Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 31-33).

c — Variétés

Les registres démontrent encore que, autrefois comme aujourd’hui, les colons ne sont pas toujours, ni la moitié du temps, les paroissiens qui restent : diverses raisons les poussent ou les repoussent plus loin, surtout la misère. Ils ont du Samuel Chapdelaine, ils n’aiment pas les voisins, ni les animaux autres que les chevaux ; ils goûtent la solitude, la destruction des arbres plutôt que la production du grain et la construction des clôtures. Ce sont les artilleurs de la conquête, qui déblaient le terrain pour les fantassins, les sédentaires, les vrais cultivateurs, qui font le pays et qui sont la solide étoffe de la race.

Des noms de l’ancien temps, l’on ne retrouve plus que les Delpé-Montour, les Duplessis, les Camirand, les Guilbert, les Dufresne, Dupont, Duval, Girard, Guay, Gauthier, Comeau, Crête, Garceau, Pothier, Benoit, Lesieur, Thibault, Godin, Héroux, Martin, Rivard, Houle, Biron, Blouin, Livernoche, Denoncourt, Vincent, Héli, Lemerise, Alarie.

Vers 1800, apparaissent Dugré, Blais, Bolduc, Berthiaume, Blouin, Descôteaux, Bouchard, Bourassa, Rouette, Bisson et Paquin.

Presque tous les noms des 1,400 habitants de la Pointe-du-Lac sont là. Selon la remarque d’une fouilleur : « Parmi les anciennes familles, tout le monde est parent ». Et c’est vrai pour des régions complètes de notre territoire : nous sommes issus de quatre ou cinq mille familles de France. Les groupes enracinés ici ont peuplé des sections entières de leurs enfants et petits-enfants, et les entre-mariages de ces descendances nombreuses ont créé des parentés si vastes qu’on les perd de vue, et qu’on est tout surpris de payer une dispense de mariage.

En prévision, sans doute, de ces rapides multiplications des descendances, on changeait les noms de famille à partir du deuxième fils : on a vu les variétés de Linctôt ; les trois frères Gélinas d’Yamachiche deviennent Gélinas, Bellemare et Lacourse ; les cinq fils de Charles Lesieur se nomment Lesieur, Duchêne, Désaulniers, Coulombe et Lapierre, en attendant autre chose.

Nos registres affichent Bériau dit Boisclair, Laperle dit Janvier, Janvier dit Larose, Breton dit Héli, Deshaies dit Saint-Cyr, Leroux dit Lenseigne, Hérou dit Bourgainville, Gadiou dit Saint-Louis, Delpé dit Montour, Montour dit Saint-Cerny, Comeau dit Chaillot, Vacher dit Lacerte, Lesieur dit Frény, Rouette dit Vive l’Amour ! Arrêtons là !

Salutaires changements, tout de même, à remettre en honneur pour ne plus confondre les victimes d’arrestations, ni s’embrouiller dans l’almanach des adresses de Montréal, à d’interminables nomenclatures de 54 Joseph Gauthier, en outre de 36 Arthur, 12 Charles et 25 Albert ; 53 Joseph Gagnon, plus 29 Arthur, 16 Charles et 19 Albert ; 36 Joseph Côté, 95 Joseph Tremblay,… sans compter les enfants et les célibataires sans logis !

Nos ancêtres ne donnaient pas dans les prénoms qui font ensuite le désespoir de leurs infortunés dénommés, les prénoms-martyres. Non. Nulle part on ne lit d’Exilia, d’Indiana, d’Elzémire et de charabia,

Les petites filles s’appellent le plus souvent, et gentiment, Marguerite, Françoise, Antoinette, Geneviève, Josette, Marie, Madeleine, Jeanne, Catherine ou Angélique. Et les garçons, de préférence Pierre, François, Joseph, Jean-Baptiste, Louis, Étienne, Jacques, Modeste, Charles et Michel. Sous le régime anglais fourmillent les noms tirés de l’Ancien-Testament : Moïse, Esdras, Isaac, Isaïe, Abraham, Elzéar, Jérémie, Benjamin, Samuel. Puis, des noms anglais : William, Johnny, Arthur, Freddie ; et les terminaisons fantaisistes : Louison, José, Charlon, Charlette, Tiquienne, Quiennon, Belone, Exor-Noré-Elzéar, fils d’Honoré.

Les sépultures d’enfants pullulent : les petits naissent nombreux, mais ils meurent drus comme des mouches. Il y en a bien le tiers qui ne vivent pas dix ans. Mais les survivants sont des gaillards !

Le manque de médecins, la science trop courte des sages-femmes qui les remplacent, les travaux harassants de nos grand’ mères, la longueur démesurée de nos hivernements, la grossièreté de la nourriture, l’absence d’aération des minuscules cabanes, avaient de quoi faire mourir les plus robustes. L’hygiène est une science nouvelle, le soin des corps n’est pas érigé en idolâtrie chez nos ancêtres, les bains se prenaient à la grande eau, ou à la pluie, et l’on néglige de se vêtir de linge sec quand on s’est trempé de sueur, d’orage ou de neige fondante. Le canotage obligatoire occasionne bien des noyades. Ajoutons à ces pertes de nos recrues les trouées causées par d’incessantes expéditions guerrières ou commerciales, les groupes de colons transplantés au Détroit et ailleurs, et l’on s’explique le ralenti de la conquête agricole durant les cent-cinquante années de domination française.