La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/01


CHAPITRE PREMIER


PREUVES À L’APPUI DE L’HYPOTHÈSE QUE L’HOMME
DESCEND D’UNE FORME INFÉRIEURE


Nature des preuves sur l’origine de l’homme. — Conformations homologues chez l’homme et les animaux inférieurs. — Points de similitude divers. — Développement. — Conformations rudimentaires, muscles, organes des sens, cheveux, os, organes reproducteurs, etc. — Portée de ces trois ordres de faits sur l’origine de l’homme.


L’Homme est-il le descendant modifié de quelque forme préexistante ? Pour résoudre cette question, il convient d’abord de rechercher si la conformation corporelle et les facultés mentales de l’homme sont sujettes à des variations, si légères qu’elles soient ; et, dans ce cas, si ces variations se transmettent à sa progéniture conformément aux lois qui prévalent chez les animaux inférieurs. Il convient de rechercher, en outre, si ces variations, autant que notre ignorance nous permet d’en juger, sont le résultat des mêmes causes, si elles sont réglées par les mêmes lois générales que chez les autres organismes, — par la corrélation, par les effets héréditaires de l’usage et du défaut d’usage, etc. ? L’homme est-il sujet aux mêmes difformités, résultant d’arrêts de développement, de duplication de parties, etc., et fait-il retour, par ses anomalies, à quelque type antérieur et ancien de conformation ? On doit naturellement aussi se demander si, comme tant d’autres animaux, l’homme a donné naissance à des variétés et à des sous-races, différant peu les unes des autres, ou à des races assez distinctes pour qu’on doive les classer comme des espèces douteuses ? Comment ces races sont-elles distribuées à la surface de la terre, et, lorsqu’on les croise, comment réagissent-elles les unes sur les autres, tant dans la première génération que dans les suivantes ? Et de même pour beaucoup d’autres points.

L’enquête aurait ensuite à élucider un problème important : l’homme tend-il à se multiplier assez rapidement pour qu’il en résulte une lutte ardente pour l’existence, et, par suite, la conservation des variations avantageuses du corps ou de l’esprit, et l’élimination de celles qui sont nuisibles ? Les races ou les espèces humaines, quel que soit le terme qu’on préfère, empiètent-elles les unes sur les autres et se remplacent-elles de manière à ce que finalement il en disparaisse quelques-unes ? Nous verrons que toutes ces questions, dont la plupart ne méritent pas la discussion, résolues qu’elles sont déjà, doivent, comme pour les animaux inférieurs, se résoudre par l’affirmative. Nous pouvons, d’ailleurs, laisser de côté pour le moment les considérations qui précèdent, et examiner d’abord jusqu’à quel point la conformation corporelle de l’homme offre des traces plus ou moins évidentes de sa descendance de quelque type inférieur. Nous étudierons, dans les chapitres suivants, les facultés mentales de l’homme en les comparant à celles des animaux placés plus bas sur l’échelle.


Conformation corporelle de l’homme. — On sait que l’homme est construit sur le même type général, sur le même modèle que les autres mammifères. Tous les os de son squelette sont comparables aux os correspondants d’un singe, d’une chauve-souris ou d’un phoque. Il en est de même de ses muscles, de ses nerfs, de ses vaisseaux sanguins et de ses viscères internes. Le cerveau, le plus important de tous les organes, suit la même loi, comme l’ont établi Huxley et d’autres anatomistes. Bischoff[1], adversaire déclaré de cette doctrine, admet cependant que chaque fissure principale et chaque pli du cerveau humain ont leur analogue dans celui de l’orang-outan ; mais il ajoute que les deux cerveaux ne concordent complètement à aucune période de leur développement ; concordance à laquelle on ne doit d’ailleurs pas s’attendre, car autrement leurs facultés mentales seraient les mêmes. Vulpian[2] fait la remarque suivante : « Les différences réelles qui existent entre l’encéphale de l’homme et celui des singes supérieurs sont bien minimes. Il ne faut pas se faire d’illusions à cet égard. L’homme est bien plus près des singes anthropomorphes par les caractères anatomiques de son cerveau que ceux-ci ne le sont non-seulement des autres mammifères, mais même de certains quadrumanes, des guenons et des macaques. » Mais il serait superflu d’entrer ici dans plus de détails sur l’analogie qui existe entre la structure du cerveau et toutes les autres parties du corps de l’homme et la conformation des mammifères supérieurs.

Il peut cependant être utile de spécifier quelques points, ne se rattachant ni directement ni évidemment à la conformation, mais qui témoignent clairement de cette analogie ou de cette parenté.

