La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/02


CHAPITRE II


SUR LE MODE DE DÉVELOPPEMENT DE L’HOMME
DE QUELQUE TYPE INFÉRIEUR


Variabilité du corps et de l’esprit chez l’homme. — Hérédité. — Causes de la variabilité. — Similitude des lois de la variation chez l’homme et chez les animaux inférieurs. — Action directe des conditions d’existence. — Effets de l’augmentation ou de la diminution d’usage des parties. — Arrêts de développement. — Retour ou atavisme. — Variation corrélative. — Taux d’accroissement. — Obstacles à l’accroissement. — Sélection naturelle. — L’homme, animal prédominant dans le monde. — Importance de sa conformation corporelle. — Causes qui ont déterminé son attitude verticale. — Changements consécutifs dans sa structure. — Diminution de la grosseur des dents canines. — Accroissement et altération de la forme du crâne. — Nudité. — Absence de la queue. — Absence d’armes défensives.


L’homme est à notre époque sujet à de nombreuses variations. Il n’y a pas, dans une même race, deux individus complètement semblables. Nous pouvons comparer des millions d’hommes les uns aux autres ; tous diffèrent par quelques points. On constate également une grande diversité dans les proportions et les dimensions des différentes parties du corps ; la longueur des jambes est un des points les plus variables[1]. Sans doute, on remarque que, dans certaines parties du monde, le crâne affecte plus particulièrement une forme allongée, une forme arrondie dans d’autres ; toutefois il n’y a là rien d’absolu, car cette forme varie, même dans les limites d’une même race, comme chez les indigènes de l’Amérique et chez ceux de l’Australie du Sud, — cette dernière race est « probablement aussi pure et aussi homogène par le sang, par les coutumes et par le langage qu’aucune race existante, » — et jusque chez les habitants d’un territoire aussi restreint que l’est celui des îles Sandwich[2]. Un dentiste éminent m’assure que les dents présentent presque autant de diversité que les traits. Les artères principales présentent si fréquemment des trajets anormaux, qu’on a reconnu, pour les besoins chirurgicaux, l’utilité de calculer, d’après 1,040 sujets, la moyenne des différents parcours observés[3]. Les muscles sont éminemment variables ; ainsi le professeur Turner[4] a reconnu que ceux du pied ne sont pas rigoureusement semblables chez deux individus sur cinquante, et présentent chez quelques-uns des déviations considérables. Il ajoute que le mode d’exécution des mouvements particuliers correspondant à ces muscles a dû se modifier selon leurs différentes déviations. M. J. Wood[5] a constaté, sur 36 sujets, l’existence de 295 variations musculaires ; et, dans un autre groupe de même nombre, il a compté 558 modifications, tout en ne notant que pour une seule celles qui se trouvaient des deux côtés du corps. Aucun des sujets de ce second « groupe n’avait un système musculaire complètement conforme aux descriptions classiques indiquées dans les manuels d’anatomie. » Un des sujets présentait jusqu’à 25 anomalies distinctes. Le même muscle varie parfois de plusieurs manières ; c’est ainsi que le professeur Macalister[6] ne décrit pas moins de 20 variations distinctes du palmaire accessoire (palmaris accessorius).

Le célèbre anatomiste Wolf[7] insiste sur le fait que les viscères internes sont plus variables que les parties externes : Nulla particula est quæ non aliter et aliter in allis se habeat hominibus. Il a même écrit un traité sur les types à choisir pour une description des viscères. Une discussion sur le beau idéal du foie, des poumons, des reins, etc., comme s’il s’agissait de la divine face humaine, sonne étrangement à nos oreilles.

La variabilité ou la diversité des facultés mentales chez les hommes appartenant à la même race, sans parler des différences plus grandes encore que présentent sous ce rapport les hommes appartenant à des races distinctes, est trop notoire pour qu’il soit nécessaire d’insister ici. Il en est de même chez les animaux inférieurs. Tous ceux qui ont été chargés de la direction de ménageries reconnaissent ce fait, que nous pouvons tous constater chez nos chiens et chez nos autres animaux domestiques. Brehm insiste tout particulièrement sur le fait que chacun des singes qu’il a gardés en captivité en Afrique avait son caractère et son humeur propres ; il mentionne un babouin remarquable par sa haute intelligence ; les gardiens du Jardin zoologique m’ont signalé un singe du nouveau continent également très remarquable à cet égard. Rengger appuie aussi sur la diversité du caractère des singes de même espèce qu’il a élevés au Paraguay ; diversité, ajoute-t-il, qui est en partie innée, et en partie le résultat de la manière dont on les a traités et de l’éducation qu’ils ont reçue[8].

J’ai discuté ailleurs[9] le sujet de l’hérédité avec assez de détails pour n’y consacrer ici que peu de mots. On a recueilli sur la transmission héréditaire des modifications, tant insignifiantes qu’importantes, un nombre beaucoup plus considérable de faits relatifs à l’homme qu’à aucun animal inférieur, bien qu’on possède sur ces derniers une assez grande abondance de documents. Ainsi, pour ne parler que des facultés mentales, la transmission est évidente chez nos chiens, chez nos chevaux et chez nos autres animaux domestiques. Il en est aussi certainement de même des goûts spéciaux et des habitudes, de l’intelligence générale, du courage, du bon et du mauvais caractère, etc. Nous observons chez l’homme des faits analogues dans presque toutes les familles ; les travaux admirables de M. Galton[10] nous ont maintenant appris que le génie, qui implique une combinaison merveilleuse et complexe des plus hautes facultés, tend à se transmettre héréditairement ; d’autre part, il est malheureusement évident que la folie et le dérangement des facultés mentales se transmettent également dans certaines familles.

Bien que nous ignorions presque absolument quelles sont les véritables causes de la variabilité, nous pouvons affirmer tout au moins que, chez l’homme comme chez les animaux inférieurs, elles se rattachent aux conditions auxquelles chaque espèce a été soumise pendant plusieurs générations. Les animaux domestiques varient plus que les animaux à l’état sauvage, ce qui, selon toute apparence, résulte de la nature diverse et changeante des conditions extérieures dans lesquelles ils sont placés. Les races humaines ressemblent sous ce rapport aux animaux domestiques, et il en est de même des individus de la même race, lorsqu’ils sont répandus sur un vaste territoire, comme celui de l’Amérique. Nous remarquons l’influence de la diversité des conditions chez les nations les plus civilisées, où les individus, occupant des rangs divers et se livrant à des occupations variées, présentent un ensemble de caractères plus nombreux qu’ils ne le sont chez les peuples barbares. On a, toutefois, beaucoup exagéré l’uniformité du caractère des sauvages, uniformité qui, dans certains cas, n’existe, pour ainsi dire, réellement pas[11]. Toutefois, si nous ne considérons que les conditions auxquelles il a été soumis, il n’est pas exact de dire que l’homme ait été « plus strictement réduit en domesticité[12] » qu’aucun autre animal. Quelques races sauvages, telles que la race australienne, ne sont pas exposées à des conditions plus variées qu’un grand nombre d’espèces animales ayant une vaste distribution. L’homme, à un autre point de vue bien plus essentiel, diffère encore considérablement des animaux rigoureusement réduits à l’état domestique, c’est-à-dire que sa propagation n’a jamais été contrôlée par une sélection quelconque, soit méthodique, soit inconsciente. Aucune race, aucun groupe d’hommes n’a été assez complètement asservi par ses maîtres pour que ces derniers aient conservé seulement et choisi, pour ainsi dire, d’une manière inconsciente, certains individus déterminés répondant à leurs besoins par quelque utilité spéciale. On n’a pas non plus choisi avec intention certains individus des deux sexes pour les accoupler, sauf le cas bien connu des grenadiers prussiens ; dans ce cas, comme on devait s’y attendre, la race humaine a obéi à la loi de la sélection méthodique ; car on assure que les villages habités par les grenadiers et leurs femmes géantes ont produit beaucoup d’hommes de haute stature. À Sparte, on pratiquait aussi une sorte de sélection, car la loi voulait que tous les enfants fussent examinés quelques jours après leur naissance ; on laissait vivre les enfants vigoureux et bien faits et on tuait les autres[13].

Si nous admettons que toutes les races humaines constituent une seule espèce, l’habitat de cette espèce est immense ; quelques races distinctes, d’ailleurs, comme les Américains et les Polynésiens, ont elles-mêmes une extension considérable. Les espèces largement distribuées sont plus variables que celles renfermées dans des limites plus restreintes : c’est là une loi bien connue ; il en résulte qu’on peut avec plus de justesse comparer la variabilité de l’homme à celle des espèces largement distribuées qu’à celle des animaux domestiques.

Les mêmes causes générales semblent non-seulement déterminer la variabilité chez l’homme et chez les animaux, mais encore les mêmes parties du corps sont affectées chez les uns et chez les autres d’une manière analogue. Godron et Quatrefages[14] ont démontré ce fait avec tant de détails que je puis me borner ici à renvoyer à leurs travaux. Les monstruosités qui passent graduellement à l’état de légères variations sont également si semblables chez l’homme et chez les animaux qu’on peut appliquer aux uns et aux autres les mêmes termes et la même classification, comme l’a prouvé Isid. Geoffroy Saint-Hilaire[15]. Dans mon ouvrage sur la Variation des animaux domestiques, j’ai cherché à grouper d’une manière approximative les lois de la variation ainsi que suit : — l’action directe et définie des changements de conditions, presque prouvée par le fait que tous les individus appartenant à une même espèce varient de la même manière dans les mêmes circonstances ; les effets de la continuité de l’usage ou du défaut d’usage des parties ; la cohésion des parties homologues ; la variabilité des parties multiples ; la compensation de croissance, loi dont, cependant, l’homme ne m’a encore fourni aucun exemple parfait ; les effets de la pression mécanique d’une partie sur une autre, comme celle du bassin sur le crâne de l’enfant dans l’utérus ; les arrêts de développement, déterminant la diminution ou la suppression de parties ; la réapparition par retour de caractères perdus depuis longtemps ; enfin la corrélation des variations. Toutes ces lois, si on peut employer ce mot, s’appliquent également à l’homme et aux animaux, et même pour la plupart aux plantes. Il serait superflu de les discuter toutes ici[16] ; mais plusieurs ont pour nous une telle importance que nous aurons à les traiter avec quelque développement.


Action directe et définie des changements dans les conditions. — Sujet fort embarrassant. On ne saurait nier que le changement des conditions produise des effets souvent considérables sur les organismes de tous genres ; il paraît même probable, au premier abord, que ce résultat serait invariable si le temps nécessaire pour qu’il puisse s’effectuer s’était écoulé. Mais je n’ai pas pu obtenir des preuves absolues en faveur de cette conclusion, à laquelle on peut opposer des arguments valables, en ce qui concerne au moins les innombrables structures adaptées à un but spécial. On ne peut, cependant, douter que le changement des conditions ne provoque une étendue presque indéfinie de fluctuations variables, qui, jusqu’à un certain point, rendent plastique l’ensemble de l’organisation.

On a mesuré, aux États-Unis, plus d’un million de soldats qui ont servi dans la dernière guerre, en ayant soin d’indiquer les États dans lesquels ils étaient nés et ceux dans lesquels ils avaient été élevés[17]. Cet ensemble considérable d’observations a prouvé que certaines influences agissent directement sur la stature ; on peut en conclure, en outre, que « l’État où la croissance physique s’est accomplie en majeure partie, et celui où a eu lieu la naissance, indiquant la famille, semblent exercer une influence marquée sur la taille ». Ainsi, on a établi que « la résidence dans les États de l’Ouest, pendant les années de la croissance, tend à augmenter la stature ». Il est, d’autre part, certain que, chez les matelots, le genre de vie ralentit la croissance, ainsi qu’on peut le constater « par la grande différence qui existe entre la taille des soldats et celle des matelots à l’âge de dix-sept à dix-huit ans ». M. B.-A. Gould a cherché à déterminer le genre d’influences qui agissent ainsi sur la stature, sans arriver à autre chose qu’à des résultats négatifs, à savoir, que ces influences ne se rattachent ni au climat, ni à l’élévation du pays ou du sol, ni même, en aucun degré appréciable, à l’abondance ou au défaut des conforts de la vie. Cette dernière conclusion est directement contraire à celle que Villermé a déduite de l’étude de la statistique de la taille des conscrits dans les diverses parties de la France. Lorsque l’on compare les différences qui, sous ce rapport, existent entre les chefs polynésiens et les classes inférieures de ces mêmes îles, ou entre les habitants des îles volcaniques fertiles et ceux des îles coraliennes basses et stériles du même océan[18], ou encore entre les Fuégiens habitant la côte orientale et la côte occidentale du pays, où les moyens de subsistance sont très différents, il n’est guère possible d’échapper à la condition qu’une meilleure nourriture et plus de bien-être influent sur la taille. Mais les faits qui précèdent prouvent combien il est difficile d’arriver à un résultat précis. Le Dr Beddoe a récemment démontré que, chez les habitants de l’Angleterre, la résidence dans les villes, jointe à certaines occupations, exerce une influence nuisible sur la taille, et il ajoute que le caractère ainsi acquis est jusqu’à un certain point héréditaire ; il en est de même aux États-Unis. Le même auteur admet, en outre, que partout où une race « atteint son maximum de développement physique, elle s’élève au plus haut degré d’énergie et de vigueur morale[19]. »

On ne sait si les conditions extérieures exercent sur l’homme d’autres effets directs. On pourrait s’attendre à ce que des différences de climat exerçassent une influence marquée, l’activité des poumons et des reins étant très fortement augmentée par une basse température, et celle du foie et de la peau par un climat chaud[20]. On croyait autrefois que la couleur de la peau et la nature des cheveux étaient déterminées par la lumière ou par la chaleur ; et, bien qu’on ne puisse guère nier que l’action de ces causes n’exerce quelque influence de ce genre, presque tous les observateurs s’accordent aujourd’hui à admettre que leurs effets sont très faibles, même après un laps de temps très prolongé. Nous aurons à discuter ce sujet lorsque nous étudierons les diverses races humaines. Il y a des raisons de croire que le froid et l’humidité affectent directement la croissance du poil chez nos animaux domestiques ; mais je n’ai pas rencontré de preuves de ce fait en ce qui concerne l’homme.


