sergent73. |
Brimard, | Bourreau74. |
Sourdu, | Pendu. |
Sourdante santoche, | Grande justice. |
Sourdolle, | Potence. |
Rivarde, | Putain. |
Ingre, | Couteau75. |
Rufe, | Le feu76. |
Boes, | Le bois. |
L’abbaye rufante, | Un four. |
Crosle, | Escuelle. |
Rusquin, | Escu77. |
Testouin, | Teston. |
Rond, | Sold. |
Herpe, | Liard78. |
Froc, | Double. |
Pied, | Denier. |
Baucher, | Mocquer79. |
Mezis, | Moy-mesme. |
Tezis, | Toy-mesme. |
Sezis, | Luy-mesme. |
Auzard, | Asne80. |
Fouille ou fouillouze, | Bource81. |
Lime, | Chemise. |
Pie santoche, | Cidre. |
Vain guelier, | Garou. |
Ambie anticle, | Excommunié. |
Peaux huré, | Lict. |
Limans, | Linceux. |
Huré couchant, | Le soleil. |
La vaine louchante, | La lune. |
Louchettes, | Estoilles. |
Bruant, | Le tonnerre. |
La hoquette, | C’est le paquet que les gueuz portent sur le dos. |
Atrimeur, | Larron. |
Atrimois ambiant, | Voleur brigand. |
Pechon, | Enfant. |
Pechon de ruby, | Enfant esveillé. |
Daulvé, | Marié. |
Daulvage, | Mariage. |
Cosny, | Mort. |
mezis, la souspirante gournée et lignante.
Ainsi soit-il. Zif, signé. Amen.
Amis Lecteurs, vous prendrez ceste table comme si elle estoit toute parfaicte. Vous jugerez, s’il vous plaît, que le volume seroit trop gros pour si petit livret. Je ne faisois pas mon compte d’adjouster ceste table, parce que ce n’estoit mon intention de faire cognoistre la langue, ains leur façon de faire, et aussi que le général de ceste race m’avoit faict prier de ne la mettre en lumière ; toutesfois, je n’ay laissé, ne desirant gratifier ceste vermine. J’espère (messieurs et amis), Dieu aydant, vous faire voir, dans peu de temps, une œuvre plus utile, qui sera un recueil de la chiromantie, avec plusieurs belles practiques et pourtraicts du baston des boësmiens, par lesquels on pourra se rendre capable soy-mesme de se rendre expert ingenieur. J’ay envoyé à Paris pour faire les figures ; cependant je suis vostre serviteur perpetuel.
1. Ce livret, très rare dans l’édition dont nous suivons le texte, a été plusieurs fois réimprimé, mais n’est pas devenu plus commun pour cela. Il en parut en 1622 une édition petit in-4, de 31 pages, chez P. Ménier, portier de la porte Saint-Victor. Un exemplaire fut vendu 34 livres chez le duc de La Vallière (Catalogue, t. 2, p. 363, nº 3891). Un imprimeur de Troyes la reproduisit avec quelques différences dans le titre : V. Catalogue des livres du cabinet de M*** (Imbert de Cangé), 1733, in-8, p. 120. Depuis lors, une copie exacte, mais sans notes, en a été donnée, d’après le texte de 1596, au t. 8 des Joyeusetez, faceties et folastres imaginations, publiées par Techener. — Le nom de Peschon de Ruby, que prend l’auteur, est un pseudonyme argotique. Peschon vouloit dire enfant, comme on le verra plus loin dans le Dictionnaire blesquin ; il se prenoit aussi pour apprenti, novice, et pouvoit par conséquent venir de l’italien piccione et de son correspondant en françois pigeon, qui se disoit déjà pour dupe, sens qu’il a gardé. On lit dans la Cabale des matois, pièce jointe à la Gazette, Paris, 1609, in-12, p. 49 :
Après tant de mignardise,
Notre malice déguise
Que le pigeon ne peut pas
Libre eschapper de nos laqs.
Quant au nom de Ruby, je n’en connois pas d’explication satisfaisante. M. Fr. Michel en donne une, mais il se garde bien d’en répondre, et il a raison (Études de philologie comparée sur l’argot, xlvij, note 48, et p. 309). Il faut s’en tenir à ce que dit l’auteur lui-même, dans son Dictionnaire blesquin ; suivant lui, Pechon de Ruby signifie enfant éveillé.
