Traduction par André Bellessort et Thekla Hammar.
Nilsson (p. 66-76).

CHAPITRE V
LE BAL À EKEBU

Femmes du temps passé, belles du vieux temps, voici comment l’une de vous donna son amour à Gösta Berling.

À peine les baisers d’Anna Stiernhœk s’étaient-ils refroidis sur ses lèvres, à peine eut-il fini de sentir l’étreinte de ses bras autour de son cou, que déjà des lèvres encore plus belles rencontrèrent les siennes et que des bras plus doux encore se tendirent vers lui.

Quinze jours après le bal de Borg, il y eut une fête magnifique à Ekebu. Mais ne demandez ni pour qui ni pour quoi. On l’organisa pour la seule bonne raison que, de temps immémorial, on a d’organiser des fêtes : pour que les yeux brillent, que les cœurs battent, que les pieds dansent, que la joie descende parmi les hommes et que les mains se joignent et que les lèvres s’unissent.

Rien que le souvenir de cette fête donne aux vieillards et aux vieilles femmes du Vermland comme un regain de jeunesse. Que de jouissances, depuis le premier bouchon qui sauta jusqu’au dernier coup d’archet ! Les heures, couronnées de roses et enivrées de vins capiteux, tombèrent au gouffre du temps dans un vertige de danse échevelée. De quelle lumière et de quel éclat les femmes de jadis savaient rehausser les fêtes ! Je vous assure qu’elles valaient la peine qu’on usât pour elles les semelles de ses escarpins et qu’on attrapât une courbature à faire courir l’archet sur les cordes sonores.

Les salles d’Ekebu fourmillaient de doux et charmants visages. Il y avait la jeune comtesse Dohna, gaie, pétillante, avide de plaisirs, comme il seyait à ses vingt ans — et les belles jeunes filles du juge de Munkerud — et les insouciantes demoiselles de Berga. Il y avait là Anna Stiernhœk, plus ravissante encore depuis que la nuit, où elle fut chassée par les loups, avait estompé sa fière beauté d’une tendre mélancolie. Et il y en avait aussi d’autres, dont le souvenir s’efface dans la mémoire des hommes. Et il y avait Marianne Sinclair.

Elle avait daigné venir à la fête des Cavaliers, cette illustre Marianne qui avait brillé dans les châteaux et même aux bals du Roi. Les joyeux enfants de Vermland, quand ils énuméraient leurs sujets d’orgueil, n’oubliaient jamais de la nommer. Les victoires de ses yeux étaient la gloire du pays. On parlait des couronnes de comte qui avaient plané sur sa tête, des millions que ses petits pieds avaient repoussés et des épées flamboyantes qui s’étaient vainement inclinées devant elle.

En Vermland, dans ce pays des ours, elle ne passait que peu de temps. Son père, le riche Melchior Sinclair, restait avec sa femme à Bjorne et, fier de l’argent que dépensait son adorable fille, vivait heureux à l’ombre de ses triomphes. Elle traînait après soi un flot de courtisans et se vantait de n’avoir jamais connu l’amour. Elle avait aimé cependant, mais ces feux de joie n’étaient point de ceux où se forgent les chaînes de toute une existence. Sa présence dans un salon semblait aviver l’éclat des lustres et précipiter les accords des musiciens. Ses lèvres… Ah ! ne parlons pas de ses lèvres ! Elles ne voulurent point le baiser qu’elles donnèrent. Ce fut la faute du balcon, du clair de lune, du voile de dentelles, des costumes et des violons.

Toute cette histoire qui causa tant de malheurs avait été très innocemment préparée. Le patron Julius, désireux d’embellir la fête et de fournir à Marianne une occasion particulière d’y briller, avait imaginé des tableaux vivants.

Dans le grand salon d’Ekebu, transformé en théâtre, les cent invités regardaient sur la scène la lune jaune de Séville cheminer à travers un ciel obscur. Un amoureux furtif s’arrête sous un balcon tout enguirlandé de lierre. Il est habillé en moine, mais sous sa manche de bure on distingue une manchette de dentelles, et la pointe d’une épée relève le bas de son froc. Il chante et Marianne paraît au balcon en robe de velours noir.