Effets de l’augmentation d’usage et du défaut d’usage des parties. — On sait que chez l’individu l’usage fortifie les muscles, tandis que le défaut absolu d’usage, ou la destruction de leur nerf propre, les affaiblit. Après la perte de l’œil, le nerf optique s’atrophie souvent. La ligature d’une artère entraîne non-seulement une augmentation du diamètre des vaisseaux voisins, mais aussi l’épaississement et la force de résistance de leurs parois. Lorsqu’un des reins cesse d’agir par suite d’une lésion, l’autre augmente en grosseur, et fait double travail. Les os appelés à supporter de grands poids augmentent non-seulement en grosseur, mais en longueur[21]. Des occupations habituelles différentes entraînent des modifications dans les proportions des diverses parties du corps. Ainsi, la commission des États-Unis[22] a pu constater que les jambes des matelots, qui ont servi dans la dernière guerre, étaient d’environ 3 millimètres plus longues que celle des soldats, bien que les matelots eussent en moyenne une taille plus petite ; en outre, les bras de ces matelots étaient d’environ 26 millimètres trop courts ; ils étaient, par conséquent, disproportionnellement trop courts relativement à leur moindre taille. Ce peu de longueur des bras semble résulter de leur emploi plus constant, ce qui constitue un résultat fort inattendu ; les matelots, il est vrai, se servent surtout de leurs bras pour tirer et non pour soulever des fardeaux. Le tour du cou et la profondeur du cou-de-pied sont plus grands, tandis que la circonférence de la poitrine, de la taille et des hanches est moindre chez les matelots que chez les soldats.

On ne sait si ces diverses modifications deviendraient héréditaires, au cas où plusieurs générations continueraient le même genre de vie, mais cela est probable. Rengger[23] attribue la minceur des jambes et la grosseur des bras des Indiens Payaguas au fait que plusieurs générations successives ont passé la presque totalité de leur vie dans des canots, sans presque jamais se servir de leurs membres inférieurs. Certains auteurs adoptent une conclusion semblable pour d’autres cas analogues. Cranz[24], qui a vécu longtemps chez les Esquimaux, nous dit que « les indigènes admettent que le talent et la dextérité à la pêche du phoque (art dans lequel ils excellent) sont héréditaires ; il y a réellement là quelque chose de vrai, car le fils d’un pêcheur célèbre se distingue ordinairement, même quand il a perdu son père pendant son enfance. » Mais, dans ce cas, c’est autant l’aptitude mentale que la conformation du corps qui paraît être héréditaire. On assure qu’à leur naissance les mains des enfants des ouvriers sont, en Angleterre, plus grandes que celles des enfants des classes aisées[25]. C’est peut-être à la corrélation qui existe, au moins dans quelques cas[26], entre le développement des extrémités et celui des mâchoires qu’on doit attribuer les petites dimensions de ces dernières dans les classes aisées, qui ne soumettent leurs mains et leurs pieds qu’à un faible travail. Il est certain que les mâchoires sont généralement plus petites chez les hommes à position aisée et chez les peuples civilisés que chez les ouvriers et chez les sauvages. Mais, chez ces derniers, ainsi que le fait remarquer M. Herbert Spencer[27], l’usage plus considérable des mâchoires, nécessité par la mastication d’aliments grossiers et à l’état cru, doit influer directement sur le développement des muscles masticateurs, et sur celui des os auxquels ceux-ci s’attachent. Chez les enfants, déjà longtemps avant la naissance, l’épiderme de la plante des pieds est plus épais que sur toutes les autres parties du corps[28], fait qui, à n’en pas douter, est dû aux effets héréditaires d’une pression exercée pendant une longue série de générations.

Chacun sait que les horlogers et les graveurs sont sujets à devenir myopes, tandis que les gens vivant en plein air et surtout les sauvages ont ordinairement une vue très longue[29]. La myopie et la presbytie tendent certainement à devenir héréditaires[30]. L’infériorité des Européens, comparés aux sauvages, sous le rapport de la perfection de la vue et des autres sens, est sans aucun doute un effet du défaut d’usage, accumulé et transmis pendant un grand nombre de générations ; car Rengger[31] dit avoir observé à plusieurs reprises des Européens, élevés chez les Indiens sauvages et ayant vécu avec eux toute leur vie, qui cependant ne les égalaient pas par la subtilité de leurs sens. Le même naturaliste fait remarquer que les cavités du crâne, occupées par les divers organes des sens, sont plus grandes chez les indigènes américains que chez les Européens ; ce qui, sans doute, correspond à une différence de même ordre dans les dimensions des organes eux-mêmes. Blumenbach a aussi constaté la grandeur des cavités nasales dans le crâne des indigènes américains, et rattache à ce fait la finesse remarquable de leur odorat. Les Mongols qui habitent les plaines de l’Asie septentrionale ont, d’après Pallas, des sens d’une perfection étonnante ; Prichard croit que la grande largeur de leurs crânes sur les zygomas résulte du développement considérable qu’acquièrent chez eux les organes des sens[32].

Les Indiens Quechuas habitent les hauts plateaux du Pérou, et Alcide d’Orbigny[33] assure que leur poitrine et leurs poumons ont acquis des dimensions extraordinaires, obligés qu’ils sont à respirer continuellement une atmosphère très raréfiée. Les cellules de leurs poumons sont aussi plus grandes et plus nombreuses que celles des Européens. Ces observations ont été contestées, mais M. D. Forbes, qui a mesuré avec soin un grand nombre d’Aymaras, race voisine, vivant à une altitude comprise entre dix et quinze mille pieds, m’affirme[34] qu’ils diffèrent très notablement des hommes de toutes les autres races qu’il a étudiées, par la circonférence et par la longueur du corps. Il représente, dans ses tableaux, la taille de chaque homme par 1,000, et rapporte les autres dimensions à cette unité. On remarque que les bras étendus des Aymaras sont un peu plus courts que ceux des Européens, et beaucoup plus courts que ceux des nègres. Les jambes sont également plus courtes et présentent cette particularité remarquable que, chez tous les Aymaras mesurés, le fémur est plus court que le tibia, la longueur du fémur comparé à celle du tibia est en moyenne comme 211 est à 252, tandis que, chez deux Européens mesurés en même temps, le rapport du fémur au tibia était comme 244 est à 230, et chez trois nègres comme 258 est à 241. L’humérus est de même plus court, relativement, que l’avant-bras. Ce raccourcissement de la partie du membre qui est la plus voisine du corps paraît, comme l’a suggéré M. Forbes, être un cas de compensation en rapport avec l’allongement très prononcé du tronc. Les Aymaras présentent encore quelques points singuliers de conformation, la faible projection du talon, par exemple.

Ces hommes sont si complètement acclimatés à leur résidence froide et élevée, que, lorsque autrefois les Espagnols les obligeaient à descendre dans les basses plaines orientales, ou qu’ils y viennent aujourd’hui tentés par les salaires considérables des lavages aurifères, ils subissent une mortalité effrayante. Néanmoins, M. Forbes a retrouvé quelques familles, qui ont survécu pendant deux générations sans se croiser avec les habitants des plaines, et il a remarqué qu’elles possèdent encore leurs particularités caractéristiques. Mais il était évident, même à première vue, que toutes ces particularités avaient diminué ; et un mesurage exact prouva que leur corps est moins long que celui des hommes du haut plateau, tandis que leurs fémurs se sont allongés, ainsi que leurs tibias, quoique à un degré moindre. Le lecteur trouvera les mesures exactes dans le mémoire de M. Forbes. Ces précieuses observations ne laissent, je crois, pas de doutes sur le fait qu’une résidence à une grande altitude, pendant de nombreuses générations, tend à déterminer, tant directement qu’indirectement, des modifications héréditaires dans les proportions du corps[35].

Bien qu’il soit possible que l’homme n’ait pas été profondément modifié pendant les dernières périodes de son existence, par suite d’une augmentation ou d’une diminution de l’usage de certaines parties, les faits que nous venons de signaler prouvent que son aptitude sous ce rapport ne s’est pas perdue ; nous savons de la manière la plus positive que la même loi s’applique aux animaux inférieurs. Nous pouvons donc en conclure que, alors qu’à une époque reculée les ancêtres de l’homme se trouvaient dans un état de transition pendant lequel, de quadrupèdes qu’ils étaient, ils se transformaient en bipèdes, les effets héréditaires de l’augmentation ou de la diminution de l’usage des différentes parties du corps ont dû puissamment contribuer à augmenter l’action de la sélection naturelle.


Arrêts de développement. — L’arrêt de développement diffère de l’arrêt de croissance en ce que les parties qu’il affecte continuent à augmenter en volume tout en conservant leur état antérieur. On peut ranger dans cette catégorie diverses monstruosités dont certaines sont parfois héréditaires comme le bec-de-lièvre. Il suffira, pour le but que nous nous proposons ici, de rappeler l’arrêt dont est frappé le développement du cerveau chez les idiots microcéphales, si bien décrits par Vogt dans un important mémoire[36]. Le crâne de ces idiots est plus petit et les circonvolutions du cerveau sont moins compliquées que chez l’homme à l’état normal. Le sinus frontal, largement développé, formant une projection sur les sourcils, et le prognathisme effrayant des mâchoires donnent à ces idiots quelque ressemblance avec les types inférieurs de l’humanité. Leur intelligence et la plupart de leurs facultés mentales sont d’une extrême faiblesse. Ils ne peuvent articuler aucun langage, sont incapables de toute attention prolongée, mais sont enclins à l’imitation. Ils sont forts et remarquablement actifs, gambadent, sautent sans cesse, et font des grimaces. Ils montent souvent les escaliers à quatre pattes, et sont singulièrement portés à grimper sur les meubles ou sur les arbres. Ils nous rappellent ainsi le plaisir que manifestent presque tous les jeunes garçons à grimper aux arbres, et ce fait que les agneaux et les cabris, primitivement animaux alpins, aiment à folâtrer sur les moindres élévations de terrain qu’ils rencontrent. Les idiots ressemblent aussi aux animaux inférieurs sous quelques autres rapports ; ainsi, on en a connu plusieurs qui flairaient avec beaucoup de soin chaque bouchée avant de la manger. On cite un idiot qui, pour attraper les poux, se servait indifféremment de sa bouche ou de ses mains. Les idiots ont d’ordinaire des habitudes dégoûtantes ; ils n’ont aucune idée de la décence ; on a remarqué que certains avaient le corps couvert de poils[37].


Retour ou Atavisme. — Nous aurions pu introduire dans le paragraphe précédent la plupart des cas que nous avons à citer ici. Lorsqu’une conformation subit un arrêt de développement, mais qu’elle continue à s’accroître jusqu’à ressembler beaucoup à quelque structure analogue qui existe chez certains individus inférieurs adultes du même groupe, nous pouvons, à un certain point de vue, considérer cette conformation comme un cas de retour. Les individus inférieurs d’un groupe nous représentent, dans une certaine mesure, la conformation probable de l’ancêtre commun de ce groupe ; on ne saurait guère croire, en effet, qu’une partie, arrêtée dans une des phases précoces de son développement embryonnaire, pût être capable de croître jusqu’à remplir ultérieurement sa fonction propre, si elle n’avait acquis cette aptitude à grossir dans quelque état antérieur d’existence, alors que la conformation exceptionnelle ou arrêtée était normale. Nous pouvons, en nous plaçant à ce point de vue, considérer comme un cas de retour, le cerveau simple d’un idiot microcéphale, en tant qu’il ressemble à celui d’un singe[38]. Il est d’autres cas qui se rattachent plus rigoureusement aux phénomènes du retour dont nous nous occupons ici. Certaines conformations, qui se rencontrent régulièrement chez les individus inférieurs du groupe dont l’homme fait partie, apparaissent parfois chez ce dernier, bien que faisant défaut dans l’embryon humain normal ; ou, s’ils s’y trouvent, se développent ultérieurement d’une manière anormale, quoique ce mode d’évolution soit bien celui propre aux membres inférieurs du groupe. Les exemples suivants feront mieux comprendre ces remarques.

Chez divers mammifères, l’utérus passe peu à peu de la forme d’un organe double ayant deux orifices et deux passages distincts, comme chez les marsupiaux, à celle d’un organe unique ne présentant d’autres indices de duplication qu’un léger pli interne, comme chez les singes supérieurs et chez l’homme. On observe chez les rongeurs toutes les séries de gradations entre ces deux états extrêmes. Chez tous les mammifères, l’utérus se développe de deux tubes primitifs simples, dont les portions inférieures forment les cornes, et, suivant l’expression du Dr Farre, « c’est par la coalescence des extrémités inférieures des deux cornes que se forme le corps de l’utérus humain, tandis qu’elles restent séparées chez les animaux dont l’utérus ne présente pas de partie moyenne, ou de corps. À mesure que l’utérus se développe, les deux cornes se raccourcissent graduellement et finissent par disparaître, comme si elles étaient absorbées par lui. » Les angles de l’utérus s’allongent encore en cornes jusque chez les singes inférieurs et leurs voisins les lémurs.

Or on constate parfois chez les femmes des cas d’anomalie : l’utérus adulte est muni de cornes, ou partiellement divisé en deux organes ; ces cas, d’après Owen, représentent « le degré de développement concentré » que cet organe a atteint chez certains rongeurs. Ce n’est peut-être là qu’un exemple d’un simple arrêt de développement embryonnaire, avec accroissement subséquent et évolution fonctionnelle complète, car chacun des deux côtés de l’utérus, partiellement double, est apte à servir à l’acte propre de la gestation. Dans d’autres cas plus rares, il y a formation de deux cavités utérines distinctes, ayant chacune ses passages et ses orifices spéciaux[39]. Aucune phase analogue n’étant parcourue dans le développement ordinaire de l’embryon, il serait difficile, quoique non impossible, de croire que les deux petits tubes primitifs simples sauraient (s’il est permis d’employer ce terme) se développer en deux utérus distincts, ayant chacun un orifice et un passage, et abondamment pourvus de muscles, de nerfs, de glandes et de vaisseaux, s’ils n’avaient pas autrefois suivi un cours analogue d’évolution, comme cela se voit chez les marsupiaux actuels. Personne ne pourrait prétendre qu’une conformation, aussi parfaite que l’est l’utérus double anormal de la femme, puisse être le résultat du simple hasard. Le principe du retour, au contraire, en vertu duquel des conformations depuis longtemps perdues sont rappelées à l’existence, pourrait être le guide conducteur du développement complet de l’organe, même après un laps de temps très prolongé.

Après avoir discuté ce cas et plusieurs autres analogues, le professeur Canestrini[40] arrive à une conclusion identique à la mienne. Il cite, entre autres cas, l’os malaire qui, chez quelques quadrumanes et chez quelques autres mammifères, se compose normalement de deux parties. C’est dans cet état qu’il se trouve chez le fœtus humain âgé de deux mois, et qu’il se retrouve parfois, à cause d’un arrêt de développement, chez l’homme adulte, surtout chez les races prognathes inférieures. Canestrini en conclut que, chez un ancêtre de l’homme, cet os devait être normalement partagé en deux portions qui se sont ultérieurement soudées pour n’en plus faire qu’une. L’os frontal de l’homme se compose d’une seule pièce, mais dans l’embryon, chez les enfants, ainsi que chez presque tous les mammifères inférieurs, il se compose de deux pièces séparées par une suture distincte. Cette suture persiste parfois, d’une manière plus ou moins apparente, chez l’homme adulte, plus fréquemment dans les anciens crânes que dans les crânes récents, et tout spécialement, ainsi que Canestrini l’a fait remarquer, dans ceux qui appartiennent au type brachycéphale exhumés du diluvium. Il conclut dans ce cas, comme dans celui des os malaires qui lui est analogue. Il semble, par cet exemple ainsi que par d’autres que nous aurons à signaler, que si les races anciennes se rapprochent plus souvent que les races modernes des animaux par certains de leurs caractères, c’est parce que ces dernières sont, dans la longue série de la descendance, un peu plus éloignées de leurs premiers ancêtres semi-humains.

