La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P3/1886

Gauthier-Villars et fils (1p. 385-395).
Opposition de 1886

Opposition de 1886.
Date de l’opposition : 6 mars.

Présentation : Le pôle boréal est incliné vers la Terre.

Latitude
du centre.
Diamètre. Phase
zone manquant.
 Angle
Terre-Soleil.
6 janvier
+23°,3 19″,20 0″,75 33°
6 février
+22°,5 12″,18 0″,40 21°
6 mars (opposition).
+21°,9 13″,95 0″,01 2
6 avril
+21°,9 12″,43 0″,50 23°
6 mai
+23°,4 19″,82 0″,88 35°
6 juin
+25°,3 17″,84 0″,89 39°
       
Calendrier de Mars.
Hémisphère austral ou supérieur. Hémisphère boréal ou inférieur.
31 mars 1886
Solstice d’hiver. Solstice d’été.

cxxi. 1886. — Denning. Observations et dessins[1].

M. Denning a effectué pendant les mois de mars et d’avril 1886, à son observatoire de Bristol, une série d’observations de la planète Mars, à l’aide d’un télescope à miroir de verre argenté de 10 pouces (0m,254) de With, de Hereford. Les grossissements employés ont été de 252 à 475 diamètres ; mais il n’a pas trouvé d’avantage à se servir du dernier, qui a paru trop fort. En général, l’oculaire grossissant 252 fois a été largement suffisant, quoique, en certaines circonstances, un grossissement de 350 fois se soit montré avantageux.

La planète était en opposition le 6 mars ; mais, pendant les trois premières semaines de ce mois, on eut à subir de fortes gelées et il ne fut guère possible de commencer les observations avant la fin du mois. Il s’en faut de beaucoup que la position de l’astre ait été favorable, tout au moins sous le rapport de ses dimensions apparentes. Mais ce qui fait l’intérêt des observations actuelles, c’est que l’hémisphère boréal, qui jusqu’ici n’a pas été étudié aussi complètement que l’hémisphère austral et qui n’offre pas autant de détails bien nettement caractérisés, se présentait très bien pour l’observation, la latitude du centre du disque étant d’environ 22° N. pendant les mois de mars et d’avril.

Les taches observées étaient à la fois nombreuses et variées ; il y a évidemment une quantité de détails sur la planète ; mais il est extrêmement difficile de les relier entre eux par une représentation satisfaisante. Un grand nombre de taches très faibles frappent l’œil assez distinctement pour qu’on puisse affirmer leur existence ; mais on ne peut pas les distinguer avec assez de netteté et de précision pour reconnaître leurs contours, ou assigner correctement leurs positions relatives. Il n’y a que les traits les mieux prononcés qui puissent être dessinés d’une manière satisfaisante. Le petit diamètre de Mars pendant ces observations a certainement contribué dans une large mesure à l’incertitude de l’aspect physique du disque. Une autre cause de cette incertitude réside dans la rareté des images télescopiques réellement bonnes. Non seulement il faut que l’atmosphère se trouve dans des conditions particulièrement favorables à la parfaite netteté des images, mais encore une absence complète de vent est indispensable. Les plus légères vibrations empêchent de suivre et d’étudier un système compliqué de taches et de détails. Enfin, comme objet télescopique, la planète Mars est beaucoup moins satisfaisante que Jupiter ou Saturne. Toutes ces circonstances expliquent l’incertitude de certaines observations et les discordances qu’on peut relever dans les dessins des détails visibles à la surface.

Voici les observations de M. Denning :

       
Fig. 205.
Aspect de la planète Mars, d’après les observations faites de 1886, par M. Denning.
III. 27 avril, 8h 40m. Long. 187°. VIIIII. 13 avril, 9h 50m. Long. 332°.
II. 13 avril, 8h40m. Long. 305°. VIIIV. 13 avril, 7h 30m. Long. 328°.