2. Ruse, fourberie. On connoît les cautèles de Cepola, que Rabelais appelle diabolicques (liv. II, ch. 10), et qui sont pour les gens de justice ce que sont pour les voleurs celles qui se trouvent ici, car elles enseignent à éluder les lois et à perpétuer les procès. L’édition la plus rare fut donnée à Paris, en 1508, chez Jean Petit, in-8 gothique.
3. C’est-à-dire n’étoit pas encore reçu bon mercier, bon coesmelotier, nom qu’on donnoit, dans l’argot de ce temps-là, aux merciers et colporteurs dûment affiliés à la confrérie des voleurs de grands chemins. Le mot contreporteur est resté comme synonyme de filou dans l’argot d’aujourd’hui. Cameloter s’y prend aussi toujours dans le sens de gueuser, marchander. Le mot tout populaire de camelote, pour mauvaise marchandise, en est venu. Plus loin, une note de l’auteur achèvera l’explication des mots coesme, mercelot, blesche, pechon.
4. C’étoit le grade inférieur dans la confrérie. Il est parlé des blesches et coësmelotiers, ainsi que du langage auquel on s’initioit avec eux et des cérémonies qu’ils pratiquoient, dans le 3e Discours, qui se trouve à la suite du curieux livret Le jargon ou Langage de l’argot réformé, etc., Lyon, Nicolas Gye, 1634, in-12. Nous avons déjà trouvé le mot blesche employé pour bohémien, t. 5, p. 271. Huet le fait venir de l’espagnol bellaco, vellaco, altération du nom des Valaques, qui passoient alors pour d’assez mauvaises gens. Nous avions aussi dans le même sens le mot veillac : V. le baron de Fæneste, édit. elzev., p. 268. On dit encore à Orléans vaillaq, pour mauvais garnement.
5. Apprentissage.
6. Entendoit la fourberie. Gourd et enterver se trouvent dans Coquillard, édit. elzev., t. 2, p. 246, 274.
7. « C’est-à-dire que eussions trompé les gentilshommes, damoiselles et garçons, femmes de village et paysans, leur donnant nostre marchandise. » (Note de l’auteur.)
8. « Rusquins sont escus, ouendes sont livres, rons sont douzains, herpes liards, pieds deniers, froc ung double. » (Note de l’auteur.)
9. Nous couchions, nous dormions. Aujourd’hui les gens du peuple disent pioncer pour dormir.
10. C’étoit assez volontiers l’usage des gueux de coucher ainsi dans les fours. On lit dans la Farce d’un ramonneur de cheminées, etc. (Anc. Théâtre, édit. elzev., t. II, p. 202) :
Je prins ce paillart totilleur
À Paris, chez un rotisseur,
Et n’avoit pas vaillant deux blans
Et couchoit, dont il est si blans,
Au four à quoy la paille on ard.
Il y a trente ans, une pauvre femme du quartier Saint-Victor, à Orléans, couchoit encore ainsi dans un grand four les pauvres diables qui prenoient gîte chez elle. Ne seroit-ce pas de cet usage que seroit venu le nom de four donné aux mauvaises tavernes du quai de la Ferraille (l’ancienne vallée de Misère), où les raccoleurs embauchoient les recrues ?
11. Attrimer, prendre ornie la poule, de ορνις, oiseau, éloit le tour le plus ordinaire du métier de ces maraudeurs. V. Le Jargon ou Langage de l’argot réformé, etc., au t. VIII des Joyeusetez, p. 74. C’est de là sans doute qu’est venue la locution populaire plumer la poule, qui étoit si bien en usage alors, et que nous avons déjà tant de fois rencontrée. V. aussi Fæneste, édit. elzev., p. 128.
