Traduction par André Bellessort et Thekla Hammar.
Nilsson (p. 35-45).

CHAPITRE II
LA NUIT DE NOËL

Sintram est le méchant maître des usines de Fors. Il a un corps de singe, des bras longs, la tête chauve, la face grimaçante. Il fait le mal comme on respire. Sintram ne prend pour valets que des coquins et des batailleurs, et n’a dans son service que des servantes querelleuses et menteuses. C’est lui qui excite les chiens jusqu’à la rage en leur enfonçant des aiguilles dans le museau, et qui vit heureux et content au milieu de gens haineux et de bêtes furieuses. Le grand plaisir de Sintram est de se déguiser en diable, avec des cornes, une queue, un corps poilu, des sabots de cheval ; et, — apparition subite surgissant des coins sombres, du grand four de cuisson ou du hangar à bois — il se réjouit d’effrayer les enfants peureux et les femmes superstitieuses. Sintram triomphe, quand il parvient à faire d’une vieille amitié une nouvelle haine, et quand il a empoisonné les cœurs de mensonges et de calomnies.

Or, la nuit de Noël, Sintram vint à Ekebu.

« Faisons entrer dans la forge le grand traîneau à bois ; amenons-le au milieu de la pièce et posons sur les montants des quatre coins le fond d’une vieille charrette ! Voilà une table ! Hurrah pour la table ! La table est prête… Vite, des chaises maintenant ! N’importe quoi, pourvu qu’on puisse s’asseoir dessus. Prenons des escabeaux de cordonnier et des caisses vides. Cherchez les vieux fauteuils cassés, et tirez ici le traîneau de course sans brancard et le vieux carrosse ! Ha ! Ha ! Faites avancer le vieux carrosse : on en fera la tribune de l’orateur ! Il a une roue de moins, et de toute sa caisse il ne reste que le siège du cocher. Le coussin en est éventré ; la mousse qui le rembourre s’échappe, et l’âge en a roussi le cuir. La vieille guimbarde est haute comme une maison. Étayez-la, ou tout chavire !… Hurrah ! Hurrah ! c’est la nuit de Noël aux forges d’Ekebu !… »

Derrière les rideaux de soie du grand lit, le Commandant et la Commandante dorment et croient qu’à l’aile des Cavaliers on en fait autant. Les valets et les servantes dorment, alourdis de gruau, de riz au lait et de bière noire. Mais les Cavaliers ne dorment pas.

Dans la forge abandonnée, les forgerons aux jambes nues ne tournent pas les massiaux ; les garçons au visage noirci ne roulent pas les brouettes de charbon ; le grand marteau pend du toit comme un bras au poing fermé. L’enclume est vide ; les fourneaux ne demandent plus à manger en ouvrant leur gueule rouge. Le soufflet ne grince plus. C’est la Noël. La forge dort.

Dort ? Croyez-vous que la forge dorme quand les Cavaliers sont éveillés ? Ils ont fiché en terre les longues tenailles et planté dans les pinces des chandelles de suif. De la marmite en cuivre rutilant, qui ne contient pas moins de dix canettes, les flammes bleues du punch montent vers les ténèbres du toit. Une lanterne de corne est accrochée au martinet. Des liqueurs jaunes luisent dans les bols comme du soleil. Les Cavaliers fêtent la Noël avec des chants, des rires et du tapage. Mais ce vacarme de minuit ne réveille personne, car il se noie dans le grondement des eaux.

Ah, si la Commandante les voyait ! Eh bien quoi ? Elle s’attablerait probablement avec eux et viderait un bol de punch. Une brave femme, la Commandante d’Ekebu ! Le tonnerre des chansons à boire ne lui ferait pas lâcher pied. Crâne comme un homme, fière comme une reine, elle aime le son des violons, les cors de chasse, les vins, les jeux, les tables pleines, un ruissellement perpétuel dans ses greniers de provisions, les danses folles dans ses grandes salles, les rires dans ses offices et le tumulte des Cavaliers dans l’aile de son manoir.