Différents auteurs ont considéré comme des cas de retour diverses autres anomalies, plus ou moins analogues aux précédentes, qui se présentent chez l’homme ; mais cela est douteux, car nous aurions à descendre très bas dans la série des mammifères avant de trouver de semblables conformations normales[41].

Les canines sont chez l’homme des instruments de mastication parfaitement efficaces. Mais, ainsi que le fait remarquer Owen[42], leur vrai caractère de canines « est indiqué par la forme conique de la couronne, qui se termine en pointe obtuse, est convexe au dehors et plate ou un peu concave sur sa face interne, laquelle porte à la base une faible proéminence. La forme conique est parfaitement accusée chez les races mélanésiennes, surtout chez la race australienne. La canine est plus profondément implantée, et a une racine plus forte que celle des incisives. » Cette dent, cependant, ne constitue plus pour l’homme une arme spéciale pour lacérer ses ennemis ou sa proie ; on peut donc, en ce qui concerne sa fonction propre, la considérer comme rudimentaire. Dans toute collection considérable de crânes humains, on en trouve, comme le remarque Häckel[43], chez lesquels les canines dépassent considérablement le niveau des autres dents, à peu près comme chez les singes anthropomorphes, bien qu’à un moindre degré. Dans ce cas, un vide est réservé entre les dents de chaque mâchoire pour recevoir l’extrémité de la canine de la mâchoire opposée. Un intervalle de ce genre, remarquable par son étendue, existe dans un crâne cafre[44] dessiné par Wagner. On n’a pu examiner que bien peu de crânes anciens comparativement à ce qu’on a étudié de crânes récents, il est donc intéressant de constater que, dans trois cas au moins, les canines font une forte saillie, et qu’elles sont décrites comme énormes dans la mâchoire de la Naulette[45].

Seuls, les singes anthropomorphes mâles ont les canines complètement développées ; mais, chez le gorille femelle et un peu moins chez l’orang du même sexe, elles dépassent considérablement les autres dents. On m’a affirmé que parfois les femmes ont des canines très saillantes ; ce fait ne constitue donc aucune objection sérieuse contre l’hypothèse en vertu de laquelle leur développement considérable, accidentel chez l’homme, est un cas de retour vers un ancêtre simien. Celui qui rejette avec mépris l’idée que la forme des canines et le développement excessif de ces dents chez quelques individus résultent de ce que nos premiers ancêtres possédaient ces armes formidables, révèle probablement en ricanant sa propre ligne de filiation ; car, bien qu’il n’ait plus l’intention ni le pouvoir de faire usage de ses dents comme armes offensives, il contracte inconsciemment ses muscles grondeurs (snarling muscles de Sir C. Bell)[46], et découvre ainsi ses dents, prêtes à l’action, comme le chien qui se dispose à combattre.

Beaucoup de muscles, spéciaux aux quadrumanes ou aux autres mammifères, se rencontrent parfois chez l’homme. Le professeur Vlacovich[47] a, sur quarante sujets mâles, trouvé chez dix-neuf un muscle qu’il a appelé l’ischio-pubien ; chez trois autres ce muscle était représenté par un ligament ; il n’y en avait pas de traces sur les dix-huit restants. Sur trente sujets féminins, ce muscle n’était développé des deux côtés que chez deux, et le ligament rudimentaire chez trois. Ce muscle paraît donc plus commun chez l’homme que chez la femme ; ce fait s’explique si l’on admet l’hypothèse que l’homme descend de quelque type inférieur, car ce muscle existe chez beaucoup d’animaux, et, chez tous ceux qui le possèdent, il sert exclusivement au mâle dans l’acte de la reproduction.

M. J. Wood[48] a, dans ses excellents mémoires, minutieusement décrit chez l’homme de nombreuses variations musculaires qui ressemblent à des structures normales existant chez les animaux inférieurs. En ne tenant même compte que des muscles qui ressemblent le plus à ceux existant régulièrement chez nos voisins les plus rapprochés, les quadrumanes, ils sont trop abondants pour être spécifiés ici. Chez un seul sujet mâle, ayant une forte constitution et un crâne bien conformé, on a observé jusqu’à sept variations musculaires, qui toutes représentaient nettement des muscles spéciaux à plusieurs types de singes. Cet homme avait, entre autres, sur les deux côtés du cou, un véritable et puissant levator claviculæ, tel qu’on le trouve chez toutes les espèces de singes, et qu’on dit exister chez environ un sujet humain sur soixante[49]. Le même sujet présentait encore « un abducteur spécial de l’os métatarsal du cinquième doigt, semblable à celui dont le professeur Huxley et M. Flower ont constaté l’existence uniforme chez les singes supérieurs et inférieurs. » Je me contenterai de citer deux autres exemples ; le muscle acromio-basilaire existe chez tous les mammifères placés au-dessous de l’homme et semble en corrélation avec la démarche du quadrupède[50] ; or, on le rencontre à peu près chez un homme sur soixante. M. Bradley[51] a trouvé, dans les extrémités inférieures un abducteur ossis metatarsi quinti, chez les deux pieds de l’homme ; on n’avait pas, jusqu’à présent, signalé ce muscle chez l’homme bien qu’il existe toujours chez les singes anthropomorphes. Les mains et les bras de l’homme constituent des conformations éminemment caractéristiques ; mais les muscles de ces organes sont extrêmement sujets à varier, et cela de façon à ressembler aux muscles correspondants des animaux inférieurs[52]. Ces ressemblances sont parfaites ou imparfaites et, dans ce dernier cas, manifestement de nature transitoire. Certaines variations sont plus fréquentes chez l’homme, d’autres chez la femme, sans que nous puissions en assigner la raison. M. Wood, après avoir décrit de nombreux cas, fait l’importante remarque que voici : « Les déviations notables du type ordinaire des conformations musculaires suivent des directions qui indiquent quelque facteur inconnu mais fort important pour la connaissance substantielle de l’anatomie scientifique générale[53]. »

On peut admettre comme extrêmement probable que ce facteur inconnu est le retour à un ancien état d’existence[54]. Il est tout à fait impossible de croire que l’homme puisse, par pur accident, ressembler anormalement, par sept de ses muscles, à certains singes, s’il n’y avait entre eux aucune connexion génésique. D’autre part, si l’homme descend de quelque ancêtre simien, il n’y a pas de raison valable pour que certains muscles ne réapparaissent pas subitement même après un intervalle de plusieurs milliers de générations, de même que chez les chevaux, les ânes et les mulets, on voit brusquement reparaître sur les jambes et sur les épaules des raies de couleur foncée, après un intervalle de centaines ou plus probablement de milliers de générations.

Ces différents cas de retour ont de tels rapports avec ceux des organes rudimentaires cités dans le premier chapitre, qu’ils auraient pu y être traités aussi bien qu’ici. Ainsi, on peut considérer qu’un utérus humain pourvu de cornes représente, à un état rudimentaire, le même organe dans ses conditions normales chez certains mammifères. Quelques parties rudimentaires chez l’homme, telles que l’os coccyx chez les deux sexes, et les mamelles chez le sexe masculin, ne font jamais défaut ; tandis que d’autres, comme le foramen supra-condyloïde, n’apparaissent qu’occasionnellement et, par conséquent, auraient pu être comprises dans le chapitre relatif au retour. Ces différentes conformations « dues au retour », ainsi que celles qui sont rigoureusement rudimentaires, prouvent d’une manière certaine que l’homme descend d’un type inférieur.


Variations corrélatives. — Beaucoup de conformations chez l’homme, comme chez les animaux, paraissent si intimement liées les unes aux autres que, lorsque l’une d’elles varie, une autre en fait autant sans que nous puissions, dans la plupart des cas, en indiquer la cause. Nous ne pouvons dire quelle est la partie qui gouverne l’autre, ou si toutes deux ne sont pas elles-mêmes gouvernées par quelque autre partie antérieurement développée. Diverses monstruosités se trouvent ainsi liées l’une à l’autre, comme l’a prouvé Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Les conformations homologues sont particulièrement sujettes à varier de concert ; c’est ce que nous voyons sur les côtés opposés du corps, et dans les extrémités supérieures et inférieures. Meckel a, il y a longtemps, remarqué que lorsque les muscles du bras dévient de leur type propre, ils imitent presque toujours ceux de la jambe, et réciproquement pour les muscles de cette dernière. Les organes de la vue et de l’ouïe, les dents et les cheveux, la couleur de la peau et celle des cheveux, le teint et la constitution sont plus ou moins en corrélation les uns avec les autres[55]. Le professeur Schaaffhausen a le premier attiré l’attention sur les rapports qui paraissent exister entre une conformation musculaire très accusée et des arcades sus-orbitaires très saillantes, qui caractérisent les races humaines inférieures.

Outre les variations qu’on peut grouper avec plus ou moins de probabilité sous les titres précédents, il en reste un grand nombre qu’on peut provisoirement nommer spontanées, car notre ignorance est si grande qu’elles nous paraissent surgir sans cause apparente. On peut prouver, toutefois, que les variations de ce genre, qu’elles consistent, soit en légères différences individuelles, soit en déviations brusques et considérables de la conformation, dépendent beaucoup plus de la constitution de l’organisme que de la nature des conditions auxquelles il a été exposé[56].


Augmentation de la population. — On a vu des populations civilisées placées dans des conditions favorables, aux États-Unis par exemple, doubler leur nombre en vingt-cinq ans ; fait qui, d’après un calcul établi par Euler, pourrait se réaliser au bout d’un peu plus de douze ans[57]. À ce taux du doublement en vingt-cinq ans, la population actuelle des États-Unis, soit 30 millions, deviendrait, au bout de 657 années, assez nombreuse pour occuper tout le globe à raison de quatre hommes par mètre carré de superficie. La difficulté de trouver des subsistances et de vivre dans l’aisance constitue l’obstacle fondamental qui limite l’augmentation continue du nombre des hommes. L’exemple des États-Unis, où les subsistances se trouvent en grande quantité et où la place abonde, nous permet de conclure qu’il en est ainsi. La population de l’Angleterre serait promptement doublée si ces avantages venaient à y être doublés aussi. Chez les nations civilisées, le premier des deux obstacles agit surtout en restreignant les mariages. La mortalité considérable des enfants dans les classes pauvres, ainsi que celle produite à tous les âges par les diverses maladies, qui frappent les habitants des maisons misérables et encombrées, est aussi un fait très important. Les effets des épidémies et des guerres sont promptement compensés et même au delà, chez les nations placées dans des conditions favorables. L’émigration peut aussi provoquer un arrêt temporaire de l’augmentation de la population, mais elle n’exerce aucune influence sensible sur les classes très pauvres.

Il y a lieu de supposer, comme l’a fait remarquer Malthus, que la reproduction est actuellement moins active chez les barbares que chez les nations civilisées. Nous ne savons rien de positif à cet égard, car on n’a pas fait de recensement chez les sauvages ; mais il résulte du témoignage concordant des missionnaires et d’autres personnes qui ont longtemps résidé chez ces peuples, que les familles sont ordinairement peu nombreuses, et que le contraire est la grande exception. Ce fait, à ce qu’il semble, peut s’expliquer en partie par l’habitude qu’ont les femmes de nourrir à la mamelle pendant très longtemps ; mais il est aussi très probable que les sauvages, dont la vie est souvent très pénible et qui ne peuvent pas se procurer une alimentation aussi nourrissante que les races civilisées, doivent être réellement moins prolifiques. J’ai démontré, dans un autre ouvrage[58], que tous nos animaux et tous nos oiseaux domestiques, ainsi que toutes nos plantes cultivées, sont plus féconds que les espèces correspondantes à l’état de nature. Les animaux, il est vrai, qui reçoivent un excès de nourriture ou qui sont engraissés rapidement et la plupart des plantes subitement transportées d’un sol très pauvre dans un sol très riche, deviennent plus ou moins stériles ; mais ce n’est pas là une objection sérieuse à la conclusion que nous venons d’indiquer. Cette observation nous amène donc à penser que les hommes civilisés qui sont, dans un certain sens, soumis à une haute domestication, doivent être plus prolifiques que les sauvages. Il est probable aussi que l’accroissement de fécondité chez les nations civilisées tend à devenir un caractère héréditaire comme chez nos animaux domestiques ; on sait au moins que, dans certaines familles humaines, il y a une tendance à la production de jumeaux[59].

Bien que moins prolifiques que les peuples civilisés, les sauvages augmenteraient sans aucun doute rapidement, si leur nombre n’était rigoureusement restreint par quelques causes. Les Santali, tribus habitant les collines de l’Inde, ont récemment offert un excellent exemple de ce fait, car, ainsi que l’a démontré M. Hunter[60], ils ont considérablement augmenté depuis l’introduction de la vaccine, depuis que d’autres épidémies ont été atténuées, et que la guerre a été strictement supprimée. Cette augmentation n’aurait toutefois pas été possible si ces populations grossières ne s’étaient répandues dans les districts voisins pour travailler à gages. Les sauvages se marient presque toujours, avec cette restriction qu’ils ne le font pas ordinairement dès l’âge où le mariage est possible. Les jeunes gens doivent prouver d’abord qu’ils sont en état de nourrir une femme, et doivent gagner la somme nécessaire pour acheter la jeune fille à ses parents. La difficulté qu’ont les sauvages à se procurer leur subsistance limite, à l’occasion, leur nombre d’une manière bien plus directe que chez les peuples civilisés, car les membres de toutes les tribus ont périodiquement à souffrir de rigoureuses famines pendant lesquelles, forcés de se contenter d’une détestable alimentation, leur santé ne peut qu’être très compromise. On a signalé de nombreux exemples de la saillie de l’estomac des sauvages et de l’émaciation de leurs membres pendant et après les disettes. Ils sont alors contraints à beaucoup errer, ce qui amène la mort de nombreux enfants, comme on me l’a assuré en Australie. Les famines étant périodiques et dépendant principalement des saisons extrêmes, toutes les tribus doivent éprouver des fluctuations en nombre. Elles ne peuvent pas régulièrement et constamment s’accroître, en l’absence de tout moyen d’augmenter artificiellement la quantité de nourriture. Lorsqu’ils sont vivement pressés par le besoin, les sauvages empiètent sur les territoires voisins, et la guerre éclate ; il est vrai, d’ailleurs, qu’ils sont presque toujours en lutte avec leurs voisins. Dans leurs efforts pour se procurer des aliments, ils sont exposés à de nombreux accidents sur la terre et sur l’eau ; et, dans quelques pays, ils doivent avoir à souffrir considérablement des grands animaux féroces. Dans l’Inde même, il y a eu des districts dépeuplés par les ravages des tigres.

