La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/19
CHAPITRE XIX
Les différences entre les sexes sont, dans l’espèce humaine, plus grandes que chez la plupart des Quadrumanes, mais moindres que chez quelques-uns, le Mandrill par exemple. L’homme est en moyenne beaucoup plus grand, plus lourd et plus fort que la femme ; il a les épaules plus carrées et les muscles plus prononcés. Par suite des rapports qui existent entre le développement musculaire et la saillie des sourcils[1], l’arcade sourcilière est plus fortement accusée en général chez l’homme que chez la femme. Il a le corps et surtout le visage plus velu, et sa voix a une intonation différente et plus puissante. On assure que, dans certaines tribus, le teint des femmes diffère légèrement de celui des hommes ; Schweinfurth dit à propos d’une négresse appartenant à la tribu de Monbuttoas qui habite l’intérieur de l’Afrique, à quelques degrés au nord de l’équateur : « Sa peau, comme celle de toutes les femmes de cette tribu, est plus claire que celle de son mari ; on pourrait comparer cette teinte à celle du café à moitié grillé[2]. » Les femmes de cette tribu travaillent aux champs et vont tout à fait nues ; il n’est donc pas probable que la couleur de leur peau diffère de celle de la peau des hommes par suite d’une exposition moindre aux intempéries. Chez les Européens les femmes sont peut-être plus brillamment colorées, ainsi qu’on peut le voir lorsque les deux sexes ont été également exposés aux mêmes intempéries.
L’homme est plus courageux, plus belliqueux et plus énergique que la femme, et il a le génie plus inventif. Le cerveau de l’homme est, absolument parlant, plus grand que celui de la femme ; mais est-il plus grand relativement aux dimensions plus considérables de son corps ? c’est là un point sur lequel on n’a pas, je crois, de données très-certaines. La femme a le visage plus arrondi ; les mâchoires et la base du crâne plus petites ; les contours du corps plus ronds, plus saillants sur certaines parties, et le bassin plus large[3]. Mais ce dernier caractère constitue plutôt un caractère sexuel primaire qu’un caractère sexuel secondaire. La femme atteint la maturité à un âge plus précoce que l’homme.
Les caractères distinctifs du sexe masculin ne se développent complètement chez l’homme, comme chez les animaux de toutes classes, qu’au moment où il devient adulte ; ces caractères n’apparaissent jamais non plus après la castration. La barbe, par exemple, est un caractère sexuel secondaire, et les enfants mâles n’ont pas de barbe, bien que, dès le jeune âge, ils aient une chevelure abondante. C’est probablement à l’apparition un peu tardive dans la vie des variations successives qui donnent à l’homme ses caractères masculins, qu’il faut attribuer leur transmission au sexe mâle seul. Les enfants des deux sexes se ressemblent beaucoup, comme les jeunes de tant d’autres animaux chez lesquels les adultes diffèrent considérablement ; ils ressemblent également beaucoup plus à la femme adulte qu’à l’homme adulte. Toutefois la femme acquiert ultérieurement certains caractères distinctifs, et par la conformation de son crâne elle occupe, dit-on, une position intermédiaire entre l’homme et l’enfant[4]. De même encore que nous avons vu les jeunes d’espèces voisines, quoique distinctes, différer entre eux beaucoup moins que ne le font les adultes, de même les enfants des diverses races humaines diffèrent entre eux moins que les adultes. Quelques auteurs soutiennent même qu’on ne peut distinguer dans le crâne de l’enfant les différences de race[5]. Quant à la couleur, le nègre nouveau-né est d’un brun rougeâtre qui passe bientôt au gris ardoisé ; la coloration noire est complète à l’âge d’un an dans le Soudan ; en Égypte elle ne l’est qu’au bout de trois ans. Les yeux du nègre sont d’abord bleus, et les cheveux, plus châtains que noirs, ne sont frisés qu’à leurs extrémités. Les enfants australiens sont, à leur naissance, d’un brun jaunâtre, qui ne devient foncé qu’à un âge plus avancé. Ceux des Guaranys, dans le Paraguay, sont d’abord jaune blanchâtre, mais ils acquièrent au bout de quelques semaines la nuance brune jaunâtre de leurs parents. On a fait des observations semblables dans d’autres parties de l’Amérique[6].
J’ai mentionné ces différences entre les deux sexes de l’espèce humaine, parce qu’elles sont singulièrement les mêmes que chez les quadrumanes. Chez ces animaux, la femelle mûrit à un âge plus précoce que le mâle, c’est du moins le cas chez le Cebus Azarae[7]. Dans la plupart des espèces, les mâles sont plus grands et beaucoup plus forts que les femelles, cas dont le Gorille offre un exemple bien connu. Certains singes mâles, qui ressemblent sous ce rapport à l’espèce humaine, diffèrent même de leurs femelles par un caractère aussi insignifiant que peut l’être la proéminence plus prononcée de l’arcade sourcilière[8]. Chez le Gorille et chez quelques autres singes, le crâne de l’adulte mâle est pourvu d’une crête sagittale fortement accusée, qui fait défaut chez la femelle : et Ecker a trouvé, entre les deux sexes des Australiens, les traces d’une différence semblable[9]. Lorsque chez les singes il y a une différence dans la voix, c’est celle du mâle qui est la plus puissante. Nous avons vu que certains singes mâles ont une barbe bien développée, qui fait entièrement défaut, ou n’est que fort peu développée chez les femelles. Il n’y a aucun exemple de barbe, de favoris ou de moustaches qui soient plus développés chez un singe femelle que chez le mâle. Il y a même un parallélisme singulier, entre l’homme et les quadrumanes, jusque dans la couleur de la barbe ; car lorsque, ce qui arrive souvent, la barbe de l’homme diffère de sa chevelure par la teinte, elle est invariablement d’un ton plus clair, et souvent rougeâtre. J’ai bien souvent observé ce fait en Angleterre, mais deux personnes m’ont dernièrement écrit qu’elles font exception à la règle. L’une d’elle explique le fait par l’énorme différence qui existait dans la couleur des cheveux du côté paternel et du côté maternel de sa famille. Ces deux messieurs connaissaient depuis longtemps cette particularité (on accusait souvent l’un d’eux de teindre sa barbe), ce qui les avait conduits à observer d’autres hommes, et cette étude les convainquit que cette exception est extrêmement rare. Le docteur Hooker qui a bien voulu, à ma demande, porter son attention sur ce point, n’a pas rencontré une seule exception à la règle en Russie. M. J. Scott, du jardin botanique, a eu l’obligeance d’observer à Calcutta, ainsi que dans d’autres parties de l’Inde, les nombreuses races d’hommes qu’on peut y voir, à savoir : deux races dans le Sikhim, les Bhotheas, les Hindous, les Birmans et les Chinois. Bien que la plupart de ces races n’aient que fort peu de poils sur le visage, il a toujours trouvé que, lorsqu’il y avait une différence quelconque de couleur entre les cheveux et la barbe, cette dernière était invariablement d’une teinte plus claire. Or, comme nous l’avons déjà constaté, la barbe, chez les singes, diffère fréquemment d’une manière frappante des poils de la tête par sa couleur ; or, dans ces cas, elle offre invariablement une teinte plus claire ; elle est souvent d’un blanc pur, quelquefois jaunâtre ou rougeâtre[10].
Quant au degré de villosité générale du corps, elle est moins forte chez les femmes, dans toutes les races, et, chez quelques quadrumanes, la face inférieure du corps de la femelle est moins velue que celle du mâle[11]. Enfin les singes mâles, comme l’homme, sont plus hardis et plus féroces que les femelles ; ils conduisent la bande, et se portent en avant dans le danger. Nous voyons, par ce qui précède, combien est complet le parallélisme entre les différences sexuelles de l’espèce humaine et celles des quadrumanes. Toutefois, chez certaines espèces de quadrumanes telles, par exemple, que les Babouins, le Gorille et l’Orang, il existe entre les sexes des différences beaucoup plus importantes que dans l’espèce humaine, principalement dans la grosseur des dents canines, dans le développement et la coloration du poil, et surtout dans la coloration des parties de la peau qui restent nues.
Les caractères sexuels secondaires de l’homme sont tous très-variables, même dans les limites d’une même race, et ils diffèrent beaucoup d’une race à l’autre : ces deux règles se vérifient très-généralement dans tout le règne animal. Dans les excellentes observations faites à bord de la Novara[12], on a trouvé que la taille des Australiens mâles n’excède en hauteur celle des femmes que de 0m,065, tandis que chez les Javanais l’excès moyen est de 0m,218 ; de sorte que, dans cette dernière race, la différence de grandeur entre les deux sexes est plus de trois fois plus forte que chez les Australiens. De nombreux mesurages, faits avec soin, sur diverses races, relativement à la taille, à la grosseur du cou, à l’ampleur de la poitrine, à la longueur de la colonne vertébrale et des bras, ont prouvé que les hommes diffèrent beaucoup plus les uns des autres que les femmes entre elles. Ce fait indique que le mâle surtout s’est modifié, en ce qui touche ces caractères, depuis que les races ont divergé de leur origine primordiale et commune.
Le développement de la barbe et la villosité du corps peuvent varier d’une manière remarquable chez des hommes appartenant à des races distinctes, et même à des familles différentes de la même race. Nous pouvons même observer ce fait chez nous, Européens. Dans l’île de Saint-Kilda, d’après Martin[13], la barbe, qui est toujours très-faible, ne pousse pas chez les hommes avant l’âge de trente ans et au-dessus. Dans le continent européo-asiatique, la barbe existe jusqu’à ce qu’on ait dépassé l’Inde ; encore est-elle souvent absente chez les indigènes de Ceylan, comme l’avait déjà remarqué Diodore[14] dans l’antiquité. Au-delà de l’Inde la barbe disparaît, chez les Siamois, chez les Malais, chez les Kalmuks, chez les Chinois et chez les Japonais, par exemple ; cependant les Aïnos[15], qui habitent les îles septentrionales de l’archipel du Japon, sont les hommes les plus poilus qu’il y ait sur la terre. La barbe est claire ou absente chez les nègres et ils n’ont pas de favoris ; chez les deux sexes, le corps est presque complètement privé de fin duvet[16]. D’autre part, les Papous de l’archipel Malais, qui sont presque aussi noirs que les nègres, ont la barbe bien développée[17]. Les habitants de l’archipel Fidji dans l’océan Pacifique ont de grandes barbes touffues, tandis que ceux des archipels peu éloignés de Tonga et de Samoa sont imberbes ; mais ils appartiennent à des races distinctes. Dans le groupe d’Ellice, tous les habitants appartiennent à la même race ; cependant, dans une seule île, celle de Nunemaya, « les hommes ont des barbes magnifiques ; tandis que dans les autres îles ils ne possèdent généralement, en fait de barbe, qu’une douzaine de poils épars[18]. »
On peut dire que tous les hommes du grand continent américain sont imberbes ; mais dans presque toutes les tribus quelques poils courts apparaissent parfois sur le visage, surtout dans un âge avancé. Catlin estime que, dans les tribus de l’Amérique du Nord, dix-huit hommes sur vingt sont complètement privés de barbe ; mais on rencontre de temps en temps des individus qui, ayant négligé d’arracher les poils à l’âge de puberté, ont une barbe molle, longue d’un ou deux pouces. Les Guaranys du Paraguay diffèrent de toutes les tribus environnantes en ce qu’ils ont une petite barbe, et même quelques poils sur le corps ; mais ils n’ont pas de favoris[19]. M. D. Forbes, qui a particulièrement étudié cette question, m’apprend que les Aymaras et les Quichuas des Cordillères sont remarquablement imberbes ; quelques poils égarés apparaissent parfois à leur menton lorsqu’ils sont vieux. Les hommes de ces deux tribus ont fort peu de poil sur les diverses parties du corps où il croit abondamment chez les Européens, et les femmes n’en ont point. Cependant les cheveux atteignent une longueur extraordinaire chez les deux sexes, ils tombent souvent jusqu’à terre ; c’est également le cas de quelques tribus de l’Amérique du Nord. Les sexes des indigènes américains ne diffèrent pas entre eux par la quantité des cheveux et par la forme générale du corps, autant que le font la plupart des autres races humaines[20]. Ce fait est analogue à ce qu’on observe chez quelques singes ; ainsi les sexes du Chimpanzé sont moins différents que chez le Gorille et l’Orang[21].