« Du 23 mars au 30 avril la planète a été examinée vingt-deux soirs, et un nombre considérable de dessins a été obtenu. Pendant cette période, il y eut une série exceptionnelle de belles nuits, et toutes les fois que les images furent suffisantes, les détails observables ont été rigoureusement notés ; puis les résultats ont été ensuite comparés les uns aux autres, ainsi qu’avec ceux des travaux analogues effectués antérieurement,

» Mes dessins se correspondent exactement entre eux et présentent une concordance bien marquée avec les cartes de Green, Schiaparelli, Flammarion, Knobel, etc. Je les ai aussi comparés avec les vues données dans l’Aréographie de Terby et avec les dessins de Bœddicker obtenus en 1881 et 1884 à l’aide du télescope de trois pieds (0m,915), de lord Rosse (voy. plus haut p. 364 et 382). Cette comparaison m’a encore fourni une nouvelle confirmation de mon travail. Quelques discordances sont plus fortes que celles qu’on s’attendrait à rencontrer comme probables ; mais l’expérience nous a appris qu’il serait illusoire d’espérer l’uniformité dans la représentation des détails planétaires.

» Pendant les cinq semaines qu’ont duré mes observations, je n’ai trouvé aucune preuve certaine d’un changement quelconque dans aucune des taches ; mais la période a été trop limitée, et les circonstances dans lesquelles s’est effectué le travail ont été trop défavorables pour que je puisse me prononcer avec certitude sur ce point. Les légères différences que présentent mes dessins sont simplement du même ordre que celles qui seraient causées par des changements dans les conditions atmosphériques locales. Pendant une mauvaise nuit, des marques très faibles, distinguées auparavant, se sont effacées, tandis que pendant les meilleures nuits j’ai vu des détails délicats qu’il était impossible de soupçonner dans des circonstances moins favorables. Je suis convaincu que de pareils changements dans les conditions de la vision exercent une influence considérable sur la configuration apparente de la planète, plus considérable même que les observateurs ne l’admettent généralement. On a quelquefois conclu trop hâtivement à des changements réels ; de véritables modifications ne peuvent être affirmées qu’à la suite d’un examen scrupuleux et sur la foi de preuves indiscutables.

» La plupart des mers les mieux définies présentent des bords extérieurs très brillants avec des limites très nettes. Ces bordures brillantes rappellent les aires lumineuses qui souvent, sur Jupiter, confinent aux taches sombres ; seulement, sur Mars, elles sont plus étendues, plus permanentes, et aussi de formes plus dissemblables. Je dois citer, comme un cas particulier de ces bords brillants, la région qui longe la rive orientale de la mer du Sablier. Je l’ai vue quelquefois si lumineuse qu’elle rivalisait d’éclat avec la tache blanche du pôle nord. Elle s’étend sur plusieurs degrés à l’est du contour obscur de la mer, et se trouve limitée par une tache faible, irrégulièrement condensée, qui se prolonge vers le Nord en s’inclinant à l’Est, à partir d’un point de longitude 290°, immédiatement à l’est de l’extrémité boréale de la mer du Sablier (voy. fig. 205, II et III). Cette traînée est fort longue : elle s’étend jusqu’au-dessous de la baie du Méridien et de la baie Burton auxquelles elle se relie par de légers ligaments qui rappellent les canaux de Schiaparelli (voy. fig. 205, IV). Cette tache spéciale, qui ne figure pas sur la carte de Green, est peut-être identique avec le réseau d’étroites bandes sombres dessiné dans cette région par Schiaparelli sur sa carte[2]. On la trouve aussi plus ou moins nettement définie dans quelques autres dessins, notamment dans un dessin de Schmidt.

» Quant à la mer du Sablier, elle se montre très faible et très étroite, sinon brisée tout à fait, dans la région qui se trouve à 10° ou 15° au sud de son extrémité boréale (voy. fig. 205, II et III). Cette particularité est bien représentée dans les dessins de Bœddicker. Sur d’autres dessins, je n’ai pu retrouver cette circonstance suffisamment indiquée. Il est évident, du reste, qu’on ne peut la bien remarquer que lorsque la région en question se présente auprès du centre apparent du disque, comme lors de la dernière opposition.

» Les dessins de Knobel de 1873 concordent généralement beaucoup mieux avec les miens que ceux que le même auteur a dessinés en 1884[3]. Sur la carte de Green, la mer Knobel est, à son extrémité australe, séparée de la faible bande courbe qui s’allonge à l’Est, comme dans les dessins nos 6, 7, 8 et 9 de 1873. Cette rupture n’est plus figurée dans les dessins ultérieurs de 1884, de sorte que cette région paraît avoir subi quelque changement d’aspect, à moins que la différence d’inclinaison ne soit la cause du défaut de concordance entre les observations. Il est probable que telle en est effectivement la véritable raison, car l’inclinaison de la planète en avril et mai 1873 était presque exactement la même qu’en mars et avril 1886, et c’est justement dans ces deux périodes que les dessins présentent la plus grande ressemblance dans leurs formes les plus remarquables. Je vois le rivage boréal de la mer Knobel distinctement séparé de la bande obscure longitudinale immédiatement contiguë à la calotte polaire boréale (fig. 205, IV). Le dessin no 12 du 19 mai 1873, par Knobel, représente les principaux traits de cette région tels que je les ai récemment observés. En 1884, cet astronome a dessiné toute la masse d’ombre qui entoure le pôle nord comme obscurcie sans interruption ; mais ces différences d’aspect sont dues, sans aucun doute, aux variations d’inclinaison.