Malthus a discuté ces diverses causes d’arrêt, mais il n’insiste pas assez sur un fait qui est peut-être le plus important de tous : l’infanticide, surtout des enfants du sexe féminin, et l’emploi des pratiques tendant à procurer l’avortement. Ces dernières règnent actuellement dans bien des parties du globe, et, d’après M. M’Lennan[61], l’infanticide semble avoir existé autrefois dans des proportions encore bien plus considérables. Ces pratiques paraissent devoir leur origine à la difficulté, ou même à l’impossibilité dans laquelle se trouvent les sauvages de pouvoir nourrir tous les enfants qui naissent. On peut encore ajouter le dérèglement des mœurs à ces diverses causes de restriction ; mais ce dérèglement ne résulte pas d’un manque de moyens de subsistance, bien qu’il y ait des raisons pour admettre que, dans certains pays (le Japon, par exemple), on l’ait encouragé dans le but de maintenir la population dans des limites constantes.

Si nous nous reportons à une époque extrêmement reculée, l’homme, avant d’en être arrivé à la dignité d’être humain, devait se laisser diriger beaucoup plus par l’instinct et moins par la raison que les sauvages actuels les plus infimes. Nos ancêtres primitifs semi-humains ne devaient pratiquer ni l’infanticide, ni la polyandrie, car les instincts des animaux inférieurs ne sont jamais assez pervers[62] pour les pousser à détruire régulièrement leurs petits ou pour leur enlever tout sentiment de jalousie. Ils ne devaient point non plus apporter au mariage des restrictions prudentes, et les sexes s’accouplaient librement de bonne heure. Il en résulte que les ancêtres de l’homme ont dû tendre à se multiplier rapidement ; mais des freins de certaine nature, périodiques ou constants, ont dû contribuer à réduire le nombre de leurs descendants avec plus d’énergie peut-être encore que chez les sauvages actuels. Mais, pas plus que pour la plupart des autres animaux, nous ne saurions dire quelle a pu être la nature précise de ces freins. Nous savons que les chevaux et le bétail, qui ne sont pas des animaux très prolifiques, ont augmenté en nombre avec une énorme rapidité après leur introduction dans l’Amérique du Sud. Le plus lent reproducteur de tous les animaux, l’éléphant, peuplerait le monde entier en quelques milliers d’années. L’augmentation en nombre des diverses espèces de singes doit être limitée par quelque cause, mais pas, comme le pense Brehm, par les attaques des bêtes féroces. Personne n’oserait prétendre que la faculté reproductrice immédiate des chevaux et du bétail sauvage de l’Amérique se soit d’abord accrue d’une manière sensible, pour être plus tard réduite, à mesure que chaque région se peuplait davantage. Dans ce cas comme dans tous les autres, il n’est pas douteux qu’il y ait eu un concours de plusieurs obstacles, différant même selon les circonstances ; des disettes périodiques résultant de saisons défavorables devant probablement être comptées au nombre des causes les plus importantes. Il a dû en être de même pour les ancêtres primitifs de l’homme.


Sélection naturelle. — Nous avons vu que le corps et l’esprit de l’homme sont sujets à varier, et que les variations sont provoquées directement ou indirectement par les mêmes causes générales, et obéissent aux mêmes lois que chez les animaux inférieurs. L’homme s’est largement répandu à la surface de la terre ; dans ses incessantes migrations[63], il doit avoir été exposé aux conditions les plus différentes. Les habitants de la Terre de Feu, du cap de Bonne-Espérance et de la Tasmanie, dans l’un des hémisphères, et ceux des régions arctiques dans l’autre, doivent avoir traversé bien des climats et modifié bien des fois leurs habitudes avant d’avoir atteint leurs demeures actuelles[64]. Les premiers ancêtres de l’homme avaient aussi, sans doute, comme tous les autres animaux, une tendance à se multiplier au-delà des moyens de subsistance ; ils doivent donc avoir été accidentellement exposés à la lutte pour l’existence, et, par conséquent, soumis à l’inflexible loi de la sélection naturelle. Il en résulte que les variations avantageuses de tous genres ont dû être ainsi occasionnellement ou habituellement conservées, et les nuisibles éliminées. Je ne parle pas ici des déviations de conformation très prononcées, qui ne surgissent qu’à de longs intervalles, mais seulement des différences individuelles. Nous savons, par exemple, que les muscles qui déterminent les mouvements de nos mains et de nos pieds sont, comme ceux des animaux inférieurs, sujets à une incessante variabilité[65]. En conséquence, si on suppose que les ancêtres simiens de l’homme, habitant une région quelconque, et surtout un pays en voie de changements dans ses conditions, étaient partagés en deux troupes égales, celle qui comprenait les individus les mieux adaptés, par leur organisation motrice, à se procurer leur subsistance ou à se défendre, a dû fournir la plus forte moyenne de survivants, et produire plus de descendants que l’autre troupe moins favorisée.

Dans son état actuel le plus imparfait, l’homme n’en est pas moins l’animal le plus dominateur qui ait jamais paru sur la terre. Il s’est répandu beaucoup plus largement qu’aucun autre animal bien organisé, et tous lui ont cédé le pas. Il doit évidemment cette immense supériorité à ses facultés intellectuelles, à ses habitudes sociales qui le conduisent à aider et à défendre ses semblables, et à sa conformation corporelle. Le résultat final de la lutte pour l’existence a prouvé l’importance suprême de ces caractères. Les hautes facultés intellectuelles de l’homme lui ont permis de développer le langage articulé, qui est devenu l’agent principal de son remarquable progrès. « L’analyse psychologique du langage démontre, comme le fait remarquer M. Chauncey Wright[66], que l’usage du langage, même dans le sens le plus borné, exige bien plus que toute autre chose l’exercice constant des facultés mentales. » L’homme a inventé des armes, des outils, des pièges, etc., dont il fait un ingénieux emploi, et qui lui servent à se défendre, à tuer ou à saisir sa proie ; au moyen desquels, en un mot, il se procure ses aliments. Il a construit des radeaux ou des embarcations qui lui ont permis de se livrer à la pêche et de passer d’une île à une autre plus fertile du voisinage. Il a découvert l’art de faire le feu, à l’aide duquel il a pu rendre digestibles des racines dures et filandreuses, et, innocentes par la cuisson, des plantes vénéneuses à l’état cru. Cette dernière découverte, la plus grande, sans contredit, après celle du langage, a précédé la première aurore de l’histoire. Ces diverses inventions, qui avaient déjà rendu l’homme si prépondérant, alors même qu’il était à l’état le plus grossier, sont le résultat direct du développement de ses facultés, c’est-à-dire l’observation, la mémoire, la curiosité, l’imagination et la raison. Je ne puis donc comprendre pourquoi M. Wallace[67] soutient « que le seul effet qu’ait pu avoir la sélection naturelle a élu de douer le sauvage d’un cerveau un peu supérieur à celui du singe. »

Bien que la puissance intellectuelle et les habitudes sociales de l’homme aient pour lui une importance fondamentale, nous ne devons pas méconnaître l’importance de sa conformation corporelle, point auquel nous consacrerons le reste de ce chapitre. Nous discuterons, dans un chapitre suivant, le développement de ses facultés intellectuelles, sociales et morales.

Quiconque sait un peu de menuiserie admet qu’il n’est pas facile de manier le marteau avec précision. Jeter une pierre avec la justesse dont un Fuégien est capable, soit pour se défendre, soit pour tuer des oiseaux, exige la perfection la plus consommée dans l’action combinée des muscles de la main, du bras et de l’épaule, sans parler d’un sens tactile assez fin. Pour lancer une pierre ou une lance, et pour beaucoup d’autres actes, l’homme doit être ferme sur ses pieds, ce qui exige encore la coadaptation parfaite d’une foule de muscles. Pour tailler un silex et en faire l’outil le plus grossier, ou pour façonner un os en crochet ou en hameçon, il faut une main parfaite ; car, ainsi que le fait remarquer un juge des plus compétents, M. Schoolcraft[68], l’art de transformer des fragments de pierre en couteaux, en lances ou en pointes de flèche, dénote « une habileté extrême et une longue pratique ». Le fait que les hommes primitifs pratiquaient la division du travail le prouve surabondamment ; chaque homme ne confectionnait pas ses outils en silex ou sa poterie grossière, mais il paraît que certains individus se vouaient à ce genre de travaux et recevaient, sans doute, en échange, quelques produits de la chasse. Les archéologues affirment qu’un énorme laps de temps s’est écoulé avant que nos ancêtres aient songé à user la surface des silex éclatés pour en faire des outils polis. Un animal ressemblant à l’homme, pourvu d’une main et d’un bras assez parfaits pour jeter une pierre avec justesse, ou pour transformer un silex en un outil grossier, pourrait, sans aucun doute, avec une pratique suffisante, en ce qui concerne seulement l’habileté mécanique, effectuer presque tout ce qu’un homme civilisé est capable de faire. On peut, à ce point de vue, comparer la conformation de la main à celle des organes vocaux, qui servent chez les singes à l’émission de cris, de signaux divers, ou, comme chez une espèce, à l’émission de cadences musicales ; tandis que, chez l’homme, des organes vocaux très semblables se sont adaptés à l’expression du langage articulé grâce aux effets héréditaires de l’usage.

Examinons maintenant les plus proches voisins de l’homme, et, par conséquent, les représentants les plus fidèles de nos ancêtres primitifs. La main des quadrumanes a la même conformation générale que la nôtre, mais elle est moins parfaitement adaptée à des travaux divers. Cet organe ne leur est pas aussi utile pour la locomotion que les pattes le sont à un chien ; c’est ce qu’on observe chez les singes, qui marchent sur les bords externes de la paume de la main, ou sur le revers des doigts repliés, comme l’orang et le chimpanzé[69]. Leurs mains sont toutefois admirablement adaptées pour grimper aux arbres. Les singes saisissent comme nous de fines branches ou des cordes avec le pouce d’un côté, les doigts et la paume de l’autre. Ils peuvent aussi soulever d’assez gros objets, porter par exemple à leur bouche le goulot d’une bouteille. Les babouins retournent les pierres et arrachent les racines avec leurs mains. Ils saisissent à l’aide de leur pouce, opposable aux doigts, des noisettes, des insectes et d’autres petits objets, et, sans aucun doute, prennent ainsi les œufs et les jeunes oiseaux dans les nids. Les singes américains meurtrissent les oranges sauvages, en les frappant sur une branche, jusqu’à ce que, l’écorce se fendant, ils puissent l’arracher avec leurs doigts. D’autres singes ouvrent avec les deux pouces les coquilles des moules. Ils s’enlèvent réciproquement les épines qui peuvent se fixer dans leur peau, et se cherchent mutuellement leurs parasites. À l’état sauvage, ils brisent à l’aide de cailloux les fruits à coque dure. Ils roulent des pierres ou les jettent à leurs ennemis ; cependant, ils exécutent tous ces actes lourdement, et il leur est absolument impossible, ainsi que j’ai pu l’observer moi-même, de lancer une pierre avec précision.

Il me paraît loin d’être vrai que, parce que les singes saisissent les objets gauchement, « un organe de préhension moins spécialisé leur aurait rendu autant de services que leurs mains actuelles[70]. » Au contraire, je ne vois aucune raison pour mettre en doute qu’une main plus parfaitement conformée ne leur eût été avantageuse, à la condition importante à noter, qu’elle n’en fût pas pour cela moins propre à leur permettre de grimper aux arbres. Nous pouvons supposer qu’une main aussi parfaite que celle de l’homme aurait été moins avantageuse pour grimper, car les singes qui se tiennent le plus souvent dans les arbres, l’Ateles en Amérique, le Colobus en Afrique et l’Hylobates en Asie, ont le pouce très réduit en grosseur, souvent même rudimentaire, et les doigts partiellement adhérents, de sorte que leur main est ainsi convertie en simple crochet[71].

Dès qu’un ancien membre de la grande série des Primates en fut arrivé, soit à cause d’un changement dans le mode de se procurer ses aliments, soit à cause d’un changement d’une modification dans les conditions du pays qu’il habitait, à vivre moins sur les arbres et davantage sur le sol, son mode de locomotion a dû se modifier ; dans ce cas, il devait devenir ou plus rigoureusement quadrupède ou absolument bipède. Les babouins fréquentent les régions accidentées et rocheuses, et ne grimpent sur les arbres élevés que forcés par la nécessité[72], ils ont acquis presque la démarche du chien. L’homme seul est devenu bipède ; nous pouvons, je crois, expliquer en partie comment il a acquis son attitude verticale, qui constitue un de ses caractères les plus remarquables. L’homme n’aurait jamais atteint sa position prépondérante dans le monde sans l’usage de ses mains, instruments si admirablement appropriés à obéir à sa volonté. Sir C. Bell[73] a insisté sur le fait que « la main supplée à tous les instruments, et, par sa connexité avec l’intelligence, elle a assuré à l’homme la domination universelle ». Mais les mains et les bras n’auraient jamais pu devenir des organes assez parfaits pour fabriquer des armes, pour lancer des pierres et des javelots avec précision, tant qu’ils servaient habituellement à la locomotion et à supporter le poids du corps, ou tant qu’ils étaient tout particulièrement adaptés, comme nous l’avons vu, pour grimper dans les arbres. Un service aussi rude aurait, d’ailleurs émoussé le sens du tact, dont dépendent essentiellement les usages délicats auxquels les doigts sont appropriés. Ces causes seules auraient suffi pour que l’attitude verticale fût avantageuse à l’homme, mais il est encore beaucoup d’actions qui exigent la liberté des deux bras et de la partie supérieure du corps, lequel doit pouvoir dans ce cas reposer solidement sur les pieds. Pour atteindre ce résultat fort avantageux, les pieds sont devenus plats, et le gros orteil s’est particulièrement modifié, au prix, il est vrai, de la perte de toute aptitude à la préhension. Le principe de la division du travail physiologique, qui prévaut dans le règne animal, veut que, à mesure que les mains se sont perfectionnées pour la préhension, les pieds se soient perfectionnés aussi dans le sens de la stabilité et de la locomotion. Chez quelques sauvages cependant, le pied n’a pas entièrement perdu son pouvoir préhensile, comme le prouve leur manière de grimper sur les arbres et de s’en servir de diverses autres manières[74].