Nous avons vu dans les chapitres précédents que, chez les Mammifères, chez les Oiseaux, chez les Poissons, chez les Insectes, etc., un grand nombre de caractères, primitivement acquis par un sexe seul au moyen de la sélection sexuelle, comme nous avons toute raison de le croire, ont été transférés aux deux sexes. Cette même forme de transmission a évidemment prévalu à un haut degré chez l’espèce humaine ; nous éviterons donc une répétition inutile en discutant l’origine des caractères spéciaux au sexe mâle, en même temps que de ceux qui sont communs aux deux sexes.
Loi du combat. — Chez les nations barbares, les Australiens, par exemple, les femmes sont un prétexte continuel de guerre entre les individus de la même tribu et ceux des tribus différentes. Il en était sans doute ainsi dans l’antiquité : « Nam fuit ante Helenam mulier teterrima belli causa. » Chez les Indiens de l’Amérique du Nord, la lutte est réduite à l’état de système. Un excellent observateur, Hearne[22], dit : Parmi ces peuples, il a toujours été d’usage, chez les hommes, de lutter pour s’assurer la possession de la femme à laquelle ils sont attachés ; et, naturellement, c’est l’individu le plus fort qui emporte le prix. Un homme faible, à moins qu’il ne soit bon chasseur et fort aimé dans la tribu, conserve rarement une femme qu’un homme plus fort croit digne de son attention. Cette coutume prévaut dans toutes les tribus, et développe un grand esprit d’émulation chez les jeunes gens, qui, dès leur enfance, profitent de toutes les occasions pour éprouver leur force et leur adresse à la lutte. »
Azara dit que les Guanas de l’Amérique du Sud ne se marient que rarement avant vingt ans ou plus, n’étant pas jusqu’à cet âge en état de vaincre leurs rivaux.
Nous pourrions citer encore d’autres faits semblables, mais, les preuves nous manquassent-elles, nous serions presque sûrs, d’après l’analogie avec les Quadrumanes supérieurs[23], que la loi du combat a prévalu chez l’homme pendant les premières phases de son développement. L’apparition accidentelle, aujourd’hui encore, de dents canines qui dépassent les autres, et les traces d’un intervalle pour la réception des canines opposées, est, selon toute probabilité, un cas de retour vers un état antérieur, alors que les ancêtres de l’homme étaient pourvus de ces défenses, comme le sont tant de Quadrumanes mâles actuels. Nous avons fait remarquer, dans un chapitre précédent, que l’homme, à mesure qu’il se redressait, et commençait à se servir de ses bras et de ses mains, ou pour combattre avec des bâtons et des pierres, ou pour les autres usages de la vie, devait employer de moins en moins ses mâchoires et ses dents. Les mâchoires avec leurs muscles et les dents se seront alors réduites par défaut d’usage, en vertu des principes encore peu compris de la corrélation et de l’économie de croissance ; car partout nous voyons que les parties qui ne servent plus subissent une réduction de grosseur. Une cause de ce genre aurait eu pour résultat définitif de faire disparaître l’inégalité primitive entre les mâchoires et les dents des deux sexes chez la race humaine. Ce cas est presque identique à celui de beaucoup de ruminants mâles, chez lesquels les canines se sont réduites à de simples rudiments, ou ont disparu, en conséquence évidemment du développement des cornes. La différence prodigieuse étant, entre les crânes des deux sexes chez le Gorille et chez l’Orang, en rapports étroits avec le développement énorme des dents canines chez les mâles, nous pouvons en conclure que la diminution des mâchoires et des dents chez les ancêtres primitifs mâles de l’homme a déterminé dans son aspect un changement favorable des plus frappants.
On ne peut guère douter que la plus grande taille et la plus grande force de l’homme, quand on le compare à la femme, ses épaules plus larges, ses muscles plus développés, ses contours plus anguleux, son plus grand courage et ses dispositions belliqueuses, ne proviennent principalement par héritage de quelque ancêtre mâle qui, comme les singes anthropomorphes actuels, possédait ces caractères. Ces caractères ont dû se conserver et même s’augmenter pendant les longues périodes où l’homme était encore plongé dans un état de barbarie profonde ; car les individus les plus forts et les plus hardis ont dû le mieux réussir, soit dans la lutte générale pour l’existence, soit pour la possession des femelles, et ont dû aussi laisser le plus grand nombre de descendants. Il n’est pas probable que la plus grande force de l’homme ait pour origine les effets héréditaires des travaux plus pénibles, auxquels il a dû se livrer pour assurer sa subsistance et celle de sa famille ; car, chez tous les peuples barbares, les femmes sont forcées de travailler au moins aussi laborieusement que les hommes. Chez les peuples civilisés le combat pour s’assurer la possession des femmes n’existe plus depuis longtemps, mais les hommes ont, en général, à se livrer à un travail plus pénible que les femmes pour subvenir à leur subsistance réciproque, et cette circonstance contribue à leur conserver leur force supérieure.
Différence dans les facultés intellectuelles des deux sexes. — Il est probable que la sélection sexuelle a joué un rôle important dans les différences de cette nature qui se remarquent entre l’homme et la femme. Je sais que quelques auteurs doutent qu’il y ait aucune différence inhérente ; mais l’analogie avec les animaux inférieurs, qui présentent d’autres caractères sexuels secondaires, rend cette proposition tout au moins probable. Personne ne contestera que le caractère du taureau ne diffère de celui de la vache, le caractère du sanglier sauvage de celui de la truie, le caractère de l’étalon de celui de la jument ; et, comme le savent fort bien les gardiens de ménageries, le caractère des grands singes mâles de celui des femelles. La femme semble différer de l’homme dans ses facultés mentales, surtout par une tendresse plus grande et un égoïsme moindre, et ceci se vérifie même chez les sauvages, comme le prouve un passage bien connu des voyages de Mungo Park, et les récits de beaucoup d’autres voyageurs. La femme déploie à un éminent degré sa tendresse à l’égard de ses enfants, par suite de ses instincts maternels ; il est vraisemblable qu’elle puisse l’étendre jusqu’à ses semblables. L’homme est l’égal d’autres hommes, il ne redoute point la rivalité, mais elle le conduit à l’ambition, et celle-ci à l’égoïsme. Ces facultés semblent faire partie de son malheureux héritage naturel. On admet généralement que chez la femme les facultés d’intuition, de perception rapide, et peut-être d’imitation, sont plus fortement développées que chez l’homme ; mais quelques-unes au moins de ces facultés caractérisent les races inférieures, elles ont, par conséquent, pu exister à un état de civilisation inférieure.
Ce qui établit la distinction principale dans la puissance intellectuelle des deux sexes, c’est que l’homme atteint, dans tout ce qu’il entreprend, un point auquel la femme ne peut arriver, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de l’entreprise, qu’elle exige ou une pensée profonde, la raison, l’imagination, ou simplement l’emploi des sens et des mains. Que l’on dresse deux listes des hommes et des femmes qui se sont le plus distingués dans la poésie, la peinture, la sculpture, la musique, y compris la composition et l’exécution, — l’histoire, la science, et la philosophie : les deux listes d’une demi-douzaine de noms pour chaque art ou science, ne supporteront pas la comparaison. Nous pouvons ainsi déduire de la loi de la déviation des moyennes, si bien expliquée par M. Galton dans son livre sur le Génie héréditaire, que si les hommes ont une supériorité décidée sur les femmes en beaucoup de points, la moyenne de la puissance mentale chez l’homme doit excéder celle de la femme.
Les ancêtres semi-humains mâles de l’homme et les sauvages, ont, pendant bien des générations, lutté les uns contre les autres pour la possession des femelles. Mais les seules conditions de force et de taille corporelles n’auraient pas suffi pour vaincre, si elles n’avaient été unies au courage, à la persévérance, et à une détermination énergique. Chez les animaux sociables, les jeunes mâles ont plus d’un combat à livrer pour s’assurer la possession d’une femelle, et ce n’est qu’à force de luttes nouvelles, que les mâles plus vieux peuvent conserver les leurs. L’homme a dû encore défendre ses femmes et ses enfants contre des ennemis de tous genres, et chasser pour subvenir à leur subsistance et à la sienne propre. Mais, pour éviter l’ennemi, pour l’attaquer avec avantage, pour capturer des animaux sauvages, pour inventer et façonner des armes, il faut le concours des facultés mentales supérieures, c’est-à-dire l’observation, la raison, l’invention ou l’imagination. Ces diverses facultés auront donc été mises ainsi continuellement à l’épreuve, et auront fait l’objet d’une sélection pendant l’âge de la virilité, période durant laquelle elles auront été d’ailleurs fortifiées par l’usage. En conséquence, conformément au principe souvent cité, elles ont dû être transmises à l’âge correspondant de la virilité, et surtout à la descendance mâle.
Or, si deux hommes, ou un homme et une femme, doués de qualités mentales également parfaites, se font concurrence, c’est celui qui a le plus d’énergie, de persévérance et de courage qui atteindra au plus haut point et qui remportera la victoire, quel que soit d’ailleurs l’objet de la lutte[24]. On peut même dire que celui-là a du génie — car une haute autorité a déclaré que le génie c’est la patience ; et la patience dans ce sens signifie une persévérance inflexible et indomptable. Cette définition du génie est peut-être incomplète ; car, sans les facultés les plus élevées de l’imagination et de la raison, on ne peut arriver à des succès importants dans bien des entreprises. Ces dernières facultés ont été, comme les premières, développées chez l’homme, en partie par l’action de la sélection sexuelle, — c’est-à-dire par la concurrence avec des mâles rivaux, — et en partie par l’action de la sélection naturelle, c’est-à-dire la réussite dans la lutte générale pour l’existence ; or, comme dans les deux cas, cette lutte a lieu dans l’âge adulte, les caractères acquis ont dû se transmettre plus complètement à la descendance mâle qu’à la descendance femelle. Deux faits confirment l’opinion que quelques-unes de nos facultés mentales ont été modifiées ou renforcées par la sélection sexuelle : le premier, que ces facultés subissent, comme on l’admet généralement, un changement considérable à l’âge de la puberté[25] ; le second, que les eunuques demeurent toute leur vie, à ce point de vue, dans un état inférieur. L’homme a fini ainsi par devenir supérieur à la femme. Il est vraiment heureux que la loi de l’égale transmission des caractères aux deux sexes ait généralement prévalu dans toute la classe des mammifères ; autrement, il est probable que l’homme serait devenu aussi supérieur à la femme par ses facultés mentales que le paon par son plumage décoratif relativement à celui de la femelle.
