La Grande Morale/Livre I/Chapitre 13

CHAPITRE XIII.

§ 1. Expliquons d’abord ce qu’on entend par force ou violence et par nécessité. La violence se trouve même dans les êtres inanimés. Ainsi, on peut voir qu’un lieu spécial a été assigné à chacune des choses inanimées ; et, par exemple, le lieu du feu est en haut ; et celui de la terre est en bas. Mais toutefois, l’on peut contraindre, par une sorte de violence, la pierre à monter et le feu à descendre.

§ 2. On peut à plus forte raison violenter l’être animé ; et, par exemple, on peut par la force détourner un cheval de la ligne droite où il court, pour lui faire changer son mouvement en revenant sur ses pas. Ainsi donc, toutes les fois qu’il existe, en dehors des êtres, une cause qui leur fait faire ce qui est contre leur nature ou contre leur volonté, on dit que ces êtres font par force ce qu’il font. Au contraire, toutes les fois que les êtres ont en eux-mêmes la cause qui les meut, nous ne disons jamais qu’ils sont forcés de faire ce qu’ils font.

§ 3. Autrement, le débauché qui ne se maîtrise pas réclamera, et il soutiendra qu’il n’est pas responsable de son vice; car il prétendra qu’il ne commet sa faute que parce qu’il y est forcé par la passion et le désir. Que ce soit donc là pour nous la définition de la violence et de la contrainte : il y a violence toutes les fois que la cause qui oblige les êtres à faire ce qu’ils font, leur est extérieure ; il n’y a plus violence, du moment que la cause est intérieure et dans les êtres mêmes qui agissent.