Elle répond ironiquement à sa sérénade ; mais voici que le moine rejette son déguisement, et Gösta Berling, tout soie et or, escalade le balcon et se jette à ses pieds. Alors elle lui sourit et lui donne ses mains à baiser, et, pendant que les deux jeunes gens se contemplent enivrés, le rideau tombe. Ils étaient si beaux à voir au clair de lune que le rideau dut remonter plusieurs fois.

Marianne a des cheveux blonds ; et ses prunelles d’un bleu sombre luisent sous des sourcils noirs, et Gösta lève sur elle des yeux qui brillent tout ensemble d’espièglerie et de tendresse, des yeux qui mendient et qui persuadent. Le rideau était retombé : Marianne se pencha et ses lèvres se posèrent sur celles du Cavalier. Il jeta les bras autour de cette tête adorable et la retint. En vérité, elle n’était pas coupable : les seuls coupables, c’étaient le balcon, le clair de lune et le tonnerre mourant des applaudissements.

Par malheur, le débonnaire Lövenborg, qui avait toujours les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, avait été commis au soin de relever et de baisser le rideau. C’était un homme que ses souvenirs obsédaient et qui ne comprenait rien aux choses de la vie. Quand il vit la nouvelle pose de Gösta et de Marianne, l’innocent crut que c’était un second tableau et, bravement, tira la corde.

Les deux jeunes gens furent arrachés à leur extase par le tumulte des applaudissements. Marianne tressaillit et voulut se sauver, mais Gösta lui murmura :

— Restez tranquille : on va croire que c’est dans la pièce.

Il sentit le corps de la jeune fille frissonner et ses lèvres se glacer.

— N’ayez pas peur, chuchota-t-il : de belles lèvres ont le droit de baiser.

Ils demeurèrent immobiles, et chaque fois que le rideau se leva et que des centaines d’yeux les regardèrent, des centaines de mains battirent à tout rompre.

Enfin Marianne et Gösta se retrouvèrent seuls. Elle passa plusieurs fois la main sur son front.

— Je ne me comprends pas moi-même, fit-elle.

— En effet, dit-il, embrasser Gösta Berling, fi donc !

Marianne se mit à rire.

— Chacun sait que Gösta Berling est irrésistible. On me pardonnera…

Mais au moment où ils allaient entrer dans la salle :

— Vous me promettez, dit-elle, qu’on ne saura rien ?

— Assurément. Les Cavaliers sont discrets : je réponds d’eux.

Elle baissa les paupières et un étrange sourire plissa ses lèvres.

— Et si on le savait cependant, que penserait-on de moi ?

— Sans doute on penserait que cela n’a aucune importance. Nous étions dans nos rôles.

— Mais vous-même, qu’en pensez-vous ? reprit-elle avec le même sourire.

— Que vous êtes éprise de moi, apparemment.

— N’en croyez rien, dit-elle en riant ; sinon je me verrai forcée de vous détromper à l’aide de ce poignard castillan.

— Les baisers que vous donnez coûteraient cher, alors.

Les yeux de Marianne lancèrent un rapide éclair.

— Je voudrais, murmura-t-elle avec une rage sourde, que Gösta Berling fût mort, mort, mort !

— Et moi, répliqua-t-il amèrement, je voudrais que vos paroles eussent le pouvoir de me tuer.

— Quels enfantillages ! dit-elle en lui prenant le bras

Et ils rentrèrent dans la salle où leur costume, qu’ils avaient gardé, leur valut encore une ovation. Personne ne soupçonnait rien.

Impatient, nerveux, irrité contre l’amour et contre lui-même, tout plein du sentiment de sa déchéance que les paroles de la jeune fille avaient réveillé en lui, Gösta s’éloigna du bal, et dans le fumoir, où s’étaient installés les hommes d’âge et les solides buveurs, il vint s’asseoir à une table de jeu.