L’homme peut recevoir des animaux inférieurs, et leur communiquer certaines maladies comme la rage, la variole, la morve, la syphilis, le choléra, l’herpès, etc.[3], fait qui prouve bien plus évidemment l’extrême similitude[4] de leurs tissus et de leur sang, tant dans leur composition que dans leur structure élémentaire, que ne le pourrait faire une comparaison faite sous le meilleur microscope, ou l’analyse chimique la plus minutieuse. Les singes sont sujets à un grand nombre de nos maladies non contagieuses ; ainsi Rengger[5], qui a observé pendant longtemps le Cebus Azaræ dans son pays natal, a démontré qu’il est sujet au catarrhe, avec ses symptômes ordinaires qui amènent la phthisie lorsqu’ils se répètent souvent. Ces singes souffrent aussi d’apoplexie, d’inflammation des entrailles et de la cataracte. La fièvre emporte souvent les jeunes au moment où ils perdent leurs dents de lait. Les remèdes ont sur les singes les mêmes effets que sur nous. Plusieurs espèces de singes ont un goût prononcé pour le thé, le café et les liqueurs spiritueuses ; ils fument aussi le tabac avec plaisir, ainsi que je l’ai observé moi-même[6]. Brehm assure que les habitants des parties nord-ouest de l’Afrique attrapent les mandrills en exposant à leur portée des vases contenant de la bière forte, avec laquelle ils s’enivrent. Il a observé quelques-uns de ces animaux en captivité dans le même état d’ivresse, et fait un récit très divertissant de leur conduite et de leurs bizarres grimaces. Le matin suivant, ils étaient sombres et de mauvaise humeur, se tenaient la tête à deux mains et avaient une piteuse mine ; ils se détournaient avec dégoût lorsqu’on leur offrait de la bière ou du vin, mais paraissaient être très friands du jus de citron[7]. Un singe américain, un Ateles, après s’être enivré d’eau-de-vie, ne voulut plus jamais en boire, se montrant en cela plus sage que bien des hommes. Ces faits peu importants prouvent combien les nerfs du goût sont semblables chez l’homme et chez les singes, et combien leur système nerveux entier est similairement affecté.

L’homme est infesté de parasites internes dont l’action provoque parfois des effets funestes ; il est tourmenté par des parasites externes, qui appartiennent aux mêmes genres ou aux mêmes familles que ceux qui attaquent d’autres mammifères, et, dans le cas de la gale, à la même espèce[8]. L’homme est, comme d’autres animaux, mammifères, oiseaux, insectes même[9], soumis à cette loi mystérieuse en vertu de laquelle certains phénomènes normaux, tels que la gestation, ainsi que la maturation et la durée de diverses maladies, suivent les phases de la lune. Les mêmes phénomènes se produisent chez lui et chez les animaux pour la cicatrisation des blessures, et les moignons qui subsistent après l’amputation des membres possèdent parfois, surtout pendant les premières phases de la période embryonnaire, une certaine puissance de régénération comme chez les animaux inférieurs[10].

L’ensemble de la marche de l’importante fonction de la reproduction de l’espèce présente les plus grandes ressemblances chez tous les mammifères, depuis les premières assiduités du mâle[11] jusqu’à la naissance et l’allaitement des jeunes. Les singes naissent dans un état presque aussi faible que nos propres enfants, et, dans certains genres, les jeunes diffèrent aussi complètement des adultes, par leur aspect, que le font nos enfants de leurs parents[12]. Quelques savants ont présenté, comme une distinction importante, le fait que, chez l’homme, le jeune individu n’atteint la maturité qu’à un âge beaucoup plus avancé que chez tous les autres animaux ; mais, si nous considérons les races humaines habitant les contrées tropicales, la différence n’est pas bien considérable, car on admet que l’orang ne devient adulte qu’à dix ou quinze ans[13]. L’homme diffère de la femme par sa taille, par sa force corporelle, par sa villosité, etc., ainsi que par son intelligence, dans la même proportion que les deux sexes chez la plupart des mammifères. Bref, il n’est pas possible d’exagérer l’étroite analogie qui existe entre l’homme et les animaux supérieurs, surtout les singes anthropomorphes, tant dans la conformation générale et la structure élémentaire des tissus que dans la composition chimique et la constitution.


