La Sorcière/Livre I/Chapitre IX

Flammarion (Œuvres complètes de Jules Michelet, tome XXXVIIIp. 423-436).



IX

SATAN MÉDECIN


La scène muette et sombre de la fiancée de Corinthe se renouvelle, à la lettre, du treizième au quinzième siècle. Dans la nuit qui dure encore, avant l’aube, les deux amants, l’homme et la nature, se retrouvent, s’embrassent avec transport, et, dans ce moment même (horreur !) ils se voient frappés d’épouvantables fléaux ! On croit entendre encore l’amante dire à l’amant : « C’en est fait… Tes cheveux blanchiront demain… Je suis morte, tu mourras. »

Trois coups terribles en trois siècles. Au premier, la métamorphose choquante de l’extérieur, les maladies de peau, la lèpre. Au second, le mal intérieur, bizarre stimulation nerveuse, les danses épileptiques. Tout se calme, mais le sang s’altère, l’ulcère prépare la syphilis, le fléau du quinzième siècle.


Les maladies du Moyen-âge, autant qu’on peut l’entrevoir, moins précises, avaient été surtout la faim, la langueur et la pauvreté du sang, cette étisie qu’on admire dans la sculpture de ce temps-là. Le sang était de l’eau claire ; les maladies scrofuleuses devaient être universelles. Sauf le médecin arabe ou juif, chèrement payé par les rois, la médecine ne se faisait qu’à la porte des églises, au bénitier. Le dimanche, après l’office, il y avait force malades ; ils demandaient des secours, et on leur donnait des mots : « Vous avez péché, et Dieu vous afflige. Remerciez ; c’est autant de moins sur les peines de l’autre vie. Résignez-vous, souffrez, mourez. L’Église a ses prières des morts. » Faibles, languissants, sans espoir, ni envie de vivre, ils suivaient très bien ce conseil et laissaient aller la vie.

Fatal découragement, misérable état qui dut indéfiniment prolonger ces âges de plomb, et leur fermer le progrès. Le pis, c’est de se résigner si aisément, d’accepter la mort si docilement, de ne pouvoir rien, ne désirer rien. Mieux valait la nouvelle époque, cette fin du Moyen-âge, qui, au prix d’atroces douleurs, nous donne le premier moyen de rentrer dans l’activité : la résurrection du désir.


Quelques Arabes prétendent que l’immense éruption des maladies de la peau qui signale le treizième siècle, fut l’effet des stimulants par lesquels on cherchait alors à réveiller, raviver les défaillances de l’amour. Nul doute que les épices brûlantes, apportées d’Orient, n’y aient été pour quelque chose. La distillation naissante et certaines boissons fermentées purent aussi avoir action.

Mais une grande fermentation, bien plus générale, se faisait. Dans l’aigre combat intérieur de deux mondes et de deux esprits, un tiers survit qui les fit taire. La foi pâlissante, la raison naissante disputaient : entre les deux, quelqu’un se saisit de l’homme. Qui ? l’Esprit impur, furieux, des âcres désirs, leur bouillonnement cruel.

N’ayant nul épanchement, ni les jouissances du corps, ni le libre jet de l’esprit, la sève de vie refoulée se corrompit elle-même. Sans lumière, sans voix, sans parole, elle parla en douleurs, en sinistres efflorescences. Une chose terrible et nouvelle advient alors : le désir ajourné, sans remise, se voit arrêté par un cruel enchantement, une atroce métamorphose[1]. L’amour avançait, aveugle, les bras ouverts… Il recule, frémit ; mais il a beau fuir ; la furie du sang persiste, la chair se dévore elle-même en titillations cuisantes, et plus cuisant au dedans sévit le charbon de feu, irrité par le désespoir.

Quel remède l’Europe chrétienne trouve-t-elle à ce double mal ? La mort, la captivité : rien de plus. Quand le célibat amer, l’amour sans espoir, la passion aiguë, irritée, t’amène à l’état morbide ; quand ton sang se décompose, descends dans un "in-pace", ou fais ta hutte au désert. Tu vivras la clochette en main pour que l’on fuie devant toi. « Nul être humain ne doit te voir : tu n’auras nulle consolation. Si tu approches, la mort ! »


La lèpre est le dernier degré et l’apogée du fléau ; mais mille autres maux cruels, moins hideux, sévirent partout. Les plus pures et les plus belles furent frappées de tristes fleurs qu’on regardait comme le péché visible, ou le châtiment de Dieu. On fit alors ce que l’amour de la vie n’eût pas fait faire ; on transgressa les défenses ; on déserta la vieille médecine sacrée et l’inutile bénitier. On alla à la sorcière. D’habitude, et de crainte aussi, on fréquentait toujours l’Église ; mais la vraie Église dès lors fut chez elle, sur la lande, dans la forêt, au désert. C’est là qu’on portait ses vœux.

