La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/20


CHAPITRE XX


CARACTÈRES SEXUELS SECONDAIRES CHEZ L’HOMME (SUITE)


Sur les effets de la sélection continue des femmes d’après un type de beauté différent pour chaque race. — Causes qui, chez les nations civilisées et chez les sauvages, interviennent dans la sélection sexuelle. — Conditions favorables à celle-ci pendant les temps primitifs. — Mode d’action de la sélection sexuelle dans l’espèce humaine. — Sur la possibilité qu’ont les femmes de choisir leurs maris dans les tribus sauvages. — Absence de poils sur le corps, et le développement de la barbe. — Couleur de la peau. — Résumé.


Nous venons de voir, dans le chapitre précédent, que toutes les races barbares apprécient hautement les ornements, les vêtements et l’apparence extérieure, et que les hommes apprécient la beauté des femmes en se plaçant à des points de vue très-différents. Nous avons maintenant à rechercher si cette préférence pour les femmes que les hommes, dans chaque race, considèrent comme les plus attrayantes, et la sélection continue qui en a été la conséquence, pendant de nombreuses générations, ont modifié les caractères des femmes seules, ou ceux des deux sexes. La règle générale chez les mammifères paraît être l’égale hérédité des caractères de tous genres par les mâles et par les femelles ; nous sommes donc autorisés à penser que, dans l’espèce humaine, tous les caractères acquis par les femmes en vertu de l’action de la sélection sexuelle, ont dû ordinairement se transmettre aux descendants des deux sexes. Si ce principe a amené des modifications, il est presque certain que les diverses races ont dû se modifier d’une façon différente, car chacune a son type propre de beauté.

Dans l’espèce humaine, surtout chez les sauvages, de nombreuses causes viennent s’immiscer dans les effets de la sélection sexuelle, en ce qui concerne l’ensemble du corps. Chez les peuples civilisés, les charmes intellectuels des femmes, leur fortune et surtout leur position sociale exercent une influence considérable sur l’esprit des hommes ; car ceux-ci choisissent rarement une compagne dans un rang de beaucoup inférieur à celui qu’ils occupent eux-mêmes. Les hommes qui réussissent à épouser les femmes les plus belles, n’ont pas une meilleure chance que ceux qui ont une femme moins belle, de laisser une longue lignée de descendants, à l’exception du petit nombre de ceux qui lèguent leur fortune selon la primogéniture. Quant à la forme contraire de la sélection, celle des hommes les plus beaux par les femmes, bien que, dans les pays civilisés, celles-ci aient le choix libre ou à peu près, ce qui n’est pas le cas chez les races sauvages, ce choix est cependant considérablement influencé par la position sociale et par la fortune de l’homme ; or, le succès de ce dernier dans la vie dépend beaucoup de ses facultés intellectuelles et de son énergie, ou des fruits que ces mêmes facultés ont produits chez ses aïeux. Il est inutile d’invoquer une excuse pour traiter ce sujet avec quelques détails ; comme le fait si bien remarquer le philosophe allemand Schopenhauer, « le but de toutes les intrigues d’amour, que ce résultat soit comique ou tragique, a réellement plus d’importance que tous les desseins que peut se proposer l’homme. En effet, il ne s’agit de rien moins que de la composition de la génération suivante… il ne s’agit pas ici du bonheur ou du malheur d’un individu, mais c’est le bonheur ou le malheur de la race humaine qui est en jeu[1]. »

Il y a toutefois des raisons de croire que la sélection sexuelle a produit quelques résultats au point de vue de la modification de la forme du corps, chez certaines nations civilisées ou à demi civilisées. Beaucoup de personnes ont la conviction, qui me paraît juste, que les membres de notre aristocratie, en comprenant sous ce terme toutes les familles opulentes chez lesquelles la primogéniture a longtemps prévalu, sont devenus plus beaux selon le type européen admis, que les membres des classes moyennes, par le fait qu’ils ont, pendant de nombreuses générations, choisi dans toutes les classes les femmes les plus belles pour les épouser ; les classes moyennes, cependant, se trouvent placées dans des conditions également favorables pour un parfait développement du corps. Cook fait la remarque que la supériorité de l’apparence personnelle « qu’on observe chez les nobles de toutes les autres îles du Pacifique se retrouve dans les îles Sandwich ; » ce qui peut principalement provenir d’une meilleure nourriture et d’un genre de vie moins rude.

L’ancien voyageur Chardin, décrivant les Persans, dit que « leur sang s’est considérablement amélioré par suite de fréquents mélanges avec les Géorgiens et les Circassiens, deux peuples qui l’emportent sur tous ceux de l’univers par leur beauté personnelle. Il y a en Perse peu d’hommes d’un rang élevé qui ne soient nés d’une mère géorgienne ou circassienne. » Il ajoute qu’ils héritent de la beauté de leurs mères, et non de leurs ancêtres ; car, sans le mélange en question, les Persans de distinction, qui descendent des Tartares, sont fort laids[2]. Voici un cas plus curieux : les prêtresses attachées au temple de Vénus Erycina à San Giuliano, en Sicile, étaient choisies dans toute la Grèce entre les plus belles femmes ; n’étant pas assujetties aux mêmes obligations que les vestales, il en est résulté, suivant de Quatrefages[3], qu’aujourd’hui encore les femmes de San Giuliano sont célèbres comme les plus belles de l’île et recherchées comme modèles par les artistes. Les preuves cependant sont évidemment douteuses dans les deux cas que nous venons de citer.

Le cas suivant, bien qu’ayant trait à des sauvages, mérite d’être rapporté comme très-curieux. M. Winwood Reade m’apprend que les Jollofs, tribu nègre de la côte occidentale d’Afrique, « sont remarquables par leur beauté. » Un des amis de M. W. Reade ayant demandé à l’un de ces nègres : « Comment se fait-il que vous ayez tous si bonne façon, non seulement vos hommes, mais aussi vos femmes ? » Le Jollof répondit : « C’est facile à comprendre : nous avons toujours eu l’habitude de vendre nos esclaves les plus laides. » Il est inutile d’ajouter que, chez tous les sauvages, les femmes esclaves servent de concubines. Que ce nègre ait, à tort ou à raison, attribué la belle apparence des hommes de sa tribu à une élimination longtemps continuée des femmes laides, n’est pas si étonnant que cela peut paraître tout d’abord, car j’ai prouvé ailleurs[4] que les nègres apprécient pleinement l’importance de la sélection dans l’élevage de leurs animaux domestiques, fait pour lequel je pourrais emprunter à M. Reade de nouvelles preuves.


Sur les causes qui empêchent et limitent l’action de la sélection sexuelle chez les sauvages. — Les causes principales sont : premièrement, la promiscuité ; secondement, l’infanticide, surtout du sexe féminin ; troisièmement, les fiançailles précoces ; enfin, le peu de cas qu’on fait des femmes, qui sont considérées comme de simples esclaves. Ces quatre points méritent d’être examinés avec quelques détails.

Si l’accouplement de l’homme ou de tout autre animal est une simple affaire de hasard, sans que l’un des deux sexes fasse un choix, il est évident que la sélection sexuelle ne peut intervenir ; la réussite plus complète de certains individus ne produira aucun effet sur la descendance. On assure qu’il existe des tribus qui pratiquent ce que Sir J. Lubbock appelle des mariages en commun ; c’est-à-dire que tous les hommes et toutes les femmes de la tribu sont réciproquement maris et femmes vis-à-vis les uns des autres. Le dérèglement est très-grand chez les sauvages, et pourtant de nouvelles preuves seraient nécessaires avant d’admettre cette promiscuité absolue dans les relations des deux sexes. Néanmoins, tous les auteurs qui ont étudié de près le sujet[5], et dont les appréciations ont plus de valeur que les miennes, croient que le mariage en commun (cette expression s’entend de deux ou trois façons différentes), que ce mariage en commun donc, y compris même le mariage entre frères et sœurs, a dû être la forme primitive et universelle dans le monde entier.