Développement embryonnaire. — L’homme se développe d’un ovule ayant environ 0mm,02 de diamètre ; cet ovule ne diffère en aucun point de celui des autres animaux à une période précoce ; c’est à peine si l’on peut distinguer cet embryon lui-même de celui d’autres membres du règne des vertébrés. À cette période, les artères circulent dans des branches arquées, comme pour porter le sang dans des branchies qui n’existent pas dans les vertébrés supérieurs, bien que les fentes latérales du cou persistent et marquent leur ancienne position (fig. 1, f, g). Un peu plus tard, lorsque les extrémités se développent, ainsi que le remarque le célèbre de Baër, « les pattes



Fig. 1. — La figure supérieure représente un embryon humain, d’après Ecker ; la figure inférieure celui d’un chien, d’après Bischoff.
a, Cerveau antérieur, hémisphères cérébraux, etc. f, Premier arc viscéral.
b, Cerveau médian, corps quadrijumeaux. g, Second arc viscéral.
c, Cerveau postérieur, cervelet, moelle allongée. H, colonne vertébrale et muscles en voie de développement.
d, Œil. i, Extrémités antérieures.
e, Oreille. K, Extrémités postérieures.
L, Queue ou os du coccyx.
des lézards et des mammifères, les ailes et les pattes des oiseaux,

de même que les mains et les pieds de l’homme, dérivent de la même forme fondamentale ». C’est, dit le professeur Huxley[14], « dans les toutes dernières phases du développement, que le jeune être humain présente des différences marquées avec le jeune singe, tandis que ce dernier s’éloigne autant du chien dans ses développements que l’homme lui-même peut s’en éloigner. On peut démontrer la vérité de cette assertion, tout extraordinaire qu’elle puisse paraître. »

Comme plusieurs de mes lecteurs peuvent n’avoir jamais vu le dessin d’un embryon, je donne ici ceux de l’homme et du chien, tous deux à peu près à la même phase précoce de leur développement, et je les emprunte à deux ouvrages dont l’exactitude est incontestable[15].

Après les assertions de ces hautes autorités, il est inutile d’entrer dans de plus amples détails pour prouver la grande ressemblance qu’offre l’embryon humain avec celui des autres mammifères. J’ajouterai, cependant, que certains points de la conformation de l’embryon humain ressemblent aussi à certaines conformations d’animaux inférieurs à l’état adulte. Le cœur, par exemple, n’est d’abord qu’un simple vaisseau pulsateur ; les déjections s’évacuent par un passage cloacal ; l’os coccyx fait saillie comme une véritable queue, qui « s’étend beaucoup au-delà des jambes rudimentaires[16]. » Certaines glandes, désignées sous le nom de corps de Wolff, existant chez les embryons de tous les vertébrés à respiration aérienne, correspondent aux reins des poissons adultes et fonctionnent comme eux[17]. On peut même observer, à une période embryonnaire plus tardive, quelques ressemblances frappantes entre l’homme et les animaux inférieurs. Bischoff assure qu’à la fin du septième mois, les circonvolutions du cerveau d’un embryon humain en sont à peu près au même état de développement que chez le babouin adulte[18]. Le professeur Owen fait remarquer[19] « que le gros orteil qui fournit le point d’appui dans la marche, aussi bien debout qu’à l’état de repos, constitue peut-être la particularité la plus caractéristique de la structure humaine » ; mais le professeur Wyman[20] a démontré que, chez l’embryon, ayant environ un pouce de longueur, « l’orteil est plus court que les autres doigts, et que, au lieu de leur être parallèle, il forme un angle avec le côté du pied, correspondant ainsi par sa position avec l’état permanent de l’orteil chez les quadrumanes ». Je termine par une citation de Huxley[21], qui se demande : l’homme est-il engendré, se développe-t-il, vient-il au monde d’une façon autre que le chien, l’oiseau, la grenouille ou le poisson ? Puis il ajoute : « La réponse ne peut pas être douteuse un seul instant ; il est incontestable que le mode d’origine et les premières phases du développement humain sont identiques à ceux des animaux qui occupent les degrés immédiatement au-dessous de lui sur l’échelle, et qu’à ce point de vue il est beaucoup plus voisin des singes que ceux-ci ne le sont du chien. »


Rudiments. — Nous traiterons ce sujet avec plus de développements, bien qu’il ne soit pas intrinsèquement beaucoup plus important que les deux précédents[22]. On rencontre chez tous les animaux supérieurs quelques parties à l’état rudimentaire ; l’homme ne fait point exception à cette règle. Il faut, d’ailleurs, distinguer, ce qui, dans quelques cas, n’est pas toujours facile, les organes rudimentaires de ceux qui ne sont qu’à l’état naissant. Les premiers sont absolument inutiles, tels que les mamelles chez les quadrupèdes mâles, et chez les ruminants les incisives qui ne percent jamais la gencive ; ou bien ils rendent seulement à leurs possesseurs actuels de si légers services que nous ne pouvons pas supposer qu’ils se soient développés dans les conditions où ils existent aujourd’hui. Les organes, dans ce dernier état, ne sont pas strictement rudimentaires, mais tendent à le devenir. Les organes naissants, d’autre part, bien qu’ils ne soient pas complètement développés, rendent de grands services à leurs possesseurs et sont susceptibles d’un développement ultérieur. Les organes rudimentaires sont éminemment variables, fait qui se comprend, puisque, étant inutiles ou à peu près, ils ne sont plus soumis à l’action de la sélection naturelle. Ils disparaissent souvent entièrement ; mais, dans ce cas, ils reparaissent quelquefois par suite d’un effet de retour, fait qui mérite toute notre attention.