» Pour ce qui est des détails en forme de canaux observés par Schiaparelli, j’ai distingué un grand nombre d’apparences qui suggèrent fortement l’existence d’une semblable configuration ; mais les dessins effectués en Italie pendant les trois mois d’octobre 1881 à février 1882 leur donnent un caractère défini et, sans parler de leur dédoublement, une rectitude de forme et une uniformité générale de ton que les observations ne confirment pas. Les détails les plus délicats et les plus complexes de la planète se présentent, à mes yeux, dans les meilleures circonstances, comme des ombres linéaires extrêmement faibles, avec des gradations évidentes de ton, et des irrégularités qui produisent çà et là des ruptures ou des condensations. S’ils existaient sous le même aspect, et avec la même sûreté de direction que les a représentés Schiaparelli, ils eussent été facilement aperçus ici, toutes les fois que la définition eût été suffisamment bonne ; car ces objets sont indiqués comme aisément observables dans la lunette de 8 pouces de l’Observatoire de Milan, en février 1882, alors que le diamètre de la planète était seulement de 13″. Le dédoublement de ces lignes pouvait aussi se reconnaître dans les mêmes conditions peu favorables. Ce qu’il y a de plus étonnant, ce n’est pas que l’éminent astronome italien ait découvert de si merveilleux détails à la surface de la planète, — car ces détails existent sans aucun doute, — c’est bien plutôt qu’il soit parvenu à observer leur configuration si complexe et si difficile à une époque où Mars se trouvait justement placé dans des conditions particulièrement défavorables pour des observations d’une nature aussi délicate.

» Pendant les derniers mois, la calotte polaire boréale de Mars s’est montrée très brillante ; elle présentait souvent un contraste frappant avec les régions les moins réfléchissantes de la surface. Il y avait aussi d’autres parties du disque notablement brillantes. Ces régions lumineuses de Mars méritent au moins autant d’attention que les parties obscures, car c’est probablement dans leur aspect que des changements peuvent être observés d’une façon bien nette, si tant est qu’il se produise des modifications réelles à la surface de la planète. On n’a pas attaché suffisamment d’importance à ces taches blanches.

» La plupart de nos principaux Traités d’Astronomie attribuent à Mars une atmosphère dense ; pendant mes observations, je n’ai rien vu qui soit de nature à confirmer cette théorie. Il me semble beaucoup plus vraisemblable d’admettre que l’atmosphère de cette planète est extrêmement raréfiée. Les principales taches sont invariablement visibles, et les différences observées paraissent plutôt dues à l’influence de notre atmosphère qu’à celle de Mars. Jupiter et Saturne sont sans doute enveloppés de vapeurs épaisses qui cachent aux yeux terrestres la véritable surface du globe. Les taches qu’on y observe sont atmosphériques, quoique, en certains cas, très persistantes ; elles subissent constamment des modifications d’aspect et des changements de position dus à des courants longitudinaux. Sur Mars, la nature des choses est tout autre. Ici, les aspects observés sont des configurations géographiques incontestables, et elles ne présentent aucune de ces variations qui sont si remarquables parmi les détails de Jupiter. Il est probable que « la plupart, sinon la totalité, des changements qu’on a cru observer dans l’aspect des taches de Mars sont dus tout simplement à la diversité des conditions dans lesquelles la planète a été nécessairement étudiée ». Si les circonstances des observations se trouvaient toujours les mêmes, il y aurait une bien plus grande uniformité dans les résultats obtenus. Le caractère si nettement accusé des taches et leur grande permanence sont tout à fait opposés à l’idée que la planète puisse être entourée d’une atmosphère épaisse et chargée de nuages. »

Telles ont été les intéressantes observations de M. Denning en 1886. Malgré les excellentes raisons invoquées par l’auteur, raisons que nous adoptons sans réserve, nous ne pouvons douter toutefois que la surface de la planète ne subisse des variations réelles, considérables et fréquentes.