Feu A. Smith, qui a beaucoup voyagé dans l’Afrique australe et qui a longuement étudié les mœurs des sauvages en Afrique et autre part, m’a affirmé qu’il n’existe aucune race chez laquelle la femme soit considérée comme la propriété de la communauté. Je crois que son jugement a été largement influencé par la signification qu’il donne au terme mariage. Dans toute la discussion suivante, j’attribue à ce terme le sens qu’implique le mot monogame, attribué par un naturaliste aux animaux, c’est-à-dire, que le mâle est accepté par une seule femelle, ou choisit une seule femelle et vit avec elle, soit seulement pendant l’élevage des jeunes, soit pendant toute l’année, s’assurant cette possession par la loi de la force ; ou le mot polygame, c’est-à-dire que le mâle vit avec plusieurs femelles. Nous n’avons à nous occuper ici que de cette seule espèce de mariage, car elle suffit pour évoquer l’action de la sélection naturelle. La plupart des écrivains que j’ai cités plus haut attribuent au contraire au terme mariage l’idée d’un droit reconnu et protégé par la tribu.

Les preuves indirectes qui viennent à l’appui de l’hypothèse du mariage en commun sont très-fortes, et reposent surtout sur les termes exprimant les rapports de parenté employés par les membres d’une même tribu ; ces termes impliquent parenté avec la tribu seule, et non avec des parents distincts. Ce sujet est trop étendu et trop compliqué pour que je puisse même en donner ici un aperçu ; je me bornerai donc à présenter quelques observations. Il est évident que, dans le cas des mariages en commun, ou de ceux où le lien conjugal est très-relâché, la parenté de l’enfant vis-à-vis de son père reste inconnue. Mais il est presque impossible que la parenté de l’enfant avec sa mère puisse jamais avoir été ignorée complètement, d’autant plus que, dans la plupart des tribus sauvages, les femmes nourrissent très-longtemps leurs enfants ; aussi, dans beaucoup de cas, les lignes de descendance ne se tracent que par la mère seule, à l’exclusion du père. Cependant, dans d’autres cas, les termes employés expriment une parenté avec la tribu seule, à l’exclusion même de la mère. L’aide et la protection réciproques si nécessaires pour les individus d’une même tribu sauvage, exposée à toutes sortes de dangers, ont pu donner une plus grande force, une importance beaucoup plus grande, à l’union à la parenté entre ces différents individus qu’à l’union même entre la mère et l’enfant : de là sans doute ces termes de parenté qui expriment les rapports de chacun avec la tribu. M. Morgan ne trouve cette explication nullement suffisante.

D’après cet auteur, on peut grouper les termes exprimant, dans toutes les parties du monde, les rapports de parenté, en deux classes : l’une classificatoire, l’autre descriptive ; c’est cette dernière que nous employons. Le système classificateur conduit à la conclusion que les mariages en commun, ou de formes très-relâchées, étaient à l’origine universels. Mais, il n’en résulte pas la nécessité de croire à des rapports de promiscuité absolue, et je suis heureux de voir que Sir J. Lubbock partage cette opinion. Dans le cas d’unions rigoureuses, en vue de la naissance de l’enfant, mais temporaires, à la manière de grand nombre d’animaux inférieurs, il a pu s’introduire dans les termes exprimant la parenté presque autant de confusion que si l’on admet la promiscuité absolue. En ce qui concerne la sélection sexuelle, il suffit que le choix soit exercé avant l’union des parents, et il importe peu que les unions durent toute la vie ou une seule saison.

Outre les preuves tirées des termes de parenté, d’autres raisons viennent indiquer que le mariage en commun a eu autrefois la prépondérance. Sir J. Lubbock[6] explique l’habitude étrange et si répandue de l’exogamie, — c’est-à-dire que les hommes d’une tribu prennent toujours leurs femmes dans une autre tribu, — en supposant que le communisme a été la forme primitive du mariage. L’homme, selon Sir J. Lubbock, ne pouvait avoir de femme à lui seul à moins de l’enlever à une tribu voisine et hostile ; elle devenait naturellement alors sa propriété particulière. Le rapt des femmes a pu naître ainsi, et devenir ultérieurement une habitude universelle, en raison de l’honneur qu’il procurait. Cette hypothèse nous permet aussi, d’après Sir J. Lubbock, de comprendre « la nécessité d’une expiation pour le mariage, lequel était une infraction aux règles de la tribu, puisque, selon les idées anciennes, un homme n’avait aucun droit à s’approprier ce qui appartenait à la tribu entière. » Sir J. Lubbock ajoute un ensemble de faits des plus curieux, prouvant que, dans les temps anciens, on honorait hautement les femmes les plus licencieuses, ce que, comme il l’explique, l’on ne comprend, qu’en admettant que la promiscuité a été une coutume primitive, et par conséquent une coutume respectée depuis longtemps par la tribu[7].

Bien que le mode de développement du lien conjugal soit un sujet obscur, comme semble le prouver la divergence, sur divers points, des opinions des trois auteurs qui ont étudié ce sujet avec le plus de soin, MM. Morgan, Mc Lennan, et Sir J. Lubbock, il paraît cependant résulter de diverses séries de preuves que l’habitude du mariage ne s’est développée que graduellement, et que la promiscuité était autrefois très-commune dans le monde[8]. Néanmoins, à en juger par l’analogie avec les animaux, et surtout avec ceux qui, dans la série, sont les plus voisins de l’homme, je ne puis croire que la promiscuité absolue ait prévalu à une époque extrêmement reculée peu avant que l’homme ait atteint son rang actuel dans l’échelle zoologique. L’homme, comme j’ai cherché à le démontrer, descend certainement de quelque être simien. Autant que les habitudes des Quadrumanes nous sont connues, les mâles de quelques espèces sont monogames, mais ne vivent avec les femelles qu’une partie de l’année, ce qui paraît être le cas de l’Orang. D’autres espèces, plusieurs singes indiens et américains, par exemple, sont strictement monogames et vivent l’année entière avec leur femelle. D’autres sont polygames comme le Gorille et plusieurs espèces américaines, et chaque famille vit à part. Même dans ce cas, les familles qui habitent le même district ont probablement quelques rapports sociaux ; on rencontre quelquefois, par exemple, de grandes troupes de Chimpanzés. D’autres espèces sont polygames, et plusieurs mâles, ayant chacun leurs femelles, vivent associés en tribus ; c’est le cas de plusieurs espèces de Babouins[9]. Nous pouvons même conclure de ce que nous savons de la jalousie de tous les mammifères mâles, qui sont presque tous armés de façon à pouvoir lutter avec leurs rivaux, qu’à l’état de nature la promiscuité est chose extrêmement improbable. Il se peut que l’accouplement ne se fasse pas pour la vie entière, mais seulement pour le temps d’une portée ; cependant si les mâles les plus forts et les plus capables de protéger ou d’assister leurs femelles et leurs petits, choisissent les femelles les plus attrayantes, ceci suffit pour déterminer l’action de la sélection sexuelle.

Par conséquent, si nous remontons assez haut dans le cours des temps, et à en juger par les habitudes sociales de l’homme actuel, l’opinion la plus probable est que l’homme primitif a originellement vécu en petites communautés, chaque mâle avec une seule femme, et, s’il était puissant et fort, avec plusieurs femmes qu’il devait défendre avec jalousie contre tout autre homme. Ou bien, l’homme n’était pas un animal sociable et il peut avoir vécu seul avec plusieurs femmes, comme le Gorille, au sujet duquel les indigènes s’accordent à dire « qu’on ne voit jamais qu’un mâle adulte dans la bande, et que lorsqu’un jeune mâle s’est développé, il y a lutte pour le pouvoir ; le plus fort, après avoir tué ou chassé les autres, se met à la tête de la communauté[10]. » Les jeunes mâles, ainsi expulsés et errants, réussissent à la fin à trouver une compagne, ce qui évite ainsi des entre-croisements trop rapprochés dans les limites de la même famille.