Les principales causes qui paraissent provoquer l’état rudimentaire des organes sont le défaut d’usage, surtout pendant l’état adulte, alors que, au contraire, l’organe devrait être exercé, et l’hérédité à une période correspondante de la vie. L’expression « défaut d’usage » ne s’applique pas seulement à l’action amoindrie des muscles, mais comprend une diminution de l’afflux sanguin vers un organe soumis à des alternatives de pression plus rares, ou devenant, à un titre quelconque, habituellement moins actif. On peut observer chez un sexe les rudiments de parties présentes normalement chez l’autre sexe ; ces rudiments, ainsi que nous le verrons plus tard, résultent souvent de causes distinctes de celles que nous venons d’indiquer. Dans quelques cas, la sélection naturelle intervient pour réduire des organes devenus nuisibles à une espèce, par suite de changements dans ses habitudes. Il est probable que la compensation et l’économie de croissance interviennent souvent à leur tour pour hâter cette diminution de l’organe ; toutefois, on s’explique difficilement les derniers degrés de diminution qui s’observent après que le défaut d’usage a effectué tout ce qu’on peut raisonnablement lui attribuer, et que les résultats de l’économie de croissance ne sont plus que très insignifiants[23]. La suppression complète et finale d’une partie, déjà très réduite et devenue inutile, cas où ne peuvent entrer en jeu ni la compensation ni l’économie de croissance, peut se comprendre par l’hypothèse de la pangenèse, et ne peut guère même s’expliquer autrement. Je n’ajouterai rien de plus sur ce point, ayant, dans mes ouvrages précédents[24] discuté et développé avec amples détails tout ce qui a trait aux organes rudimentaires.

On a observé, sur de nombreux points du corps humain[25], les rudiments de muscles divers ; il en est qui, existant régulièrement chez quelques animaux, se retrouvent parfois à un état très réduit chez l’homme. Chacun a remarqué l’aptitude que possèdent plusieurs animaux, le cheval surtout, à mouvoir certaines parties de la peau par la contraction du pannicule musculaire. On trouve des restes de ce muscle à l’état actif sur plusieurs points du corps humain ; sur le front, par exemple, où il permet le relèvement des sourcils. Le platysma myoides, qui est bien développé sur le cou, appartient à ce système. Le professeur Turner, d’Édimbourg, m’apprend qu’il a parfois trouvé des fascicules musculaires dans cinq situations différentes : dans les axilles, près des omoplates, etc., qui doivent tous être rattachés au système du pannicule. Il a[26] aussi démontré que le muscle sternal (sternalis brutorum), qui n’est pas une extension de l’abdominal droit (rectus abdominalis), mais qui se relie intimement au pannicule, s’est rencontré dans une proportion d’environ 3 p. 100 chez plus de six cents cadavres ; il ajoute que ce muscle fournit « un excellent exemple du fait que les conformations accidentelles et rudimentaires sont tout spécialement sujettes à présenter des variations dans leurs arrangements ».

Quelques personnes ont la faculté de contracter les muscles superficiels du scalpe, qui sont dans un état partiellement rudimentaire et variable. M. A. de Candolle m’a communiqué une observation curieuse sur la persistance héréditaire de cette aptitude, existant à un degré inusité d’intensité. Il connaît une famille dont un des membres, actuellement chef de la famille, pouvait, quand il était jeune, faire tomber, par la seule mobilité du scalpe, plusieurs gros livres posés sur sa tête, et qui avait gagné de nombreux paris en exécutant ce tour de force. Son père, son oncle, son grand-père et ses trois enfants possèdent à un égal degré cette même aptitude. Cette famille se divisa en deux branches, il y a huit générations ; le chef de celle dont nous venons de parler est donc cousin au septième degré du chef de l’autre branche. Ce cousin éloigné, habitant une autre partie de la France, interrogé au sujet de l’aptitude en question, prouva immédiatement qu’il la possède aussi. C’est là un excellent exemple de la transmission persistante d’une faculté absolument inutile que nous ont probablement léguée nos ancêtres à demi humains ; en effet, les singes possèdent la faculté, dont ils usent largement, de mouvoir le scalpe de haut en bas et vice versa[27].