12. Volant, de furari, qui a le même sens en latin.
13. En ce temps les compagnies de gueux du Poitou étoient nombreuses et célèbres. « Il y avoit alors, dit d’Aubigné, une gaillarde academie de larrons en Poictou, n’en déplaise à la Gascogne ni à la Bretagne. » (Le baron de Fæneste, édit. P. Mérimée, p. 137.) Un passage très curieux du Jargon (édit. des Joyeusetez, t. VIII, p. 3–4), au chapitre Ordre ou Hiérarchie de l’argot réformé, donne d’intéressants détails sur l’origine de cette truandaille poitevine et sur la manière dont elle s’étoit alliée avec les mercelots des foires, qui avoient fini par être confondus avec elle : « L’antiquité nous apprend et les docteurs de l’argot nous enseignent qu’un roi de France ayant établi des foires à Niort, Fontenay et autres lieux du Poictou, plusieurs personnes se voulurent mesler de la mercerie ; pour remedier à cela, les vieux merciers s’assemblèrent et ordonnèrent que ceux qui voudroient à l’avenir estre merciers se feroient recevoir par les anciens…, puis ordonnèrent un certain langage entr’eux avec quelques ceremonies pour estre tenues par les professeurs de la mercerie. Il arriva que plusieurs merciers mangèrent leurs balles, neantmoins ne laissèrent pas d’aller aux susdites foires, où ils trouvèrent grande quantité de pauvres gueux, desquels ils s’accostèrent, et leur apprirent leur langage et ceremonies. Les gueux, reciproquement, leur enseignèrent charitablement à mendier. Voilà d’où sont sortis tant de braves et fameux argotiers. »
14. « Pechon, c’est quand on a la première balle et du premier voyage ; et après blesche, mercelot et puis coesme ; c’est mercier, et puis le coesmelotier huré, c’est bon marchand, qui porte à col seulement. » (Note de l’auteur.)
15. Sur ces cérémonies de réception dans les compagnies de voleurs, V. t. 5, p. 349, et t. 6, p. 65. — Cartouche faisoit aussi subir un interrogatoire et des épreuves à tous ceux qui vouloient entrer dans sa bande. Le Grand a tiré parti de cette curieuse particularité dans sa comédie des Fourberies de Cartouche. Un jeune homme se présente pour être enrôlé : « Où avez-vous servi ? lui dit le voleur. — Deux mois chez un procureur, six mois chez un inspecteur de police. — Tout ce temps vous comptera comme si vous aviez servi dans ma troupe. »
16. Les chefs faisoient bonne justice de ceux qui manquoient à leur serment. Montaigne a dit (liv. XIII, ch. 13) que les gueux, de son temps, « avoient leurs dignitez et ordres politiques ». Il eût pu ajouter qu’ils avoient leur police, et fort bien faite même. « Le jeudy 3 septembre 1609, dit l’Estoille, un des principaux officiers de la justice de MM. les voleurs et couppes-bourse de Paris, qu’ils avoient établie et exerçoient vers le Porte au Foin, condamnans les uns à l’amende, les autres au fouet et les autres à la mort (qui estoit de les poignarder et jetter à la rivière), ayant esté descouvert et attrapé par le prevost Defunctis…, fust pendu et estranglé en la ditte place du Porte au Foin… » Huit jours après il dit encore : « Le jeudy 10 furent pendus et estranglez, en la place du Porte au Foin, à Paris, le procureur et l’avocat du roy en la Cour des couppe-bourses et voleurs. Ils avoient un grand et petit basteau pour l’exercice de leur brigande justice. Là se tenoient les plaids et audiances en l’ung ; et en l’aultre estoient prononcés et exécutés leurs arrests, sentences et condamnations. Chose estrange et inaudite, et toutes-fois bien veritable et tesmoing irrefragable de la meschanceté de ce siècle. » (Édit. Champollion, t. 2, p. 533.)
17. « C’est un tour de baston subtil et le rateau une autre façon très adroite ; la quige habin, le trompe-chien, le bracelet, un sublime tour de baston, qui se peuvent comprendre par l’expérience. » (Note de l’auteur.)
18. V., sur ce mot, Fr. Michel, Études de philologie comparée sur l’argot, p. 7, et notre t. 3, p. 221–222.
19. Tout ce qui est dit ici ne devra plus laisser de doute sur l’étymologie de la locution entendre le tour de bâton, déjà en usage au 16e siècle. V. Des Periers, édit. L. Lacour, coll. elzev., t. 2, p. 78.