Or, s’il est avantageux pour l’homme d’avoir les mains et les bras libres, et de pouvoir se tenir solidement sur les pieds, et son succès dans la lutte pour l’existence ne permet pas d’en douter, je ne vois aucune raison pour laquelle il n’aurait pas été également avantageux à ses ancêtres de se redresser toujours davantage, et de devenir bipèdes. Ce nouvel état leur permettait de mieux se défendre avec des pierres ou des massues, d’attaquer plus facilement leur proie, ou de se procurer autrement leurs aliments. Les individus les mieux construits ont dû, à la longue, le mieux réussir, et survivre en plus grand nombre. Si le gorille et quelques espèces voisines s’étaient éteintes, on aurait pu opposer l’argument assez fort et assez vrai en apparence, qu’un animal ne peut passer graduellement de l’état de quadrupède à celui de bipède ; car tous les individus se trouvant dans l’état intermédiaire auraient été très mal appropriés à tout genre de locomotion. Mais nous savons (et cela mérite réflexion) que les anthropomorphes se trouvent actuellement dans cette condition intermédiaire, sans qu’on puisse contester que, dans l’ensemble, ils soient bien adaptés à leur mode d’existence. Ainsi le gorille court avec une allure oblique et lourde, mais plus habituellement il marche en s’appuyant sur ses doigts fléchis. Les singes à longs bras s’en servent quelquefois comme de béquilles, et, en se balançant sur eux, se projettent en avant ; quelques Hybolates peuvent, sans qu’on le leur ait appris, marcher ou courir debout avec une assez grande rapidité ; toutefois leurs mouvements sont gauches et n’ont pas la sûreté de ceux de l’homme. Nous trouvons donc, en somme, diverses gradations chez les singes vivants, entre le mode de locomotion qui est strictement celui du quadrupède, et celui du bipède ou de l’homme ; or, comme le fait remarquer un juge compétent[75] qui n’est animé par aucun esprit de parti, la conformation des singes anthropomorphes se rapproche plus du type bipède que du type quadrupède.

À mesure que les ancêtres de l’homme se sont de plus en plus redressés, à mesure que leurs mains et leurs bras se modifiaient de plus en plus en vue de la préhension et d’autres usages, tandis que leurs pieds et leurs jambes se modifiaient en même temps pour le soutien et la locomotion, une foule d’autres modifications de conformation sont devenues nécessaires. Le bassin a dû s’élargir, l’épine dorsale se courber d’une manière spéciale, la tête se fixer dans une autre position, changements qui se sont tous effectués chez l’homme. Le professeur Schaafhausen[76] soutient que « les énormes apophyses mastoïdes du crâne humain sont un effet de son attitude verticale ; » elles n’existent ni chez l’orang, ni chez le chimpanzé, etc., et sont plus petites chez le gorille que chez l’homme. Nous pourrions signaler ici diverses autres conformations qui paraissent se rapporter à l’attitude verticale de l’homme. Il est difficile de déterminer jusqu’à quel point toutes ces modifications corrélatives ont pour cause la sélection naturelle, et quels peuvent avoir été les résultats des effets héréditaires de l’accroissement d’usage de quelques parties, ou de leur action réciproque les unes sur les autres, il n’est pas douteux que ces causes de changement n’agissent et ne réagissent les unes sur les autres. Ainsi, lorsque certains muscles et les arêtes osseuses auxquelles ils sont attachés s’accroissent par suite d’un usage habituel, cela prouve qu’ils jouent un rôle utile qui favorise les individus où ils sont le plus développés, et que ces derniers tendent à survivre en plus grand nombre.

L’usage libre des bras et des mains, en partie la cause et en partie le résultat de l’altitude verticale de l’homme, paraît avoir déterminé indirectement d’autres modifications de structure. Les ancêtres primitifs mâles de l’homme étaient probablement, comme nous l’avons vu, pourvus de grosses canines ; mais, dès qu’ils s’habituèrent graduellement à se servir de pierres, de massues ou d’autres armes pour combattre leurs ennemis, ils ont dû de moins en moins se servir de leurs mâchoires et de leurs dents pour cet usage. Les mâchoires, dans ce cas, ainsi que les dents, se sont réduites, comme nous le prouvent une foule de faits analogues. Nous trouverons, dans un futur chapitre, un cas tout à fait parallèle dans la réduction ou la disparition complète des canines chez les ruminants mâles, disparition qui paraît se rattacher au développement de leurs cornes, et chez les chevaux à leur habitude de compter pour se défendre sur leurs incisives et sur leurs sabots.

L’énorme développement des muscles de la mâchoire produit sur le crâne des singes anthropomorphes mâles adultes, ainsi que Rütimeyer[77] et d’autres savants le constatent, des effets tels que le crâne de ces animaux diffère considérablement et sous tant de rapports de celui de l’homme, et leur donnent l’horrible physionomie qui les caractérise. Aussi, à mesure que les mâchoires et les dents se sont graduellement réduites chez les ancêtres de l’homme, le crâne adulte de ces derniers a dû se rapprocher chaque jour davantage de celui de l’homme actuel. Une grande diminution des canines chez les mâles a certainement, comme nous le verrons plus loin, affecté par hérédité celles des femelles.

Le cerveau a certainement augmenté en volume à mesure que les diverses facultés mentales se sont développées. Personne, je suppose, ne doute que, chez l’homme, le volume du cerveau, relativement à celui du corps, si on compare ces proportions à celles qui existent chez le gorille ou chez l’orang, ne se rattache intimement à ses facultés mentales élevées. Nous observons des faits analogues chez des insectes : chez les fourmis, en effet, les ganglions cérébraux atteignent une dimension extraordinaire ; ces ganglions sont chez tous les hyménoptères beaucoup plus volumineux que chez les ordres moins intelligents, tels que les coléoptères[78]. D’autre part, personne ne peut supposer que l’intelligence de deux animaux ou de deux hommes quelconques puisse être exactement jaugée par la capacité de leur crâne. Il est certain qu’une très petite masse absolue de substance nerveuse peut développer une très grande activité mentale ; car les instincts si merveilleusement variés, les aptitudes et les affections des fourmis que chacun connaît, ont pour siège des ganglions cérébraux qui n’atteignent pas la grosseur du quart de la tête d’une petite épingle. À ce dernier point de vue, le cerveau d’une fourmi est un des plus merveilleux atomes de matière qu’on puisse concevoir, peut-être même plus merveilleux encore que le cerveau de l’homme.

L’opinion qu’il existe chez l’homme quelque rapport intime entre le volume du cerveau et le développement des facultés intellectuelles repose sur la comparaison des crânes des races sauvages et des races civilisées, des peuples anciens et modernes, et par l’analogie de toute la série des vertébrés. Le Dr J. Barnard Davis[79] a prouvé, par de nombreuses mesures exactes, que la capacité moyenne interne du cerveau chez les Européens est de 92,3 pouces cubes ; 87,5 chez les Américains ; 87,1 chez les Asiatiques, et seulement de 81,9 chez les Australiens. Le professeur Broca[80] a démontré que les crânes récents des cimetières de Paris, sont plus grands que ceux trouvés dans les caveaux du xiie siècle, dans le rapport de 1,484 à 1,426 et que, comme le prouvent les mesures prises, l’augmentation de grandeur s’est produite exclusivement dans la partie frontale du crâne, siège des facultés intellectuelles. Prichard est convaincu que les habitants actuels de l’Angleterre ont des capacités crâniennes plus spacieuses que ne les avaient les anciens habitants du pays. Il faut, cependant, admettre que quelques crânes très anciens, comme le fameux crâne du Néanderthal, sont bien développés et très spacieux[81]. Quant aux animaux inférieurs, M. E. Lartet[82], en comparant les crânes des mammifères tertiaires à ceux des mammifères actuels appartenant aux mêmes groupes, est arrivé à la remarquable conclusion que le cerveau est généralement plus grand et les circonvolutions plus complexes chez les formes récentes. J’ai démontré autre part[83] que le volume du cerveau du lapin domestique a diminué considérablement comparativement à celui du lapin sauvage ou du lièvre, ce qui peut être attribué à ce que, tenus en captivité pendant de nombreuses générations, les lapins domestiques ont peu exercé leur intelligence, leurs instincts, leurs sens et leur volonté.

Le poids et le volume croissants du cerveau et du crâne chez l’homme ont dû influer sur le développement de la colonne vertébrale qui les supporte, surtout alors qu’il tendait à se redresser. Pendant que s’effectuait ce changement d’attitude, la pression interne du cerveau a dû aussi influencer la forme du crâne, lequel, comme beaucoup de faits le prouvent, est facilement affecté par des actions de cette nature. Les ethnologistes admettent que le genre de berceau dans lequel on tient l’enfant peut modifier la forme du crâne. Des spasmes musculaires habituels et une cicatrice résultant d’une forte brûlure peuvent modifier d’une manière permanente les os de la face. Chez certains jeunes sujets dont la tête, à la suite d’une maladie, s’est fixée de côté ou en arrière, un des yeux a changé de position et la forme du crâne s’est modifiée ; ce qui paraît être le résultat d’une pression exercée par le cerveau dans une nouvelle direction[84]. J’ai démontré que, chez les lapins à longues oreilles, une cause aussi insignifiante que l’est, par exemple, la chute en avant d’un de ces organes, suffit pour entraîner dans la même direction presque tous les os du crâne, qui alors ne correspondent plus exactement à ceux du côté opposé. Enfin, si les dimensions générales d’un animal venaient à augmenter ou à diminuer beaucoup, sans aucun changement de son activité mentale, ou si celle-ci augmentait ou diminuait considérablement sans grands changements dans le volume du corps, la forme du crâne serait dans les deux cas certainement modifiée. C’est ce que j’ai dû conclure de mes observations sur les lapins domestiques ; quelques races sont devenues beaucoup plus grandes que l’animal sauvage, tandis que d’autres ont à peu près conservé la même taille, et, dans les deux cas cependant, le cerveau a beaucoup diminué relativement à la grosseur du corps. Je fus d’abord très surpris de trouver que, chez tous ces lapins, le crâne était devenu plus long ou dolichocéphale ; ainsi, j’ai examiné deux crânes offrant presque la même largeur, l’un provenait d’un lapin sauvage, l’autre d’une grande race domestique, le premier n’avait que 79 millimètres de longueur, et le second 107 millimètres[85]. La forme du crâne constitue une des distinctions les plus remarquables des diverses races humaines ; le crâne, en effet, est allongé chez les unes, arrondi chez les autres ; on peut même leur appliquer en partie ce que nous a suggéré l’exemple des lapins, car Welcker affirme que les hommes de petite stature « penchent vers la brachycéphalie, et ceux de haute taille vers la dolichocéphalie[86] » ; on peut donc comparer ces derniers aux lapins à corps gros et allongé, qui ont tous le crâne allongé ou qui, en d’autres termes, sont dolichocéphales.

Ces différents faits nous permettent, jusqu’à un certain point, de saisir les causes qui ont amené les grandes dimensions et la forme plus ou moins arrondie du crâne ; caractères qui constituent une différence si considérable entre l’homme et les animaux.

La nudité de la peau de l’homme constitue une autre différence remarquable. Les baleines et les dauphins (Cétacés), les dugongs (Sirenia) et l’hippopotame sont nus ; ce qui peut leur être utile pour glisser facilement dans le milieu aquatique où ils sont appelés à se mouvoir, sans qu’il y ait toutefois chez eux déperdition de chaleur, car les espèces habitant les régions froides sont protégées par un épais revêtement de graisse, qui remplit le même but que la fourrure des phoques et des loutres. Les éléphants et les rhinocéros sont presque nus ; or, comme certaines espèces éteintes, qui vivaient autrefois sous un climat arctique, étaient alors recouverts d’une longue laine ou de poils épais, on pourrait presque affirmer que les espèces actuelles appartenant aux deux genres ont perdu leur revêtement pileux sous l’influence de la chaleur. Ceci paraît d’autant plus probable que les éléphants qui, dans l’Inde, habitent des districts élevés et froids sont plus velus[87] que ceux des plaines inférieures. Pouvons-nous en conclure que l’homme a perdu son revêtement pileux parce qu’il a primitivement habité un pays tropical ? Le fait que le sexe mâle a conservé des poils, principalement sur la face et sur la poitrine, et les deux sexes aux jonctions des quatre membres avec le tronc, appuierait cette assertion, en admettant que le poil ait disparu avant que l’homme ait acquis la position verticale ; car ce sont les parties qui ont conservé le plus de poils qui étaient le mieux abritées contre l’action directe du soleil. Le sommet de la tête présente toutefois une curieuse exception, car il doit, en tout temps, avoir été une des parties les plus exposées, et cependant les cheveux le recouvrent absolument. Néanmoins le fait que les autres membres de l’ordre des Primates, auquel appartient l’homme, bien qu’habitant diverses régions chaudes sont couverts de poils, généralement plus épais à la surface supérieure[88], est fortement contraire à la supposition que l’homme a perdu ses poils par suite de l’action du soleil. M. Belt[89] croit que sous les tropiques c’est un avantage pour l’homme de perdre ses poils, car il peut ainsi se débarrasser plus facilement de la multitude d’acarus et d’autres parasites qui l’attaquent souvent au point de causer parfois des ulcérations. Mais on peut douter que ce mal soit suffisamment grand pour que la sélection naturelle ait amené la dénudation du corps de l’homme, car, autant que je puis le savoir, aucun des nombreux quadrupèdes habitant les pays tropicaux n’a acquis un moyen spécial pour se défendre contre ces attaques. Je suis donc disposé à croire, ainsi que nous le verrons à propos de la sélection sexuelle, que l’homme, ou plutôt la femme primitive, a dû se dépouiller de ses poils dans quelque but d’ornementation ; il n’y aurait rien d’étonnant alors à ce que l’homme différât si considérablement par son état de villosité de tous ses voisins inférieurs, les caractères acquis par sélection sexuelle divergeant souvent à un degré extraordinaire chez des formes d’ailleurs extrêmement rapprochées.