À la séance de la Société astronomique de Londres du 14 mai 1886[4], M. Green a fait d’importantes remarques sur les observations de M. Knobel en 1884. Il expose qu’en 1886 il a confirmé plusieurs de ces observations, mais qu’il a trouvé néanmoins certaines différences assez curieuses. M.  Knobel était d’avis que la carte de M. Green réclamait une rectification près de la mer Knobel, attendu qu’il avait trouvé là des bandes sombres au lieu de l’espace clair nommé terre de Le Verrier. Or M. Green a reconnu cet espace très nettement pendant l’opposition de 1886. « La comparaison des deux séries d’observations montre que des changements s’accomplissent de temps à autre en plusieurs régions de Mars. La mer Lassell, qui était pendant la dernière opposition presque aussi distincte que l’Oculus, et la baie de Huggins sont citées comme exemples ; celle-ci s’est montrée large et bien marquée. »

L’un des faits les plus remarquables observés pendant l’opposition de 1886, a été l’apparition fréquente de masses lumineuses sur le bord, qui n’arrivent jamais au méridien, et de portions orangées vues au méridien qui deviennent blanches en arrivant au bord. N’en peut-on conclure qu’une condensation nuageuse prévaut sur le côté droit de la planète et que ces masses nuageuses sont dispersées quand elles arrivent au méridien, devant le Soleil ?

cxxii. 1886. — Perrotin. Observation des canaux.

« Pendant la dernière opposition de la planète Mars, écrit M. Perrotin[5], nous avons, M. Thollon et moi, consacré plusieurs soirées à l’étude des configurations de la planète, à l’aide de l’équatorial de 0m,38 de l’Observatoire de Nice.

» Commencées seulement à la fin du mois de mars, à cause du mauvais temps, les observations ont été poursuivies jusqu’au milieu de juin, toutes les fois que les circonstances l’ont permis. Elles avaient surtout pour but la reconnaissance des canaux simples ou doubles découverts par M. Schiaparelli et qui n’avaient guère été observés jusqu’ici que par lui seul.

» La planète était dans des conditions relativement défavorables, en raison de son faible diamètre apparent, dont la valeur, au moment de l’opposition, le 6 mars, était de 14″ à peine, tandis qu’il atteignait près de 25″ lors des observations de 1877 du savant astronome italien.

» Nos premières tentatives pour apercevoir les canaux ne furent pas encourageantes et, après plusieurs jours de recherches infructueuses, qui s’expliquent en partie par la mauvaise qualité des images, en partie aussi par la difficulté propre à ce genre d’investigations, après avoir abandonné une première fois, puis repris cette étude, nous allions y renoncer définitivement, lorsque, le 15 avril, je parvins à distinguer l’un des canaux situé à l’ouest de la mer du Sablier, Grande Syrte de Schiaparelli, et mettant en communication cette mer avec le détroit d’Herschel (Sinus Sabæus).

» M. Thollon le vit également aussitôt après.

» À partir de ce jour, par de bonnes conditions, nous avons pu reconnaître successivement un certain nombre de canaux présentant, à quelques détails près, les caractères que leur attribue le directeur de l’Observatoire de Milan.

» Ces canaux, tels que les a décrits M. Schiaparelli et tels que nous les avons vus, en partie, constituent, dans la région équatoriale de la planète, un réseau de lignes qui paraissent tracées suivant des arcs de grand cercle. Ils traversent dans toutes les directions la zone des continents et font communiquer entre elles les mers des deux hémisphères ou simplement les canaux entre eux. Ils se coupent sous tous les angles et se projettent sur le fond brillant du disque suivant des lignes de couleur grisâtre de nuance plus ou moins foncée. »

Sur la carte que nous avions publiée dans L’Astronomie, et que l’on a vue plus haut (fig. 194), M. Perrotin a indiqué par des lettres les vérifications faites. En voici le détail. Grossissements employés, 450 et 560. Observations faites généralement de 8h à 10h.

Première région, comprise entre 290° et 350° de longitude aréocentrique.

Le 15 avril, nous voyons distinctement le canal AB (Phison)[‍fig. 206] et, par moments, nous croyons soupçonner une ligne plus fine CD, parallèle à la première. Nous apercevons également FEA (Astaboras) et HG et DK (Euphrates), ces deux derniers parallèles et non divergents comme dans le dessin.