Il faut se rappeler que la tendance qu’ont les caractères acquis à une époque tardive de la vie par l’un ou l’autre sexe, à se transmettre au même sexe et au même âge, et celle qu’ont les caractères acquis de bonne heure à se transmettre aux deux sexes, sont des règles qui, quoique générales, ne se vérifient pas toujours. Si elles se vérifiaient toujours (mais ici je m’éloigne des limites que je me suis imposées), nous pourrions conclure que les effets héréditaires de l’éducation première des garçons et des filles se transmettraient également aux deux sexes ; de sorte que la présente inégalité de puissance mentale entre les sexes ne pourrait ni être effacée par un cours d’éducation précoce analogue, ni avoir été causée par une différence dans l’éducation première. Pour rendre la femme égale à l’homme, il faudrait qu’elle fût dressée, au moment où elle devient adulte, à l’énergie et à la persévérance, que sa raison et son imagination fussent exercées au plus haut degré, elle transmettrait probablement alors ces qualités à tous ses descendants, surtout à ses filles adultes. La classe entière des femmes ne pourrait s’améliorer en suivant ce plan qu’à une seule condition, c’est que, pendant de nombreuses générations, les femmes qui posséderaient au plus haut degré les vertus dont nous venons de parler, produisissent une plus nombreuse descendance que les autres femmes. Ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer à l’occasion de la force corporelle, bien que les hommes ne se battent plus pour s’assurer la possession des femmes, et que cette forme de sélection ait disparu, ils ont généralement à soutenir, pendant l’âge mûr, une lutte terrible pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille, ce qui tend à maintenir et même à augmenter leurs facultés mentales, et, comme conséquence, l’inégalité actuelle qui se remarque entre les sexes[26].
Voix et facultés musicales. — La puissance de la voix et le développement des organes vocaux constituent, chez quelques espèces de Quadrumanes, une grande différence entre les deux sexes adultes ; cette différence existe aussi dans l’espèce humaine et semble provenir, par héritage, des premiers ancêtres. Les cordes vocales de l’homme sont plus longues d’un tiers que celles de la femme, ou des jeunes garçons, et la castration produit sur lui les mêmes effets que sur les animaux inférieurs, car elle « arrête l’accroissement qui rend la thyroïde saillante, etc., et accompagne l’allongement des cordes vocales[27]. » Quant à la cause de cette différence entre les sexes, je n’ai rien à ajouter aux remarques faites dans le dernier chapitre sur les effets probables de l’usage longtemps continué des organes vocaux par les mâles, sous l’influence de l’amour, de la colère et de la jalousie. D’après Sir Duncan Gibb[28], la voix varie dans les différentes races humaines ; chez les Tartares, chez les Chinois, etc., on dit que la voix de l’homme ne diffère pas de celle de la femme autant que dans la plupart des autres races.
Il ne faut pas entièrement omettre de parler de l’aptitude et du goût pour le chant et pour la musique, bien que ce ne soit pas, chez l’homme, un caractère sexuel. Les sons qu’émettent les animaux de toute espèce ont des usages nombreux, mais il est presque certain que les organes vocaux ont servi d’abord, en se perfectionnant toujours, à la propagation de l’espèce. Les insectes et quelques araignées sont les seuls animaux inférieurs qui produisent volontairement des sons, et cela au moyen d’organes de stridulation admirablement disposés, souvent limités aux mâles seuls. Les sons ainsi produits consistent, à ce que je crois, dans tous les cas, en une répétition rhythmique de la même note[29] ; note quelquefois agréable même à l’oreille humaine. L’usage principal de ces sons et, dans certains cas, leur usage exclusif paraît être d’appeler ou de séduire la femelle.
Les sons que produisent les poissons sont, dans quelques cas, l’apanage des mâles seuls pendant la saison des amours. Tous les vertébrés à respiration aérienne possèdent nécessairement un appareil pour l’inspiration et l’expiration de l’air, appareil pourvu d’un tube qui peut se fermer à son extrémité. Aussi, au moment d’une vive excitation, alors que les muscles se contractent violemment, les membres primordiaux de cette classe ont dû certainement faire entendre des sons incohérents ; or, si ces sons ont rendu un service quelconque à ces animaux, ils ont dû facilement se modifier et s’augmenter par la conservation de variations convenablement adaptées. Les amphibies sont les vertébrés aériens les plus inférieurs ; or, un grand nombre d’entre eux, les crapauds et les grenouilles par exemple, ont des organes vocaux, qui sont constamment en activité pendant la saison des amours, et qui sont souvent beaucoup plus développés chez le mâle que chez la femelle. Le mâle de la tortue seul émet un bruit, et les alligators mâles rugissent et beuglent pendant la saison des amours. Chacun sait dans quelle mesure les oiseaux se servent de leurs organes vocaux comme moyen de faire leur cour aux femelles ; quelques espèces pratiquent également ce qu’on pourrait appeler de la musique instrumentale.
Dans la classe des Mammifères, dont nous nous occupons ici plus particulièrement, les mâles de presque toutes les espèces se servent de leur voix pendant la saison des amours beaucoup plus qu’à toute autre époque ; il y en a même quelques-uns qui, en toute autre saison, sont absolument muets. Les deux sexes, dans d’autres espèces, ou les femelles seules, emploient leur voix comme appel d’amour. Si l’on considère tous ces faits, si l’on considère que, chez quelques mammifères, les organes vocaux sont beaucoup plus développés chez le mâle que chez la femelle, soit d’une manière permanente, soit temporairement pendant la saison des amours ; si l’on considère que, dans la plupart des classes inférieures, les sons produits par les mâles servent non seulement à appeler, mais à séduire les femelles, c’est la preuve complète que les mammifères mâles emploient leurs organes vocaux pour charmer les femelles. Le Mycetes caraya d’Amérique fait peut-être exception, comme aussi l’un des singes les plus voisins de l’homme, l’Hylobates agilis. Ce Gibbon a une voix extrêmement puissante, mais harmonieuse. M. Waterhouse[30] dit au sujet de cette voix : « Il m’a semblé qu’en montant et en descendant la gamme, les intervalles étaient régulièrement d’un demi-ton, et je suis certain que la note la plus élevée était l’octave exacte de la plus basse. Les notes sont harmonieuses, et je ne doute pas qu’un bon violoniste ne puisse reproduire la composition du gibbon, et en donner une idée exacte, sauf en ce qui concerne l’intensité. » M. Waterhouse en donne la notation. Le professeur Owen, qui est aussi un musicien, confirme ce qui précède, et fait remarquer, à tort il est vrai, « qu’on peut dire de ce gibbon qu’il est le seul des mammifères qui chante. » Il paraît très-surexcité après l’exécution de son chant. On n’a malheureusement jamais observé avec soin ses habitudes à l’état de nature ; mais à en juger d’après l’analogie avec tous les autres animaux, on peut supposer qu’il fait surtout entendre ses notes musicales pendant la saison des amours.
Ce gibbon n’est pas la seule espèce du genre qui ait la faculté de chanter, car mon fils, Francis Darwin, a entendu aux Jardins Zoologiques, un H. leuciscus chanter une cadence de trois notes en observant les intervalles musicaux. Il est plus surprenant encore que certains rongeurs émettent des sons musicaux. On a souvent cité, on a souvent exposé des souris chantantes, mais la plupart du temps, on a soupçonné quelque tour de passe-passe. Toutefois nous possédons enfin une description faite par un observateur bien connu, le rév. S. Lockwood[31], relativement aux facultés musicales d’une espèce américaine, l’Hesperomys cognatus, appartenant à un genre distinct de celui auquel appartient la souris anglaise. Ce petit animal vivait en captivité et répétait souvent ses chansons. Dans l’une des deux principales qu’il aimait à chanter, « il faisait parfois durer la dernière mesure pendant le temps qu’en auraient duré deux ou trois ; parfois aussi il allait de do dièse et ré à do naturel et ré, et faisait pendant quelque temps une trille sur ces deux notes, puis terminait par un mouvement vif sur do dièse et ré. IL observait admirablement les demi-tons, et les faisait sentir à une bonne oreille. ». M. Lockwood a noté ces chants, et il ajoute que bien que cette petite souris « n’ait pas d’oreille pour la mesure, elle en a pour rester dans le ton de si (deux bémols) et strictement dans le ton majeur… Sa voix claire et douce baisse d’une octave avec toute la précision possible, puis en terminant, elle remonte à sa trille de do dièse à ré. »
Un critique s’est demandé comment il pouvait se faire que la sélection ait adapté les oreilles de l’homme, et il aurait dû ajouter d’autres animaux, de façon à distinguer les notes musicales. Mais cette question indique quelque confusion du sujet ; un bruit est la sensation que nous causent plusieurs simples vibrations aériennes ayant diverses périodes, dont chacune s’entre-croise si fréquemment qu’on n’en peut percevoir l’existence séparée. Un bruit ne diffère d’une note musicale que par le défaut de continuité des vibrations et par leur manque d’harmonie inter se. En conséquence, pour que l’oreille soit capable de distinguer les bruits, et chacun admet l’importance de cette faculté pour tous les animaux, il faut qu’elle soit sensible aux notes musicales. Nous avons la preuve que cette faculté existe chez les animaux placés très-bas sur l’échelle : ainsi, des crustacés possèdent des poils auditifs ayant différentes longueurs, et qu’on a vus vibrer quand on emploie certaines notes musicales[32]. Comme nous l’avons dit dans un précédent chapitre, on a fait des observations semblables sur les poils qui couvrent les cousins. Des observateurs attentifs ont positivement affirmé que la musique attire les araignées. On sait aussi que certains chiens se mettent à hurler quand ils entendent certains sons[33]. Les phoques semblent apprécier la musique ; les anciens connaissaient leur amour pour la musique ; et les chasseurs de notre époque tirent avantage de ces dispositions.
Par conséquent on ne se trouve en présence d’aucune difficulté spéciale, qu’il s’agisse de l’homme ou de tout autre animal, en tant que l’on s’occupe seulement de la simple perception des notes musicales. Helmholtz a expliqué, d’après les principes physiologiques, pourquoi les accords sont agréables à l’oreille humaine, les désaccords désagréables ; peu importe d’ailleurs, car l’harmonie est une invention récente. La mélodie seule doit nous occuper, et ici encore, selon Helmholtz, il est facile de comprendre pourquoi nous employons les notes de notre échelle musicale. L’oreille décompose tous les sons pour retrouver les simples vibrations, bien que nous n’ayons pas conscience de cette analyse. Dans un accord musical, la note la plus basse est généralement prédominante, et les autres, qui sont moins marquées, sont l’octave, la douzième, etc., toutes harmoniques de la note fondamentale prédominante ; chacune des notes de notre gamme a cette même propriété. Il semble donc évident que si un animal désirait toujours chanter le même air, il se guiderait en essayant tour à tour ces notes qui font partie de plusieurs accords, c’est-à-dire qu’il choisirait pour son air des notes qui appartiennent à notre gamme.