20. C’est millogère qu’il faut lire, comme on le verra plus loin, dans le Dictionnaire blesquin. Servante se disoit aussi andrumelle : V. t. 3, p. 221, ou bien encore andrimelle : V. Les premières œuvres poétiques du capitaine Lasphrise, Paris, 1599, in-12. p. 499.
21. Far l’atto venereo. Le verbe river se disoit aussi avec le même sens dans l’ancienne langue populaire. On lit dans le Monologue des perruques :
… Chevaucher sans selle,
River et habiter dehait.
(Œuvres de Coquillart, édit. Ch. d’Héricault, t. 2, p. 271.)
22. « Premièrement, lit-on dans le Jargon ou Langage de l’argot réformé…, édit. des Joyeusetez, p. 5, ordonnèrent et establirent un chef…, qu’ils nommèrent un grand coére ; quelques-uns le nommèrent roi de Tunes, qui est une erreur. »
23. Petit paquet où l’on mettoit son linge et qu’on portoit d’ordinaire au bout du bâton appelé hoquet. Quelquefois ce dernier mot se prenoit dans l’un et l’autre sens. Il prêtoit fort aux équivoques ; aussi l’on ne manqua pas d’en faire. D’abord, par exemple, on dit, dans le sens de vomir, compter ses hoquets ; puis, par une évolution toute naturelle, le calembour venant en aide, on passa du contenant au contenu, et l’on dit compter ses chemises. Cette locution ne doit pas avoir d’autre étymologie.
24. Sur ces fausses plaies des argotiers, qui firent si spirituellement appeler cour des Miracles le lieu où, la nuit venue, ils alloient se débarrasser de leurs maux, Ambroise Paré a donné de très intéressants détails ; c’est ce qu’il appelle l’artifice des méchants gueux de l’hostière (édit. Malgaigne, t. 3. p. 46–53).
25. Ces cannes à épée étoient d’un usage très commun et fort nécessaires alors. Les plus paisibles ne s’en passoient pas. Écoutez Enay, le doux et l’inoffensif : « Je n’ai ni querelle ni procez, et suis bien aimé de mes voisins et tenanciers ; d’ailleurs, j’ai une petite lame dans ce bourdon. » (Le baron de Fæneste, édit. P. Mérimée, p. 10.) Un édit de 1666 défendit ces espées en baston. Elles avoient été déjà comprises, en 1661, dans la défense qui donna lieu à la comédie de Chevalier : La désolation des filoux, sur la deffense des armes.
26. Il est parlé des cagoux dans le Jargon, mais comme d’une catégorie de gueux, et non comme dignitaires de l’ordre, ainsi qu’on les représente ici. On verra plus loin, dans le Dictionnaire blesquin, que cagou se prenoit pour lieutenant.
27. Autrefois les marchands en détail n’avoient pas non plus d’autre livre de compte. La taille, morceau de bois fendu en deux, dont les parties pouvoient s’ajuster ensemble, et dont l’une, la souche, demeuroit chez le marchand, tandis que l’autre restoit chez la pratique, permettoit, au moyen de coches ou entailles faites sur celle-ci et reproduites sur celle-là, de calculer la quantité de choses vendues. C’étoit fort commode, surtout pour les boulangers, qui n’y ont pas encore tous renoncé.
28. Ce mot, même en dehors du Jargon, s’employoit pour hardes, effets : « En ceste occasion de trousser mes bribes et de plier bagage, dit Montaigne (liv. 3, ch. 9), je prends plus particulièrement plaisir à n’apporter aux miens ni plaisir ni deplaisir en mourant. » Ce mot, toutefois, étoit plus particulier aux gueux. Il paroît venir de l’espagnol bribar, mendier.
29. C’est-à-dire ce franc-cagou. Voy., plus loin, le Dictionnaire blesquin.
30. Huche. Ce mot est encore employé dans nos campagnes. Au 17e siècle on ne le comprenoit déjà plus à Paris, et Tallemant des Réaux, l’ayant employé, se croyoit obligé de l’expliquer en note et de dire : « C’est un mot de province. » (Édit. in-12, t. 1, p. 247.)
31. Les garçons chargés de la mouture.
32. Cette expression ne s’employoit ordinairement que pour hardes de nuit. V. notre édition des Caquets de l’accouchée, p. 19.