Vœu de guérir, vœu de jouir. Aux premiers bouillonnements qui ensauvageaient le sang, en grand secret, aux heures douteuses, on allait à la sibylle : « Que ferai-je ? et que sens-je en moi ?… Je brûle, donnez-moi des calmants… Je brûle, donnez-moi ce qui fait mon intolérable désir. »

Démarche hardie et coupable qu’on se reproche le soir. Il faut bien qu’elle soit pressante, cette fatalité nouvelle, qu’il soit bien cuisant ce feu, que tous les saints soient impuissants. Mais, quoi ! le procès du Temple, le procès de Boniface, ont dévoilé la Sodome qui se cachait sous l’autel. Un pape sorcier, ami du diable et emporté par le diable, cela change toutes les pensées. Est-ce sans l’aide du démon que le pape qui n’est plus à Rome, dans son Avignon, Jean XXII, fils d’un cordonnier de Cahors, a pu amasser plus d’or que l’empereur et tous les rois ? Tel le pape, et tel l’évêque. Guichard, l’évêque de Troyes, n’a-t-il pas obtenu du Diable la mort des filles du roi ?… Nous ne demandons nulle mort, nous, mais de douces choses : vie, santé, beauté, plaisir… Choses de Dieu, que Dieu nous refuse… Que faire ? Si nous les avions de la grâce du Prince du monde ?


Le grand et puissant docteur de la Renaissance, Paracelse, en brûlant les livres savants de toute l’ancienne médecine, les latins, les juifs, les arabes, déclare n’avoir rien appris que de la médecine populaire, des bonnes femmes[2], des bergers et des bourreaux ; ceux-ci étaient souvent d’habiles chirurgiens (rebouteurs d’os cassés, démis), et de bons vétérinaires.

Je ne doute pas que son livre admirable et plein de génie sur les Maladies des femmes, le premier qu’on ait écrit sur ce grand sujet, si profond, si attendrissant, ne soit sorti spécialement de l’expérience des femmes même, de celles à qui les autres demandaient secours : j’entends par là les sorcières qui, partout, étaient sages-femmes. Jamais, dans ces temps, la femme n’eût admis un médecin mâle, ne se fût confiée à lui, ne lui eût dit ses secrets. Les sorcières observaient seules, et furent, pour la femme surtout, le seul et unique médecin.

Ce que nous savons le mieux de leur médecine, c’est qu’elles employaient beaucoup, pour les usages les plus divers, pour calmer, pour stimuler, une grande famille de plantes, équivoques, fort dangereuses, qui rendirent les plus grands services. On les nomme avec raison : les Consolantes (Solanées)[3].

Famille immense et populaire, dont la plupart des espèces sont surabondantes, sous nos pieds, aux haies, partout. Famille tellement nombreuse, qu’un seul de ses genres a huit cents espèces[4]. Rien de plus facile à trouver, rien de plus vulgaire. Mais ces plantes sont la plupart d’un emploi fort hasardeux. Il a fallu de l’audace pour en préciser les doses, l’audace peut-être du génie.

Prenons par en bas l’échelle ascendante de leurs énergies[5]. Les premières sont tout simplement potagères et bonnes à manger (les aubergines, les tomates, mal appelées pommes d’amour). D’autres de ces innocentes sont le calme et la douceur même, les molènes (bouillon blanc), si utiles aux fomentations.

Vous rencontrez au-dessus une plante déjà suspecte, que plusieurs croyaient un poison, la plante miellée d’abord, amère ensuite, qui semble dire le mot de Jonathas : « J’ai mangé un peu de miel, et voilà pourquoi je meurs. » Mais cette mort est utile, c’est l’amortissement de la douleur. La douce-amère, c’est son nom, dut être le premier essai de l’homœopathie hardie, qui, peu à peu, s’éleva aux plus dangereux poisons. La légère irritation, les picotements qu’elle donne purent la désigner pour remède des maladies dominantes de ce temps, celles de la peau.