Si l’on demandait en outre pourquoi les sons disposés dans un certain ordre et suivant un certain rythme procurent un sentiment de plaisir à l’homme et à d’autres animaux, nous ne pourrions répondre qu’en invoquant le plaisir que font ressentir certaines odeurs et certaines saveurs. Le fait que beaucoup d’insectes, d’araignées, de poissons, d’amphibies et d’oiseaux font entendre ces sons pendant la saison des amours, nous autorise à conclure qu’ils évoquent un certain sentiment de plaisir chez les animaux ; en effet, il faudrait croire, ce qui est impossible, que les efforts persévérants du mâle et les organes complexes qu’il possède souvent pour produire ces sons, sont absolument inutiles, si l’on n’admettait que les femelles sont capables de les apprécier et se laissent exciter et séduire par eux[34].
On admet que, chez l’homme, le chant est la base ou l’origine de la musique instrumentale. L’aptitude à produire des notes musicales, la jouissance qu’elles procurent, n’étant d’aucune utilité directe dans les habitudes ordinaires de la vie, nous pouvons ranger ces facultés parmi les plus mystérieuses dont l’homme soit doué. Elles sont présentes, bien qu’à un degré fort inférieur, chez les hommes de toutes les races, même les plus sauvages ; mais le goût des diverses races est si différent, que les sauvages n’éprouvent aucun plaisir à entendre notre musique, et que la leur nous paraît horrible et sans signification. Le docteur Seemann fait quelques remarques intéressantes à ce sujet[35], « il met en doute que même parmi les nations de l’Europe occidentale, si intimement liées par les rapports continuels qu’elles ont ensemble, la musique de l’une soit interprétée de la même manière par une autre. En allant vers l’Est, nous remarquons certainement un langage musical différent. Les chants joyeux et les accompagnements de danses ne sont plus, comme chez nous, dans le ton majeur, mais toujours dans le ton mineur. » Que les ancêtres semi-humains de l’homme aient ou non possédé, comme le gibbon cité plus haut, la capacité de produire et d’apprécier les notes musicales, nous avons toute raison de croire que l’homme a possédé ces facultés à une époque fort reculée. M. Lartet a décrit deux flûtes faites avec des os et des cornes de rennes ; on les a trouvées dans les cavernes au milieu d’instruments en silex et de restes d’animaux éteints. Le chant et la danse sont aussi des arts très-anciens, et sont aujourd’hui pratiqués par presque tous les sauvages, même les plus grossiers. La poésie, qu’on peut considérer comme la fille du chant, est également si ancienne, que beaucoup de personnes sont étonnées qu’elle ait pris naissance pendant les périodes reculées sur lesquelles nous n’avons aucun document historique.
Les facultés musicales qui ne font entièrement défaut dans aucune race, sont susceptibles d’un prompt et immense développement, ce que nous prouvent les Hottentots et les nègres, qui deviennent aisément d’excellents musiciens, bien que, dans leur pays natal, ils n’exécutent rien que nous puissions appeler musique. Toutefois, Schweinfurth a écouté avec plaisir quelques simples mélodies du centre de l’Afrique. Mais il n’y a rien d’anormal à ce que les facultés musicales restent à l’état latent chez l’homme ; quelques espèces d’oiseaux, qui naturellement ne chantent jamais, apprennent à émettre des sons sans grande difficulté ; ainsi un moineau a appris le chant d’une linotte. Ces deux espèces, étant voisines et appartenant à l’ordre des Insessores, qui renferme presque tous les oiseaux chanteurs du globe, il est possible, probable même, qu’un ancêtre du moineau a été chanteur. Un fait beaucoup plus remarquable encore est que les perroquets, qui font partie d’un groupe distinct de celui des Insessores, et qui ont des organes vocaux d’une conformation toute différente, peuvent apprendre non seulement à parler, mais à siffler des airs imaginés par l’homme, ce qui suppose une certaine aptitude musicale. Néanmoins, il serait téméraire d’affirmer que les perroquets descendent de quelque ancêtre chanteur. On pourrait, d’ailleurs, indiquer bien des cas analogues d’organes et d’instinct primitivement adaptés à un usage, qui ont été, par la suite, utilisés dans un but tout différent[36]. L’aptitude à un haut développement musical que possèdent les races sauvages humaines, peut donc être due, soit à ce que leurs ancêtres semi-humains ont pratiqué quelque forme grossière de musique, soit simplement à ce qu’ils ont acquis dans quelque but distinct des organes vocaux appropriés. Mais, dans ce dernier cas, nous devons admettre qu’ils possédaient déjà, comme dans le cas précité des perroquets, et comme cela paraît être le cas chez beaucoup d’animaux, quelque sentiment de la mélodie.
La musique excite en nous diverses émotions, mais non par elle-même, les émotions terribles de l’horreur, de la crainte, de la colère, etc. Elle éveille les sentiments plus doux de la tendresse et de l’amour, qui passent volontiers au dévouement. « On peut au moyen de la musique, disent les annales chinoises, faire descendre le ciel sur la terre. » Elle éveille aussi en nous les sentiments du triomphe et de l’ardeur glorieuse de la guerre. Ces impressions puissantes et mélangées peuvent bien produire le sens de la sublimité. Selon la remarque du docteur Seemann, nous pouvons résumer et concentrer dans une seule note de musique plus de sentiment que dans des pages d’écriture. Il est probable que les oiseaux éprouvent des émotions analogues, mais plus faibles et moins complexes, lorsque le mâle luttant avec d’autres mâles fait entendre tous ses chants pour séduire la femelle. L’amour est de beaucoup le thème le plus ordinaire de nos propres chants. Ainsi que le remarque Herbert Spencer, « la musique réveille des sentiments dont nous n’aurions pas conçu la possibilité, et dont nous ne connaissons pas la signification ; ou, comme le dit Richter ; « elle nous parle de choses que nous n’avons pas vues et que nous ne verrons jamais[37]. » Réciproquement, lorsqu’un orateur éprouve ou exprime de vives émotions, il emploie instinctivement un rythme et des cadences musicales, et nous faisons de même dans le langage ordinaire. Un nègre sous le coup d’une vive émotion se met à chanter, « un autre lui répond en chantant aussi, et tous les assistants, touchés pour ainsi dire par une onde musicale, finissent par imiter les deux interlocuteurs. » Les singes se servent aussi de tons différents pour exprimer leurs fortes impressions, — la colère et l’impatience par des tons bas, — la crainte et la douleur par des tons aigus[38]. Les sensations et les idées que la musique ou les cadences d’un discours passionné peuvent évoquer en nous, paraissent, par leur étendue vague et par leur profondeur, comme des retours vers les émotions et les pensées d’une époque depuis longtemps disparue.
Tous ces faits relatifs à la musique deviennent jusqu’à un certain point compréhensibles, si nous pouvons admettre que les tons musicaux et le rhythme étaient employés par les ancêtres semi-humains de l’homme, pendant la saison des amours, alors que tous les animaux sont entraînés par l’amour et aussi par la jalousie, la rivalité ou le triomphe. Dans ce cas, d’après le principe profond des associations héréditaires, les sons musicaux pourraient réveiller en nous, d’une manière vague et indéterminée, les fortes émotions d’un âge reculé. Nous avons raison de supposer que le langage articulé est une des dernières et certainement une des plus sublimes acquisitions de l’homme ; or, comme le pouvoir instinctif de produire des notes et des rhythmes musicaux existe dans des classes très-inférieures de la série animale, il serait absolument contraire au principe de l’évolution d’admettre que la faculté musicale de l’homme a pour origine les diverses modulations employées dans le discours de la passion. Nous devons supposer que les rhythmes et les cadences de l’art oratoire proviennent au contraire de facultés musicales précédemment développées[39]. Ceci nous explique que la musique, la danse, le chant et la poésie sont des arts anciens. Nous pouvons même aller plus loin et, comme nous l’avons déjà fait remarquer dans un chapitre précédent, affirmer que la faculté d’émettre des notes musicales a servi de base au développement du langage[40]. Certains quadrumanes mâles ont les organes vocaux bien plus développés que les femelles, et le gibbon, un des singes anthropomorphes, peut employer toute une octave de notes musicales et presque chanter ; il n’y a donc rien d’improbable à soutenir que les ancêtres de l’homme, mâles ou femelles, ou tous deux, avant d’avoir acquis la faculté d’exprimer leurs tendres sentiments en langage articulé, aient cherché à se charmer l’un l’autre au moyen de notes musicales et d’un rhythme. Nous savons si peu de chose sur l’usage que les quadrumanes font de leur voix pendant la saison des amours, que nous n’avons presque aucun moyen de juger si l’habitude de chanter a été acquise en premier lieu par les ancêtres mâles de l’humanité ou bien par les ancêtres femelles. Les femelles sont généralement pourvues de voix plus douces que les hommes, et, autant que ce fait peut nous servir de guide, il nous autorise à penser qu’elles ont été les premières à acquérir des facultés musicales pour attirer l’autre sexe[41]. Mais, si cela est arrivé, il doit y avoir fort longtemps, et bien avant que les ancêtres de l’homme fussent devenus assez humains pour apprécier et ne traiter leurs femmes que comme des esclaves utiles. Lorsque l’orateur passionné, le barde ou le musicien, par ses tons variés et ses cadences, éveille chez ses auditeurs les émotions les plus vives, il ne se doute pas qu’il emploie les moyens dont se servaient, à une époque extrêmement reculée, ses ancêtres semi-humains pour exciter leurs passions ardentes, pendant leurs rivalités et leurs assiduités réciproques.
Influence de la beauté sur les mariages humains. — Chez les nations civilisées, l’apparence extérieure de la femme exerce une influence considérable, mais non exclusive, sur le choix que l’homme fait d’une compagne ; mais nous pouvons laisser de côté cette partie de la question, car, comme nous nous occupons surtout des temps primitifs, notre seul moyen de juger est d’étudier les habitudes des nations demi-civilisées et même des peuples sauvages actuels. Si nous pouvons établir que, dans des races différentes, les hommes préfèrent des femmes qui possèdent certains caractères, ou, inversement, que les femmes préfèrent certains hommes, nous aurons alors à rechercher si un tel choix, continué pendant de nombreuses générations, a dû exercer quelque effet sensible sur la race, soit sur un sexe, soit sur les deux ; cette dernière circonstance dépendant de la forme héréditaire prédominante.
