Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 49-52).

V — L’Éducation


À aucun moment l’ignorance n’a été complète.

Il y a toujours eu chez nous des gens qui savaient signer. À certains moments, surtout de 1780 à 1840, c’était la petite minorité, mais des signatures sont là tout de même, signatures d’hommes et signatures de femmes, en grosses lettres béquillardes ou en écriture qui court bien.

À titre d’exemple, si l’on permet un exemple familial, qui peut être typique : des neuf générations de Dugré, à partir de l’ancêtre Jacques signalé à Lachevrotière, en 1690, jusqu’aux petits écoliers d’aujourd’hui, un seul représentant ne signe pas ; c’est le grand-père Modeste, né en 1811, qui défriche avec son père, Modeste 1er , d’abord forgeron au village, mais élevé aux Trois-Rivières et sachant écrire, les lots de colonisation du rang de Saint-Charles, où l’école s’installa vers 1840. C’est le seul anneau qui manque à cette chaîne de braves signatures de mariages heureux et de baptêmes nombreux. Il est permis de croire que ce cas est probant : avant ce pionnier qui planta sa famille sur le sol, les anciens allèrent en classe à Québec et aux Trois-Rivières ; après lui, grâce à lui, les écoles nouvelles jaillirent jusqu’au fond de la campagne conquise. N’y a-t-il pas une émotion à se dire : « Je suis le petit-fils d’un illettré, plein de cœur et de débrouillardise, qui obscurément usa ses bras pour que ses fils soient, non meilleurs, mais plus avantagés que lui… »

Les désorganisations de 1760, les difficultés inhérentes à un établissement de colons, puis le manque de liberté, puis les tentatives anglo-protestantes de confisquer le cerveau de nos jeunes gens, la grève contre une école qui ne serait qu’une souricière, une boîte à anglicisation. Si nos Canadiens d’il y a cent-cinquante ans s’étaient entichés de l’anglais comme nos imprévoyants d’aujourd’hui, aucune trace de notre langue ne survivrait plus.

Le solide bons sens de nos arrière-grands-pères préféra l’ignorance d’une génération ou deux à la déchéance de toutes ; il se dit qu’avec l’Acte de Québec l’Angleterre apprenait à conjuguer le verbe céder, au présent et au futur. Le bon sens ne se trompe jamais.

La tentative d’écoles anglaises de l’Institution Royale, 1802, se heurta contre un merci poli mais décidé : on n’en prend pas ! On veut s’instruire, non se détruire. Trouvons autre chose. Des prêtres et d’autres personnes de bonne volonté groupent quelques enfants ; les religieuses continuent leur enseignement presque gratuit dans les villages plus importants ; des maîtres ambulants donnent des cours quelques mois dans chaque localité : à aucun moment le flambeau ne s’éteint.

La députation canadienne demande une autre Institution royale pour nous, qui formons les dix-neuf-vingtièmes de la population : Mgr Plessis et lord Dalhousie s’y rallient, Londres refuse. L’on propose un Comité catholique de l’Institution royale : Mgr Panet et Mgr Lartigue s’y opposent. L’Assemblée vote un régime d’écoles ni catholiques ni protestantes, en dehors de l’Institution royale.

Quatre espèces d’écoles existaient au bas Canada il y a cent ans : les anciennes écoles soutenues par les curés et les communautés ; 48 écoles de fabrique ; 1,321 écoles, aidées de fonds publics, selon la loi de 1829, et 63 de l’Institution royale, en train de disparaître.

En 1836, une circulaire de Mgr Signay aux curés annonce que la loi de 1829 n’est plus en force, que les fonds publics vont cesser d’arriver, qu’il faut tout faire « pour procurer à la paroisse au moins une partie des avantages dont elle jouissait sous la loi qui vient d’expirer », qu’il autorise et qu’il exhorte les fabriques à employer, selon la loi, le quart de leur revenu annuel au soutien d’une ou de plusieurs écoles sous leur direction.