Selon les idées populaires, l’absence d’une queue distingue éminemment l’homme ; mais ce point nous importe peu, puisque le même organe fait également défaut aux singes qui, par leur conformation, se rapprochent le plus du type humain. La queue présente souvent, chez les diverses espèces d’un même genre, des différences extraordinaires de longueur. Chez quelques espèces de Macaques, par exemple, la queue est plus longue que le corps entier et se compose de vingt-quatre vertèbres ; chez d’autres, elle est réduite à un tronçon à peine visible, composé de trois ou quatre vertèbres. Il y en a vingt-cinq dans la queue de quelques espèces de Babouins, tandis que celle du Mandrill ne possède que dix petites vertèbres rabougries ou, d’après Cuvier, quelquefois cinq seulement[90]. La queue, qu’elle soit longue ou courte, s’effile presque toujours vers son extrémité, ce qui, je présume, résulte de l’atrophie par défaut d’usage des muscles terminaux, de leurs artères et de leurs nerfs, atrophie qui entraîne aussi celle des os. On n’a jusqu’à présent donné aucune explication satisfaisante des grandes différences qui existent dans la longueur de la queue ; peu nous importe, d’ailleurs, car nous n’avons à nous occuper ici que de la disparition extérieure totale de cet appendice. Le professeur Broca[91] a démontré récemment que, chez tous les quadrupèdes, la queue se compose de deux parties, entre lesquelles existe d’ordinaire une brusque séparation ; la base se compose de vertèbres, forées plus ou moins parfaitement et pourvues d’apophyses comme les vertèbres ordinaires ; les vertèbres qui forment l’extrémité de la queue ne présentent, au contraire, aucune trace de perforation, elles sont presque unies et ne ressemblent guère à de véritables vertèbres. Bien qu’invisible extérieurement, la queue n’en existe pas moins chez l’homme et chez les singes anthropomorphes ; elle est identique au point de vue de la conformation chez les deux espèces. Les vertèbres qui composent l’extrémité de cet appendice et qui constituent l’os coccyx sont rudimentaires et très réduites en grandeur et en nombre. Les vertèbres de la base sont aussi en petit nombre, elles sont soudées les unes aux autres et ont subi un arrêt de développement ; mais elles sont devenues beaucoup plus larges et beaucoup plus plates que les vertèbres correspondantes de la queue des animaux et constituent ce que Broca appelle les vertèbres sacrées accessoires. Ces vertèbres ont une importance fonctionnelle assez considérable en ce qu’elles soutiennent certaines parties intérieures et rendent quelques autres services ; les modifications qu’elles ont subies sont, d’ailleurs, directement en rapport avec l’attitude droite ou demi-droite de l’homme et des singes anthropomorphes. Cette conclusion est d’autant plus acceptable que Broca lui-même avait autrefois une autre opinion que de nouvelles recherches l’ont conduit à abandonner. Il en résulte que les modifications qu’ont subies les vertèbres de la base de la queue chez l’homme et chez les singes anthropomorphes ont pu être amenées directement ou indirectement par la sélection naturelle.

Mais comment expliquer l’état des vertèbres rudimentaires et variables de la partie extrême de la queue, vertèbres qui constituent l’os coccyx ? On a souvent tourné en ridicule, et on le fera sans doute encore, l’hypothèse en vertu de laquelle la friction a joué un rôle dans la disparition de la partie extérieure de la queue ; or, cette hypothèse n’est pas si ridicule qu’elle peut le paraître au premier abord. Le Dr Anderson[92] affirme que la queue si courte du Macacus brunneus se compose de onze vertèbres, y compris les vertèbres de la base enfoncés dans le corps. L’extrémité, composée de tendons, ne contient aucune vertèbre ; viennent ensuite cinq vertèbres rudimentaires repliées d’un côté en forme de crochet et si petites qu’elles n’ont guère, prises toutes ensemble, que 2 millimètres de longueur. La partie libre de la queue, qui n’a guère en tout que 25 millimètres de longueur ne contient, en outre, que quatre autres petites vertèbres. Cette petite queue est droite ; mais un quart environ de sa longueur totale se replie à gauche sur lui-même ; cette partie terminale, qui comprend la partie en forme de crochet, sert « à remplir l’intervalle qui existe entre la portion divergente supérieure des callosités », de sorte que l’animal s’assied sur sa queue ce qui la rend rugueuse et calleuse. Le Dr Anderson résume ainsi ses observations : « Il me semble que ces faits ne peuvent s’expliquer que d’une seule façon : cette queue, à cause même de son peu de longueur, gêne le singe quand il s’assied et se loge fréquemment alors sous l’animal ; le fait que la queue ne s’étend pas au-delà de l’extrémité des tubérosités ischiales semble indiquer que l’animal, dans le principe, la recourbait volontairement pour la loger dans l’intervalle qui existe entre les callosités de façon qu’elle ne soit pas pressée entre ces dernières et le sol ; puis, dans le cours des temps, cette courbure devint permanente et la queue se loge d’elle-même à l’endroit approprié quand l’animal s’assied. » Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la queue soit devenue rugueuse et calleuse. Le Dr Murie[93], qui a étudié attentivement, au Jardin zoologique, cette espèce et trois espèces très voisines ayant une queue un peu plus longue, dit que « la queue se place nécessairement à côté des fesses quand l’animal s’assied, et que la base de l’organe, quelle que puisse être, d’ailleurs, sa longueur, est exposée à de nombreux frottements. » Il est aujourd’hui démontré que les mutilations produisent parfois des effets héréditaires[94] ; il n’est donc pas absolument improbable que chez les singes à courte queue, la partie extérieure de cet appendice, exposée à un frottement et à des lésions continuelles et désormais inutile au point de vue fonctionnel, soit, après de nombreuses générations, devenue rudimentaire ou qu’elle se soit déformée. La partie extérieure de la queue est déformée chez le Macacus brunneus ; elle est absolument atrophiée chez le M. ecaudatus et chez plusieurs singes supérieurs. Autant donc que nous pouvons en juger, la queue a disparu chez l’homme et chez les singes anthropomorphes par suite des frictions et des lésions auxquelles elle a été exposée pendant de longues périodes ; en outre, la base enfouie dans le corps a diminué de volume et s’est modifiée pour se mettre en rapport avec la posture droite ou demi-droite.


J’ai cherché à démontrer que la sélection naturelle a, selon toute probabilité, amené directement, ou plus habituellement de façon indirecte, la production des principaux caractères distinctifs de l’homme. Rappelons-nous que la sélection naturelle ne peut produire des modifications de structure ou de constitution qui ne rendent aucun service à un organisme pour l’adapter à son mode de vie, aux aliments qu’il consomme, ou passivement aux conditions dans lesquelles il se trouve placé. Il ne nous appartient pas, cependant, d’indiquer avec trop d’assurance quelles sont les modifications qui peuvent être avantageuses à chaque être ; car notre ignorance est si grande que nous ne saurions déterminer l’usage de nombreuses parties, et la nature des changements que peuvent subir le sang et les tissus pour adapter un organisme à un nouveau climat ou à une alimentation différente. Nous devons aussi tenir compte du principe de la corrélation qui relie les unes aux autres, comme Isidore Geoffroy l’a démontré au sujet de l’homme, bien des déviations étranges de structure. Indépendamment de la corrélation, un changement dans une partie peut entraîner des modifications tout à fait inattendues dans d’autres parties, modifications dues à l’augmentation ou à la diminution d’usage de ces parties. Il faut aussi réfléchir avec soin à des phénomènes tels que la merveilleuse croissance des galles, provoquées chez les plantes par la piqûre d’un insecte ; ou tels que les changements remarquables de couleur déterminés chez les perroquets quand on les nourrit avec certains poissons, ou qu’on leur inocule le poison de certains crapauds[95] ; car ces phénomènes nous prouvent que les fluides du système, altérés dans un but spécial, peuvent provoquer d’autres changements. Nous devons nous rappeler surtout que des modifications acquises, qui ont continuellement rendu des services dans le passé, ont dû probablement se fixer et devenir héréditaires.

On peut donc, avec certitude, attribuer aux résultats directs et indirects de la sélection naturelle une importance très grande bien que non définie ; mais, après avoir lu l’essai de Nägeli sur les plantes, et les observations faites par divers auteurs sur les animaux, plus particulièrement celles récemment énoncées par le professeur Broca, j’admets maintenant que, dans les premières éditions de l’Origine des Espèces, j’ai probablement attribué un rôle trop considérable à l’action de la sélection naturelle ou à la persistance du plus apte. J’ai donc modifié la cinquième édition de cet ouvrage de manière à limiter mes remarques aux adaptations de structure ; mais je suis convaincu, et les recherches faites pendant ces quelques dernières années fortifient chez moi cette conviction, qu’on découvrira l’utilité de beaucoup de conformations qui nous paraissent aujourd’hui inutiles et qu’il faudra, par conséquent, les faire rentrer dans la sphère d’action de la sélection naturelle. Néanmoins je n’ai pas, autrefois, suffisamment appuyé sur l’existence de beaucoup de conformations qui, autant que nous en pouvons juger, paraissent n’être ni avantageuses ni nuisibles ; et c’est là, je crois, l’une des omissions les plus graves qu’on ait pu relever, jusqu’à présent, dans mon ouvrage. Qu’il me soit permis de dire comme excuse que j’avais en vue deux objets distincts : le premier, de démontrer que l’espèce n’a pas été créée séparément, et le second, que la sélection naturelle a été l’agent modificateur principal, bien qu’elle ait été largement aidée par les effets héréditaires de l’habitude, et un peu par l’action directe des conditions ambiantes. Toutefois je n’ai pu m’affranchir suffisamment de l’influence de mon ancienne croyance, alors généralement admise, à la création de chaque espèce dans un but spécial ; ce qui m’a conduit à supposer tacitement que chaque détail de conformation, les rudiments exceptés, devait avoir quelque utilité spéciale, bien que non reconnue. Avec cette idée dans l’esprit, on est naturellement entraîné à étendre trop loin l’action de la sélection naturelle dans le passé ou dans le présent. Quelques-uns de ceux qui admettent le principe de l’évolution, mais qui rejettent la sélection naturelle, paraissent oublier, en critiquant mon ouvrage, que j’avais les deux objets précités en vue ; donc, si j’ai commis une erreur, soit, ce que je suis loin d’admettre, en attribuant une grande puissance à la sélection naturelle, soit, ce qui est probable en soi, en exagérant cette puissance, j’espère au moins avoir rendu quelque service en contribuant à renverser le dogme des créations distinctes.

Il est probable, je le comprends maintenant, que tous les êtres organisés, l’homme compris, présentent beaucoup de particularités de structure qui n’ont pour eux aucune utilité dans le présent, non plus que dans le passé, et qui n’ont, par conséquent, aucune importance physiologique. Nous ignorons ce qui amène chez les individus de chaque espèce d’innombrables petites différences, car le retour ne fait que reculer le problème de quelques pas ; mais chaque particularité doit avoir eu une cause efficiente propre. Si ces causes, quelles qu’elles puissent être, agissaient plus uniformément et plus énergiquement pendant une longue période (et il n’y a pas de raison pour que cela n’arrive pas), il en résulterait probablement, non plus une légère différence individuelle, mais une modification constante et bien prononcée qui n’aurait, cependant, aucune importance physiologique. La sélection naturelle n’a certes pas contribué à conserver l’uniformité des modifications qui ne présentaient aucun avantage, bien qu’elle ait dû éliminer toutes celles qui étaient nuisibles. L’uniformité des caractères résulterait néanmoins naturellement de l’uniformité présumée de leurs causes déterminantes, et aussi du libre entre-croisement d’un grand nombre d’individus. Le même organisme pourrait de cette manière acquérir, pendant des périodes successives, des modifications successives, qui se transmettraient à peu près uniformément tant que les causes agissantes resteraient les mêmes, et tant que l’entre-croisement resterait libre. Quant aux causes déterminantes, nous ne pouvons que répéter ce que nous avons dit en parlant des prétendues variations spontanées, c’est qu’elles se rattachent plus étroitement à la constitution de l’organisme variable qu’à la nature des conditions auxquelles il a été soumis.


Résumé. — Nous avons vu dans ce chapitre que, de même que l’homme actuel est sujet, comme tout autre animal, à des différences individuelles multiformes ou à de légères variations, ses premiers ancêtres l’ont, sans aucun doute, également été ; ces variations ont été, alors comme aujourd’hui, provoquées par les mêmes causes, et réglées par les mêmes lois générales et complexes. Comme tous les animaux tendent à se multiplier au-delà de leurs moyens de subsistance, il a dû en être de même des ancêtres de l’homme, ce qui a inévitablement conduit ces derniers à la lutte pour l’existence et à la sélection naturelle. Les effets héréditaires de l’augmentation d’usage de certaines parties ont dû, en outre, donner une vigueur plus considérable à l’action de la sélection naturelle ; les deux phénomènes, en effet, réagissent constamment l’un sur l’autre. Il semble aussi, comme nous le verrons plus loin, que la sélection sexuelle a déterminé chez l’homme la formation de plusieurs caractères insignifiants. On doit attribuer à l’action uniforme présumée de ces influences inconnues, qui provoquent quelquefois chez nos animaux domestiques de brusques et profondes déviations de conformation, certaines autres modifications assez importantes peut-être, qu’il est impossible d’expliquer par l’action des causes précédemment indiquées.

À en juger d’après les habitudes des sauvages et de la plupart des quadrumanes, les hommes primitifs, nos ancêtres simio-humains, vivaient probablement en société. Chez les animaux rigoureusement sociables, la sélection naturelle agit parfois sur l’individu, en conservant les variations qui sont utiles à la communauté. Une association comprenant un grand nombre d’individus bien doués augmente rapidement et l’emporte sur les autres associations dont les membres sont moins bien doués, bien que chacun des individus qui composent la première n’acquière peut-être aucune supériorité sur les autres membres. Les insectes vivant en communauté ont acquis de cette façon plusieurs conformations remarquables qui ne rendent que peu ou point de services à l’individu, telles que l’appareil collecteur du pollen, l’aiguillon de l’abeille ouvrière, ou les fortes mâchoires des fourmis soldats. Je ne sache pas que, chez les animaux sociables supérieurs, aucune conformation ait été modifiée exclusivement pour le bien de la communauté, bien que quelques-unes de ces conformations rendent à la communauté des services secondaires. Les ruminants mâles, par exemple, ont sans doute acquis des cornes et les babouins mâles de fortes canines pour lutter plus avantageusement avec leurs rivaux afin de s’emparer des femelles, mais ces armes n’en servent pas moins aussi à la défense du troupeau. Le cas est tout différent quand il s’agit de certaines facultés mentales, ainsi que nous le verrons dans le cinquième chapitre ; ces facultés, en effet, ont été principalement, ou même exclusivement acquises pour l’avantage de la communauté, et les individus qui la composent en tirent, en même temps, un avantage indirect.

On a souvent objecté aux théories que nous venons d’exposer, que l’homme est une des créatures le plus hors d’état de pourvoir à ses besoins, le moins apte à se défendre, qu’il y ait dans le monde ; et que cette incapacité de subvenir à ses besoins devait être plus grande encore pendant la période primitive, alors qu’il était moins bien développé. Le duc d’Argyll[96], par exemple, insiste sur ce point que « la conformation humaine s’est éloignée de celle de la brute, dans le sens d’un plus grand affaiblissement physique et d’une plus grande impuissance. C’est-à-dire qu’il s’est produit une divergence que, moins que toute autre, on peut attribuer à la simple sélection naturelle. » Il invoque l’état nu du corps, l’absence de grandes dents ou de griffes propres à la défense, le peu de force qu’a l’homme, sa faible rapidité à la course, l’insuffisance de son odorat, insuffisance telle qu’il ne peut se servir de ce sens, ni pour trouver ses aliments ni pour éviter le danger. On pourrait encore ajouter à ces imperfections son inaptitude à grimper rapidement sur les arbres pour échapper à ses ennemis. Quand on voit les Fuégiens résister sans vêtements à leur affreux climat, on comprend que la perte des poils n’ait pas été très nuisible à l’homme primitif, surtout s’il habitait un pays chaud. Lorsque nous comparons l’homme sans défense aux singes qui, pour la plupart, possèdent de formidables canines, nous devons nous rappeler que ces dents n’atteignent leur développement complet que chez les mâles seuls, et leur servent principalement pour lutter avec leurs rivaux, les femelles qui en sont privées n’en subsistant pas moins.