Ils sont là tous les douze installés autour de la chaudière. Pas de petits maîtres ni de jolis cœurs, ni de grippe-sous à face parcheminée, ni de hobereaux béats et pleutres ; mais de rudes gaillards dont la renommée n’est pas près de s’éteindre en Vermland, des Cavaliers, Cavaliers du matin au soir, officiers de fortune, nobles ruinés, aventuriers et fiers bohèmes. Ces hommes fameux savaient tous jouer d’un ou de plusieurs instruments ; ils étaient tous aussi riches en proverbes, joyeux propos et gais refrains, que la fourmilière en fourmis.

Cependant chacun d’eux avait sa spécialité, son trait distinctif. Le premier, Bérencreutz, le colonel aux grandes moustaches blanches, joueur comme les cartes, savait son Bellman par cœur. Près de lui, son ami et frère d’armes, le taciturne major et tueur d’ours, Anders Fuchs. Le troisième était le petit Ruster, le tambour, qui pendant longtemps avait été l’ordonnance du colonel, mais qui avait gagné le rang de Cavalier par son habileté à préparer le punch et par sa voix de basse. Plus loin le vieil enseigne Rutger von Œrneclou, l’homme aux bonnes fortunes, l’irrésistible, en perruque et en fraise, poudré, peint et parfumé, un des plus hardis parmi les Cavaliers. À ses côtés, Christian Bergh, le fort capitaine, héros de mille exploits, mais aussi facile à tromper que le géant des contes ; et un petit homme rond comme une boule, le patron Julius, boute en train, orateur, chanteur et merveilleux conteur.

Il y avait aussi des étrangers : un Allemand, inventeur d’une machine à voler, le grand Kevenhuller ; et un Français, vieil oiseau de proie qui avait suivi sur les champs de bataille l’aigle impériale, petite tête au long bec, hérissé, mystérieux, ne sortant jamais du manoir que pour une chasse à l’ours ou une aventure périlleuse, et qu’on appelait, nul ne savait pourquoi, le cousin Kristoffer. Son voisin, l’oncle Eberhard, le philosophe, n’était point venu à Ekebu pour y faire chère lie, mais pour achever, à l’abri des soucis matériels, son grand ouvrage sur la Science des Sciences. Enfin les deux meilleurs des cavaliers, le débonnaire Lovenborg, âme candide et crédule et qui ne comprenait point les chemins du monde ; et Lilliécrona, le grand musicien, qui avait une bonne maison et qui languissait toujours après son foyer, mais qui ne pouvait se détacher d’Ekebu, parce que son esprit avait besoin de décors changeants, de rumeurs et de richesse.

Ces onze hommes avaient tous laissé derrière eux la jeunesse. Mais il y en avait un douzième dont les trente ans venaient à peine de sonner et qui possédait la vigueur du corps et de l’âme : Gösta Berling, le Cavalier des Cavaliers, à lui seul plus orateur, plus chanteur, plus musicien, plus chasseur, plus buveur et plus batailleur que tous les autres.

Regardez-le : il grimpe à la tribune. Les ténèbres du toit descendent sur lui comme de lourds festons, et sa tête aventureuse ressort en pleine lumière dans ce sombre chaos. Il parle avec un profond sérieux :

— Cavaliers et frères, minuit approche. Il est temps de boire à la santé du Treizième !

— Mais, petit frère Gösta, s’écrie le patron Julius, nous ne sommes que douze à table !

— Ici, à Ekebu, reprend Gösta plus grave encore, tous les ans un homme meurt. Un homme meurt de ces Cavaliers éternellement jeunes que nous sommes. Il ne convient pas que les Cavaliers vieillissent. Du jour où les verres sont trop lourds pour leurs mains tremblantes, où les cartes se brouillent sous leurs yeux clignotants, que leur est la vie et que sont-ils à la vie ? Des treize qui fêtent la nuit de Noël aux forges d’Ekebu, il faut qu’il y en ait un à mourir. Mais chaque année un nouveau Cavalier remplira sa place et complétera notre cercle, un homme habile au violon, subtil aux cartes, expert dans le métier de la joie ! Les vieux papillons doivent savoir mourir avant que décline le soleil d’été. Camarades, je bois à la santé du Treizième !