Il est utile d’abord de prouver avec quelques détails que les sauvages apportent une grande attention à l’extérieur personnel[42]. Il est notoire qu’ils ont la passion de l’ornementation, et un philosophe anglais va jusqu’à soutenir que les vêtements ont été imaginés d’abord pour servir d’ornements et non pour se procurer de la chaleur. Ainsi que le fait remarquer le professeur Waitz, « si pauvre et si misérable que soit un homme, il trouve du plaisir à se parer. » Les Indiens de l’Amérique du Sud, qui vont tout nus, attachent une importance considérable à la décoration de leur corps, comme le prouve l’exemple « d’un homme de haute taille qui gagne avec peine par un travail de quinze jours de quoi payer le chica nécessaire pour se peindre le corps en rouge[43]. » Les anciens barbares, qui vivaient en Europe à l’époque du renne, rapportaient dans leurs cavernes tous les objets brillants ou singuliers qu’ils trouvaient. Aujourd’hui les sauvages se parent partout de plumes, de colliers, de bracelets, de boucles d’oreilles, etc., etc. Ils se peignent de la manière la plus diverse, « Si l’on avait examiné, » remarque Humboldt, « les nations peintes avec la même attention que les nations vêtues, on aurait vu que l’imagination la plus fertile et le caprice le plus changeant ont aussi bien créé des modes de peinture que des modes de vêtements. »
Dans une partie de l’Afrique, les sauvages se peignent les paupières en noir, dans une autre ils se teignent les ongles en jaune ou en pourpre. Dans beaucoup de localités les cheveux sont teints de diverses couleurs. Dans quelques pays, les dents sont colorées en noir, en rouge, en bleu, etc., et dans l’archipel Malais on considère comme une honte d’avoir les dents blanches comme un chien. On ne saurait nommer un seul grand pays compris entre les régions polaires au nord, et la Nouvelle-Zélande au midi, où les indigènes ne se tatouent pas. Cet usage a été pratiqué par les anciens Juifs et les Bretons d’autrefois. En Afrique, quelques indigènes se tatouent, mais beaucoup plus fréquemment ils se couvrent de protubérances en frottant de sel des incisions faites sur diverses parties du corps ; les habitants du Kordofan et du Darfour considèrent que cela constitue de « grands attraits personnels. » Dans les pays arabes il n’y a pas de beauté parfaite « tant que les joues ou les tempes n’ont pas été balafrées[44]. » Comme le remarque Humboldt, dans l’Amérique du Sud, « une mère serait taxée de coupable indifférence envers ses enfants, si elle n’employait pas des moyens artificiels pour donner au mollet la forme qui est à la mode dans le pays. » Dans l’ancien, comme dans le nouveau monde, on modifiait autrefois, pendant l’enfance, la forme du crâne de la manière la plus extraordinaire, et il existe encore des endroits où ces déformations sont considérées comme une beauté. Ainsi les sauvages de la Colombie[45] regardent une tête très-aplatie comme « une condition essentielle de la beauté. »
Les cheveux reçoivent des soins tout particuliers dans divers pays ; là, on les laisse croître de toute leur longueur jusqu’à atteindre le sol ; ailleurs, on les ramène en « une touffe compacte et frisée, ce qui est l’orgueil et la gloire du Papou[46]. » Dans l’Afrique du Nord, un homme a besoin d’une période de huit ou dix ans pour parachever sa coiffure. D’autres peuples se rasent la tête ; il y a des parties de l’Amérique du Sud et de l’Afrique où ils s’arrachent même les cils et les sourcils. Les indigènes du Nil supérieur s’arrachent les quatre incisives, en disant qu’ils ne veulent pas ressembler à des brutes. Plus au Sud, les Batokas se cassent deux incisives supérieures, ce qui, selon la remarque de Livingstone[47], donne au visage un aspect hideux, par suite de l’accroissement de la mâchoire inférieure ; mais ils considèrent la présence des incisives comme une chose fort laide, et crient en voyant les Européens : « Regardez les grosses dents ! » Le grand chef Sebituani a en vain essayé de changer cette mode. Dans diverses parties de l’Afrique et de l’archipel Malais, les indigènes liment leurs dents incisives, et y pratiquent des dentelures semblables à celles d’une scie, ou les percent de trous, dans lesquels ils sertissent des boutons.
Le visage, qui chez nous est la partie la plus admirée pour sa beauté, devient chez les sauvages le siège principal des mutilations. Dans toutes les régions du globe, la cloison, et plus rarement les ailes du nez, sont perforées de trous dans lesquels on insère des anneaux, des baguettes, des plumes et d’autres ornements. Partout les oreilles sont percées et semblablement ornées. Les Rotocudos et les Lenguas de l’Amérique du Sud agrandissent graduellement le trou afin que le bord inférieur de l’oreille vienne toucher l’épaule. Dans l’Amérique du Nord, dans l’Amérique du Sud et en Afrique, on perce la lèvre supérieure ou la lèvre inférieure ; chez les Rotocudos l’ouverture de la lèvre inférieure est assez grande pour recevoir un disque en bois de quatre pouces de diamètre. Mantegazza fait un curieux récit de la honte qu’éprouva un indigène de l’Amérique du Sud, et du ridicule dont il fut couvert, pour avoir vendu son tembeta, grosse pièce de bois colorée qui occupait le trou de sa lèvre. Dans l’Afrique centrale, les femmes se percent la lèvre inférieure et y portent un morceau de cristal, auquel les mouvements de la langue communiquent une agitation frétillante, « qui, pendant la conversation, est d’un comique indescriptible. » Le chef de Latooka a dit à Sir S. Baker[48] que sa femme serait « bien plus jolie si elle voulait enlever ses quatre incisives inférieures, et porter dans la lèvre correspondante un cristal à longue pointe. » Plus au midi, chez les Makalolo, c’est la lèvre supérieure qui est perforée, pour recevoir un gros anneau en métal et en bambou, qui s’appelle un pelélé. « Ceci détermina chez une femme une projection de la lèvre qui dépassait de deux pouces l’extrémité du nez ; et la contraction des muscles, lorsque cette femme souriait, relevait sa lèvre jusqu’au-dessus des yeux. » On demanda au vénérable chef Chinsurdi pourquoi les femmes portaient de pareils objets. Évidemment étonné d’une question aussi absurde, il répondit : « Pour la beauté ! Ce sont les seules belles choses que les femmes possèdent ; les hommes ont des barbes, les femmes point. Quel genre de personnes seraient-elles sans le pelélé ? Elles ne seraient pas du tout des femmes, avec une bouche comme l’homme, mais sans barbe[49]. »
Il n’est pas une partie du corps qui ait échappé aux modifications artificielles. Ces opérations doivent causer de très-grandes souffrances, car beaucoup réclament plusieurs années pour être complètes ; il faut donc que l’idée de leur nécessité soit impérative. Les motifs en sont divers : les hommes se peignent le corps pour paraître terribles dans les combats ; certaines mutilations se rattachent à des rites religieux ; d’autres indiquent l’âge de puberté, le rang de l’homme, ou bien servent à distinguer les tribus. Chez les sauvages, les mêmes modes se perpétuent pendant de longues périodes[50] ; par conséquent, des mutilations, faites à l’origine dans un but quelconque, prennent de la valeur comme marques distinctives. Mais le besoin de se parer, la vanité et l’admiration d’autrui en paraissent être les motifs les plus ordinaires. Les missionnaires de la Nouvelle-Zélande m’ont dit, au sujet du tatouage, qu’ayant cherché à persuader à quelques jeunes filles de renoncer à cette pratique, elles avaient répondu : « Il faut que nous ayons quelques lignes sur les lèvres, car autrement nous serions trop laides en devenant vieilles. » Quant aux hommes de la Nouvelle-Zélande, un juge compétent[51] dit que « la grande ambition des jeunes gens est d’avoir une figure bien tatouée, tant pour plaire aux femmes que pour se mettre en évidence à la guerre. » Une étoile tatouée sur le front et une tache sur le menton sont, dans une partie de l’Afrique, considérées par les femmes comme des attraits irrésistibles[52]. Dans la plupart des contrées du monde, mais non dans toutes, les hommes sont plus ornés que les femmes, et souvent d’une manière différente ; quelquefois, mais cela est rare, les femmes ne le sont presque pas du tout. Les sauvages obligent les femmes à faire la plus grande partie de l’ouvrage, et ne leur permettent pas de manger les aliments de meilleure qualité ; il est donc tout naturel qu’avec son égoïsme caractéristique, l’homme leur défende de porter les plus beaux ornements. Enfin, fait remarquable que prouvent les citations précédentes, les mêmes modes de modifications dans la forme de la tête, l’ornementation de la chevelure, la peinture et le tatouage du corps, le percement du nez, des lèvres ou des oreilles, l’enlèvement et le limage des dents, etc., prédominent encore, comme elles l’ont fait depuis longtemps, dans les parties les plus différentes du globe. Il est fort improbable que ces pratiques, auxquelles tant de nations distinctes se livrent, soient dues à une tradition provenant d’une source commune. Elles indiquent plutôt, de même que les habitudes universelles de la danse, des mascarades et de l’exécution grossière des images, une similitude étroite de l’esprit de l’homme, à quelque race qu’il appartienne.
Après ces remarques préliminaires sur l’admiration que les sauvages éprouvent pour divers ornements, et même pour des déformations qui nous paraissent hideuses, voyons jusqu’à quel point les hommes se laissent attirer par l’aspect de leurs femmes, et quelles idées ils se font sur leur beauté. On a affirmé que les sauvages sont tout à fait indifférents à la beauté de leurs femmes et qu’ils ne les regardent que comme des esclaves ; il importe donc de faire remarquer que cette conclusion ne s’accorde nullement avec le soin que les femmes prennent à s’embellir, non plus qu’avec leur vanité. Burchell[53] cite l’amusant exemple d’une femme boschimane qui employait assez de graisse, d’ocre rouge et de poudre brillante « pour ruiner un mari qui n’aurait pas été très-riche. » Elle manifestait aussi « beaucoup de vanité, et la certitude très-évidente de sa supériorité. » M. Winwood Reade m’apprend que, sur la côte occidentale d’Afrique, les nègres discutent souvent sur la beauté des femmes. Quelques observateurs compétents attribuent la fréquence ordinaire de l’infanticide au désir qu’ont les femmes de conserver leur beauté[54]. Dans plusieurs pays les femmes portent des charmes et emploient des philtres pour s’assurer l’affection des hommes ; et M. Brown indique quatre plantes qu’emploient à cet usage les femmes du nord-ouest de l’Amérique[55].
Hearne[56], qui a vécu longtemps avec les Indiens de l’Amérique, et qui était un excellent observateur, dit en parlant des femmes : « Demandez à un Indien du Nord ce qu’est la beauté, il répondra : un visage large et plat, de petits yeux, des pommettes saillantes, trois ou quatre lignes noires assez larges au travers de chaque joue, un front bas, un gros menton élargi, un nez massif en crochet, une peau bronzée, et des seins pendant jusqu’à la ceinture ». Pallas, qui a visité les parties septentrionales de l’Empire chinois, dit : « On préfère les femmes qui ont le type mandchou, c’est-à-dire un visage large, de fortes pommettes, le nez très-élargi et d’énormes oreilles[57] ; » et Vogt fait la remarque que l’obliquité des yeux qui est particulière aux Chinois et aux Japonais, est exagérée dans leurs peintures, surtout lorsqu’il s’agit de faire ressortir la beauté et la splendeur de leur race aux yeux des barbares à cheveux rouges. On sait, ainsi que Huc en a fait plusieurs fois la remarque, que les Chinois de l’intérieur trouvent que les Européens sont hideux avec leur peau blanche et leur nez saillant. D’après nos idées, le nez est loin d’être trop saillant chez les habitants de Ceylan ; cependant, « au septième siècle, les Chinois, habitués aux nez aplatis des races mongoles, furent si étonnés de la proéminence du nez des Cingalais, que Tsang les a décrits comme ayant le bec d’un oiseau avec le corps d’un homme ».