Quant à la force et à la taille, nous ne savons si l’homme descend de quelque petite espèce, comme le chimpanzé, ou d’une espèce aussi puissante que le gorille ; nous ne saurions donc dire si l’homme est devenu plus grand et plus fort, ou plus petit et plus faible que ne l’étaient ses ancêtres. Toutefois nous devons songer qu’il est peu probable qu’un animal de grande taille, fort et féroce, et pouvant, comme le gorille, se défendre contre tous ses ennemis, puisse devenir un animal sociable ; or ce défaut de sociabilité aurait certainement entravé chez l’homme le développement de ses qualités mentales d’ordre élevé, telle que la sympathie et l’affection pour ses semblables. Il y aurait donc eu, sous ce rapport, un immense avantage pour l’homme à devoir son origine à un être comparativement plus faible.

Le peu de force corporelle de l’homme, son peu de rapidité de locomotion, sa privation d’armes naturelles, etc., sont plus que compensés, premièrement, par ses facultés intellectuelles, qui lui ont permis, alors qu’il était à l’état barbare, de fabriquer des armes, des outils, etc. ; et, secondement, par ses qualités sociales, qui l’ont conduit à aider ses semblables et à en être aidé en retour. Il n’y a pas au monde de pays qui abonde autant en bêtes féroces que l’Afrique méridionale ; pas de pays où les privations soient plus grandes, la vie plus rude, que dans les régions arctiques, et cependant une des races les plus chétives, celle des Boschimans, se maintient dans l’Afrique australe, de même que les Esquimaux, qui sont presque des nains, dans les régions polaires. Les premiers ancêtres de l’homme étaient sans doute inférieurs, sous le rapport de l’intelligence et probablement des dispositions sociales, aux sauvages les plus infimes existant aujourd’hui ; mais on comprend parfaitement qu’ils puissent avoir existé et même prospéré, si, tandis qu’ils perdaient peu à peu leur force brutale et leurs aptitudes animales, telles que celle de grimper sur les arbres, etc., ils avançaient en même temps en intelligence. D’ailleurs, en admettant même que les ancêtres de l’homme aient été plus dénués de ressources et de moyens de défense que les sauvages actuels, ils n’auraient été exposés à aucun danger particulier s’ils avaient habité quelque continent chaud, ou quelque grande île, telle que l’Australie, la Nouvelle-Guinée, ou Bornéo qui est actuellement habité par l’orang. Sur une surface aussi considérable que celle d’une de ces îles, la concurrence entre les tribus aurait été suffisante pour élever l’homme, grâce à la sélection naturelle, jointe aux effets héréditaires de l’habitude, à la haute position qu’il occupe actuellement dans l’échelle de l’organisation.


  1. B.-A. Gould, Investigations in Military and Anthropolog. statistics of American Soldiers, 1869, p. 256.
  2. Pour les formes crâniennes des indigènes américains, voir le docteur Aitken Meigs, Proceedings Acad. Nat. Sc. Philadelphia, mai 1868 ; sur les Australiens, Huxley, dans Lyell, Antiquity of man, 1863, p. 87 ; sur les habitants des îles Sandwich, le professeur J. Wyman, Observations on Crania, Boston, 1868, p. 18.
  3. R. Quain, Anatomy of the Arteries.
  4. Transact. Royal Soc. Edinburgh, vol. XXIV, p. 175, 189.
  5. Proc. Royal Soc, 1867, p. 544 ; 1868, p. 483, 524. Il y a un mémoire antérieur, 1866, p. 229.
  6. Proc. Roy. Irish Academy, vol. X. 868. p. 141.
  7. Acta Acad. Saint-Petersbourg, 1778, part. II, p. 217.
  8. Brehm, Thierleben, I, pp. 58, 87. Rengger, Säugethiere von Paraguay, p. 57.
  9. Variations des animaux, etc., chap. XII.
  10. Hereditary Genius : An inquiry into its Law and Consequences, 1869.
  11. M. Bates (Naturalist on the Amazons, vol. II, p. 159) fait remarquer, au sujet des Indiens d’une même tribu de Sud-Américains, « qu’il n’y en a pas deux ayant la même forme de tête ; les uns ont le visage ovale à traits réguliers, les autres ont un aspect tout à fait mongolien par la largeur et la saillie des joues, la dilatation des narines et l’obliquité des yeux. »
  12. Blumenbach. Treatises on Anthropology, trad, angl. 1865, p. 203.
  13. Mitford, History of Greece, vol. I, p. 282. Le Rév. J.-N. Hoare a aussi appelé mon attention sur un passage de Xénophon, Memorabilia, livre II, 4, d’où il résulte que les Grecs reconnaissaient comme un principe absolu que les hommes devaient choisir leurs femmes de façon à assurer la bonne santé et la vigueur de leurs enfants. Le poète Grec Théognis, qui vivait 550 ans avant J.-C., comprenait toute l’influence que la sélection appliquée avec soin aurait sur l’amélioration de la race humaine. Il déplore que la question d’argent empêche si souvent le jeu naturel de la sélection sexuelle. Théognis s’exprime en ces termes :

    « Quand il s’agit de porcs ou de chevaux, ô Kurnus, nous appliquons les règles raisonnables ; nous cherchons à nous procurer à tout prix une race pure, sans vices ni défauts, qui nous donne des produits sains et vigoureux. Dans les mariages que nous voyons tous les jours, il en est tout autrement ; les hommes se marient pour l’argent. Le manant ou le brigand qui a su s’enrichir peut marier ses enfants dans les plus nobles familles. Ne vous étonnez donc plus, mon ami, que la race humaine dégénère de plus en plus, au point de vue de la forme, de l’esprit et des mœurs. La cause de cette dégénérescence est évidente, mais c’est en vain que nous voudrions remonter le courant. »

  14. Godron, De l’Espèce, 1859, vol. II, liv. iii ; de Quatrefages, Unité de l’espèce humaine, 1861, et cours d’anthropologie publié dans la Revue des Cours scientifiques, 1866-1868.
  15. Hist. gén. et part. des anomalies de l’organisation, vol. I, 1832.
  16. J’ai discuté ces lois en détail dans la Variation des animaux et des plantes, etc., vol. II, chap. xxii et xxiii. M. J. Durand vient (1868) de publier un mémoire remarquable : De l’Influence des milieux, etc. Il insiste beaucoup sur l’importance de la nature du sol quand il s’agit des plantes.
  17. B.-A. Gould, Investigations, etc., pp. 93, 107, 126, 131, 134.
  18. Pour les Polynésiens, Prichard, Physical History of Mankind, vol. v, 1847, pp. 145, 283 ; Godron, De l’Espèce, vol. II, p. 289. Il y a aussi une différence remarquable dans l’aspect des Hindous de parenté voisine, habitant le Gange supérieur et le Bengale. Elphinstone, History of India, vol. I, p. 324.
  19. Memoirs of the Anthropological Soc., vol. III, 1867-69, pp. 561, 565, 567.
  20. Docteur Brakenridge, Theory of Diathesis, Medical Times, juin 19 et juillet 17, 1869.
  21. J’ai indiqué les autorités qui font ces diverses assertions dans Variations, etc., vol. II, pp. 297, 300. Docteur Jaeger, Ueber das Längenwachsthum der Knochen ; Jenaischen Zeitschrift, v. Heft, I.
  22. B.-A. Gould, Investigations, 1869, p. 288.
  23. Säugethiere von Paraguay, 1830, p. 4.
  24. History of Greenland (trad. angl.), 1767, vol. I, p. 230.
  25. Alex. Walker, Intermarriage, 1838, p. 377.
  26. Variations, etc., I, p. 173.
  27. Principles of Biology, I, p. 455.
  28. Paget, Lectures on Surgical Pathology, vol. II. 1853, p. 209.
  29. Il est très singulier, et c’est là un fait absolument inattendu, que les matelots ont en moyenne une moins bonne vue que les soldats. Le docteur B. A. Gould (Sanitary Memoirs of the war of the rebellion, 1869, p. 530) a prouvé cependant le bien fondé de cette assertion ; il est facile selon lui d’expliquer ce fait, car la vue chez les matelots se borne à la longueur du vaisseau et à la hauteur des mâts.
  30. Variations, etc., vol. I, p. 8.
  31. Säugethiere, etc., pp. 8, 10. J’ai eu l’occasion de constater la puissance de vision extraordinaire que possèdent les Fuégiens. Voir aussi Lawrence (Lectures on Physiology, etc., 1822, p. 404) sur le même sujet. M. Giraud Teulon a récemment recueilli (Revue des Cours scientifiques, 1870, p. 625) un ensemble important et considérable de faits prouvant que la cause de la myopie « est le travail assidu de près ».
  32. Prichard, Physical Hist. of Mankind, sur l’autorité de Blumenbach, vol. I, 1851, p. 311 ; Pallas, vol. IV, 1844, p. 407.
  33. Cité par Prichard, Physical Hist. of Mankind, vol. v, p. 463.
  34. Le mémoire intéressant de M. Forbes a été publié dans le Journal of the Ethnological Soc. of London, nouv. série, vol. II, 1870, p. 193.
  35. Le docteur Wilckens (Landwirthschaft, Wochenblatt, no 10, 1869) a publié récemment un intéressant mémoire sur les modifications qu’éprouve la charpente des animaux domestiques vivant dans les régions montagneuses.
  36. Mém. sur les Microcéphales, 1867, pp. 50, 125, 169, 171, 184-198.
  37. Le professeur Laycock résume le caractère animal des idiots en les appelant théroïdes (Journal of Mental Science, juillet 1863). Le docteur Scott (The Deaf and Dumb, 2e édit. 1870, p. 10) a souvent observé les idiots qui sentent leurs aliments. Voir, sur le même sujet et sur le système poilu des idiots, Maudsley, Body and Mind, 1870, pp. 46-51. Pinel a aussi cité un cas intéressant.
  38. Dans mon ouvrage sur la Variation des Animaux, etc. (vol. II, p. 60), j’ai attribué au retour les cas de mamelles supplémentaires, qui ne sont pas excessivement rares chez la femme. J’avais été conduit à cette conclusion probable, parce que les mamelles additionnelles sont généralement situées symétriquement sur la poitrine, et surtout par le cas d’une femme, dont la seule mamelle effective occupait la région inguinale, fille d’une autre femme pourvue de mamelles supplémentaires. Mais le professeur Preyer (Der Kampf um das Dasein, 1869, p. 45) constate qu’on a trouvé des mamelles errantes dans d’autres situations, même sur le dos, dans l’aisselle, et sur la cuisse ; les mamelles dans ce dernier cas ont produit assez de lait pour nourrir l’enfant. Il est donc peu probable qu’on puisse attribuer au retour des mamelles additionnelles ; cependant cette explication me semble encore assez probable, parce qu’on trouve souvent deux paires de mamelles disposées symétriquement sur la poitrine ; on m’a communiqué plusieurs cas à cet effet. On sait que plusieurs Lémuriens ont normalement deux paires de mamelles sur la poitrine. On a observé cinq cas chez l’homme de plusieurs paires de mamelles, bien entendu rudimentaires ; voir Journal of Anat. and Physiology, 1872, p. 66 pour un cas cité par le docteur Handyside dans lequel deux frères possédaient cette particularité ; voir aussi un mémoire par le docteur Bartels, dans Reichert’s and du Bois Reymond’s Archiv, 1872, p. 304. Dans un des cas cités par le docteur Bartels, un homme avait cinq mamelles, l’une occupait une position médiane et était placée au-dessus du nombril ; Meckel Von Hemsbach pense trouver l’explication de ce phénomène dans le fait que des mamelles médianes se présentent quelquefois chez certains Cheiroptères. En résumé, nous pouvons douter que des mamelles additionnelles se seraient jamais développées chez l’homme et chez la femme si leurs ancêtres primitifs du genre humain n’avaient pas été pourvus de plus d’une seule paire de mamelles.

    Dans le même ouvrage, j’ai, avec beaucoup d’hésitation, attribué au retour les cas de polydactylie fréquents chez l’homme et chez divers animaux. Ce qui me décida en partie fut l’assertion du professeur Owen ; il assure que quelques Ichthyoptérigiens possèdent plus de cinq doigts ; j’étais donc en droit de supposer qu’ils avaient conservé un état primordial. Mais le professeur Gegenbaur (Jenaische Zeitschrift, vol. v, p. 341) conteste l’assertion d’Owen. D’un côté, en se basant sur l’hypothèse récemment mise en avant par le Dr Günther qui a observé dans la nageoire du Ceratobus des rayons osseux articulés sur un os central, il ne semble pas qu’il soit très difficile d’admettre que six doigts ou plus puissent reparaître d’un côté ou des deux côtés par un effet de retour. Le Dr Zouteveen m’apprend qu’on a observé un homme qui avait vingt-quatre doigts aux mains et aux pieds. Ce qui m’a surtout porté à penser que la présence de doigts additionnels est due au retour est le fait que ces doigts sont non seulement héréditaires, mais encore comme je le croyais alors, que ces doigts ont la faculté de repousser après avoir été amputés, comme les doigts normaux des vertébrés inférieurs. Mais j’ai expliqué dans la seconde édition des Variations à l’état domestique (Paris, Reinwald, 1880) pourquoi j’ajoute peu de foi aux cas où l’on a observé cette régénération. Toutefois il importe de remarquer, car l’arrêt de développement et le retour ont des rapports intimes, que diverses structures dans une condition embryonnaire telle que le bec-de-lièvre, l’utérus bifide, etc., sont souvent accompagnées par la polydactylie. Meckel et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ont vivement insisté sur ce fait. Mais dans l’état actuel de la science, il est plus sage de renoncer à l’idée qu’il n’y a aucun rapport entre le développement de doigts additionnels et un retour à l’état d’un ancêtre primitif de l’homme.