34. Ces bohémiens étoient sans doute de la race des Romanitchels, dont quelques bandes campent encore dans quelques cantons du centre de la France.
35. « Ces gens-là, dit le P. Garasse, à propos des bohémiens, ont des maximes secrettes, des caballes mystérieuses et des tenues qui ne sont intelligibles qu’à ceux de la manicle. » (La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, etc., Paris, 1623, in-4, p. 75.)
36. Vagabonder toujours, voilà leur loi. Ils se sont fait cette maxime : « Chukel sos piréla cocal téréla, chien qui court trouve un os. »
37. Il en est encore ainsi pour ceux du Pays-Basque. « Leurs demeures, dit M. Francisque-Michel, sont, pendant les plus rigoureuses saisons, les troncs d’arbres creusés, les cabanes des pasteurs abandonnées, les granges isolées. » (Id.., p. 139.)
38. « Ils sont restés platement flatteurs pour les riches habitants des pays où ils viennent camper ; ils caressent pour détourner les soupçons et voler plus à l’aise. Quand une bohémienne est enceinte dans le Pays-Basque, le couple se hâte de s’installer auprès de quelque riche maison, espérant que le maître les prendra en amitié et voudra bien être le parrain de l’enfant, ce qui, en effet, a lieu quelquefois. » (Francisque-Michel, Le Pays-Basque, 1857, in-8 p. 141.)
39. Ils étoient fort experts pour ce crochetage des buffets et autres coffres. V. Le baron de Fæneste, édit. P. Mérimée, p. 133. L’un des outils dont ils se servoient s’appeloit déjà un rossignol. (Id., p. 135.)
40. Grellmann remarque que le métier que les bohémiens exercent le plus volontiers est celui de forgeron. (Hist. des Bohémiens, trad. franç., 1810, in-8, p. 92–95.) De là à l’industrie du faux-monnoyeur il n’y avoit qu’un pas pour de telles gens.
41. Ils s’accommodent même des chevaux morts. « Quelle que soit la maladie qui les ait tués, ils les désinfectent avec des plantes à eux seuls connues et s’en repaissent impunément. » (Fr.-Michel, Le Pays-Basque, p. 138.)
42. L’argenterie surtout, et principalement les gobelets d’argent, pour lesquels, selon Grellmann, ils ont une véritable passion. (P. 91.)
43. « Voler la volaille et dire la bonne aventure, voilà le métier des femmes. » (Grellmann, p. 106, 125.)
44. « Une autre branche d’industrie à laquelle les bohémiens s’adonnent volontiers est le maquignonnage, qui semble leur avoir été particulier depuis les plus anciens temps de leur histoire. » (Grellmann, p. 97.)
45. C’est peut-être le même dont parle Tallemant : « Le capitaine Jean Charles, écrit-il, a dit au Pailleur qu’un petit cochon ne crioit point quand on le tenoit par la queue, et que leur plus sûre invention pour ouvrir les portes, c’étoit d’avoir grand nombre de clefs ; qu’il s’en trouvoit toujours quelqu’une propre pour la serrure. » (Édit. in-12, t. 10, p. 141.)
46. Ou pétrinal, sorte de long pistolet ou de petite carabine qu’on tiroit en appuyant la crosse sur la poitrine, d’où son nom.
47. Il étoit rare qu’il n’y eût une femme en couches dans un camp de bohémiens, quelque peu nombreux qu’il fût, tant il est vrai, comme le dit Grellmann, que cette race est des plus prolifiques. (P. 128.)
48. Dans l’argot d’aujourd’hui, Dieu se dit mec des mecs, maître des maîtres.
49. Les argotiers disent aujourd’hui rupin pour riche. C’étoit déjà un mot de l’argot de Cartouche : V. le Dictionnaire donné par Grandval à la suite du Vice puni. Ce mot a dû passer du bohémien dans l’argot, car il semble venir de l’indoustani rupa, qui signifie argent, et dont un autre dérivé, plus noble, est le mot roupie, nom d’une monnoie de l’Inde.
50. Tronche, qui se trouve aussi dans la XVe des Sérées de G. Bouchet (Des larrons, des voleurs, des picoreurs et matois), fait encore, partie de l’argot moderne avec le même sens.