Bien que les sauvages soient actuellement très-licencieux et que la promiscuité ait pu autrefois régner sur une vaste échelle, il existe cependant chez quelques tribus certaines formes de mariage, mais de nature bien plus relâchée que chez les nations civilisées. La polygamie est presque toujours habituelle chez les chefs de tribu. Il y a, néanmoins, des peuples qui sont strictement monogames, bien qu’ils occupent le bas de l’échelle. C’est le cas des Veddahs de Ceylan, chez lesquels, d’après Sir J. Lubbock[11], on dit « que la mort seule peut séparer le mari de la femme. » Un chef Kandyan, intelligent et polygame bien entendu, « était fort scandalisé à la pensée qu’on pût vivre avec une seule femme, et qu’on ne s’en séparât qu’à la mort. C’est vouloir, disait-il, ressembler aux singes Ouanderous. » Je ne prétends nullement faire des conjectures sur le point de savoir si les sauvages qui, actuellement, pratiquent le mariage sous une forme quelconque, soit polygame, soit monogame, ont conservé cette habitude depuis les temps primitifs, ou s’ils y sont revenus après avoir passé par une phase de promiscuité.


Infanticide. — L’infanticide est encore très-répandu dans le monde, et nous avons des raisons de croire qu’il a été bien plus largement pratiqué dans les temps anciens[12]. Les sauvages ont beaucoup de difficulté à s’entretenir, eux et leurs enfants ; ils trouvent donc très-simple de tuer ces derniers. Quelques tribus de l’Amérique du Sud avaient détruit tant d’enfants des deux sexes, dit Azara, qu’elles étaient sur le point de s’éteindre. Dans les îles Polynésiennes, il y a des femmes qui ont tué quatre, cinq et même jusqu’à dix de leurs enfants. Ellis n’a pu rencontrer une seule femme qui n’en ait tué au moins un. Partout où l’infanticide se pratique, la lutte pour l’existence devient d’autant moins rigoureuse, et tous les membres de la tribu ont une chance également bonne d’élever quelques enfants qui survivent. Dans la plupart des cas, on détruit un plus grand nombre d’enfants du sexe féminin que du sexe masculin ; ces derniers ont évidemment plus de valeur pour la tribu ; car, une fois adultes, ils peuvent concourir à sa défense, et pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Mais plusieurs observateurs, et les femmes sauvages elles-mêmes, mentionnent, comme autres motifs de l’infanticide, la peine que les mères ont à élever les enfants, la perte de beauté qui en résulte pour elles, la plus grande valeur des enfants et le sort meilleur qui les attend s’ils sont en petit nombre. En Australie, où l’infanticide des filles est encore fréquent, Sir G Grey estime que le nombre des femmes et des hommes indigènes est dans le rapport de un à trois ; d’autres disent de deux à trois. Dans un village situé sur la frontière orientale de l’Inde, le colonel Macculloch n’a pas trouvé un seul enfant du sexe féminin[13].

La coutume de l’infanticide des filles, diminuant le nombre des femmes dans une tribu, a dû naturellement faire naître l’usage d’enlever celles des tribus voisines. Toutefois, Sir J. Lubbock, comme nous l’avons vu, attribue surtout cet usage à l’existence antérieure de la promiscuité, qui poussait les hommes à s’emparer des femmes d’autres tribus afin qu’elles fussent de fait leur propriété exclusive. On peut encore indiquer d’autres causes, ainsi le cas où la communauté était fort peu nombreuse, le manque des femmes à marier. De nombreuses coutumes, des cérémonies curieuses qui se sont conservées, et dont M. Mc Lennan fait un intéressant résumé, prouvent clairement que l’habitude d’enlever les femmes a été autrefois très-répandue, même chez les ancêtres des peuples civilisés. Dans notre cérémonie moderne du mariage, la présence du « garçon d’honneur » semble rappeler le souvenir du complice et principal compagnon du fiancé, alors que celui-ci cherchait à capturer une femme. Or, aussi longtemps que les hommes employèrent la ruse et la violence pour se procurer des femmes, il est peu probable qu’ils aient pris la peine de choisir les plus attrayantes ; ils ont dû se contenter de celles qu’ils pouvaient enlever. Mais dès que s’est établi l’usage de se procurer des femmes dans une autre tribu par voie d’échange, par le trafic, ce qui a encore lieu dans bien des endroits, ce sont les femmes les plus attrayantes qui ont dû de préférence être achetées. Le croisement continuel entre les tribus résultant nécessairement de tout commerce de ce genre aura eu pour conséquence de provoquer et de maintenir une certaine uniformité de caractère chez tous les peuples habitant le même pays, fait qui doit avoir beaucoup diminué l’action de la sélection sexuelle au point de vue de la différenciation des tribus.

La disette de femmes, conséquence de l’infanticide dont les enfants de ce sexe sont l’objet, entraîne à une autre coutume, la polyandrie, qui est encore répandue dans bien des parties du globe, et qui, selon M. Mc Lennan, a universellement prévalu autrefois : conclusion que mettent en doute M. Morgan et Sir J. Lubbock[14]. Lorsque deux ou plusieurs hommes sont obligés d’épouser la même femme, il est certain que toutes les femmes de la tribu sont mariées, et que les hommes ne peuvent pas choisir les femmes les plus attrayantes. Mais il n’est pas douteux que, dans ces circonstances, les femmes de leur côté n’exercent quelque choix, et préfèrent les hommes qui leur plaisent le plus. Azara nous dit, par exemple, avec quelle ténacité marchande une femme Guana, pour avoir toutes sortes de privilèges, avant d’accepter un ou plusieurs maris ; aussi les hommes prennent-ils pour cette raison un soin tout spécial de leur apparence personnelle[15]. Chez les Todas de l’Inde qui pratiquent aussi la polyandrie, les femmes ont le droit d’accepter ou de refuser qui leur plaît. Les hommes très-laids pourraient, dans ce cas, ne jamais obtenir de femme, ou n’en obtenir qu’à une époque fort tardive de la vie ; quant aux plus beaux hommes, quoique réussissant mieux à se procurer une femme, ils n’auraient pas, à ce qu’il nous semble, plus de chance de laisser un plus grand nombre de descendants pour hériter de leur beauté, que les maris moins beaux de ces mêmes femmes.


Fiançailles précoces et esclavage des femmes. — Chez beaucoup de peuples sauvages, il est d’usage de fiancer les femmes lorsqu’elles sont en bas âge, ce qui empêche, des deux côtés, toute préférence motivée sur l’apparence personnelle ; mais cela n’empêche pas les femmes plus attrayantes d’être par la suite enlevées à leurs maris par d’autres hommes plus forts, ce qui arrive souvent en Australie, en Amérique, et dans d’autres parties du globe. L’usage presque exclusif que font de la femme la plupart des sauvages, comme esclave ou comme bête de somme, aurait jusqu’à un certain point les mêmes conséquences, quant à la sélection sexuelle. Toutefois, les hommes doivent toujours choisir les plus belles femmes esclaves d’après leur idée de la beauté.


Nous voyons ainsi qu’il règne chez les sauvages plusieurs coutumes qui peuvent considérablement diminuer ou même arrêter complètement l’action de la sélection sexuelle. D’autre part, les conditions de la vie des sauvages et quelques-unes de leurs habitudes sont favorables à la sélection naturelle, qui entre toujours en jeu avec la sélection sexuelle. Ils souffrent souvent de famines rigoureuses ; ils n’augmentent pas leurs aliments par des moyens artificiels ; ils s’abstiennent rarement du mariage[16] et se marient ordinairement jeunes. Ils sont, par conséquent, souvent soumis à des luttes très-rigoureuses pour l’existence, luttes auxquelles ne peuvent résister et survivre que les individus les plus favorisés.