Finlayson, après avoir minutieusement décrit les habitants de la Cochinchine, remarque qu’ils se caractérisent par leur tête et leur visage arrondis, et ajoute : « La rondeur de toute la figure est plus frappante chez les femmes, dont la beauté est estimée d’autant plus que cette forme est plus prononcée. » Les Siamois ont de petits nez avec des narines divergentes, une large bouche, des lèvres un peu épaisses, un très-grand visage, à pommettes très-saillantes et très-larges. Il n’est donc pas étonnant que « la beauté telle que nous la concevons leur soit étrangère. En conséquence, ils considèrent leurs femmes comme beaucoup plus belles que les Européennes[58] ».
On sait que les femmes hottentotes ont souvent la partie postérieure du corps très-développée, et sont stéatopyges ; — particularité que les hommes, d’après Sir Andrew Smith[59], admirent beaucoup. Il en a vu une, regardée comme une beauté, dont les fesses étaient si énormément développées, qu’une fois assise sur un terrain horizontal, elle ne pouvait plus se relever, et devait, pour le faire, ramper jusqu’à ce qu’elle rencontrât une pente. Le même caractère se retrouve chez quelques femmes de diverses tribus nègres ; et, selon Burton, les hommes de Somal « choisissent leurs femmes en les rangeant en ligne, et prenant celle qui a tergo à la plus forte saillie. Rien ne peut paraître plus détestable à un nègre que la forme opposée[60]. »
En ce qui concerne la couleur, les nègres avaient coutume de railler Mungo Park sur la blancheur de sa peau et la proéminence de son nez, deux conformations qui leur paraissaient « laides et peu naturelles. » Quant à lui, il loua le reflet brillant de leur peau et la gracieuse dépression de leur nez, ce qu’ils prirent pour une flatterie ; ils lui donnèrent pourtant de la nourriture. Les Maures africains fronçaient les sourcils et paraissaient frissonner à la vue de sa peau blanche. Sur la côte orientale d’Afrique, lorsque les enfants nègres virent Burton, ils s’écrièrent : « Voyez l’homme blanc, ne ressemble-t-il pas à un singe blanc ? » Sur la côte occidentale, m’a dit M. Winwood Reade, les nègres admirent une peau très-noire beaucoup plus qu’une peau à teinte plus claire. Le même voyageur dit qu’on peut attribuer leur horreur de la couleur blanche en partie à ce qu’ils supposent que c’est la couleur des démons et des esprits, et en partie à ce qu’ils croient que la couleur blanche de la peau est un signe de mauvaise santé.
Les Banyai sont des nègres qui habitent la partie la plus méridionale du continent ; mais « un grand nombre d’entre eux sont d’une couleur café au lait claire, qui est considérée, dans tout le pays, comme fort belle. » Il existe donc là un autre type de goût. Chez les Cafres, qui diffèrent beaucoup des nègres, « les tribus de la baie Delagoa exceptées, la peau n’est pas habituellement noire, la couleur dominante est un mélange de noir et de rouge, et la nuance la plus commune celle du chocolat. Les tons foncés, les plus répandus, sont naturellement les plus estimés ; et un Cafre croirait qu’on lui fait injure si on lui disait qu’il est de couleur claire, ou qu’il ressemble à un blanc. On m’a parlé d’un infortuné qui était si peu foncé, qu’aucune femme ne voulait l’épouser. » Un des titres du roi du Zoulou est « Toi qui es noir[61]. » M. Galton, en me parlant des indigènes de l’Afrique méridionale, me fit remarquer que leurs idées sur la beauté sont fort différentes des nôtres ; il a vu dans une tribu deux jeunes filles minces, sveltes et jolies, que les indigènes n’admiraient point du tout.
Dans d’autres parties du globe, à Java, d’après madame Pfeiffer, une femme jaune, et non blanche, est considérée comme une beauté. Un Cochinchinois « parlait dédaigneusement de la femme de l’ambassadeur anglais à cause de ses dents blanches semblables à celles d’un chien, et de son teint rose comme celui des fleurs des pommes de terre. » Nous avons vu que les Chinois n’aiment pas notre peau blanche, et que les tribus américaines du Nord admirent une « peau basanée. » Dans l’Amérique du Sud, les Yura-caras, qui habitent les pentes boisées et humides des Cordillères orientales, sont remarquablement pâles de couleur, ce que leur nom exprime dans leur langue ; néanmoins ils considèrent les femmes européennes comme très-inférieures aux leurs[62].
Chez plusieurs tribus de l’Amérique du Nord, les cheveux atteignent une longueur remarquable, et Catlin cite, comme une preuve curieuse de l’importance qu’on attache à ce fait, l’élection du chef des Crows, Il fut choisi parce que c’était l’homme de la tribu qui avait les cheveux les plus longs ; ces cheveux mesuraient 3m,225 de longueur. Les Aymaras et les Quichuas de l’Amérique du Sud ont également les cheveux très-longs, et je tiens de M. D. Forbes qu’ils les considèrent comme une telle marque de beauté, que la punition la plus grave qu’on puisse leur infliger est de les leur couper. Dans les deux moitiés du continent les indigènes augmentent la longueur apparente de leur chevelure en y entrelaçant des matières fibreuses. Bien que les cheveux soient ainsi estimés, les Indiens du nord de l’Amérique regardent comme « très-vulgaires » les poils du visage, et ils les arrachent avec grand soin. Cette pratique règne dans tout le continent américain, de l’île Vancouver au nord, à la Terre-de-Feu au midi. Lorsque York Minster, un Fuégien à bord du Beagle, fut ramené dans son pays, les indigènes lui conseillèrent d’arracher les quelques poils qu’il avait sur le visage. Ils menacèrent aussi un jeune missionnaire qui resta quelque temps chez eux de le déshabiller et de lui enlever tous les poils du visage et du corps, bien qu’il ne fût pourtant pas un homme très-velu. Cette mode est poussée à un tel point chez les Indiens du Paraguay, qu’ils s’arrachent les poils des sourcils et les cils, pour ne pas ressembler, disent-ils, à des chevaux[63].
Il est remarquable que, dans le monde entier, les races qui sont complètement privées de barbe n’aiment pas les poils sur le visage et sur le corps, et se donnent la peine de les arracher. Les Kalmouks n’ont pas de barbe, et, comme les Américains, s’enlèvent tous les poils épars ; il en est de même chez les Polynésiens, chez quelques Malais et chez les Siamois. M. Veitch constate que les dames japonaises « nous reprochent nos favoris, les regardant comme fort laids ; elles voulaient nous les faire enlever pour ressembler aux Japonais. » Les Nouveaux-Zélandais ont la barbe courte et frisée ; ils s’arrachent avec soin les poils du visage, et ont pour dicton : « Il n’y a pas de femme pour un homme velu, » mais la mode paraît avoir changé, peut-être à cause de la présence des Européens, et on m’affirme que les Maories admirent aujourd’hui la barbe[64].
Les races, au contraire, qui possèdent de la barbe, l’admirent et l’estiment beaucoup. Chaque partie du corps, d’après les lois des Anglo-Saxons, avait une valeur reconnue ; « la perte de la barbe était estimée à vingt shellings, tandis que la fracture d’une cuisse n’était fixée qu’à douze[65]. »
En Orient, les hommes jurent solennellement par leur barbe. Nous avons vu que Chinsurdi, chef des Makalolos en Afrique, regardait la barbe comme un grand ornement. Chez les Fidjiens, dans le Pacifique, « la barbe est abondante et touffue, et ils en sont très-fiers » ; « tandis que les habitants des archipels voisins de Tonga et de Samoa n’ont pas de barbe et détestent un menton velu. » Dans une seule île du groupe Ellice, les hommes ont de fortes et grosses barbes dont ils sont très-fiers[66].
Nous voyons donc combien l’idéal du beau diffère dans les diverses races humaines. Dans toute nation assez avancée pour façonner les effigies de ses dieux ou de ses législateurs déifiés, les sculpteurs se sont sans doute efforcés d’exprimer leur idéal le plus élevé du beau et du grand[67]. À ce point de vue, il est utile de comparer le Jupiter ou l’Apollon des Grecs aux statues égyptiennes ou assyriennes, et celles-ci aux affreux bas-reliefs des monuments en ruines de l’Amérique centrale.
Je n’ai rencontré que peu d’assertions contraires à cette conclusion. M. Winwood Reade, cependant, qui a eu de nombreuses occasions d’observer, non seulement les nègres de la côte occidentale d’Afrique, mais aussi ceux de l’intérieur, qui n’ont jamais été en relations avec les Européens, est convaincu que leurs idées sur la beauté sont, en somme, les mêmes que les nôtres. Le docteur Rohlfs affirme qu’il en est de même chez les Bornous et dans les pays habités par les Pullo. M. Reade s’est, à plusieurs reprises trouvé d’accord avec les nègres sur l’appréciation de la beauté des jeunes filles indigènes, et leurs idées sur la beauté des femmes européennes correspondait souvent à la nôtre. Ils admirent les longs cheveux et emploient des moyens artificiels pour en augmenter, en apparence, l’abondance ; ils admirent aussi la barbe, bien qu’ils n’en aient que fort peu. M. Reade est resté dans le doute sur le genre de nez qui est le plus apprécié. Une jeune fille ayant déclaré qu’elle ne voulait « pas épouser un homme parce qu’il n’avait pas de nez, » il semble en résulter qu’un nez très-aplati n’est pas admiré. Il faut toutefois se rappeler que les types à nez déprimés très-larges et à mâchoires saillantes des nègres de la côte occidentale, sont exceptionnels parmi les habitants de l’Afrique. Malgré les assertions qui précèdent, M. Reade admet que les nègres « n’aiment pas la couleur de notre peau ; ils ont une grande aversion pour les yeux bleus et ils trouvent notre nez trop long et nos lèvres trop minces ». Il ne pense pas que les nègres préfèrent jamais, « par les seuls motifs d’admiration physique, la plus belle Européenne à une négresse d’une belle venue[68] ».