Le hasard voulut qu’il eut en face de lui le riche propriétaire de Bjorne. Les enjeux, déjà forts, montèrent. Les billets de banque sortirent des poches, et les piles d’écus s’amoncelèrent devant Melchior Sinclair. Le gain de Gösta s’accumulait aussi ; et bientôt le père de Marianne et lui restèrent seuls aux prises. Il arriva même un moment où tout l’argent de Melchior émigra chez Gösta.

— Gösta, mon garçon, dit Melchior en riant, lorsqu’il eut vidé sa bourse et son portefeuille, je n’ai plus le sou et je n’emprunte jamais : c’est une vieille promesse que j’ai faite à ma mère.

Mais, comme la boisson l’avait singulièrement allumé, il trouva tout de même le moyen de continuer et perdit coup sur coup sa montre et sa pelisse de castor. Il allait risquer son cheval et son traîneau, quand Sintram l’arrêta.

— Mets donc sur le tapis quelque chose qui rompe la malechance, lui conseilla le méchant Sintram.

— Le diable m’emporte si je sais quoi !

— Joue le sang rouge de ton propre cœur, frère Melchior : joue ta fille.

— Ah ! vous pouvez la jouer en toute sécurité ! fit Gösta. Cet enjeu-là, je ne l’emporterai jamais sous mon toit.

Le vieux Melchior éclata de rire. D’ordinaire, il ne souffrait point que le nom de Marianne fût prononcé à la table de jeu. Mais le moyen de se fâcher d’une plaisanterie aussi forte ?

— Eh bien, s’écria-t-il, si tu gagnes son consentement, je te joue sur cette carte ma bénédiction.

La partie commença. Le maître de Bjorne perdit.

— On ne lutte pas contre la déveine ! dit-il.

Minuit avait sonné : les joues des danseuses pâlissaient, les boucles se défrisaient sur leur tête et les volants des robes étaient froissés. Du coin des canapés, les vieilles dames se levèrent et sonnèrent la retraite. Alors Lilliécrona saisit son violon et joua la polska des adieux. Les chevaux piaffaient devant la porte : les dames mettaient leur pelisse et leur capuchon ; leurs maris avaient déjà noué la ceinture de voyage sur leurs fourrures de loup. Mais la jeunesse, rentrée au salon, ne pouvait s’arracher de la danse. Les robes, relevées sous les gros manteaux, recommencèrent à tourner, et, dès qu’un cavalier quittait sa dame, un autre la prenait et l’entraînait. Gösta Berling, songeur et triste, fut emporté dans le tourbillon. Mais quelle était donc la danseuse dont le corps souple et léger l’enveloppait de flamme ? Ah, Marianne !

Pendant que Gösta dansait avec Marianne, Sintram était déjà assis dans son traîneau, et, à côté de lui Melchior Sinclair, impatient, frappait des pieds et se battait les flancs pour ne pas geler.

— Tu n’aurais peut-être pas dû jouer Marianne à Gösta, dit Sintram.

— Quoi ?

Sintram saisit les rênes et leva le fouet avant de répondre.

— Les baisers, tu sais, n’étaient point dans la pièce.

Le rude Melchior brandit un poing terrible, mais Sintram était déjà loin. Il fouettait furieusement son cheval, sans oser même se retourner, car Melchior Sinclair avait le bras lourd et la patience courte.

Le maître de Bjorne rentra alors dans la salle de bal pour y chercher sa fille, et il aperçut Gösta et Marianne.

Cette dernière danse était folle, avec je ne sais quoi de farouche. Des couples était pâles ; d’autres plus rouges que du feu. La poussière planait sur eux comme une fumée ; les chandelles grésillaient au fond des chandeliers, et, au milieu de cette dévastation fantasmagorique, Gösta et Marianne volaient et tournoyaient, les yeux énamourés, ivres du vertige de la danse et de leur étreinte et de sa volupté.