À une époque très-reculée, avant que l’homme eût atteint sur l’échelle des êtres la position qu’il occupe aujourd’hui, les conditions de son existence devaient être très-différentes de ce qu’elles sont à présent. À en juger par analogie avec les animaux inférieurs, il vivait avec une seule femme ou pratiquait la polygamie. Les mâles les plus capables et les plus puissants devaient mieux réussir à obtenir les femelles les plus belles. Ils devaient mieux réussir aussi dans la lutte générale pour l’existence et dans la défense de leurs femelles et de leurs petits, contre leurs ennemis de tout genre. À cette époque primitive, les ancêtres de l’homme ne devaient pas diriger leurs regards vers des éventualités éloignées, car leurs facultés intellectuelles étaient encore bien imparfaites ; ils ne devaient donc pas prévoir que l’élevage de tous leurs enfants, et surtout des enfants femelles, rendrait plus difficile pour la tribu la lutte pour l’existence. Ils devaient écouter beaucoup plus leurs instincts et beaucoup moins leur raison que les sauvages actuels. Ils n’ont pas dû, à cette époque, perdre l’un des instincts les plus puissants, commun à tous les animaux inférieurs, celui de l’amour pour leurs petits, et l’idée d’infanticide peut être écartée. Il ne devait donc y avoir aucune rareté artificielle de femmes, et, comme conséquence, pas de polyandrie ; car la rareté des femmes est la seule cause assez puissante pour contrebalancer les instincts de jalousie que l’on rencontre chez presque tous les animaux, et le désir que chaque mâle éprouve de posséder une femelle pour lui seul. La polyandrie me paraît mener directement à la promiscuité complète ou au mariage en commun ; toutefois les meilleures autorités à ce sujet croient que la promiscuité a précédé la polyandrie. À cette époque primitive il ne devait pas y avoir de fiançailles prématurées, car cette coutume implique une certaine prévoyance. Les deux sexes, si les hommes le permettaient aux femmes, devaient choisir leur compagnon, sans avoir égard aux charmes de l’esprit, à la fortune, à la position sociale, mais en s’occupant presque uniquement de l’apparence extérieure. Tous les adultes devaient s’accoupler ou se marier, tous les enfants devaient autant que possible s’élever ; de sorte que la lutte pour l’existence devait devenir périodiquement très-rigoureuse. Dans ces temps primitifs toutes les conditions favorables à l’action de la sélection sexuelle devaient donc exister dans une proportion beaucoup plus grande que plus tard, alors que les aptitudes intellectuelles de l’homme avaient progressé, et que les instincts avaient diminué. Par conséquent, quelle qu’ait pu être l’influence de la sélection sexuelle pour produire les différences qui existent entre les diverses races humaines et entre l’homme et les quadrumanes supérieurs, cette influence, à une époque fort reculée, a dû être beaucoup plus puissante qu’elle ne l’est aujourd’hui.


Mode d’action de la sélection sexuelle sur l’espèce humaine. — Chez l’homme primitif placé dans les conditions favorables que nous venons d’indiquer, et chez les sauvages qui, de nos jours, contractent un lien nuptial quelconque (lien sujet à diverses modifications selon que les pratiques de l’infanticide des enfants du sexe féminin, des fiançailles prématurées existent plus ou moins, etc.), la sélection sexuelle a dû probablement agir de la manière suivante : les hommes les plus forts et les plus vigoureux, — ceux qui pouvaient le mieux défendre leur famille et subvenir par la chasse à ses besoins, — ceux qui avaient les meilleures armes et ceux qui possédaient le plus de biens, tels que chiens ou autres animaux, ont dû parvenir à élever en moyenne un plus grand nombre d’enfants que les individus plus pauvres et plus faibles des mêmes tribus. Sans doute aussi ces hommes ont dû pouvoir généralement choisir les femmes les plus attrayantes. Actuellement, dans presque toutes les tribus du globe, les chefs parviennent à posséder plus d’une femme. Jusqu’à ces derniers temps, me dit M. Mantell, toute jeune fille de la Nouvelle-Zélande, jolie ou promettant de l’être, était tapu, c’est-à-dire réservée à quelque chef. D’après M. C. Hamilton[17], chez les Cafres, « les chefs ont généralement le choix des femmes à plusieurs lieues à la ronde, et ils font tous leurs efforts pour établir ou pour confirmer leur privilège. » Nous avons vu que chaque race a son propre idéal de beauté, et nous savons qu’il est naturel chez l’homme d’admirer chaque trait caractéristique de ses animaux domestiques, de son costume, de ses ornements, et de son apparence personnelle, lorsqu’il dépasse un peu la moyenne habituelle. En conséquence, si on admet les propositions précédentes, qui ne paraissent pas douteuses, il serait inexplicable que la sélection des femmes les plus belles par les hommes les plus forts de chaque tribu, qui réussiraient en moyenne à élever un plus grand nombre d’enfants, ne modifiât pas, jusqu’à un certain point et à la suite de nombreuses générations, le caractère de la tribu.

Lorsqu’on introduit une race étrangère d’animaux domestiques dans un pays nouveau, ou qu’on entoure la race indigène de soins prolongés et soutenus, qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une race utile ou d’une race de luxe, on remarque, lorsque les termes de comparaison existent, qu’elle a éprouvé plus ou moins de changements après un certain nombre de générations. Ces changements résultent d’une sélection inconsciente poursuivie pendant une longue série d’années, c’est-à-dire de la conservation des individus les plus beaux, sans que l’éleveur ait désiré ou attendu un pareil résultat. Ou encore, si deux éleveurs attentifs élèvent pendant de longues années des animaux appartenant à une même famille sans les comparer à un étalon commun ou sans les comparer les uns aux autres, ils s’aperçoivent, à leur grande surprise, que ces animaux, après un certain laps de temps, sont devenus un peu différents[18]. Chaque éleveur, comme le dit si bien Nathusius, imprime à ses animaux le caractère de son esprit, de son goût et de son jugement. Quelle raison pourrait-on donc invoquer pour soutenir que la sélection des femmes les plus admirées, par les hommes capables d’élever dans chaque tribu le plus grand nombre d’enfants, sélection continuée pendant longtemps, n’aurait pas des résultats analogues ? Ce serait une sélection inconsciente, car elle produirait un effet inattendu, indépendant de toute intention, de la part des hommes qui auraient manifesté une préférence pour certaines femmes.

Supposons que les individus d’une tribu dans laquelle existe une forme de mariage quelconque, se répandent sur un continent inoccupé : ils ne tarderont pas à se fractionner en hordes distinctes, séparées de diverses façons, et surtout par les guerres continuelles que se livrent toutes les nations barbares. Ces hordes, dont les habitudes se modifieront selon les conditions dans lesquelles elles se trouveront placées, finiront tôt ou tard par différer quelque peu entre elles. Chaque tribu isolée se constituerait alors un idéal de beauté un peu différent[19] ; puis, par le fait que les hommes les plus forts et les plus influents finiront par manifester des préférences pour certaines femmes, la sélection inconsciente entrerait en jeu. Ainsi les différences entre les tribus, d’abord fort légères, s’augmenteront graduellement et inévitablement.

À l’état de nature, la loi du combat a amené, chez les animaux, le développement de bien des caractères propres aux mâles, tels que la taille, la force, les armes particulières, le courage et les dispositions belliqueuses. Cette même cause a sans doute produit des modifications chez les ancêtres semi-humains de l’homme, ainsi que chez leurs voisins les Quadrumanes ; or, comme les sauvages se battent encore pour s’assurer la possession de leurs femmes, un mode semblable de sélection a probablement continué, à un degré plus ou moins prononcé, jusqu’à nos jours. La préférence de la femelle pour les mâles les plus attrayants a amené, chez les animaux inférieurs, le développement d’autres caractères propres aux mâles, ainsi les couleurs vives et les ornements divers. On remarque toutefois quelques cas exceptionnels, car ce sont alors les mâles qui choisissent au lieu d’être l’objet d’un choix ; dans ces cas, les femelles sont plus brillamment décorées que les mâles, — et leurs caractères décoratifs se transmettent exclusivement ou principalement à leur descendance femelle. Nous avons décrit un cas de ce genre relatif au singe Rhésus, dans l’ordre auquel appartient l’homme.