La jolie fille désolée de se voir parée de rougeurs odieuses, de boutons, de dartres vives, venait pleurer pour ce secours. Chez la femme, l’altération était encore plus cruelle. Le sein, le plus délicat objet de toute la nature, et ses vaisseaux qui dessous forment une fleur incomparable[6], est, par la facilité de s’injecter, de s’engorger, le plus parfait instrument de douleurs. Douleurs âpres, impitoyables, sans repos. Combien de bon cœur elle eût accepté tout poison ! Elle ne marchandait pas avec la sorcière, lui mettait entre ses mains la pauvre mamelle alourdie.

De la douce-amère, trop faible, on montait aux morelles noires, qui ont un peu plus d’action. Cela calmait quelques jours. Puis la femme revenait pleurer : « Eh bien, ce soir, tu reviendras… Je te chercherai quelque chose. Tu le veux. C’est un grand poison. »


La sorcière risquait beaucoup. Personne alors ne pensait qu’appliqués extérieurement, ou pris à très faible dose, les poisons sont des remèdes. Les plantes que l’on confondait sous le nom d’herbes aux sorcières semblaient des ministres de mort. Telles qu’on eût trouvées dans ses mains, l’auraient fait croire empoisonneuse ou fabricatrice de charmes maudits. Une foule aveugle, cruelle en proportion de sa peur, pouvait, un matin, l’assommer à coups de pierres, lui faire subir l’épreuve de l’eau (la noyade). Ou enfin, chose plus terrible, on pouvait, la corde au cou, la traîner à la cour de l’église, qui en eût fait une pieuse fête, eût édifie le peuple en la jetant au bûcher.

Elle se hasarde pourtant, va chercher la terrible plante ; elle y va au soir, au matin, quand elle a moins peur d’être rencontrée. Pourtant, un petit berger était là, le dit au village : « Si vous l’aviez vue comme moi, se glisser dans les décombres de la masure ruinée, regarder de tous côtés, marmotter je ne sais quoi !… Oh ! elle m’a fait bien peur… Si elle m’avait trouvé, j’étais perdu… Elle eût pu me transformer en lézard, en crapaud, en chauve-souris… Elle a pris une vilaine herbe, la plus vilaine que j’aie vue ; d’un jaune pâle de malade, avec des traits rouge et noir, comme on dit les flammes d’enfer. L’horrible, c’est que toute la tige était velue comme un homme, de longs poils noirs et collants. Elle l’a rudement arrachée, en grognant, et tout à coup je ne l’ai plus vue. Elle n’a pu courir si vite ; elle se sera envolée… Quelle terreur que cette femme ! quel danger pour tout le pays ! »

Il est certain que la plante effraye. C’est la jusquiame, cruel et dangereux poison, mais puissant émollient, doux cataplasme sédatif qui résout, détend, endort la douleur, guérit souvent.

Un autre de ces poisons, la belladone, ainsi nommée sans doute par la reconnaissance, était puissante pour calmer les convulsions qui parfois surviennent dans l’enfantement, qui ajoutent le danger au danger, la terreur à la terreur de ce suprême moment. Mais quoi ! une main maternelle insinuait ce doux poison[7], endormait la mère et charmait la porte sacrée ; l’enfant, tout comme aujourd’hui, où l’on emploie le chloroforme, seul opérait sa liberté, se précipitait dans la vie.


La belladone guérit de la danse en faisant danser. Audacieuse homœopathie, qui d’abord dut effrayer ; c’était la médecine à rebours, contraire généralement à celle que les chrétiens connaissaient, estimaient seule, d’après les Arabes et les juifs.

Comment y arriva-t-on ? Sans doute par l’effet si simple du grand principe satanique que tout doit se faire à rebours, exactement à l’envers de ce que fait le monde sacré. Celui-ci avait l’horreur des poisons. Satan les emploie, et il en fait des remèdes. L’Église croit par des moyens spirituels (sacrements, prières) agir même sur les corps ; Satan, au rebours, emploie des moyens matériels pour agir même sur l’âme ; il fait boire l’oubli, l’amour, la rêverie, toute passion. Aux bénédictions du prêtre il oppose des passes magnétiques, par de douces mains de femmes, qui endorment les douleurs.


Par un changement de régime, et surtout de vêtement (sans doute en substituant la toile à la laine), les maladies de la peau perdirent de leur intensité. La lèpre diminua, mais elle sembla rentrer et produire des maux plus profonds. Le quatorzième siècle oscilla entre trois fléaux, l’agitation épileptique, la peste, les ulcérations qui (à en croire Paracelse) préparaient la syphilis.

