La Grande Morale/Livre I/Chapitre 12

CHAPITRE XII.

§ 1. Mais il est encore une autre objection qu’on oppose à notre théorie, pour démontrer que l’intempérance n’est pas volontaire : « L’homme tempérant, dit-on, fait de sa propre volonté les actes de tempérance ; car on l’estime pour sa vertu, et jamais l’estime ne s’attache qu’à des actes volontaires. Mais, si ce qu’on fait suivant le désir naturel, est volontaire, tout ce qu’on fait contre ce désir est involontaire. Or, l’homme tempérant agit contre le désir, et il s'ensuit que le tempérant n'est pas volontairement tempérant. » Mais évidemment c'est là une erreur ; donc, ce qui est selon le désir n'est pas non plus volontaire.

§ 2. On applique encore un système tout pareil aux actes qui se rapportent à la colère ; car les mêmes raisonnements qui valent pour le désir, valent aussi pour elle ; et ils forment une égale difficulté, puis qu'on peut être tempérant et intempérant en fait de colère.

§ 3. La dernière des espèces que nous avons distinguées parmi les appétits, c'était la volonté ; et il nous reste pour elle à rechercher si elle est libre. Mais les débauchés et les intempérants veulent aussi, jusqu'à un certain point, les actes coupables vers lesquels ils se précipitent ; et l'on peut dire qu'ainsi les débauchés font le mal en le voulant. Mais personne, dira-t-on encore, ne fait volontairement le mal en sachant que c'est du mal. Or, le débauché qui sait bien que ce qu'il fait est mal, n'en agit pas moins avec volonté ; donc il n'est pas libre, et la volonté ne l'est pas avantage.

§ 4. Avec ce beau raisonnement, on supprime radicalement la débauche et le débauché. Si l'intempérant n'est pas libre, il n'est pas répréhensible ; mais l'intempérant est répréhensible ; donc il agit volontairement, donc la volonté est libre. Du reste, comme il y a dans tout ceci des raisonnements qui semblent contradictoires, il est bon d’expliquer plus clairement ce que c’est que l’acte volontaire et libre.