L’homme a plus de puissance corporelle et intellectuelle que la femme ; à l’état sauvage, il la tient en outre dans un assujettissement beaucoup plus complet que ne le font les mâles de tous les autres animaux à l’égard de leurs femelles ; il n’est donc pas surprenant qu’il se soit emparé du pouvoir de choisir. Partout les femmes comprennent ce que peut leur beauté, et, lorsqu’elles en ont les moyens, elles aiment plus que les hommes à se parer d’ornements de toute nature. Elles empruntent aux oiseaux mâles les plumes que la nature leur a données pour fasciner leurs femelles. Comme elles ont été pendant longtemps l’objet d’un choix à cause de leur beauté, il n’est pas étonnant que quelques-unes de leurs variations successives aient été limitées à un sexe dans leur transmission, et qu’elles passent plus directement aux filles qu’aux garçons. Les femmes sont donc devenues, ainsi qu’on l’admet généralement, plus belles que les hommes. Toutefois elles transmettent la plupart de leurs caractères, la beauté comprise, à leur progéniture des deux sexes ; de sorte que la préférence continue que les hommes de chaque race ont pour les femmes les plus attrayantes, d’après leur idéal, tend à modifier de la même manière tous les individus des deux sexes.

Quant à l’autre forme de sélection sexuelle (la plus commune chez les animaux inférieurs), celle où les femelles exercent leur choix, et n’acceptent que les mâles qui les séduisent, nous avons lieu de croire qu’elle a autrefois agi sur les ancêtres de l’homme. Il est probable que l’homme doit héréditairement sa barbe, et quelques autres caractères, à un antique aïeul qui avait acquis sa parure de cette manière. Cette forme de sélection peut, d’ailleurs, avoir agi accidentellement plus tard, car chez les tribus très-barbares, les femmes ont plus de pouvoir qu’on ne s’y attendrait, pour choisir, rejeter, ou séduire leurs amoureux, ou pour changer ensuite de mari. Ce point ayant quelque importance, je donnerai les détails que j’ai pu recueillir.

Hearne raconte qu’une femme d’une des tribus de l’Amérique arctique avait quitté plusieurs fois son mari pour rejoindre un homme qu’elle aimait ; Azara nous apprend que chez les Charmas de l’Amérique du Sud, le divorce est entièrement libre. Chez les Abipones, l’homme qui choisit une femme en débat le prix avec les parents ; mais « il arrive souvent que la jeune fille annule les transactions intervenues entre son père et son futur, et repousse obstinément le mariage. » Elle se sauve, se cache, et échappe ainsi à son prétendant. Le capitaine Musters, qui a vécu chez les Patagons, affirme que chez eux le mariage est toujours une affaire d’inclination : « Si les parents, dit-il, arrangent un mariage contraire aux volontés de la jeune fille, elle refuse et on ne la force jamais. » Dans les îles Fidji, l’homme qui veut se marier s’empare de la femme qu’il a choisie, soit de force réellement, soit en simulant la violence ; mais, « arrivée au domicile de son ravisseur, la femme, si elle ne consent pas au mariage, se sauve et va se réfugier chez quelqu’un qui puisse la protéger ; si, au contraire, elle est satisfaite, l’affaire est désormais réglée. » À la Terre-de-Feu, le jeune homme commence par rendre quelques services aux parents pour obtenir leur consentement, après quoi il cherche à enlever la fille ; mais, si celle-ci ne consent pas, « elle se cache dans les bois jusqu’à ce que son admirateur se lasse de la chercher, et abandonne la poursuite, ce qui pourtant est rare. » Chez les Kalmucks, il y a course régulière entre la fiancée et le fiancé, la première partant avec une certaine avance ; et Clarke dit : « On m’a assuré qu’il n’y a pas d’exemple qu’une fille ait été rattrapée, à moins qu’elle n’aime l’homme qui la poursuit. » Il y a course semblable chez les tribus sauvages de l’archipel Malais, et il résulte du récit qu’en fait M. Bourien, comme le remarque Sir J. Lubbock, « que le prix de la course n’appartient pas au coureur le plus rapide, ni le prix du combat au lutteur le plus fort, mais tout simplement au jeune homme qui a la bonne fortune de plaire à celle qu’il a choisie pour fiancée. » Les Koraks, qui habitent le nord-est de l’Asie, observent une coutume analogue.

En Afrique, les Cafres achètent leurs femmes, et les filles sont cruellement battues par leur père si elles refusent d’accepter un mari qu’il a choisi ; cependant, il paraît résulter de plusieurs faits signalés par le Rév. Shooter, qu’elles peuvent encore faire un choix. Ainsi des hommes très laids, quoique riches, n’ont pas pu se procurer de femmes. Les filles, avant de consentir aux fiançailles, obligent les hommes à se montrer d’abord par devant, puis par derrière, et à « exhiber leurs allures ». Elles font souvent des propositions à un homme et se sauvent avec leur amant. M. Leslie, qui connaît bien les Cafres, confirme ces observations et il ajoute : « C’est une erreur de supposer qu’un père puisse vendre sa fille comme il vendrait une vache. » Chez les Boschimans, dans l’Afrique méridionale, « Lorsqu’une fille est devenue femme sans avoir été fiancée, ce qui arrive rarement, son prétendant doit obtenir son consentement et celui des parents[20] ». M. Winwood Reade, qui a étudié les habitudes des nègres de l’Afrique occidentale, m’apprend que, « au moins dans les tribus les plus intelligentes, les femmes n’ont pas de peine à obtenir les maris qu’elles désirent, bien qu’on considère comme peu digne de la femme de demander à un homme de l’épouser. Elles sont très capables d’éprouver de l’amour, de former des attachements tendres, passionnés et fidèles. » Je pourrais citer d’autres exemples.

Nous voyons donc que, chez les sauvages, les femmes ne sont pas en ce qui concerne le mariage, dans une position aussi abjecte qu’on l’a souvent supposé. Elles peuvent séduire les hommes qu’elles préfèrent, et quelquefois rejeter, avant ou après le mariage, ceux qui leur déplaisent. La préférence de la part des femmes, agissant résolument dans une direction donnée, affecterait par la suite le caractère de la tribu, car les femmes choisiraient non seulement les plus beaux hommes selon leur idéal, mais encore les plus capables de les défendre et de les soutenir. Des couples bien doués doivent en général produire plus de descendants que ceux qui le sont moins. Le même résultat serait évidemment encore plus prononcé s’il y avait choix réciproque, c’est-à-dire si les hommes les plus forts et les plus attrayants, en choisissant les femmes les plus séduisantes, étaient eux-mêmes préférées par celles-ci. Ces deux formes de sélection semblent avoir dominé, simultanément ou non, chez l’espèce humaine, surtout dans les premières périodes de sa longue histoire.

Nous allons actuellement étudier, avec un peu plus de détails, quelques-uns des caractères qui distinguent les diverses races humaines entre elles, et qui les séparent des animaux inférieurs, à savoir l’absence plus ou moins complète de toison sur le corps, et la coloration de la peau. Nous ne parlerons pas de la grande diversité dans la forme des traits et du crâne entre les différentes races, car nous avons vu, dans le chapitre précédent, combien l’idéal de la beauté peut varier sur ces points. Ces caractères, absence de toison plus ou moins complète sur le corps et coloration de la peau, ont subi l’action de la sélection sexuelle, mais nous n’avons aucun moyen de juger si elle a principalement agi par l’entremise du mâle ou par celle de la femelle. Nous avons déjà discuté les facultés musicales de l’homme.