Un grand nombre de faits démontrent la vérité du principe déjà énoncé par Humboldt[69], que l’homme admire et cherche souvent à exagérer les caractères quelconques qui lui ont été départis par la nature. L’usage des races imberbes d’extirper toute trace de poils sur le visage et généralement sur tout le corps en est un exemple. Beaucoup de peuples anciens et modernes ont fortement modifié la forme du crâne, et il est assez probable qu’ils ont, surtout dans l’Amérique du Nord et du Sud, pratiqué cet usage pour exagérer quelque particularité naturelle et recherchée. Beaucoup d’Indiens américains admirent une tête assez aplatie pour nous paraître semblable à celle d’un idiot. Les indigènes de la côte nord-ouest compriment la tête pour lui donner la forme d’un cône pointu. En outre, ils ramènent constamment leurs cheveux pour en former un nœud au sommet de la tête, dans le but, comme le fait remarquer le docteur Wilson, » d’accroître l’élévation apparente de la forme conoïde, qu’ils affectionnent. » Les habitants d’Arakhan admirent « un front large et lisse, et, pour le produire, attachent une lame de plomb sur la tête des enfants nouveau-nés. » D’autre part, « un occiput large et bien arrondi est considéré comme une grande beauté chez les indigènes des îles Fidji[70] ».
Il en est du nez comme du crâne. À l’époque d’Attila, les Huns avaient l’habitude d’aplatir, au moyen de bandages, le nez de leurs enfants « afin d’exagérer une conformation naturelle. » À Tahiti, la qualification de nez long est une insulte, et, en vue de la beauté, les Tahitiens compriment le nez et le front de leurs enfants. Il en est de même chez les Malais de Sumatra, chez les Hottentots, chez certains nègres et chez les naturels du Brésil[71]. Les Chinois ont naturellement les pieds fort petits[72], et on sait que les femmes des classes élevées déforment leurs pieds pour en réduire encore les dimensions. Enfin Humboldt croit que les Indiens de l’Amérique aiment à se colorer le corps avec un vernis rouge pour exagérer leur teinte naturelle, comme les femmes européennes ont souvent cherché à augmenter leurs couleurs déjà vives par l’emploi de cosmétiques rouges et blancs. Je doute pourtant que telle ait été l’intention de beaucoup de peuples barbares en se couvrant de peintures.
Nous pouvons observer exactement le même principe et les mêmes tendances vers le désir de tout exagérer à l’extrême, dans nos propres modes, qui manifestent ainsi le même esprit d’émulation. Mais les modes des sauvages sont bien plus permanentes que les nôtres, ce qui devient nécessaire lorsqu’elles ont artificiellement modifié le corps. Les femmes arabes du Nil supérieur mettent environ trois jours à se coiffer ; elles n’imitent jamais les femmes d’autres tribus, « mais rivalisent entre elles pour la perfection de leur propre coiffure. » Le docteur Wilson, parlant des crânes comprimés de diverses races américaines, ajoute : « De tels usages sont de ceux qu’on peut le moins déraciner ; ils survivent longtemps au choc des révolutions qui changent les dynasties, et à des particularités nationales d’une bien autre importance[73]. » Ce même principe joue un grand rôle dans l’art de la sélection et nous fait comprendre, ainsi que je l’ai expliqué ailleurs[74], le développement étonnant de toutes les races d’animaux et de plantes qu’on élève dans un but unique de fantaisie et de luxe. Les amateurs désirent toujours que chaque caractère soit quelque peu exagéré ; ils ne font aucun cas d’un type moyen : ils ne cherchent pas non plus un changement brusque et très-prononcé dans le caractère de leurs races ; ils n’admirent que ce qu’ils sont habitués à contempler, tout en désirant ardemment voir toujours chaque trait caractéristique se développer de plus en plus.
Les facultés perceptives de l’homme et des animaux sont certainement constituées de manière que les couleurs brillantes et certaines formes, aussi bien que les sons rythmiques et harmonieux, leur procurent du plaisir et soient considérées comme choses belles ; mais nous ne savons pas pourquoi il en est ainsi. Il n’existe dans l’esprit de l’homme aucun type universel de beauté en ce qui concerne le corps humain. Il est toutefois possible, mais je n’ai aucune preuve, que certains goûts puissent, avec le temps, être transmis par hérédité. Dans ce cas chaque race posséderait son type idéal inné de beauté. On a soutenu[75] que la laideur consiste en un rapprochement vers la conformation des animaux inférieurs, ce qui est sans doute vrai pour les nations civilisées, où l’intelligence est hautement appréciée ; mais cette explication ne peut évidemment pas s’appliquer à toutes les formes de la laideur. Dans chaque race, l’homme préfère ce qu’il a l’habitude de voir, il n’admet pas de grands changements ; mais il aime la variété, et apprécie tout trait caractéristique nettement tranché sans être trop exagéré[76]. Les hommes accoutumés à une figure ovale, à des traits réguliers et droits, et aux couleurs vives, admirent, comme nous Européens, ces points, lorsqu’ils sont bien développés. D’autre part, les hommes habitués à un visage large, à pommettes saillantes, au nez déprimé, et à la peau noire, admirent ces caractères lorsqu’ils sont fortement accusés. Les caractères de toute espèce peuvent sans doute facilement dépasser les limites exigées pour la beauté. Une beauté parfaite, impliquant des modifications particulières d’un grand nombre de caractères, sera donc dans toute race un prodige. Comme l’a dit, il y a longtemps, le grand anatomiste Bichat, si tous les êtres étaient coulés dans le même moule, la beauté n’existerait plus. Si toutes nos femmes devenaient aussi belles que la Vénus de Médicis, nous serions pendant quelque temps sous le charme, mais nous désirerions bientôt de la variété, et, dès qu’elle serait réalisée, nous voudrions voir certains caractères s’exagérer un peu au-delà du type commun.
- ↑ Schaaffhausen, traduit dans Anthrop. Review, p. 419, 420, 427, Oct. 1868.
- ↑ The Heart of Africa, vol. I, p. 5, 44.
- ↑ Ecker, trad. dans Anthrop. Review, p. 351-356, Oct. 1868. Welcker a étudié avec soin la comparaison de la forme du crâne chez l’homme et chez la femme.
- ↑ Ecker et Welcker, o. c., p. 352, 353. Vogt, Leçons sur l’homme, p. 98. trad française.
- ↑ Schaaffhausen. Anthrop. Review, p. 429.
- ↑ Pruner-Bey, sur les enfants nègres, cité par Vogt, Leçons sur l’homme, trad. française, 1865). Pour plus de détails cités par Winterbottom et Camper, voir aussi Lawrence, Lectures on Physiology, etc., p. 451, 1822. Pour les enfants des Guaranys, Rengger, Saügethiere, etc., p. 3. Godron, De l’espèce. II, p. 253, 1859. Sur les Australiens, Waitz, Introd. to Anthropology (trad. anglaise, p. 99, 1863).
- ↑ Rengger, o. c., p. 49, 1830.
- ↑ Comme chez le Macacus cynomolgus (Desmarest, Mammalogie, p. 65) et l’Hylobates agilis (Geoffroy Saint-Hilaire et F. Cuvier, Hist. nat. des Mamm., I p. 2, 1824).
- ↑ Anthropological Review, p. 353, Oct. 1868.
- ↑ M. Blyth m’informe qu’il ne connaît qu’un seul cas où la barbe, les favoris, etc., d’un singe soient devenus blancs dans la vieillesse, comme cela est si commun chez nous. Cela est cependant arrivé à un vieux Macacus cynomolgus captif, qui portait des moustaches remarquablement longues et semblables à celles d’un homme. Ce vieux singe ressemblait, en somme, comiquement à un des monarques régnant alors en Europe ; aussi lui avait-on donné son nom. Les cheveux grisonnent à peine chez certaines races humaines ; ainsi M. D. Forbes m’apprend, par exemple, qu’il n’a jamais vu un seul cas de cheveux blancs chez les Aymaras et chez les Quichuas de l’Amérique du Sud.
- ↑ C’est le cas pour les femelles de plusieurs espèces de Hylobates ; Geoffroy Saint-Hilaire et F. Cuvier, Hist. nat. des Mamm., t. I, voir sur H. lar., Penny Encycl., II, p. 149, 150.
- ↑ Les résultats ont été calculés par le docteur Weisbach d’après les mesurages faits par les docteurs K. Scherzer et Schwarz, Reise der Novara, Anthropol. Theil, p. 216, 231, 234, 236, 239, 209, 1867.
- ↑ Voyage à Saint-Kilda (3e édit., 1753, p. 37).
- ↑ Sir J. E. Tennent, Ceylan, II, p. 107, 1859.
- ↑ Quatrefages, Revue des Cours scientifiques, p. 630, 1860. Vogt, Leçons sur l’homme, p. 164 (trad. française).
- ↑ Sur la barbe des nègres, Vogt, o. c., p. 164 ; Waitz, Introd. to Anthropology (trad. anglaise, I, p. 96, 1863). Il est à remarquer qu’aux États-Unis (Investigations in Military and Anthropological statistics of American soldiers. p. 569, 1869), les nègres purs ainsi que leur progéniture métis paraissent avoir le corps presque aussi velu que les Européens.
- ↑ Wallace, The Malay Archipelago, II, p. 178, 1869.
- ↑ Docteur J. Barnard Davis, sur les races océaniques ; Antrop. Review, p. 185. 191, Avril 1870.
- ↑ Catlin, North American Indians, 3e édit., II, p. 227, 1842. Sur les Guaranys, Azara, Voyage dans l’Amér. Mérid., II, p ; 58, 1809 ; Rengger, Säugethiere, etc., p. 3.
- ↑ Le professeur et madame Agassiz (Journey in Brazil, p. 530) ont remarqué moins de différences entre les sexes des Indiens américains, qu’entre ceux des nègres et des races plus élevées. Voir aussi Rengger, o. c., sur les Guaranys, p. 3.
- ↑ Rütimeyer, Die Grenzen der Thierwell (Considérations sur la loi de Darwin), etc., 1868, p. 64
- ↑ A Journey from Prince of Wales fort, in-8. Édition de Dublin, 1796, 104. Sir J. Lubbock (Origin of Civilisation, p. 69, 1870) cite d’autres exemples semblables dans l’Amérique du Nord. Pour les Ouanas de l’Amérique du Sud, voir Azara, o. c., II, p. 94.
- ↑ Sur les combats des Gorilles mâles, docteur Savage, Boston Journal of Nat. Hist., V, p. 423,.1847 ; sur Presbytis entellus, voir Indian Field, p. 146, 1859.
- ↑ J. Stuart Mill (The Subjection of Women, p. 122, 1869) remarque « que les choses dans lesquelles l’homme excelle le plus sur les femmes sont celles qui exigent le travail le plus laborieux et la longue étude de pensées isolées. » Qu’est-ce que cela, sinon de l’énergie et de la persévérance ?
- ↑ Maudsley, Mind and body, p. 31.
- ↑ Il y a une observation de Vogt qui a trait à ce sujet : « C’est que la différence qui existe entre les deux sexes, relativement à la capacité crânienne, augmente avec la perfection de la race, de sorte que l’Européen s’élève plus au-dessus de l’Européenne, que le nègre au-dessus de la négresse. Welcker a trouvé la confirmation de cette proposition émise par Huschke, dans les mesures qu’il a relevées sur les crânes allemands et nègres. » (Leçons sur l’Homme, p. 99, trad. française). Mais Vogt admet que ce point exige encore des observations.
- ↑ Owen, Anat. of Vertebrates, III, p. 603.
- ↑ Journ. of Anthrop. Soc., p. LVII et LXVI, Avril 1869.