Les muscles servant à mouvoir l’ensemble de l’oreille externe, et les muscles spéciaux qui déterminent les mouvements de ses diverses parties, appartenant tous au système panniculeux, existent, chez l’homme, à l’état rudimentaire. Ils offrent des variations dans leur développement, ou au moins dans leurs fonctions. J’ai eu l’occasion de voir un homme qui pouvait ramener ses oreilles en avant ; d’autres qui pouvaient les redresser ; d’autres enfin qui pouvaient les retirer en arrière[28] ; d’après ce que m’a dit une de ces personnes, il est probable que la plupart des hommes, en stimulant l’oreille et en dirigeant leur attention de ce côté, parviendraient, à la suite d’essais répétés, à recouvrer quelque mobilité dans ces organes. La faculté de dresser les oreilles et de pouvoir les diriger vers les différents points de l’espace, rend certainement de grands services à beaucoup d’animaux, qui sont ainsi renseignés sur le lieu du danger ; mais je n’ai jamais entendu dire qu’un homme ait possédé cette faculté, la seule qui pût lui être utile. Toute la conque externe de l’oreille peut être considérée comme un rudiment, ainsi que les divers replis et proéminences (hélix et antihélix, tragus et antitragus, etc.) qui, chez les animaux, soutiennent et renforcent l’oreille, lorsqu’elle est redressée, sans en augmenter beaucoup le poids. Quelques auteurs, toutefois, supposent que le cartilage de la conque sert à transmettre les vibrations au nerf acoustique ; mais M. Toynbee[29], après avoir recueilli tout ce qu’on sait à ce sujet, conclut que la conque extérieure n’a pas d’usage déterminé. Les oreilles des chimpanzés et des orangs ressemblent singulièrement à celles de l’homme, et les muscles qui leur sont propres sont aussi très peu développés[30]. Les gardiens du Jardin zoologique de Londres m’ont assuré que ces animaux ne meuvent ni ne redressent jamais les oreilles ; elles sont donc, en tant qu’il s’agit de la fonction, dans le même état rudimentaire que celles de l’homme. Nous ne pouvons dire pourquoi ces animaux, ainsi que les ancêtres de l’homme, ont perdu la faculté de dresser les oreilles. Il est possible, bien que cette explication ne me satisfasse pas complètement, que, peu exposés au danger, par suite de leurs habitudes d’existence dans les arbres et de leur grande force, ils aient, pendant une longue période, peu remué les oreilles, et perdu ainsi la faculté de le faire. Ce serait un cas parallèle à celui de ces grands oiseaux massifs, qui habitent les îles de l’océan, où ils ne sont pas exposés aux attaques des animaux carnassiers, et qui ont, par suite du défaut d’usage, perdu le pouvoir de se servir de leurs ailes pour s’enfuir. La facilité avec laquelle l’homme et plusieurs espèces de singes remuent la tête dans le plan horizontal, ce qui leur permet de saisir les sons dans toutes les directions, compense en partie l’impossibilité où ils se trouvent de mouvoir les oreilles. On a affirmé que l’oreille de l’homme seul est pourvue d’un lobule ; mais on trouve un rudiment du lobule chez le gorille[31], et le professeur Preyer m’apprend que le lobule fait assez souvent défaut chez le nègre.

Un sculpteur éminent, M. Woolner, m’a signalé une petite particularité de l’oreille externe, particularité qu’il a souvent remarquée chez les deux sexes, et dont il croit avoir saisi la vraie signification. Son attention fut attirée sur ce point lorsqu’il travaillait à sa statue de Puck, à laquelle il avait donné des oreilles pointues. Ceci
Fig. 2. — Oreille humaine : modelée et dessinée par M. Woolner
a. — Saillie.
le conduisit à examiner les oreilles de divers singes, et subséquemment à étudier de plus près l’oreille humaine. Cette particularité consiste en une petite pointe émoussée qui fait saillie sur le bord replié en dedans, ou l’hélix. Quand cette saillie existe, elle est déjà développée lorsque l’enfant vient au monde ; d’après le professeur Ludwig Meyer, on l’observe plus fréquemment chez l’homme que chez la femme. M. Woolner m’a envoyé le dessin ci-joint (fig. 2), fait d’après un modèle exact d’un cas semblable. Cette proéminence fait, non-seulement saillie en dedans, mais, souvent aussi, un peu en dehors, de manière à être visible lorsqu’on regarde la tête directement en face, soit par devant, soit par derrière. Elle varie en grosseur et quelque peu en position, car elle se trouve tantôt un peu plus haut, tantôt un peu plus bas ; on l’observe parfois sur une oreille et pas sur l’autre. Cette conformation n’existe pas seulement chez l’homme, car j’en ai observé un cas chez un Ateles belzebuth au Jardin zoologique de Londres ; le Dr E. Ray Lankester me signale un autre cas qu’il a observé sur un chimpanzé du Jardin zoologique de Hambourg.