  39. Voir l’article du docteur A. Farre, dans Cyclopedia of Anat. and physiology, vol. v, 1859, p. 642. Owen, Anatomy of Vertebrates, vol. III, p. 687, 1868 ; professeur Turner, Edinburgh Medical Journal, fév. 1865.
  40. Annuario della Soc. dei Naturalisti in Modena, 1867, p. 83. le professeur Canestrini cite des extraits tirés de diverses autorités. Laurillard a trouvé une similitude complète dans la forme, les proportions et les connexions des deux os malaires chez plusieurs sujets humains et chez certains singes, et remarque qu’il ne peut pas, par conséquent, considérer cette disposition des parties comme purement accidentelle. Le docteur Saviotti a publié (Gazetta della Cliniche, Turin, 1871), un autre mémoire sur cette anomalie. Il affirme qu’on peut retrouver des traces de cette division chez environ 2 p. 100 des crânes adultes ; il fait aussi remarquer que cette anomalie se rencontre plus fréquemment chez les crânes prognathes qui n’appartiennent pas à la race aryenne. Voir aussi G. Delorenzi, Tre nuovi casi d’anomalia dell’osso malare, Turin 1872 ; et E. Morselli, Supra una rara anomalia dell’osso malare. Modène, 1872. Plus récemment encore, Gruber a publié un pamphlet sur la division de cet os. J’indique ces autorités, parce qu’un critique a jugé à propos, sans aucune raison d’ailleurs, de disputer mon assertion.
  41. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire cite toute une série de cas dans son Histoire des Anomalies, vol. III, p. 437. Un critique, Journal of Anatomy and Physiology, 1871, p. 366, me blâme beaucoup de n’avoir pas discuté les nombreux cas d’arrêts de développement qui ont été signalés. Il soutient que, dans mon hypothèse, « toutes les conditions intermédiaires d’un organe pendant son développement n’indiquent pas seulement un but, mais ont autrefois constitué un but. » Je n’admets pas absolument cette assertion. Pourquoi des variations ne se présenteraient-elles pas pendant une phase primitive du développement, qui n’auraient aucun rapport avec le retour ? Cependant ces variations pourraient se conserver et s’accumuler, si elles étaient utiles, si elles servaient par exemple à raccourcir et à simplifier le cours du développement. En outre, pourquoi des anomalies nuisibles, telles que des parties atrophiées ou hypertrophiées, ne se présenteraient-elles pas aussi dans les premières phases du développement, aussi bien que dans l’âge mûr, sans avoir aucun rapport avec un antique état d’existence ?
  42. Anatomy of Vertebrates, vol. III, 1868, p. 323.
  43. Generelle Morphologie, vol. II, p. clv, 1866.
  44. Carl Vogt, Leçons sur l’Homme (trad. française, 1878, p. 194, fig 53).
  45. C. Carter Blake, Sur la mâchoire de la Naulette, Anthropological Review, 1867, p. 295 ; Schaaffhausen, id., 1868, p. 426.
  46. Anatomy of Expression, 1844, pp. 110, 131.
  47. Cité par le professeur Canestrini dans l’Annuario, etc., 1867, p 90.
  48. Ces mémoires doivent être soigneusement étudiés par qui veut apprendre combien nos muscles varient et, par suite de ces variations, en viennent à ressembler à ceux des quadrumanes. Voici les renvois aux points auxquels je fais allusion dans mon texte : Proc. Roy. Soc., vol. XIV, 1865, pp. 379-384 ; — vol. xv, 1866, p. 241, 242 ; — vol. xv, 1867, p. 544 ; — vol. xvi, 1868, p. 524. J’ajouterai que le docteur Murie et M. Saint-Georges Mivart ont démontré dans leur mémoire que les Lémuriens (Transac. Royal Soc., vol. vii, 1869, p. 96) combien quelques-uns des muscles de ces animaux, les membres des plus inférieurs des primates sont extraordinairement variables. On y trouve aussi de nombreux passages graduels conduisant vers des conformations musculaires existant chez des animaux encore plus bas sur l’échelle.
  49. Professeur Macalister, Proc. Roy. Irish Academy, vol. x, 1868, p. 124.
  50. M. Champneys, Journal of Anat. and Phys., nov. 1871, p. 178.
  51. Journal of Anat. and Phys., mai 1872, p. 421.
  52. Le professeur Macalister (id., p. 421), ayant relevé ses observations en tableaux, a trouvé que les anomalies musculaires sont plus fréquentes dans l’avant-bras, puis dans la face, troisièmement, dans le pied, etc.
  53. Le rév. docteur Haughton, dans l’exposé d’un cas remarquable de variation dans le muscle long fléchisseur du pouce humain (Proc. Roy. Irish Academy, 1864, p. 715), ajoute ce qui suit : « Ce remarquable exemple prouve que l’homme possède parfois un arrangement des tendons du pouce et des doigts qui est caractéristique du macaque ; mais je ne saurais prononcer s’il convient de regarder ce cas comme celui d’un macaque s’avançant vers l’homme, ou de l’homme s’abaissant vers le macaque, ou comme un caprice congénital de la nature. » Il est satisfaisant d’entendre un anatomiste aussi distingué, et un adversaire aussi acharné de l’évolution, admettre même la possibilité de l’une ou de l’autre de ces deux premières propositions. Le professeur Macalister a aussi décrit des variations dans le long fléchisseur du pouce, remarquables par leurs rapports avec le même muscle chez les quadrumanes (Proc. Roy. Irish Academy, vol. x, 1864, p. 138).
  54. Depuis la première édition de cet ouvrage, M. Wood a publié un autre mémoire, Philos. Trans., 1870, p. 83, sur les variations des muscles du cou, de l’épaule et de la poitrine de l’homme. Il démontre dans ce mémoire que les muscles sont très variables et que ces variations font souvent ressembler ces muscles aux muscles normaux des animaux inférieurs. Il résume ces remarques en ces termes : « J’aurai rempli le but que je me suis proposé si j’ai réussi à indiquer les formes les plus importantes qui, quand elles se présentent sous forme de variation chez l’homme, démontrent de manière suffisante ce qu’on peut considérer comme des exemples et des preuves du principe darwinien du retour, c’est-à-dire de la loi d’hérédité. »
  55. J’ai cité mes autorités pour ces assertions dans Variations des Animaux, etc., vol. II, pp. 442-360 (trad. française).
  56. Le sujet dans son entier a été discuté dans le chap. XXIII de la Variation des Animaux, etc.
  57. Lire l’ouvrage mémorable du rév. T. Malthus, Essay on the principle of population, 1826, vol. I, 6, 517.
  58. De la Variation des Animaux, etc., vol II, pp. 117-120, 172.
  59. M. Sedgwick, British and Foreign medico-chirurg. Review, juillet 1863, p. 170.
  60. W.-W. Hunter, The Annals of Rural Bengal, 1868, p. 259.
  61. Primitive Marriage, 1863.
  62. Un critique fait dans le Spectator, 12 mars 1871, p. 320, les commentaires suivants sur ce passage : « M. Darwin se voit obligé d’imaginer une nouvelle doctrine relative à la chute de l’homme. Il démontre que les animaux supérieurs ont des instincts beaucoup plus nobles que les habitudes des sauvages, et il se voit, par conséquent, obligé d’établir, comme une hypothèse scientifique, sous une forme dont il ne paraît pas soupçonner la parfaite orthodoxie, la doctrine que la recherche de la science a été la cause d’une détérioration temporaire des qualités morales de l’homme, détérioration dont les effets se sont fait sentir bien longtemps, comme le prouvent les coutumes ignobles des sauvages, principalement dans leurs rapports avec le mariage. Or, la tradition juive relative à la dégénération morale de l’homme affirme exactement la même chose. »
  63. Voir quelques excellentes remarques, à cet effet, de W. Stanley Jevons, A deduction from Darwin’s Theory, Nature, 1869, p. 231.
  64. Latham, Man and his Migrations, 1851, p. 135.
  65. MM. Murie et Mivart, dans leur Anatomy of the Lemuroïdea (Transact. Zoolog. Soc., vol. VII, 1869, pp. 96-98), disent : « Quelques muscles sont si irréguliers dans leur distribution qu’on ne peut pas bien les classer dans aucun des groupes ci-dessus. » Ces muscles diffèrent même sur les côtés opposés du corps du même individu.
  66. Limits of natural selection, North American Review, oct. 1870, p. 295.
  67. Quarterly Review, avril 1869, p. 392. Ce sujet est plus complètement discuté dans les Contributions to the Theory of Natural Selection, 1870, ouvrage que vient de publier M. Wallace, et traduit en français par M. Lucien de Candolle (Paris, C. Reinwald), dans lequel il reproduit tous les mémoires que nous avons cités dans cet ouvrage. L’Essai sur l’homme a été l’objet d’une critique remarquable que le professeur Claparède, un des zoologistes les plus distingués d’Europe, a publiée dans la Bibliothèque Universelle, juin 1870. La remarque que je cite dans le texte surprendra tous ceux qui ont lu le travail célèbre de M. Wallace sur l’Origine des Races humaines, déduite de la Théorie de la sélection naturelle, publiée primitivement dans Anthropological Review, mai 1864, p. CLVIII. Je ne puis m’empêcher de citer une remarque très juste faite par sir J. Lubbock sur ce travail (Prehistoric Times, 1865, p. 479), à savoir que M. Wallace, « avec un désintéressement caractéristique, attribue l’idée de la sélection naturelle exclusivement à M. Darwin, bien que, comme on le sait, il l’ait émise d’une manière indépendante et publiée en même temps, mais, d’une manière moins complète. »
  68. Cité par M. Lawson Tait. Laws of natural selection, Dublin Quarterly Journal of Medical Science, février 1869. Le docteur Keller est aussi cité dans le même but.
  69. Owen, Anatomy of Vertebrates, III, p. 71.
  70. Quarterly Review, avril 1869, p. 392.
  71. Chez l’Hylobates syndactilus, comme le nom l’indique, deux des doigts sont adhérents ; fait qui se représente occasionnellement, à ce que m’apprend M. Blyth, dans les doigts des H. agilis, lar et leuciscus. Le Colobus est extraordinairement actif et habite exclusivement les arbres (Brehm, Thierleben, vol. I, p. 50) ; mais j’ignore si ces singes sont meilleurs grimpeurs que les espèces des genres voisins. Il est à remarquer que les pieds des paresseux, qui vivent exclusivement sur les arbres, ressemblent absolument à des crochets.
  72. Brehm, Thierleben, vol. I, p. 80.
  73. The Hand, its Mechanism, etc. Bridgewater Treatise, 1833, p. 38.
  74. Dans sa Natürliche Schöpfungsgeschichte, 1868, p. 507, Häckel discute, avec beaucoup d’habileté, les moyens par lesquels l’homme est devenu bipède. Dans ses Conférences sur la théorie darwinienne, 1869, p. 135, Büchner cite des cas de l’usage du pied par l’homme comme organe préhensile, et aussi sur le mode de progression des singes supérieurs dont je parle dans le paragraphe suivant. Voir encore, sur ce dernier point, Owen, Anatomy of Vertebrates, vol. III, p. 71.
  75. Broca, La constitution des vertèbres caudales. (Revue d’anthropologie, 1872, p. 26).
  76. Sur la forme primitive du crâne, traduit dans Anthropological Review, octobre 1868, p. 428. Owen (Anatomy of Vertebrates, vol. II, p. 551, 1866), sur les apophyses mastoïdes chez les singes supérieurs.
  77. Die Grenzen der Thierwelt, eine Betrachtung zu Darwin’s Lehre, 1868, p. 51.
  78. Dujardin, Annales des sciences nat., 3e  série, Zoolog., t. XIV, 1850, p. 203. M. Lowne, Anatomy and Physiology of the Musca vomitoria, 1870, p. 14. Mon fils, M. F. Darwin, a disséqué pour moi les ganglions cérébraux de la Formica rufa.
  79. Philosophical Transactions, 1869, p. 513.
  80. Broca, Les Sélections, rev. d’Anthrop., 1873. C. Vogt, Leçons sur l’homme, p. 113. Prichard, Phys. History of Mankind, I, 1838, p. 305.
  81. Dans l’intéressant article auquel nous venons de faire allusion, le professeur Broca a fait remarquer, avec beaucoup de raison, que la moyenne de la capacité du crâne chez les nations civilisées se trouve fixée à un chiffre très inférieur par suite de la conservation d’un nombre considérable d’individus faibles de corps et d’esprit, qui auraient été promptement éliminés à l’état sauvage. D’autre part, chez les sauvages, la moyenne ne comprend que les individus les plus vigoureux, qui ont pu survivre au milieu de conditions entièrement dures et pénibles. Broca explique ainsi le fait, autrement inexplicable, que la capacité moyenne du crâne des anciens Troglodytes de la Lozère est plus grande que celle des Français modernes.
  82. Comptes rendus des sciences, oct., 1er  juin 1868.
  83. La Variation des Animaux, etc., vol. I, pp. 132-137.
  84. Shaaffhausen cite, d’après Blumenbach et Busch, des exemples des effets des spasmes et des cicatrices, Anthropological Review, p. 420, octobre 1868. Le docteur Jarrold (Anthropologia, 1808, pp. 115, 116) indique, d’après Camper et ses propres observations, des cas de modifications déterminées dans le crâne, par suite d’une position artificielle imposée à la tête. Il admet que certaines professions, telles que celle de cordonnier, en obligeant la tête à être toujours penchée en avant, tendent à rendre le front plus saillant et plus arrondi.
  85. De la variation, etc., vol. I, p. 112, sur l’allongement du crâne ; p. 114, sur la chute d’une oreille.
  86. Cité par Schaaffhausen, Anthropological Review, p. 419, octobre 1868.
  87. Owen, Anatomy of Vertebrates, vol. III, p. 619.
  88. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire (Hist. nat. générale, 1839, t. II, pp. 215-217) remarque que la tête humaine est couverte de longs poils, et qu’aussi les surfaces supérieures des singes et autres mammifères sont plus fortement revêtues de poils que les surfaces inférieures. Divers auteurs l’ont également observé. Le professeur Gervais (Hist. nat. des Mammifères, 1854, vol. I, p. 28) constate cependant que chez le gorille le poil est plus rare sur le dos, où il est partiellement enlevé par frottement, que sur les surfaces inférieures.
  89. The Naturalist in Nicaragua, 1874, p. 209. À l’appui des assertions de M. Belt, je puis citer le passage suivant de sir W. Denison (Varieties of vice-regal life, vol. I, 1870, p. 440) : « On affirme que les Australiens attaqués par des parasites ont l’habitude de flamber leurs poils. »
  90. M. Saint-George Mivart, Proc. Zoolog. Soc., 1865, pp. 562, 583. Docteur J.-E. Gray, Catal. Brit. Mus. : Skeletons. Owen, Anat. of Vertebrates, II, p. 517. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Hist. Nat. générale, t. II, p. 244.
  91. Revue d’Anthropologie, 1872 ; La constitution des vertèbres caudales.
  92. Proc. Zoolog. Soc., 1872, p. 210.
  93. Proc. Zoolog. Soc., 1872, p. 786.
  94. Je fais allusion aux observations du docteur Brown-Séquard sur les effets héréditaires d’une opération qui provoque l’épilepsie chez les cochons d’Inde et à des recherches plus récentes sur les effets héréditaires causés par la section du nerf sympathique dans le cou. J’aurai occasion de parler plus loin des observations de M. Salvin sur les effets héréditaires produits chez certains oiseaux qui détruisent les barbes des plumes de leur queue. Voir aussi sur ce sujet, Variation des Animaux et des Plantes, vol. I, ch. XII.
  95. La Variation des Animaux, etc., vol. II, p. 297.
  96. Primeval Man, 1869, p. 66.