Le premier danger n’était pas le moins grand. Il éclata, vers 1350, d’une effrayante manière par la danse de Saint-Guy, avec cette singularité qu’elle n’était pas individuelle ; les malades, comme emportés d’un même courant galvanique, se saisissaient par la main, formaient des chaînes immenses, tournaient, tournaient, à mourir. Les regardants riaient d’abord, puis, par une contagion, se laissaient aller, tombaient dans le grand courant, augmentaient le terrible chœur.

Que serait-il arrivé si le mal eût persisté, comme fit longtemps la lèpre dans sa décadence même ?

C’était comme un premier pas, un acheminement vers l’épilepsie. Si cette génération de malades n’eût été guérie, elle en eût produit une autre décidément épileptique. Effroyable perspective ! L’Europe couverte de fous, de furieux, d’idiots ! On ne dit point comment ce mal fut traité, et s’arrêta. Le remède qu’on recommandait, l’expédient de tomber sur ces danseurs à coups de pied et de poing, était infiniment propre à aggraver l’agitation et la faire aboutir à l’épilepsie véritable. Il y eut, sans nul doute, un autre remède, dont on ne voulut pas parler. Dans le temps où la sorcellerie prend son grand essor, l’immense emploi des Solanées, surtout de la belladone, généralisa le médicament qui combat ces affections. Aux grandes réunions populaires du sabbat dont nous parlerons, l’herbe aux sorcières, mêlée à l’hydromel, à la bière, aussi au cidre[8], au poiré (les puissantes boissons de l’Ouest), mettait la foule en danse, une danse luxurieuse, mais point du tout épileptique.


Mais la grande révolution que font les sorcières, le plus grand pas à rebours contre l’esprit du Moyen-âge, c’est ce qu’on pourrait appeler la réhabilitation du ventre et des fonctions digestives. Elles professèrent hardiment : « Rien d’impur et rien d’immonde. » L’étude de la matière fut dès lors illimitée, affranchie. La médecine fut possible.

Qu’elles aient fort abusé du principe, on ne le nie pas. Il n’est pas moins évident. Rien d’impur que le mal moral. Toute chose physique est pure ; nulle ne peut être éloignée du regard et de l’étude, interdite par un vain spiritualisme, encore moins par un sot dégoût.

Là surtout le Moyen-âge s’était montré dans son vrai caractère, l’Anti-Nature, faisant dans l’unité de l’être des distinctions, des castes, des classes hiérarchiques. Non seulement l’esprit est noble, selon lui, le corps non noble, — mais il y a des parties du corps qui sont nobles, et d’autres non, roturières apparemment. — De même, le ciel est noble, et l’abîme ne l’est pas. Pourquoi ? « C’est que le ciel est haut. » Mais le ciel n’est ni haut ni bas. Il est dessus et dessous. L’abîme, qu’est-ce ? Rien du tout. — Même sottise sur le monde, et le petit monde de l’homme.

Celui-ci est d’une pièce ; tout y est solidaire de tout. Si le ventre est le serviteur du cerveau et le nourrit, le cerveau, aidant sans cesse à lui préparer le sucre de digestion[9], ne travaille pas moins pour lui.


Les injures ne manquèrent pas. On appela les sorcières sales, indécentes, impudiques, immorales. Cependant leurs premiers pas dans cette voie furent, on peut le dire, une heureuse révolution dans ce qui est le plus moral, la bonté, la charité. Par une perversion d’idée monstrueuse, le Moyen-âge envisageait la chair, en son représentant (maudit depuis Ève), la Femme, comme impure. La Vierge, exaltée comme vierge, plus que comme Notre-Dame, loin de relever la femme réelle, l’avait abaissée en mettant l’homme sur la voie d’une scolastique de pureté où l’on allait enchérissant dans le subtil et le faux.

La femme même avait fini par partager l’odieux préjugé et se croire immonde. Elle se cachait pour accoucher. Elle rougissait d’aimer et de donner le bonheur. Elle, généralement si sobre, en comparaison de l’homme, elle qui n’est presque partout qu’herbivore et frugivore, qui donne si peu à la nature, qui, par un régime lacté, végétal, a la pureté de ces innocentes tribus, elle demandait presque pardon d’être, de vivre, d’accomplir les conditions de la vie. Humble martyre de la pudeur, elle s’imposait des supplices, jusqu’à vouloir dissimuler, annuler, supprimer presque ce ventre adoré, trois fois saint, d’où le dieu homme naît, renaît éternellement.