Absence de toison sur le corps et son développement sur le visage et sur la tête. — La présence du duvet ou lanugo sur le fœtus humain, et des poils rudimentaires qui, à l’âge d’adulte, sont disséminés sur le corps, nous permet de conclure que l’homme descend de quelque animal né velu et qui restait tel pendant toute sa vie. La perte de la toison est un inconvénient réel pour l’homme, même sous un climat chaud, car il se trouve exposé à des refroidissements brusques, surtout par les temps humides. Ainsi que le remarque M. Wallace, les indigènes de tous les pays sont heureux de pouvoir protéger leur dos et leurs épaules nues avec quelques légers vêtements. Personne ne suppose que la nudité de la peau ait un avantage direct pour l’homme, ce n’est donc pas l’action de la sélection naturelle qui a pu lui faire perdre ses poils[21]. Nous avons vu dans un chapitre précédent, qu’il n’est pas à croire que la perte de la toison puisse être due à l’action directe des conditions auxquelles l’homme a été longtemps exposé, ni qu’elle soit le résultat d’un développement corrélatif.

L’absence de poils sur le corps est, jusqu’à un certain point, un caractère sexuel secondaire ; car, dans toutes les parties du monde, les femmes sont moins velues que les hommes. Nous pouvons donc raisonnablement supposer que ce caractère est le résultat de la sélection sexuelle. Nous savons que le visage de plusieurs espèces de singes, ainsi que de larges surfaces à l’extrémité du corps chez d’autres espèces, sont dépourvus de poils ; ce que nous pouvons, en toute sécurité, attribuer à la sélection sexuelle, car ces surfaces sont non seulement vivement colorées, mais quelquefois, comme chez le Mandrill mâle et chez le Rhésus femelle, le sont beaucoup plus brillamment chez un sexe que chez l’autre, surtout pendant la saison des amours. Lorsque ces animaux approchent de l’âge adulte, les surfaces nues, dit M. Barlett, augmentent d’étendue relativement à la grosseur du corps. Le poil, dans ce cas, paraît avoir disparu, non en vue de la nudité, mais pour permettre un déploiement plus complet de la couleur de la peau. De même, chez beaucoup d’oiseaux, la tête et le cou ont été privés de leurs plumes, par l’action de la sélection sexuelle, pour que les couleurs de la peau apparaissent plus brillantes.

La femme a le corps moins velu que l’homme, et ce caractère est commun à toutes les races ; nous pouvons en conclure que nos ancêtres semi-humains du sexe féminin ont les premières perdu leurs poils, et que ce fait doit remonter à une époque très-reculée, avant que les diverses races aient divergé de la souche commune. À mesure que nos ancêtres femelles ont peu à peu acquis ce caractère de nudité, elles doivent l’avoir transmis à un degré à peu près égal à leurs enfants des deux sexes ; de sorte que cette transmission n’a été limitée ni par l’âge ni par le sexe, comme il arrive pour une foule d’ornements chez les mammifères et chez les oiseaux. Il n’y a rien de surprenant à ce que la perte d’une partie des poils ait été considérée comme une beauté par les ancêtres simiens de l’homme : nous avons vu, chez des animaux de toutes espèces, que des caractères étranges étaient considérés comme ornements, et qu’ils ont été par conséquent modifiés par l’action de la sélection sexuelle. Il n’est pas non plus surprenant qu’un caractère quelque peu nuisible ait pu s’acquérir ainsi : nous savons qu’il en est de même pour les plumes de certains oiseaux, et pour les bois de certains cerfs.

Nous avons vu dans un chapitre précédent que les femelles de certains singes anthropomorphes ont la surface inférieure du corps un peu moins velue que les mâles ; or ce fait nous présente peut-être les premières phases d’un commencement de dénudation. Quant à l’achèvement de la dénudation par l’intervention de la sélection sexuelle, il n’y a qu’à se rappeler le proverbe de la Nouvelle-Zélande : « Il n’y a pas de femmes pour un homme velu. » Tous ceux qui ont vu les photographies de la famille siamoise velue, reconnaîtront que l’extrême développement du poil est comiquement hideux. Aussi le roi de Siam eut-il à payer un homme pour qu’il consentît à épouser la première femme velue de la famille, laquelle transmit ce caractère à ses enfants des deux sexes[22].

Quelques races sont beaucoup plus velues que d’autres, surtout les hommes ; ainsi les Européens ; mais il n’est pas à supposer que ces races aient conservé leur état primordial plus complètement que les races nues des Kalmucks ou des Américains. Il est probable que le développement du poil, chez les premiers, est dû à une réversion partielle, les caractères qui ont été longtemps héréditaires étant toujours aptes à reparaître. Nous avons vu que les idiots sont souvent très-velus, et que souvent aussi ils affectent d’autres caractères qui les rapprochent de la brute. Il ne paraît pas qu’un climat froid ait exercé quelque influence sur cette réapparition, sauf peut-être chez les nègres, depuis plusieurs générations, aux États-Unis[23], et chez les Aïnos qui habitent les îles septentrionales de l’archipel du Japon. Mais les lois de l’hérédité sont si complexes que nous pouvons bien rarement nous rendre compte de leur action. Si la plus grande villosité de certaines races est le résultat d’une réversion non limitée par quelque forme de sélection, la variabilité considérable de ce caractère, même dans les limites d’une même race, cesse d’être remarquable[24].

En ce qui concerne la barbe, les Quadrumanes, nos meilleurs guides, nous fournissent des cas de barbes également bien développées chez les deux sexes de beaucoup d’espèces ; chez d’autres pourtant elles sont ou circonscrites aux mâles seuls, ou plus développées chez eux que chez les femelles. Ce fait, ainsi que le singulier arrangement et les vives couleurs des cheveux d’un grand nombre de singes, donnent à penser que les mâles ont d’abord acquis leurs barbes par sélection sexuelle et comme ornement, et qu’ils les ont ordinairement transmises à un degré égal ou presque égal à leurs descendants des deux sexes. Nous savons par Eschricht[25] que le fœtus humain des deux sexes porte beaucoup de poils sur le visage, surtout autour de la bouche, ce qui indique que nous descendons d’ancêtres chez lesquels les deux sexes étaient barbus. Il paraît donc à première vue probable que, tandis que l’homme a conservé sa barbe depuis une période fort éloignée, la femme l’a perdue lorsque son corps s’est presque entièrement dépouillé de ses poils. La couleur même de la barbe dans l’espèce humaine paraît provenir par héritage de quelque ancêtre simien ; car, lorsqu’il y a une différence de teinte entre les cheveux et la barbe, cette dernière est, chez tous les singes et chez l’homme, de nuance plus claire.

Chez les Quadrumanes, alors que le mâle a une barbe plus forte que celle de la femelle, elle ne se développe qu’à l’âge mûr ; et les dernières phases du développement peuvent avoir été exclusivement transmises à l’humanité. Contrairement à cette hypothèse, on peut invoquer la grande variabilité de la barbe chez des races différentes, et, même dans les limites d’une seule race, ceci indique en effet l’influence d’un retour, car les caractères depuis longtemps perdus sont très-aptes à varier quand ils réapparaissent.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas méconnaître le rôle que la sélection sexuelle peut avoir joué, même dans des temps plus récents ; car nous savons que, chez les sauvages, les races sans barbe se donnent une peine infinie pour arracher, comme quelque chose d’odieux, les poils qu’ils peuvent avoir sur le visage ; tandis que les hommes des races barbues sont tout fiers de leurs barbes. Les femmes partagent sans doute ces sentiments, et, par conséquent, la sélection sexuelle ne peut manquer d’avoir produit quelques effets dans des temps plus récents[26]. Il est possible aussi que l’habitude d’arracher les poils, habitude continuée pendant de longues générations, ait produit un effet héréditaire. Le docteur Brown-Séquard a démontré que, si on, fait subir certaines opérations à divers animaux, leurs descendants sont affectés de certaines manières. On pourrait citer des faits nombreux relatifs aux effets héréditaires de certaines mutilations. Toutefois M. Salvin a dernièrement reconnu un fait qui a une portée beaucoup plus directe sur la question qui nous occupe ; il a démontré en effet que les Matmots ont l’habitude de ronger les barbes des deux plumes centrales de leur queue ; or les barbes de ces plumes sont naturellement un peu plus courtes que celles des autres plumes[27]. Quoi qu’il en soit, il est probable que chez l’homme l’habitude d’épiler la face et le corps n’a pas dû surgir jusqu’à ce que les poils aient été déjà réduits dans une certaine mesure.