- ↑ Docteur Scudder, Notes on Stridulation, dans Proc. Boston Soc. of Nat. Hist. XI, Avril 1868.
- ↑ Donné dans W. C. L. Martin, General Introd. to Nat. Hist. of Mamm. Animals, p. 432, 1841 ; Owen, Anatomy of Vertebrates, III, p. 600.
- ↑ The American Naturalist, 1871, p. 761.
- ↑ Helmholtz, Théorie phys. de la Musique, p. 187, 1868.
- ↑ Plusieurs faits ont été publiés sur ce sujet. M. Peach m’écrit qu’il a souvent remarqué qu’un de ses vieux chiens hurlait quand la flûte donnait le si bémol, mais à cette note seulement. Je puis ajouter qu’un autre chien gémissait quand il entendait une note fausse dans un concerto.
- ↑ M. R. Brown, Proc. Zool. Soc., p. 410, 1868.
- ↑ Journal of Anthrop. Soc., p. clv, Oct. 1870. Voir les derniers chapitres de Prehistoric Times de Sir J. Lubbock, 2e édit. 1869, qui contient une description remarquable des habitudes des sauvages.
- ↑ Depuis l’impression de ce chapitre j’ai lu un article remarquable de M. Chauncey Wright (North American Review, p. 293, Oct. 1870), qui, discutant le sujet en question, remarque : « Il y a beaucoup de conséquences des lois finales ou des uniformités de la nature par lesquelles l’acquisition d’une puissance utile amènera avec elle beaucoup d’avantages ainsi que d’inconvénients actuels ou possibles qui la limitent, et que le principe d’utilité n’aura pas compris dans son action. » Ce principe a une portée considérable, ainsi que j’ai cherché à le démontrer dans l’un des premiers chapitres de cet ouvrage, sur l’acquisition qu’a faite l’homme de quelques-unes de ses facultés mentales.
- ↑ Voir l’intéressante discussion sur l’Origine et la fonction de la musique, par M. Herbert Spencer, dans ses Essays, p. 359, 1858, dans laquelle l’auteur arrive à une supposition exactement contraire à la mienne. Il conclut, comme autrefois Diderot, que les cadences employées dans un langage ému fournissent la base d’après laquelle la musique s’est développée, tandis que je conclus que les notes musicales et le rythme ont été en premier lieu acquis par les ancêtres mâles ou femelles de l’espèce humaine pour charmer le sexe opposé. Des tons musicaux, s’associant ainsi fixement à quelques-uns des sentiments passionnés les plus énergiques que l’animal puisse ressentir, sont donc émis instinctivement ou par association, lorsque le langage a de fortes émotions à exprimer. Pas plus que moi, M. Spencer ne peut expliquer, d’une façon satisfaisante, pourquoi les notes hautes ou basses servent à exprimer certaines émotions, tant chez l’homme que chez les animaux inférieurs. M. Spencer ajoute une discussion intéressante sur les rapports entre la poésie, le récitatif et le chant.
- ↑ Rengger, o. c., 49.
- ↑ Winwood Reade, The Martyrdom of man, 1872, p. 441, et African Sketch Book, 1873, vol. II, p. 313.
- ↑ Je trouve dans Lord Monboddo, Origin of Langage, vol. I (1774), p. 469, que le docteur Blacklock pensait également que le premier langage de l’homme avait été la musique, et qu’avant que nos idées fussent exprimées par des sons articulés, elles l’avaient été par des sons inarticulés graves ou aigus selon la circonstance.
- ↑ Voy. une discussion intéressante sur ce sujet dans Hackel, (Generrelle Morphologie, vol II, p. 246, 1866.
- ↑ Le professeur Mantegazza, voyageur italien, donne une description excellente de la manière dont, dans toutes les parties du globe, les sauvages se décorent, dans « Rio de la Plata, Viaggi e Studi, 1867, pp. 525-545, » et c’est à cet ouvrage que nous avons emprunté les documents suivants, lorsque nous n’indiquons pas une autre origine. Voy. Waitz, Introd. to Anthropology, vol. I, p. 275, 1863 (trad. anglaise). Laurence, Lectures on Physiology, 1822, entre dans de grands détails. Depuis que j’ai écrit ce chapitre, Sir J. Lubbock a publié son Origin of Civilisation, 1870, contenant un intéressant chapitre sur le présent sujet ; je lui ai emprunté quelques faits (pp. 42, 48) sur l’habitude qu’ont les sauvages de teindre leurs cheveux et leurs dents et de percer celles-ci.
- ↑ Humboldt, Personal Narrative (trad. angl.), IV, p. 515 ; sur l’imagination déployée dans la peinture du corps, p. 522 ; sur les modifications dans la forme du mollet, p. 466.
- ↑ The Nile Tributaries, 1867 ; The Albert N’yanza, vol. I, p. 218, 1866.
- ↑ Cité par Prichard, Phys. Hist. of Mankind, 4e éd., vol. I, p. 321, 1851.
- ↑ Sur les Papous, Wallace, Malay Archipelago, vol. II, p. 445. Sur la coiffure des Africains, Sir S. Baker, The Albert N’yanza, vol. I, p. 210.
- ↑ Travels, etc., p. 533.
- ↑ The Albert X’yanza, vol. I, p. 217, 1866.
- ↑ Livingstone, British Association, 1860 ; rapport donné dans l’Atheneum, July 1860, p. 29.
- ↑ Sir S. Baker (o. c., I, 210), parlant des indigènes de l’Afrique centrale, dit que chaque tribu a sa mode distincte et invariable pour l’arrangement des cheveux. Voir, sur l’invariabilité du tatouage des Indiens de l’Amazone, Agassiz, Journey in Brazil, p. 318, 1868).
- ↑ Rev. R. Taylor, New Zealand and its Inhabitants, p. 152, 1855.
- ↑ Mantegazza, Viaggi e Studi, p. 542.
- ↑ Travels in S. Africa, vol. I, p. 414, 1824.
- ↑ Voir Gerland, Ueber das Aussterben der Naturvölker, p. 51, 53, 55, 1868 ; Azara, Voyage, etc., II, p. 116.
- ↑ Sur les Productions végétales employées par les Indiens de l’Amérique du Nord-Ouest, Pharmaceutical Journal, X.
- ↑ A Journey from Prince of Wales Fort, p. 89, 1796.
- ↑ Cité par Prichard, Phys. Hist. of Mankind, 3e éd., IV, p. 519, 1844. Vogt, Leçons sur l’homme, p. 166 (trad. française). L’opinion des Chinois sur les Cingalais, E. Tennent, Ceylan, II, p. 107, 1859.
- ↑ Prichard, emprunté à Crawford et Finlayson, Phys. Hist of Mankind, IV, p. 534, 535.
- ↑ « Idem illustrissimus viator dixit mihi præcinctorium vel tabulam feminæ, quod nobis teterrimum est, quondara permagno æstimari ab hominibus in hæc gente. Nunc res mutata est, et censent talem conformationem minime optandam esse »
- ↑ Anthrop. Review, p. 237, Nov. 1864. Waitz, Introd. to Anthropology, vol. I, p. 105, 1863 (trad. anglaise).
- ↑ Mungo Park, Travels in Africa, p. 53, 131, 1816. L’assertion de Burton est citée par Schaffhausen, Archiv für Anthropolog., 1866, p. 163. Sur les Banyai, Livingstone, Travels, p. 64. Sur les Cafres, le Rev. J. Shooter, The Kafirs and the Zulu country, vol. I, 1857.
- ↑ Pour les Javanais et les Cochinchinois, Waitz, o. c., vol. I. P. 305. Sur les Yura-caras, A. d’Orbigny cité par Prichard dans Phys. Hist., etc., V, p. 476, 3e édit.
- ↑ North American Indians, par G. Catlin, vol. I, p. 49 ; p. 227, 3e édit., 1842. Sur les naturels de l’île Vancouver, voy. Sproat, Scenes and Studies of Savage life, p. 25, 1868. Sur les Indiens du Paraguay, Azara, Voyages, etc., vol. II, p. 105.
- ↑ Sur les Siamois, Prichard, o. c., IV, p. 533. Japonais, Veitch, dans Gardner’s Chronicle, p. 1104, 1860. Nouveaux-Zélandais, Mantegazza, Viaggi, etc., p. 526, 1867. Pour les autres nations voir les références dans Lawrence, Lectures on Physiology, etc., p. 272, 1822.
- ↑ Lubbock, Origin., etc., p. 321, 1870.
- ↑ Le docteur Barnard Davis cite Prichard et d’autres pour ce qui est relatif aux Polynésiens, dans Anthrop. Review, p. 185, 191, 1870.
- ↑ Ch. Comte fait quelques remarques sur ce sujet dans son Traité de Législation, p. 136, 3e édit., 1837.
- ↑ « The Africain Sketch book », vol. II, 1873, pp. 253, 394, 521. « Les Fuégiens, me dit un missionnaire qui a longtemps résidé chez eux, regardent les femmes européennes comme fort belles » ; mais, d’après ce que j’ai vu du jugement d’autres indigènes américains, il me semble que cela doit être erroné, à moins qu’il ne s’agisse de quelques Fuégiens qui, ayant vécu pendant quelque temps avec des Européens, doivent les considérer comme des êtres supérieurs. J’ajouterai qu’un observateur expérimenté, le cap. Burton, croit qu’une femme que nous considérons comme belle est admirée dans le monde entier. Anthrop. Review, p. 245, March, 1864.
- ↑ Personal Narrative, IV, p. 518 (trad. ang.). Mantegazza, Viaggi e Studi, 1867, insiste fortement sur ce même principe.
- ↑ Sur les crânes des tribus américaines, Nott et Gliddon, Types of Mankind, p. 440, 1854 ; Prichard, o. c., I, p. 321 ; sur les naturels d’Arakhan, ib., IV. p. 537 ; Wilson, Physical Ethnology, Smithsonian Inst., p. 288, 1863 ; sur les Fidjiens, p. 290, Sir J. Luddock (Prehistoric Times, 2e éd., p. 506, 1869) donne un excellent résumé sur ce sujet.
- ↑ Sur les Huns, Godron, De l’Espèce, vol. II, p. 300, 1839. Sur les Taïtiens, Waitz, Anthropologie, vol. I, p. 303 (tr. angl.) ; Marsden cité dans Prichard. o. c., v, p. 67 ; Lawrence, o. c., p 337.
- ↑ Ce fait a été vérifié dans le voyage de la Novara ; partie anthropologique : docteur Weisbach, p. 265, 1867.
- ↑ Smithsonian Institution, p. 289, 1863. Sur les modes des femmes arabes, Sir S. Baker, The Nile Tributaries, p. 121. 1867.
- ↑ La Variation des Animaux et des Plantes, etc., vol. I, p. 214 ; vol. II, p. 240.
- ↑ Schaaffhausen, Archiv für Anthropologie, p. 164, 1866.
- ↑ M. Bain a recueilli (Mental and Moral Science, p. 304-314, 1868, environ une douzaine de théories plus ou moins différentes sur l’idée de beauté ; mais aucune n’est identique avec celle donnée ici.