Les 19 et 21 mai, quand cette région repasse au centre du disque à une heure convenable, nous voyons les mêmes objets, et en plus, le canal FG qui coupe le canal Phison à angle droit. FG ne semble pas prendre naissance en F, comme le montre la carte, mais en un point plus voisin de l’équateur, presque à la hauteur de lac Mœris, α.

Deuxième région, comprise entre 180° et 260° de longitude.

Les 23, 24 et 25 avril, nous distinguons LM (Stygia palus), LN, LO et OP (Cyclopum), comme canaux simples. Par moments, nous croyons dédoubler LO ; mais c’est une impression fugitive.

Nous revoyons les mêmes canaux les 25, 26, 31 mai et le 1er juin ; les deux premiers jours nous voyons, en outre, RQ (Æthiopum) et R′Q′ qui, contrairement au dessin, est une ligne droite continue parallèle à RQ.

Le 26, je réussis à voir comme un tronçon du canal double QO (Eunostos), qui se détache de l’extrémité nord du canal simple QR.

Le 1er juin, M. Gautier voit LO, en même temps que nous.

Depuis nos premières observations, le canal LN a subi un changement considérable : on ne le distingue plus que sur une faible étendue et du côté de N seulement. Marqué sur la carte de M. Schiaparelli de 1882, ce canal n’existe pas sur celle de 1879. Nos observations ne font donc que confirmer des changements déjà constatés, mais elles montrent encore que ces changements peuvent se produire dans une courte période de temps.

Troisième région, comprise entre 30° et 100° de longitude.

Le 11 mai, les canaux doubles R’S (Nilus II) et TU (Iridis) apparaissent avec netteté. M. Trépied, de passage à l’Observatoire, les voit sans trop de difficulté, et, bien qu’il ne connaisse pas la carte, il est le premier à remarquer les deux lignes parallèles, estompées, qui constituent le canal double TU. M. Thollon soupçonne seulement le dédoublement.



Fig. 206. — Canaux observés par MM. Perrotin et Thollon, en 1886.

Dans le canal R′S, les deux lignes qui composent la portion R′Z nous paraissent plus fines que ne l’indique le dessin ; les deux lignes de la portion ZS semblent, au contraire, plus ombrées.

Nous voyons également la ligne VZ.

Le 16, je vois, en plus, avec certitude, le canal double rectiligne XY (Jamuna). Par contre, ni le 11, ni le 16, nous n’apercevons le canal XZ (Ganges), indiqué comme double sur la carte.

Le 12 juin, nous distinguons très bien le canal TT′ (Fortunæ) qui pourrait bien être double.

Durant ces observations, le Nil nous apparaît avec beaucoup de netteté dans toute son étendue et bien plus marqué que sur la carte.

Les canaux que nous venons d’énumérer, vus pour la plupart deux fois ou par plusieurs observateurs, sont dans la position où les a dessinés M. Schiaparelli en 1882. Leur aspect diffère peu en général de ce qu’il est sur la carte ; seulement, quelques-uns portés comme doubles sont simples, ce qui peut tenir à la plus grande distance de Mars dans cette opposition. Ils semblent donc constituer dans la région équatoriale de la planète un état de choses qui, s’il n’est pas absolument permanent, ne se modifie pas non plus d’une manière essentielle.

Changements observés sur Mars. — Pendant nos études sur les canaux, il s’est produit un changement notable, mais passager, dans la région occupée par la mer du Sablier, et digne d’être signalé. Lors de nos premières observations, cette partie de la surface était sombre, comme le sont les mers, et sensiblement conforme à la carte ; mais, lorsque nous la revîmes, le 21 mai, l’aspect en était tout différent. Ce jour-là, la portion de la Grande Syrte qui s’étend entre le 10e degré et le 55e degré de latitude boréale était cachée par un voile lumineux, de la couleur des continents, mais d’une lumière moins vive et plus douce. On aurait dit des nuages ou des brouillards disposés par bandes régulières et parallèles, orientés, sur la planète, du Nord-Ouest au Sud-Est. Par moments, ces nuages devenaient transparents et laissaient entrevoir les contours du prolongement de la Grande Syrte. Le 22 mai, ils étaient plus uniformément distribués que la veille ; on les voyait encore les 23, 24 et 25, mais ils avaient beaucoup diminué d’intensité. Ils s’étendaient probablement assez loin, sur les continents, à l’est et à l’ouest de la mer, car d’un jour à l’autre, quelquefois dans le courant d’une même soirée, les parties voisines sombres, entre autres le lac Mœris à l’Est, le Nil à l’Ouest, étaient tantôt visibles, tantôt invisibles.