L’hélix est évidemment formé par un repli intérieur du bord externe de l’oreille, et ce repli paraît provenir de ce que l’oreille extérieure, dans son entier, a été repoussée en arrière d’une manière permanente. Chez beaucoup de singes peu élevés dans l’ordre, comme les cynocéphales et quelques espèces de macaques[32], la partie supérieure de l’oreille se termine par une pointe peu accusée, sans que le bord soit aucunement replié en dedans ; si, au contraire, le bord était replié, il en résulterait nécessairement une petite proéminence faisant saillie en dedans et probablement un peu en dehors du plan de l’oreille. C’est là, je crois, qu’il faut chercher, dans la plupart des cas, l’origine de ces proéminences. D’autre part, le professeur L. Meyer soutient dans un excellent mémoire, qu’il a récemment publié[33], que l’on ne doit voir là qu’un cas de simple variabilité, que les proéminences ne sont pas réelles, mais qu’elles sont dues à ce que le cartilage intérieur de chaque côté ne s’est pas complètement développé. Je suis tout prêt à admettre que cette explication est acceptable dans bien des cas, dans ceux, par exemple, figurés par le professeur Meyer, où on remarque plusieurs petites proéminences qui rendent sinueux le bord entier de l’hélix. Grâce à l’obligeance du Dr L. Down, j’ai pu étudier l’oreille d’un idiot microcéphale ; j’ai observé sur cette oreille une proéminence située sur le côté extérieur de l’hélix et non pas sur le repli intérieur, de sorte que cette proéminence ne peut avoir aucun rapport avec une pointe antérieure de l’oreille. Néanmoins, je crois que, dans la plupart des cas, j’étais dans le vrai en regardant ces saillies comme le dernier vestige du bout de l’oreille autrefois redressée et pointue ; je suis d’autant plus disposé à le croire que ces saillies se présentent fréquemment et que leur position correspond généralement à celle du sommet d’une oreille pointue. Dans un cas, dont on m’a envoyé une photographie, la saillie est si considérable que, si l’on adopte l’hypothèse du professeur Meyer, c’est-à-dire si l’on suppose que l’oreille deviendrait parfaite grâce à l’égal développement du cartilage dans toute l’étendue du bord, le repli aurait recouvert au moins un tiers de l’oreille entière. On m’a communiqué deux autres cas, l’un dans l’Amérique du nord, l’autre en Angleterre ; dans ces deux cas, le bord supérieur n’est pas replié intérieurement, mais il se termine en pointe, ce qui le fait ressembler étroitement à l’oreille pointue d’un quadrupède ordinaire. Dans un de ces cas, le père comparait absolument l’oreille de son jeune enfant à celle d’un singe, le Cynopithecus niger, dont j’ai donné le dessin dans un autre ouvrage[34]. Si, dans ces deux cas, le bord s’était replié intérieurement de la façon normale, il se serait formé une saillie intérieure. Je puis ajouter que, dans deux autres cas, l’oreille conserve un aspect quelque peu pointu, bien que le bord de la partie supérieure de l’oreille soit normalement replié à l’intérieur, très faiblement, il est vrai, dans un des deux cas. La figure 3, reproduction exacte d’une photographie qu’a bien voulu m’envoyer le Dr Nitsche, représente le fœtus d’un orang. On peut voir combien

Fig. 3. — Fœtus d’orang. Copie exacte d’une photographie indiquant la forme de l’oreille à cet âge précoce.


l’oreille du fœtus de l’orang diffère de celle du même animal à l’état adulte ; on sait, en effet, que cette dernière ressemble beaucoup à celle de l’homme. Il est facile de comprendre que, si la pointe de l’oreille du fœtus venait à se replier intérieurement, il se produirait une saillie tournée vers l’intérieur, à moins que l’oreille ne subisse de grandes modifications dans le cours de son développement. En résumé, il me semble toujours probable que, dans certains cas, les saillies en question, chez l’homme et chez le singe, sont les vestiges d’un état antérieur.

La troisième paupière, ou membrane clignotante, est, avec ses muscles accessoires et d’autres conformations, particulièrement bien développée chez les oiseaux ; elle a pour eux une importance fonctionnelle considérable, car, grâce à elle, ils peuvent recouvrir rapidement le globe de l’œil tout entier. On observe cette troisième paupière chez quelques reptiles, chez quelques amphibies, et chez certains poissons, les requins par exemple. Elle est assez bien développée dans les deux divisions inférieures de la série des mammifères, les Monotrèmes et les Marsupiaux, ainsi que chez quelques Mammifères plus élevés, comme le morse. Mais, chez l’homme, les quadrumanes et la plupart des autres mammifères, elle existe, ainsi que l’admettent tous les anatomistes, sous la forme d’un simple rudiment, dit le pli semi-lunaire[35].