51. Pannetière à miettes.
52. Aujourd’hui platue signifie une galette.
53. Bouchet (ibid.) donne à ce mot le sens de jambes. Cela dépend des gens.
54. Les Précieuses, en leur langage, appeloient les deux sœurs ce que les argotiers nomment aujourd’hui jumelles, et qui sont ces parties dont souffrent les enfants quand on les frappe, comme dit Gavarni, dans ce qu’ils ont de plus chair. La singularité de cette coïncidence, qui prouve que toutes les langues factices, quel que soit l’éloignement de leur point de départ, peuvent arriver à se rencontrer, n’a point échappé à M. Marty Laveaux dans un excellent article de la Revue contemporaine (15 mai 1857). Il y fait voir que cette rencontre du langage des Précieuses avec celui des bandits n’est pas la seule du même genre qui soit à constater. « Les dents, dit-il, sont appelées mobilier par les malfaiteurs, et par les précieuses ameublement de la bouche… ; en argot, le tranche-ardent ce sont les mouchettes, et, dans le style des ruelles, « inutile, ôtez le superflu de cet ardent », signifie : laquais, mouchez la chandelle. » V., pour ce dernier exemple, notre t. 6, p. 258.
55. Parola di zergo, cazzo, lit-on dans le Dictionnaire françois-italien d’Oudin. On trouve brichouart avec le même sens dans la 65e des Cent Nouvelles nouvelles. Quand on sait la signification du mot, l’application que Rabelais en a faite, lorsqu’il l’a donné pour nom au prêtre paillard du ch. 22 de son 2e livre, ne paroît que plus vive. La Fontaine, lorsqu’il l’a repris pour sa fable le Curé et le Mort, savoit-il bien ce que ce nom vouloit dire ?
56. Ce mot, comme tant d’autres, a passé de l’argot dans le langage ordinaire, et même dans la langue littéraire.
57. Du grec αρτος. Sauf quelques variations dans la désinence, il est le même pour toutes les langues argotiques.
58. Pivois dans l’argot.
59. Ou lance. En fourbesque, c’est lenza.
60. Ce mot vient de la ligne de vie, d’après laquelle, à la seule inspection de la main, on prédisoit à quelqu’un une existence plus ou moins longue. Montaigne parle de cette ligne vitale (Essais, liv. 22, ch. 12), et la Frosine de l’Avare la suit avec complaisance dans la main d’Harpagon. Tous les argotiers et bohémiens étant diseurs de bonne aventure, ce mot-là devoit leur venir.
61. Ce mot trouve sa raison, ainsi que les précédents, dans la discipline ecclésiastique, qui ordonnoit aux prêtres de se raser. Au chapitre 1er des Baliverneries d’Eutrapel, nous voyons un paysan qui appelle un curé « vilain rasé. » On lit dans le Blason des barbes de maintenant, édit. des Joyeusetez, p. 8 :
Mais cil qui a le manton nud
Et rasé ainsi comme un prestre
Est bien plus facile à cognoistre.
Dans le vocabulaire de Germania, de Juan Hidalgo, raso est mis pour abbé.
62. Le coestre emploie le même mot dans la Comédie des proverbes (acte 2, sc. 4, édit. d’Adrien Vlacq, p. 55). À la fin du 17e siècle il passa dans la langue ordinaire avec le même sens, grâce à certaine mode qui alors faisoit fureur. On lit dans la Satyre sur les panniers, criards, manteaux volants des femmes, etc., par le chevalier de Nisart, 1712, in-12 :
Ce sont tantot manteaux volants
Ou des troussures équivoques,
Qui font, chez les sages du temps,
Estimer leurs vertus baroques.
63. Ce mot, fort bien fait pour ce qu’il exprime, puisque le chapeau est pour l’homme ce que le toit, le comble, est pour une maison, existe encore dans l’argot. Les cartouchiens disoient combre. Brandimas dit, dans la première Journée du Mystère de saint Christophe…, par maistre Chevalet :
Mon comble est à la tatière ;
Or, ay que ne suis le pendu,
Mon jeorget n’a pièce entière.