— Mais, s’écrièrent les cavaliers sans toucher à leur verre, nous ne sommes que douze !

Gösta Berling, celui qu’on nomme le poète, bien qu’il n’ait jamais écrit un vers, continue tranquillement :

— Cavaliers et frères, ne vous souvient-il plus qui vous êtes ? C’est à vous qu’il incombe de maintenir la joie au pays du Vermland et d’y donner le coup d’archer qui précipite les danses. Vous tenez vos mains éloignées du travail ; vos cœurs, de l’or. Si vous n’étiez pas là, les bals, l’été, les roses, les cartes, les chansons, tout s’éteindrait dans ce pays de cocagne, où l’on ne verrait plus que du fer et des maîtres de forges. Voici la sixième fois que je célèbre la Noël sur cette terre d’Ekebu, et jamais personne ne refusa de boire à la santé du Treizième !

— Mais enfin, s’entêtèrent les cavaliers, nous ne sommes que douze ! Comment boire au Treizième ?

— Eh bien, s’écria Gösta, ce treizième, je l’appelle, puisque je me suis levé pour lui porter un toast ! D’où qu’il vienne, des profondeurs de la mer, des entrailles de la terre, du ciel ou de l’enfer, je l’appelle !

À ces mots, il se fit un bruit sourd dans l’énorme fourneau : la porte s’en ouvrit et le Treizième apparut. Longue queue, sabots de cheval, cornes à la tête, barbiche pointue, un corps de faune, le Treizième s’avança, et les Cavaliers, dont l’ivresse avait déjà mis l’esprit en déroute, poussèrent un cri et sautèrent sur leurs pieds. Mais Gösta Berling, pris d’une joie délirante, s’écria :

— Il est venu, le Treizième ! Je bois au Treizième !

Il était là, le vieil ennemi des hommes, l’ami des sorcières, celui qui signe ses contrats avec du sang sur du papier noir, celui qui jadis dansa sept jours durant avec la folle comtesse d’Ivarsnœs et que sept prêtres ne purent exorciser.

Les vieux aventuriers vacillants eurent un instant de panique. Mais ils se rassurèrent à la pensée que le Diable, attiré par le cliquetis des verres, n’en voulait qu’à leur punch. Ils l’acclamèrent et lui mirent dans les mains une coupe de liqueur flambante. Bérencreutz lui proposa une partie de cartes ; le patron Julius, son répertoire de chansons, et Œrneclou osa parler à cette face de bouc des jolies femmes qui embellissent la vie.

Ô Cavaliers, Cavaliers, avez-vous oublié que c’est la nuit de Noël ? C’est l’heure où les anges du ciel chantent pour les bergers des champs, où les enfants luttent contre le sommeil de peur de manquer la messe matinale. Il sera bientôt temps d’allumer les cierges de l’église de Bro. Dans les fermes des bois, le jeune homme a préparé le brandon lumineux qui éclairera son amie sur la route de l’église. Dans toutes les maisons, les maîtresses ont posé derrière leurs fenêtres des chandeliers à trois branches, qu’on allumera quand passeront les gens de la messe. Le sacristain entonne dans son sommeil le cantique de Noël, et le vieux curé, qui ne peut s’endormir, s’essaie à chanter encore une fois pour ses paroissiens : Gloire au plus haut des cieux !

Cependant le Diable, appuyé contre le vieux carrosse et la tête superbement rejetée en arrière, porte, de sa main ornée de griffes, la coupe de punch à ses lèvres. Et Gösta le salue en ces termes :

— Altesse, nous vous avons longtemps attendu ici, à Ekebu, car c’est apparemment le seul paradis qui vous soit ouvert. On y vit sans semer ni filer. Ici les alouettes toutes rôties vous tombent dans la bouche : ici, la bière amère et l’eau-de-vie sucrée coulent à flots intarissables. Vous le voyez, Altesse : nous sommes douze, douze comme les Dieux Olympiens, comme les Chevaliers du Roi Arthur, comme les Paladins de l’Empereur Charlemagne — douze comme les douze oiseaux divins de la verte couronne d’Ygdrasil. Que dis-je ? Nous les avons été, ces Paladins, ces Chevaliers, ces Olympiens, ces divins oiseaux. Voici Thor, et voici Jupiter. Que de crinières de lions sous ces peaux d’ânes ! Quand nous y buvons, la forge est l’Olympe et l’aile du manoir le Walhalla. Mais nous n’étions pas au complet. Il en fallait un treizième, le Traître, le Félon, le Malin, l’Ennemi des Dieux, le Géant Loke !