Le sens de l’odorat a, pour la plupart des mammifères, une très haute importance : il avertit les uns du danger, comme les ruminants ; il permet à d’autres, comme les carnivores, de découvrir leur proie ; à d’autres enfin, comme le sanglier, il sert à l’un et à l’autre usage. Mais l’odorat ne rend que très peu de services à l’homme, même aux races à peau de couleur, chez lesquelles il est généralement plus développé que chez les races civilisées[36]. Il ne les avertit pas du danger et ne les guide pas vers leur nourriture ; il n’empêche pas les Esquimaux de dormir dans une atmosphère fétide, ni beaucoup de sauvages de manger de la viande à moitié pourrie. Un éminent naturaliste, chez lequel ce sens est très parfait et qui a longuement étudié cette question, m’affirme que, chez les Européens, cette faculté comporte des états bien différents selon les individus. Ceux qui croient au principe de l’évolution graduelle n’admettent pas aisément que ce sens, tel qu’il existe aujourd’hui, ait été originellement acquis par l’homme dans son état actuel. L’homme doit sans doute cette faculté affaiblie et rudimentaire à quelque ancêtre reculé, auquel elle était extrêmement utile et qui en faisait un fréquent usage. Le Dr Maudsley[37] fait remarquer avec beaucoup de raison que le sens de l’odorat chez l’homme est « remarquablement propre à lui rappeler vivement l’idée et l’image de scènes et de lieux oubliés » ; peut-être faut-il chercher l’explication de ces phénomènes dans le fait que les animaux, qui possèdent ce même sens à un état très-développé, comme les chiens et les chevaux, semblent compter beaucoup sur l’odorat pour raviver le souvenir de lieux ou de personnes qu’ils ont connus autrefois.

L’homme diffère notablement par sa nudité de tous les autres primates. Quelques poils courts se rencontrent çà et là sur la plus grande partie du corps de l’homme, et un duvet plus fin sur le corps de la femme. Les différentes races humaines diffèrent considérablement à ce point de vue. Chez les individus appartenant à une même race, les poils varient beaucoup, non-seulement par leur abondance, mais par leur position ; ainsi, chez certains Européens, les épaules sont entièrement nues, tandis que, chez d’autres, elles portent d’épaisses touffes de poils[38]. On ne peut guère douter que les poils ainsi éparpillés sur le corps ne soient les rudiments du revêtement pileux uniforme des animaux. Le fait que les poils courts, fins, peu colorés des membres et des autres parties du corps, se transforment parfois « en poils longs, serrés, grossiers et foncés, » lorsqu’ils sont soumis à une nutrition anormale grâce à leur situation dans la proximité de surfaces qui sont, depuis longtemps, le siège d’une inflammation, confirme cette hypothèse dans une certaine mesure[39].

Sir James Paget a remarqué que plusieurs membres d’une même famille ont souvent quelques poils des sourcils plus longs que les autres, particularité bien légère qui paraît, cependant, être héréditaire. On observe des poils analogues chez certains animaux ; ainsi, on remarque, chez le chimpanzé et chez certaines espèces de macaques, quelques poils redressés, très longs, plantés droit au-dessus des yeux, et correspondant à nos sourcils ; on a observé des poils semblables très longs dépassant les poils qui recouvrent les arcades sourcilières chez quelques babouins.

Le fin duvet laineux, dit lanugo, dont le fœtus humain est entièrement recouvert au sixième mois, présente un cas plus curieux. Au cinquième mois, ce duvet se développe sur les sourcils et sur la face, surtout autour de la bouche, où il est beaucoup plus long que sur la tête. Eschricht[40] a observé une moustache de ce genre chez un fœtus femelle, circonstance moins étonnante qu’elle ne le paraît d’abord, car tous les caractères extérieurs sont généralement identiques chez les deux sexes pendant les premières phases de la formation. La direction et l’arrangement des poils sur le fœtus sont les mêmes que chez l’adulte, mais ils sont sujets à une grande variabilité. La surface entière du fœtus, y compris même le front et les oreilles, est ainsi couverte d’un épais revêtement de poils ; mais, fait significatif, la paume des mains, ainsi que la plante des pieds, restent absolument nues, comme les surfaces inférieures des quatre membres chez la plupart des animaux inférieurs. Cette coïncidence ne peut guère être accidentelle ; il est donc probable que le revêtement laineux de l’embryon représente le premier revêtement de poils permanents chez les mammifères qui naissent velus. On a recueilli trois ou quatre observations authentiques relatives à des personnes qui, en naissant, avaient le corps et la face couverte de longs poils fins ; cette étrange particularité semble être fortement héréditaire et se trouve en corrélation avec un état anormal de la dentition[41]. Le professeur Alex. Brandt a comparé les poils de la face d’un homme âgé de trente-cinq ans, atteint de cette particularité, avec le lanugo d’un fœtus, et il a observé que la texture des poils et du lanugo était absolument semblable ; il pense donc que l’on peut attribuer ce phénomène à un arrêt de développement du poil qui n’en continue pas moins de croître. Un médecin, attaché à un hôpital pour les enfants, m’a affirmé que beaucoup d’enfants délicats ont le dos couvert de longs poils soyeux ; on peut sans doute expliquer ce cas de la même façon que le précédent.