Deux ans plus tard, Monseigneur fait lui-même une enquête sur l’éducation, et voici le texte de la réponse de M. le curé Proulx, de la Pointe-du-Lac, le 27 août 1838 : » En réponse à la lettre circulaire de Votre Grandeur du 13 du courant, je dois dire qu’il n’y a actuellement dans ma paroisse qu’une seule école, et cette école est une école de filles. Vingt enfants la fréquentent ordinairement, et l’on y enseigne, outre la lecture et l’écriture, l’arithmétique. Jusqu’à cette année, la Fabrique allouait une légère somme à chacune des écoles alors existantes, mais cette année-ci elle n’a rien voulu donner.

Avant 1837-38, il y avait donc plusieurs écoles ? Oui, dans à peu près tous les rangs, puisque la grande majorité des gens qui dépasseraient aujourd’hui les cent ans, savaient lire et écrire.

Pour les années suivantes, on obtient, des archives du Département de l’Instruction publique de Québec, ces quelques lignes vagues qui permettent bien des déductions : en 1850, le notaire Pétrus Hubert rapporte à M. le Surintendant Meilleur qu’il n’y a pas d’école officielle placée sous une commission, mais qu’on y alloue 31 livres, 1 chelin, 2 deniers, aux écoles existantes.

En 1854, Sir Georges-Étienne Cartier, secrétaire de la Province, octroie 28 livres, 5 chelins, 1 denier, à la Pointe-du-Lac.

En 1855, sur une population de 1,602 âmes, 308 enfants vont à l’école plus ou moins régulièrement, — ce qui n’est pas mal du tout !

En 1861, M. l’inspecteur Hubert est un peu plus précis : la Pointe-du-Lac a quatre divisions et quatre écoles, dirigées par quatre institutrices possédant leur diplôme élémentaire et recevant de 120 $. à 72 $. par année. Les trois écoles élémentaires comptent 130 élèves, et l’école supérieure, 80. On note 575 volumes dans les classes.

Les noms des anciennes maîtresses ? Les souvenirs de Mademoiselle Élise Daveluy, qui entra à l’école du village en 1852, mentionnaient d’abord Mademoiselle Jessie Dugré (dame Narcisse Garceau), Mlle Eléonore Descôteaux, deux demoiselles Désaulniers d’Yamachiche, qui avaient étudié à Montréal à la Congrégation Notre-Dame, avant l’ouverture du couvent fondé par M. le curé Dumoulin, en 1858 ; une demoiselle Couture de Saint-Gervais de Bellechasse, puis Madame Dupont (demoiselle Catherine Côté), « la grosse maîtresse », aussi de Saint-Gervais, qui enseigna une douzaine d’années au salaire très élevé alors de 200 $ qui prouve sa compétence.

En 1870, Mademoiselle Daveluy, diplômée de l’École Normale de Québec, est l’assistante puis la remplaçante de Madame Dupont, qui meurt cette année-là. Mademoiselle Daveluy déduit une piastre par mois de son traitement annuel de 173 $, pour se faire aider par un moniteur, un grand élève, qui enseigne la lecture et le catéchisme aux petits.

Elle a toujours regretté la perte d’un gros registre gris, où étaient inscrits les noms et les faits, et qu’elle vendit par mégarde à un chiffonnier, un jour de grand ménage : faute assez fréquente chez nous que ces débarras à outrance…

Les rangs eurent leurs écoles entre 1820 et 1850, ceux du fleuve et de l’Acadie en particulier, où l’on rappelle les noms des Demoiselles Duval, Elmire Dufresne, Célanire Rouette (dame Houle), et Philomène Martin (dame Garceau).

Dans le passé récent, les noms d’institutrices qui émergent sont ceux des deux demoiselles Comeau entrées ensuite chez les Sœurs Grises d’Ottawa, des demoiselles Weaner. Délima Comeau, Alarie et Chevalier, (mesdames Dubé, Duplessis, Rouette et Biron).