— Belles paroles ! repartit le Diable. Mais je n’ai pas le temps de vous répondre. Les affaires, mes enfants, les affaires avant tout ! Je dois vous quitter un instant. Nous nous reverrons.

Les Cavaliers lui demandent où il va. Il leur répond que la noble Commandante, la maîtresse d’Ekebu, l’attend pour renouveler son contrat.

La Commandante est une rude femme qui vous charge sans effort un tonneau de seigle sur ses larges épaules. Elle accompagne ses convois de minerais des mines de Bergslagen jusqu’aux forges d’Ekebu. Elle dort des sommeils de roulier sur le plancher des granges avec un sac pour oreiller. L’hiver elle ne craint pas de surveiller une meule de charbon, ni l’été de suivre un radeau de bois sur le Leuven. Qui commande mieux qu’elle ? La Commandante jure comme un vieux troupier et règne comme un roi sur ses sept forges et sur les fermes de ses voisins, sur sa commune et sur les communes d’alentour, oui, sur tout le beau pays de Vermland. Mais pour les pauvres Cavaliers sans foyer elle s’est montrée plus douce qu’une mère, et ils ont toujours fermé leurs oreilles, quand la calomnie leur chuchotait qu’elle avait fait un pacte avec le Diable. Et pourtant ce soir, aux flammes du punch, un frisson leur court sur la peau.

— Oui, continua le Diable, je lui ai donné ses sept forges contre une âme qu’elle me paie tous les ans.

Les Cavaliers se sentent de moins en moins à leur aise. En effet, tous les ans, à Ekebu, un homme meurt, un des hôtes insoucieux de l’aile du manoir… Qu’importe ? Comme Gösta l’a dit, les vieux papillons doivent savoir mourir… Mais qu’entendait-il par là, Gösta ?… Ah, si elle ne leur avait offert ses régalades et ses bombances que pour les faire trébucher plus sûrement de la salle d’orgie dans le feu de l’enfer ?… Malheur à cette sorcière ! Ekebu, où ils étaient arrivés forts et vigoureux, n’aurait donc été que le chemin et la porte de la damnation ! Leurs cerveaux y devenaient comme de vieilles éponges. Ils se coucheraient un jour sur le lit de mort, sans espoir et sans âme.

L’ivresse, jointe au sentiment obscur de leurbdéchéance, les aveugla.

— Plus de contrat ! s’écrièrent-ils. C’est elle qui va mourir !

Christian Bergh, le fort capitaine, empoigna le plus lourd marteau de la forge et jura qu’il l’enfoncerait dans la tête de cette damnée sorcière.

— Quant à toi, maudit cornu, hurla-t-il, nous commencerons par te clouer sur l’enclume ; et en avant le martinet !

Le Diable est lâche, on le sait depuis longtemps, et la menace de l’enclume lui déplut. Il arrêta le capitaine.

— Hé, là, cavaliers, fit-il, prenez donc les sept forges, prenez-les cette année et donnez-moi la Commandante !

— Assez de folie ! s’écria Gösta Berling. Est-ce que vous croyez à cette farce ? Ne mêlons pas la Commandante à cet absurde jeu, et n’oublions pas que nous avons bu sa bière et mangé son pain.

— Eh bien, sois au Diable alors, Gösta ! répliqua un Cavalier, mais laisse-nous régner sur les forges d’Ekebu.

— Ça, êtes-vous fous ou plus ivres que je ne le pensais ? Ne comprenez-vous pas que ce diable là, c’est un diable pour rire ?

— Toi, Gösta Berling, ricana le Diable, tu es déjà tout prêt à porter au four ; et cependant il n’y a que sept ans que tu vis à Ekebu.