La médecine du Moyen-âge s’occupe uniquement de l’être supérieur et pur (c’est l’homme), qui seul peut devenir prêtre, et seul à l’autel fait Dieu.

Elle s’occupe des bestiaux ; c’est par eux que l’on commence. Pense-t-on aux enfants ? Rarement. Mais à la femme ? Jamais.

Les romans d’alors, avec leurs subtilités, représentent le contraire du monde. Hors des cours, du noble adultère, le grand sujet de ces romans, la femme est partout la pauvre Grisélidis, née pour épuiser la douleur, souvent battue, soignée jamais.

Il ne faut pas moins que le Diable, ancien allié de la femme, son confident du Paradis, il ne faut pas moins que cette sorcière, ce monstre qui fait tout à rebours, à l’envers du monde sacré, pour s’occuper de la femme, pour fouler aux pieds les usages, et la soigner malgré elle. La pauvre créature s’estimait si peu !… Elle reculait, rougissait, ne voulait rien dire. La sorcière, adroite et maligne, devina et pénétra. Elle sut enfin la faire parler, tira d’elle son petit secret, vainquit ses refus, ses hésitations de pudeur et d’humilité. Plutôt que de subir telle chose, elle aimait mieux presque mourir. La barbare sorcière la fit vivre.




  1. On imputa la lèpre aux Croisades, à l’Asie. L’Europe l’avait en elle-même. La guerre que le Moyen-âge déclara et à la chair, et à la propreté, devait porter son fruit. Plus d’une sainte est vantée pour ne s’être jamais lavé même les mains. Et combien moins le reste ! La nudité d’un moment eût été grand péché. Les mondains suivent fidèlement ces leçons du monachisme. Cette société subtile et raffinée, qui immole le mariage et ne semble animée que de la poésie de l’adultère, elle garde sur ce point si innocent un singulier scrupule. Elle craint toute purification comme une souillure. Nul bain pendant mille ans ! Soyez sûr que pas un de ces chevaliers, de ces belles si éthérées, les Parceval, les Tristan, les Iseult, ne se lavaient jamais. De là un cruel accident, si peu poétique, en plein roman, les furieuses démangeaisons du treizième siècle.
  2. C’est le nom poli, craintif, qu’on donnait aux sorcières.
  3. L’ingratitude des hommes est cruelle à observer. Mille autres plantes sont venues. La mode a fait prévaloir cent végétaux exotiques. Et ces pauvres Consolantes qui nous ont sauvés alors, on a oublié leurs bienfaits ! — Au reste, qui se souvient ? qui reconnaît les obligations antiques de l’humanité pour la nature innocente ? L’Asclepias acida, Sarcostemma (la plante-chair), qui fut pendant cinq mille ans l’hostie de l’Asie, et son dieu palpable, qui donna à cinq cent millions d’hommes le bonheur de manger leur dieu, cette plante que le Moyen-âge appela le Dompte-Venin (Vince-venenum), elle n’a pas un mot d’histoire dans nos livres de botanique. Qui sait ? dans deux mille ans d’ici, ils oublieront le froment. Voy. Langlois, sur la soma de l’Inde, et le hom de la Perse. Mém. de l’Ac. des Inscriptions, XIX, 326.
  4. Dict. d’hist. nat. de M. d’Orbigny, article Morelles de M. Duchartre, d’après Dunal, etc.
  5. Je n’ai trouvé cette échelle nulle part. Elle est d’autant plus importante, que les sorcières qui firent ces essais, au risque de passer pour empoisonneuses, commencèrent certainement par les plus faibles et allèrent peu à peu aux plus fortes. Chaque degré de force donne ainsi une date relative, et permet d’établir dans ce sujet obscur une sorte de chronologie. Je compléterai aux chapitres suivants, en parlant de la Mandragore et du Datura. — J’ai suivi surtout : Pouchet, Solanées et Botanique générale. M. Pouchet, dans son importante monographie, n’a pas dédaigné de profiter des anciens auteurs, Matthiole, Porta, Gessner, Sauvages, Gmelin, etc.
  6. Voir la planche d’un excellent livre, lisible aux demoiselles même, le Cours de M. Auzoux.
  7. Mme La Chapelle et M. Chaumier ont fort utilement renouvelé ces pratiques de la vieille médecine populaire. (Pouchet, Solanées, p. 64)
  8. Alors tout nouveau. Il commence au douzième siècle.
  9. C’est la découverte qui immortalise Claude Bernard.