Melchior Sinclair les regarda d’un œil sombre, puis brusquement, tournant le dos, claquant les portes, il descendit l’escalier qui retentit sous son pas furieux, et, sans mot dire, il regagna son traîneau où sa femme l’attendait, et asséna un si violent coup de fouet à son cheval que la bête partit ventre à terre.

Marianne avait vu son père. Elle s’échappa des bras de Gösta qui voulait l’entraîner encore et courut au perron. On lui dit que ses parents venaient de quitter le manoir. Elle ne manifesta aucune surprise. Elle s’habilla en silence, et, pendant qu’autour d’elle, au vestiaire, tous croyaient que son traîneau l’attendait, frissonnante, les pieds dans de minces souliers de satin, elle s’élança sur la route. Personne ne l’y reconnut ; personne ne pouvait se douter que cette forme humaine, que les traîneaux en passant rejetaient dans les monceaux de neige, était la belle et triomphante Marianne Sinclair.

Elle courait, puis ralentissait sa course pour reprendre haleine et courait encore. Une horrible angoisse étreignait son cœur.

D’Ekebu à Bjorne, il n’y a guère plus d’une demi-lieue. Mais, quand elle fut chez elle, toutes les portes étaient fermées, toutes les lumières éteintes. La jeune fille se demanda d’abord si ses parents étaient rentrés. Elle frappa deux coups à la grande porte et secoua la poignée de la serrure. Lorsque ses doigts lâchèrent le fer qu’ils étreignaient, leur peau gelée se déchira.

Le maître de forges Melchior Sinclair était rentré dans sa maison et en avait fait fermer les portes à son unique enfant. Les domestiques reçurent l’ordre de ne pas sortir de la cuisine, et sa femme de ne pas s’aventurer hors de sa chambre. Quiconque ferait le premier pas pour ouvrir, il le tuerait.

Le vieux Melchior était ivre, entêté de vin et plus entêté de fureur. S’il avait eu sa fille sous la main, il aurait vu rouge. Ainsi donc, cette enfant qu’il avait adorée, couverte de bijoux et de soie, cette enfant, son orgueil, sa gloire, s’abandonnait impudemment à un Gösta Berling ! Elle aimait un prêtre défroqué : elle affichait même son amour. Et lui, l’imbécile, il avait joué sa bénédiction ! Il la donnerait, sa bénédiction, mais sa porte resterait close.

La jeune fille continuait de frapper et suppliait qu’on lui ouvrît. La froide nuit étoilée, les immenses champs de neige, la solitude infinie, tout semblait dormir en paix et en tranquillité, sauf ce petit point vivant où tant d’angoisse et d’horreur se concentraient.

Sa mère ne quitterait donc pas son lit ? Des vieux serviteurs qui avaient conduit ses premiers pas, nul n’accourrait donc à son secours ? Quel crime avait-elle commis ? Et, en eût-elle commis un, où serait-elle venue implorer son pardon, si ce n’est à cette porte, à cette porte terriblement sourde ?

— Père, père, ouvre-moi ! Je gèle. C’est épouvantable ! Mère, pourquoi dors-tu ?

Rien ne répond. Personne ne se soucie de sa détresse. La longue maison sombre avec ses fenêtres obscures et ses portes closes reste effrayante et muette.

— Père, implore-t-elle, père, que vais-je devenir ! Je serai déshonorée.

Elle sanglote : mais voici qu’elle perçoit un léger bruit de pas dans le vestibule.

— Est-ce toi, mère ?

— Oui, mon enfant.

— Ouvre-moi ! Ouvre-moi !

— Ton père l’a défendu, mon enfant. Va chez le fermier et prie-le de te donner un lit, cette nuit. Ton père est ivre. Il te tuerait. Va.

— Mais tu ne veux pas que j’aille chez des étrangers ! Comment peux-tu souffrir qu’on me ferme les portes ? Je me jetterai dans la neige pour mourir, si tu ne me laisses pas entrer.