Il est difficile de s’expliquer comment se sont développés les longs cheveux de notre tête. Eschricht[28] assure qu’au cinquième mois le fœtus humain a les poils du visage plus longs que ceux de la tête ; ce qui implique que nos ancêtres semi-humains n’avaient pas de longs cheveux, lesquels par conséquent seraient une acquisition postérieure. Les différences que présentent, dans leur longueur, les cheveux des diverses races, nous conduisent à la même conclusion : les cheveux ne forment, chez les nègres, qu’un simple matelas frisé ; chez nous, ils sont déjà fort longs ; et, chez les indigènes américains, il n’est pas rare qu’ils tombent jusqu’au sol. Quelques espèces de Semnopithèques ont la tête couverte de poils de longueur modérée, qui leur servent d’ornement, et qui ont probablement été acquis par sélection sexuelle. On peut étendre la même manière de voir à l’espèce humaine, car les longues tresses sont admirées aujourd’hui, comme elles l’étaient déjà autrefois ; les œuvres de presque tous les poètes en font foi. Saint Paul dit : « Si une femme a de longs cheveux, c’est une gloire pour elle ; » et nous avons vu précédemment que, dans l’Amérique du Nord, un chef avait uniquement dû son élection à la longueur de ses cheveux.


Coloration de la peau. — Nous n’avons aucune preuve que, dans l’espèce humaine, la coloration de la peau provienne absolument de modifications dues à la sélection sexuelle ; car hommes et femmes ne diffèrent pas sous ce rapport, ou ne diffèrent que peu et d’une manière douteuse. D’autre part, beaucoup de faits déjà cités nous enseignent que, dans toutes les races, les hommes considèrent la coloration de la peau comme un élément de grande beauté ; c’est donc là un caractère qui, par sa nature même, tombe sous l’action de la sélection, et nous avons prouvé par de nombreux exemples que, sous ce rapport, ce caractère a profondément modifié les animaux inférieurs. La supposition que la coloration noir jais du nègre est due à l’intervention de la sélection sexuelle, peut à première vue paraître monstrueuse, mais cette opinion se confirme par une foule d’analogies ; en outre, les nègres, nous le savons, admirent beaucoup leur couleur noire. Lorsque, chez les mammifères, la coloration diffère chez les deux sexes, le mâle est souvent plus noir ou plus foncé que la femelle, et la transmission, aux deux sexes ou à un seul, de telle ou telle nuance dépend uniquement de la forme de l’hérédité. La ressemblance qu’offre avec un nègre en miniature le Pithecia satanas avec sa peau noire comme du jais, ses gros yeux blancs, et sa chevelure séparée en deux par une raie au milieu de la tête, est des plus comiques.

La couleur du visage varie beaucoup plus chez les diverses espèces de singes que dans les races humaines ; et nous avons toute raison de croire que les teintes rouges, bleues, orange, blanches ou noires de la peau des singes, même lorsqu’elles sont communes aux deux sexes, ainsi que les vives couleurs de leur pelage, et les touffes de poils qui ornent leur tête, sont toutes dues à l’intervention de la sélection sexuelle. On sait que l’ordre du développement pendant la croissance indique ordinairement l’ordre dans lequel les caractères d’une espèce se sont développés et se sont modifiés dans le cours des générations antérieures ; on sait aussi que les enfants nouveau-nés des races les plus distinctes diffèrent bien moins en couleur que les adultes, bien que leur corps soit complètement dépourvu de poils ; nous trouvons donc là une légère indication que les teintes des différentes races ont été acquises postérieurement à la disparition du poil, ce qui, comme nous l’avons déjà constaté, a dû se produire à une époque très-reculée de l’existence de l’homme.


Résumé. — Nous pouvons conclure que la plus grande taille, la force, le courage, le caractère belliqueux et même l’énergie de l’homme, sont des qualités, qui, comparées à ce qu’elles sont chez la femme, ont été acquises pendant l’époque primitive, et qui se sont ensuite augmentées, surtout par les combats que se sont livrés les mâles pour s’assurer la possession des femelles. La vigueur intellectuelle et la puissance d’invention plus grandes de l’homme, sont probablement dues à la sélection naturelle, combinée aux effets héréditaires de l’habitude ; car ce sont les hommes les plus capables qui ont dû le mieux réussir à se défendre, eux, leurs femmes et leurs enfants, et à subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille. Autant que l’excessive complication du sujet nous permet d’en juger, il semble que nos ancêtres demi-simiens mâles ont acquis leur barbe comme un ornement pour attirer et pour séduire les femmes, et ont transmis cet ornement à leur descendance mâle seule. Il est probable que les femmes ont les premières perdu leur toison, perte qui a constitué pour elles un ornement sexuel, mais qu’elles ont transmis ce caractère presque également aux deux sexes. Il n’est pas improbable que, par les mêmes moyens et dans le même but, les femmes aient été modifiées sous d’autres rapports, qu’elles aient ainsi acquis des voix plus douces, et soient devenues plus belles que l’homme.

Il faut particulièrement remarquer que, dans l’espèce humaine, toutes les conditions ont été beaucoup plus favorables à l’action de la sélection sexuelle à l’époque très-primitive où l’homme venait de s’élever au rang humain, qu’elles ne l’ont été plus tard. Nous sommes, en effet, autorisés à penser qu’alors il devait se laisser conduire par ses passions instinctives plutôt que par la prévoyance ou par la raison. Chaque mâle devait garder avec jalousie sa femme ou ses femmes. Il ne devait ni pratiquer l’infanticide, ni considérer uniquement ses femmes comme des esclaves utiles, ni leur être fiancé pendant son enfance. Ces faits nous permettent de conclure que les différences entre les races humaines, dues à l’action de la sélection sexuelle, se sont produites surtout à une époque fort reculée. Cette conclusion jette quelque lumière sur le fait remarquable qu’à l’époque la plus ancienne sur laquelle nous possédions des documents, les races humaines différaient entre elles presque autant ou même tout autant qu’elles le font aujourd’hui.

Les idées émises ici sur le rôle que la sélection sexuelle a joué dans l’histoire de l’homme, manquent de précision scientifique. Celui qui n’admet pas son action chez les animaux inférieurs, ne tiendra évidemment aucun compte de ce que renferment nos derniers chapitres sur l’homme. Nous ne pouvons pas dire positivement que tel caractère, et non tel autre, ait été ainsi modifié ; toutefois nous avons prouvé que les races humaines diffèrent entre elles, et diffèrent avec leurs voisins les plus rapprochés parmi les animaux, par des caractères qui n’ont aucune utilité pour ces races dans le cours ordinaire de la vie, ce qui rend extrêmement probable que la sélection sexuelle a modifié ces caractères. Nous avons vu que, chez les sauvages les plus grossiers, chaque tribu admire ses propres qualités caractéristiques, — la forme de la tête et du visage, la saillie des pommettes, la proéminence ou la dépression du nez, la couleur de la peau, la longueur des cheveux, l’absence de poils sur le visage et sur le corps, ou la présence d’une grande barbe, etc. Ces caractères et d’autres semblables ne peuvent donc manquer d’avoir été lentement et graduellement exagérés chez les hommes les plus forts et les plus actifs de la tribu. Ces hommes, en effet, auront réussi à élever le nombre le plus considérable d’enfants, en choisissant pour compagnes, pendant de longues générations, les femmes chez lesquelles ces caractères étaient le plus prononcés, et qui leur semblaient par conséquent les plus attrayantes. Je conclus donc que, de toutes les causes qui ont déterminé les différences d’aspect extérieur existant entre les races humaines, et, jusqu’à un certain point, entre l’homme et les animaux qui lui sont inférieurs, la sélection sexuelle a été la plus active et la plus efficace.