Le 25 mai, nous vîmes reparaître l’isthme dessiné dans le prolongement de la Grande Syrte, au delà de sa jonction avec le Nil, vers 300° de longitude et 52° de latitude boréale, et qui était resté caché jusqu’à ce jour. À cette même date, nous constations un assombrissement très accentué des continents dans le voisinage immédiat de la mer.

Durant ces apparences singulières, la partie australe de la Grande Syrte, qui n’avait pas été atteinte par les nuages, était devenue plus sombre et présentait une teinte bleu verdâtre bien caractérisée.

Des phénomènes de ce genre sont-ils réellement produits par des nuages ou des brouillards circulant dans l’atmosphère de Mars ? C’est probable. Ils sont, dans tous les cas, le fait d’un élément appartenant à l’atmosphère ou à la surface de la planète, susceptible de se mouvoir et de se modifier dans un temps relativement court.

Pendant que nous observions ce qui précède, nous avons noté autour de la tache blanche du pôle boréal, à une faible distance de la tache, entre 200° et 280° de longitude, deux ou trois points brillants, semblables à ceux qui furent remarqués par M. Green, en 1877, à Madère, autour de la tache australe, à l’époque du solstice d’hiver de la planète. Notre observation, faite cinquante jours en moyenne après le solstice d’été, rapprochée de celle de l’astronome anglais, semble indiquer que la diminution qui a lieu dans chaque tache polaire, au moment du solstice correspondant, après le solstice surtout, sous l’action prolongée des rayons solaires, n’est pas étrangère à cette apparition.

Tel est l’ensemble des faits observés à Nice par MM. Perrotin et Thollon. De quelque nature qu’ils soient, cette étude confirme les belles découvertes de M. Schiaparelli sur la singulière constitution physique de Mars. Remarquons aussi les nuages observés sur la mer du Sablier, fait très rare.

cxxiii. 1886. — Walter Wislicenus. Études sur la durée de rotation de Mars[6].

L’auteur de ce travail, astronome à l’Observatoire de Strasbourg, passe d’abord en revue l’ensemble des observations faites sur la planète, puis examine les cartes publiées et discute les divers systèmes de nomenclature dont il donne un Tableau synoptique, et calcule ensuite les projections du globe de Mars vu de la Terre.

D’après les observations faites par Winnecke à Strasbourg en 1877, on a pour la position de la tache polaire sud :

Distance au pôle aréographique
24°,43 ± 0°,591
Longitude aréographique
20°,67 ± 5°,711

La direction de l’axe de Mars sur la sphère céleste est pour son pôle nord :

Ascension droite
317° 55′,1 ; 
Déclinaison
+ 50° 15′,7.

Comparant entre elles les principales observations de position des taches de Mars, depuis celles de Huygens en 1659 jusqu’à celles de Bœddicker en 1881, M. Wislicenus trouve pour la durée la plus précise de la rotation :

24h 37m 22s,655 ± 0s,00861

avec un degré d’approximation qui paraît, en effet, considérable.

Aux études précédentes, nous pourrions encore ajouter celles de divers observateurs moins spéciaux, telles que celles de MM. Guiot, à Soissons (L’Astronomie, octobre 1886, p. 393), Lihou, à la Société scientifique Flammarion de Marseille, etc., qui montrent surtout quel parti une grande habileté peut tirer de modestes instruments.

Remarquons encore que le 13 avril 1886, Mars est passé devant le Soleil pour Jupiter, de même que la Terre y était passée, pour les habitants de Mars, le 12 novembre 1879.

  1. L’Astronomie, septembre 1886, p. 321
  2. Voy. plus loin, p. 393. Comparer les dessins de M. Denning, I, II et IV (fig. 205), à la région HACGK et baie du Méridien 0°.
  3. Voir plus haut, p. 377.
  4. Monthly Notices, 1886, p. 445.
  5. Bulletin astronomique, juillet 1886, p. 324.
  6. Beitrag zur Bestimmung der Rotationszeit des Planeten Mars. Leipzig, 1886.