Alors la mère mit la main sur la serrure ; mais, au même instant, une voix dure l’appelle du haut de l’escalier. Elle se sauve. Marianne entend des pas précipités, et le bruit, l’horrible bruit d’un soufflet. Alors elle s’affaissa sur le seuil, et, secouée d’âpres sanglots, elle gémit :

— Grâce, père ! Grâce !

Mais, bientôt, la colère la redressant, elle heurta le lourd battant de sa main sanglante et cria à pleine gorge :

— Écoute ce que je te dis, toi qui bats ma mère ; tu pleureras ! Tu pleureras, Melchior Sinclair !

Et, rejetant sa pelisse, elle s’étendit sur un monceau de neige, dans sa robe de velours noir, et elle songea avec une joie sauvage que le lendemain, dès ses premiers pas hors du logis, son père la trouverait là, morte et vengée.

À Ekebu, les invités étaient partis ; les domestiques remettaient tout en ordre. Seuls, dans l’aile du manoir, les Cavaliers faisaient cercle autour du dernier bol de punch. Et Gösta porta un toast aux délicieuses et incomparables femmes du Vermland. Ses paroles excitèrent un tel enthousiasme que les Cavaliers comprirent que leur nuit ne serait pas complète s’ils ne rendaient pas un suprême hommage à celles dont les joues roses et les yeux limpides avaient si doucement réjoui les murs du vieux manoir. On résolut d’aller leur donner, à chacune d’elles, une sérénade sur la neige étoilée. Même l’oncle Eberhard et le frileux cousin Kristofler se mirent de la partie.

En un clin d’œil les traîneaux furent attelés, mais l’amoureuse caravane, aux grelots sonores, n’alla pas loin. Devant la porte de Bjorne, ils aperçurent la belle Marianne couchée dans son lit de neige. Bérencreutz alluma sa lanterne de corne et en dirigea les lueurs sur le visage pâle et bleuissant de la jeune fille. Et les Cavaliers virent ses mains sanglantes et les larmes gelées au bord de ses cils. Gösta se rua contre la porte de la maison inhumaine, puis il se jeta à genoux en gémissant :

— La voici, mon épousée ! Elle m’a donné le baiser des fiançailles et j’ai gagné la bénédiction de son père !

Et, soulevant cette forme inanimée :

— À Ekebu ! À Ekebu ! cria-t-il. Elle est à moi, maintenant. Je l’ai trouvée sur cette froide couche : personne ne me la ravira. Qu’ils dorment, s’ils le peuvent, ici ! Que ferait-elle derrière ces portes où ses mains se sont meurtries et ensanglantées ?

Il porta Marianne dans le premier traîneau et s’assit à côté d’elle. Bérencreutz, debout, saisit les rênes :

— Prends de la neige, Gösta, et frotte-la ! ordonna-t-il.

Le froid avait paralysé les membres de la jeune fille, mais son cœur violemment agité battait encore. Elle n’avait pas même perdu la conscience de ce qui se passait. Seulement, raide et engourdie, sous les soins énergiques et sous les larmes de Gösta, elle éprouvait un infini désir de lever la main et de lui faire un geste de caresse. Tous ses souvenirs se dessinaient dans son esprit avec une singulière netteté. Il lui sembla qu’elle aimait Gösta Berling depuis longtemps, très longtemps. Naguère elle souhaitait de pouvoir aimer ; elle soupirait après la passion qui la délivrerait de ses réflexions obstinées sur elle-même. Et la passion était venue, et le baiser à Gösta avait été le premier instant de sa vie où elle avait pu s’oublier. Alors une âpre joie lui serra le cœur, à l’idée que sa famille l’avait chassée. La cruauté de son père lui épargnait toute hésitation. Elle se donnerait à son vainqueur. Et Gösta vit deux bras qui lentement se levèrent et se joignirent autour de son cou. Il en sentit à peine la légère pression ; mais Marianne crut avoir exprimé son amour dans une étreinte étouffante.

Bérencreutz les aperçut. Il laissa courir le cheval à sa guise sur cette route familière, et, levant ses yeux vers le ciel, discret, il s’absorba dans la contemplation de la Pléiade.