  1. « Schopenhauer and Darwinism » in Journal of Anthrop. Janvier 1871, p. 323.
  2. Ces citations sont prises dans Lawrence (Lectures on Physiology, etc., p. 393, 1822), qui attribue la beauté des classes supérieures, en Angleterre, au fait que les hommes ont longtemps choisi les femmes les plus belles.
  3. Anthropologie., Rev. des Cours scientifiques, p. 721. Oct. 1868.
  4. De la Variation, etc., vol. I, p. 219 (trad. franc., 1868).
  5. Sir J. Lubbock, Origin of Civilization, chap. iii, p. 60-67, 1870. M. Mc-Lennan, dans son excellent ouvrage : Primitive Marriage, p. 163, 1865, parle des unions des sexes comme ayant été dans les temps anciens fort relâchées, transitoires, et à certains degrés entachées de promiscuité. M. Mc Lennan et Sir J. Lubbock ont recueilli beaucoup de preuves du dérèglement des sauvages actuels. M. L. H. Morgan, dans son intéressant mémoire sur le système de classification par la parenté Proc. American Acad. of Sciences. VII, p. 475, 1868), conclut que, dans les temps primitifs, la polygamie, ainsi que le mariage sous toutes ses formes, étaient absolument inconnus. Il paraît, d’après Sir J. Lubbock, que Bachofen partage également l’opinion que primordialement la promiscuité a été prépondérante.
  6. Discours à l’Association Britannique, On the Social and religious Conditions of the lover races of Man, p. 20, 1870.
  7. Origin of Civilisation, p. 86, 1870. Voir les ouvrages précités sur la parenté rattachée au sexe féminin, ou à la tribu seulement.
  8. M. C. Staniland Wake se prononce vivement (Anthropologia, March, 1874, p. 197) contre les opinions de ces trois écrivains relativement à l’existence antérieure d’une promiscuité presque absolue ; il pense que l’on peut expliquer autrement le système classificatoire de parenté.
  9. Brehm (Illustr. Thierleben, I, p. 77) dit que le Cynocephalus hamadryas vit en grandes troupes contenant deux fois autant de femelles que de mâles adultes. Voy. Rengger, sur les espèces polygames américaines, et Owen (Anat. of Vert., III, p. 746), sur les espèces monogames du pays.
  10. Docteur Savage, Boston Journ. Nat. Hist., v, p. 423, 1845-47.
  11. Prehistoric Times, 1869, p. 424.
  12. M. Mc Lennan, Primitive Marriage, 1865. Voy. surtout, sur l’exogamie et l’infanticide, p. 130, 138, 165.
  13. Docteur Gerland (Ueber das Aussterben der Naturvölker, 1868) a recueilli beaucoup de renseignements sur l’infanticide ; voy. les p. 27, 51, 54. Azara (Voyages, etc., II, p. 94, 116) entre dans les détails sur ses causes. Voy. aussi Mc Lennan (o. c., p. 139) pour des cas dans l’Inde.
  14. Mc Lennan, Primitive Marriage, p. 208 ; Sir J. Lubbock, Origin, etc., p. 100. Voy. aussi M. Morgan (o. c.,) sur la prépondérance qu’a eue autrefois la polyandrie.
  15. Voyages, etc., II, pp. 92-95. Colonel Marshall, « Amongst the Todos », p. 212.
  16. Burchell (Travels in S. Africa, II, p. 58, 1824) dit que chez les peuples sauvages de l’Afrique du Sud, le célibat ne s’observe jamais, ni chez les hommes ni chez les femmes. Azara (o. c., II, p. 21, 1809) fait précisément la même remarque à propos des Indiens sauvages de l’Amérique méridionale.
  17. Anthrop. Review, p. xvi, Janv. 1870.
  18. De la Variation, etc., II.
  19. Un auteur ingénieux conclut, après avoir comparé les tableaux de Raphaël, ceux de Rubens, et ceux des artistes français modernes, que l’idée de la beauté n’est pas absolument la même dans toute l’Europe : voir les Vies de Haydn et de Mozart, par M. Bombet.
  20. Azara, Voyages, etc., II, p. 23. Dobrishoffer, An Account of the Abipones, II, p. 207, 1822 ; Capitaine Musters, in « Proc. R. Geograph. Soc. », vol. XV, p. 47. Williams. Sur les habitants des îles Fidji, cité par Lubbock, Origin of Civilization, p. 79, 1870. Sur les Fuégiens, Kind and Fitzroy, Voyages of the Adventure and Beagle, II, p. 182, 1839. Sur les Kalmucks, Mc Lennan, Primit. Marriage, p. 32, 1865. Sur les Malais, Lubbocks, o. c., p. 76. Le Rev. J. Shooter On the Kafirs of Natal, pp. 52-60, 1857. M. D. Leslie, Kafir Character and Customs, 1871, p. 4. Sur les Boschimans, Burchell, Trav. in S. Africa, II, p. 59, 1824. Sur les Koraks par Mc Lennan, cités par Wake in Anthropologia, octobre 1873, p. 75.
  21. Contributions to the Theory of Natural Selection. M. Wallace croit, p. 350, « que quelque pouvoir intelligent a guidé ou déterminé le développement de l’homme, » et considère l’absence de poils sur la peau comme résultant de ce fait. Le Rév. T. Stebbing, dans un commentaire sur cette opinion (Transactions of Devonshire Assoc. for Science, 1870), fait la remarque que si M. Wallace « avait appliqué son talent ordinaire à la question de la nudité de la peau humaine, il aurait pu entrevoir la possibilité de l’intervention de la sélection par la beauté supérieure qui en résulte, ou par l’avantage que procure une plus grande propreté. »
  22. La Variation, etc., II.
  23. Investigations into Military and Anthropological Statistics of American soldiers, de B. A. Gould, p. 568, 1869. — Un grand nombre d’observations faites avec soin sur la pilosité de 2,129 soldats noirs et de couleur pendant le bain, donnent ce résultat, « qu’au premier coup d’œil il y a fort peu de différence, si même il y en a une, entre les races noires et les races blanches sous ce rapport. » Il est cependant certain que, dans leur pays natal de l’Afrique, beaucoup plus chaud, les nègres ont le corps remarquablement glabre. Il faut d’ailleurs faire attention que les noirs purs et les mulâtres sont compris dans cette énumération. Ce mélange constitue une circonstance fâcheuse, en ce que, d’après le principe dont j’ai ailleurs démontré la vérité, les races croisées seraient éminemment sujettes à faire retour au caractère primitivement velu de leurs ancêtres originels demi-simiens.
  24. Je pourrais à peine citer une opinion exprimée dans cet ouvrage, qui ait rencontré autant de défaveur que la présente explication sur la perte des poils chez l’homme, grâce à l’action de la sélection sexuelle ; mais aucun des arguments qu’on m’oppose ne me semble avoir beaucoup de poids si l’on réfléchit aux faits qui tendent à prouver que la nudité de la peau est, jusqu’à un certain point, un caractère sexuel secondaire chez l’homme et chez quelques-uns des quadrumanes. Voir Spengel, Die Fortschritte des Darwinism, 1874, p. 80.
  25. Ueber die Richtung der Haare am menschlichen Körper, dans Müller’s Archiv für Anat. und Phys., p. 40, 1837.
  26. Sur les rectrices du Momotus, Proc. Zool. Soc., 1873, p. 429.
  27. M. Sproat (Scenes and Studies of Savage Life, p. 23, 1868). Quelques ethnologistes distingués, entre autres M. Gosse, de Genève, sont disposés à croire que les modifications artificielles du crâne tendent à devenir héréditaires.
  28. Ueber die Richtung, etc., p. 40.