— Allons, tais-toi ! C’est moi qui t’ai aidé à te cacher dans la cheminée.

— Eh quoi ? Ne suis-je pas aussi diable que le Diable ? Je te tiens mieux que tu ne te l’imagines, Gösta Berling. Ah, tu peux te flatter d’être un bel oiseau aux mains de la Commandante !

— Elle m’a sauvé la vie. Que serais-je sans elle ?

— Et il ne te vient pas à l’esprit qu’elle avait son idée, en t’installant à Ekebu ? C’est toi le miroir aux alouettes ! Ta fonction est d’attirer les autres. Une fois, tu as essayé de t’échapper. On t’a donné une petite ferme où tu voulais manger ton propre pain. Mais chaque jour la Commandante se promenait devant ta ferme en compagnie de jolies filles. Un jour Marianne Sinclair vint avec elle, et le lendemain tu jetais la bêche et le tablier, Gösta Berling, et tu reprenais ta place parmi les Cavaliers.

— Mais le chemin passait devant ma ferme, imbécile !

— Oui, oui, le chemin y passait… Puis tu t’en allas à Borg comme précepteur d’Henrik Dohna. Et tu aurais pu devenir le gendre de la comtesse Marta. Mais qui donc apprit à la jeune Ebba Dohna que tu n’étais qu’un prêtre défroqué ? Qui rompit le mariage ? Celle qui ne pouvait vivre sans toi, Gösta : la Commandante !

Gösta pâlit légèrement.

— Ebba Dohna, fit-il, est morte peu de temps après : je ne l’aurais jamais épousée.

Mais le faux Diable s’approcha et lui souffla dans l’oreille.

— Morte ? Elle s’est tuée à cause de toi ; seulement on ne te l’a pas dit.

— Tu réussis à merveille dans ton rôle satanique ! s’écria Gösta en poussant un strident éclat de rire. En vérité, tu fais le Diable, à me donner envie de signer un pacte avec toi. Je te crois presque capable de nous mettre en possession des sept forges !

— Hurrah ! Hurrah ! crièrent les Cavaliers.

— Attention ! reprit Gösta. Si nous prenons les sept forges, c’est pour sauver nos âmes et non pour nous métamorphoser en forgerons qui comptent l’argent et pèsent le fer. Cavaliers nous sommes, Cavaliers nous resterons.

— Sagement dit, interrompit le Diable.

— Tu nous cèdes donc les forges, mais, si, pendant cette année, nous avons le malheur de commettre quelque chose qui ne soit pas d’un Cavalier — quelque chose d’utile, de prudent, de sage, — nous t’appartiendrons tous, et les domaines iront à qui tu voudras.

Le Diable se frotta les mains de contentement.

— Mais si nous continuons notre vie de vrais Cavaliers, tu abandonneras tes droits sur Ekebu, et tu ne recevras aucune redevance ni de nous ni de la Commandante.

— C’est dur, grimaça le Diable. Voyons, Gösta, ne pourrais-tu me bailler une âme, une petite âme ? Pourquoi épargner la Commandante ?

— Je ne fais point commerce de ces denrées-là ! s’écria Gösta. Mais, puisqu’il te faut à tout prix une âme, j’en ai une à t’offrir. Prends Sintram, le méchant Sintram de Fors. Il est mûr, je t’en réponds.

— Hum ! Hum ! répliqua le Diable sans sourciller, Sintram et les Cavaliers se valent. Va pour Sintram ! Signons.

— Avance donc ton papier noir et ta plume d’oie. Je fournis le sang, et je signe !

Alors les Cavaliers jubilent comme s’ils avaient déjà accaparé toutes les splendeurs du monde. Ils bousculent les sièges et forment une ronde échevelée sur la terre noire autour de la marmite brûlante. Le diable bondit, saisit la marmite et la pencha vers ses lèvres. Et tous, Bérencreutz, Gösta et leurs compagnons, lampèrent à tour de rôle la boisson chaude et sucrée, jusqu’à ce que la marmite en chavirant les inondât. Ils se relevèrent en sacrant, mais le Diable avait disparu.