64. Ce mot étoit de la langue usuelle ; Oudin le donne dans ses Curiositez françoises et dans la seconde partie des Recherches italiennes et françoises, p. 372.
65. « Ce georget, dit le cagou de la Comédie des proverbes (acte 2, sc. 4), tout glorieux du vol d’habits qu’il vient de faire, est tout comme si je l’avois commandé. » C’est du très ancien argot. Il se trouve plusieurs fois dans le Mistère du viel Testament, scène des Belistres. V. aussi plus haut.
66. C’est de là qu’est venu le mot gousse-pain (mange-pain), qui se prend pour un misérable de la dernière espèce, dans le langage du petit peuple.
67. Est resté dans l’argot d’aujourd’hui.
68. Dans l’argot de la troupe de Cartouche, dont le vocabulaire se trouve, comme je l’ai dit, à la suite du Vice puni, poème de Grandval, aquiger signifie faire. En effet, tromper et agir sont tout un pour les argotiers.
69. « Il faut enbier le pelé, dit le coestre, dans la Comédie des Proverbes (acte 2, sc. 4), gaigner le haut et mettre les quilles à son col. » On disoit aussi le pelat. « Il y a, dit le P. Garasse, des termes mystérieux et des locutions de maraudaille qui sont de vraies énigmes à qui n’a pas fait son apprentissage de gueuserie ; et qui entendroit ces locutions sans commentaires : ringer sur le pelat et cabler à la bistorte ? « (La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, Paris, 1623, in-4, p. 68.)
70. Ce mot et le précédent se trouvent, avec le même sens, dans l’argot de Cartouche.
71. Les voleurs de la bande de Cartouche disoient creux pour maison. Les argotiers d’aujourd’hui ont gardé ce mot, qui est très logique dans leur bouche. Pour les voleurs, la maison est une caverne, un creux.
72. Sans doute pour zergart. Ce mot doit venir du fourbesque ou argot italien zergo, gergo, d’où jargon ou gergon, qui a le même sens, a été tiré.
73. Nous avons vu ce que affurer vouloit dire. Les voleurs composoient ainsi pour les sergents un nom qu’ils auroient bien dû garder pour eux. D’un côté comme de l’autre il étoit mérité.
74. « Par manenda, dit la vieille dans la Comédie des Proverbes (acte 2, sc. 4), il faut promptement vous oster de dessous les pattes des chiens courants du bourreau, de peur que le brimart ne nous chasse les mouches de sur les espaules au cul d’une charrette. » (Édit. Adrien Vlacq, p. 54.)
75. C’est Lingre qu’il faut dire. Dans ses curieuses Études de philologie comparée sur l’argot, p. 249, après lesquelles il nous a été si difficile de dire quelque chose de nouveau dans ces notes, M. Francisque-Michel pense avec beaucoup de raison que ce mot lingre est une alération du nom de la ville de Langres, si fameuse depuis longtemps par sa coutellerie.
76. On dit aujourd’hui rif ou rifle, comme du temps de Cartouche. V. notre t. 3, p. 222. Le Jargon ou Langage de l’argot réformé, etc., contient un article sur la classe de gueux appelés ruffez ou riffodez, dont le métier étoit de feindre qu’ils avoient eu grand’peine « à sauver leurs mions (enfants, mioches) du riffe qui riffoit leur creux. »
77. Mot de la même famille que frusquin, saint frusquin, resté dans la langue populaire. Rusquin se trouve aussi dans le Jargon.
78. Le mot herpaille, qu’on lit dans les Vigilles de Charles VII (édit. Coustellier, p. 30) comme synonyme de truandaille, pourroit bien venir de celui de herpe. Il étoit naturel qu’on tirât du mot qui vouloit dire liard un nom pour les gens qui passent leur vie à mendier.
79. Se trouve encore dans l’argot moderne.
80. On sait que pour âne on disoit aze au moyen-âge ; de là à auzard il n’y a pas loin.
81. Ce mot est du plus ancien argot. Rabelais s’en est servi (liv. 1, ch. 38, et liv. 3, ch. 41), et on lit dans la 1re Journée de la Vie de saint Christofle (1530) :
Venez-vous en donc avec moy,
Et vous aurez, sçavez vous quoy ?
Force d’aubert en la follouce.