Il semble que les molaires postérieures, ou dents de sagesse, tendent à devenir rudimentaires chez les races humaines les plus civilisées. Elles sont un peu plus petites que les autres molaires, fait que l’on a observé aussi pour les dents correspondantes chez le chimpanzé et chez l’orang ; en outre, elles n’ont que deux racines distinctes. Elles ne percent pas la gencive avant la dix-septième année, et l’on m’a assuré qu’elles sont beaucoup plus sujettes à la carie et se perdent plus tôt que les autres dents, ce que nient, d’ailleurs, quelques dentistes éminents. Elles sont aussi, beaucoup plus que les autres dents, sujettes à varier tant par leur structure que par l’époque de leur développement[42]. Chez les races mélaniennes, au contraire, les dents de sagesse présentent habituellement trois racines distinctes, et sont généralement saines ; en outre, elles diffèrent moins des autres molaires que chez les races caucasiennes[43]. Le professeur Schaaffhausen explique cette différence par le fait que, chez les races civilisées[44], « la partie postérieure dentaire de la mâchoire est toujours raccourcie », particularité qu’on peut, je présume, attribuer avec assez de vraisemblance à ce que les hommes civilisés se nourrissent ordinairement d’aliments ramollis par la cuisson, et que, par conséquent, ils se servent moins de leurs mâchoires. M. Brace m’apprend que, aux États-Unis, l’usage d’enlever quelques molaires aux enfants se répand de plus en plus, la mâchoire ne devenant pas assez grande pour permettre le développement complet du nombre normal des dents[45].

Je n’ai rencontré qu’un seul cas de rudiment dans le canal digestif, à savoir l’appendice vermiforme du cæcum. Le cæcum est une branche ou diverticulum de l’intestin, se terminant en un cul-de-sac qui atteint une grande longueur chez beaucoup de mammifères herbivores inférieurs. Chez le Koala (Phascolarctos), il est trois fois plus long que le corps entier[46] Il s’étire parfois en une pointe allongée, d’autres fois il est étranglé par places. Il semble que, par suite d’un changement de régime ou d’habitudes, le cæcum se soit raccourci considérablement chez divers animaux ; l’appendice vermiforme a persisté comme un rudiment de la partie réduite. Le fait qu’il est très petit et les preuves de sa variabilité chez l’homme, preuves qu’a recueillies le professeur Canestrini[47] nous permettent de conclure que cet appendice est bien un rudiment. Parfois il fait défaut ; dans d’autres cas, il est très développé. Sa cavité est quelquefois tout à fait fermée sur la moitié ou les deux tiers de sa longueur ; sa partie terminale consiste alors en une expansion pleine et aplatie. Cet appendice est long et enroulé chez l’orang, chez l’homme il part de l’extrémité du cæcum, et a ordinairement de 10 à 12 centimètres de longueur, et seulement 8 ou 9 millimètres de diamètre. Il est non-seulement inutile, mais il peut devenir aussi une cause de mort. Deux exemples récents de ce fait sont parvenus à ma connaissance. Ces accidents sont dus à l’introduction dans la cavité de petits corps durs, tels que des graines qui, par leur présence, déterminent une inflammation[48].

Quelques quadrumanes, les Lémurides et surtout les Carnivores aussi bien que beaucoup de Marsupiaux, ont, près de l’extrémité inférieure de l’humérus, une ouverture, le foramen supra-condyloïde, au travers de laquelle passe le grand nerf de l’avant-bras et souvent son artère principale. Or l’humérus de l’homme porte ordinairement des traces de ce passage, qui est même quelquefois assez bien développé ; il est formé par une apophyse recourbée, complétée par un ligament. Le Dr Struthers[49], qui s’est beaucoup occupé de cette question, vient de démontrer que ce caractère est parfois héréditaire, car il l’a observé chez un individu et chez quatre de ses sept enfants. Lorsque ce passage existe, le nerf du bras le traverse toujours ; ce qui indique clairement qu’il est l’homologue et le rudiment de l’orifice supra-condyloïde des animaux inférieurs. Le professeur Turner estime que ce cas s’observe sur environ 1 p. 100 des squelettes récents. Si le développement accidentel de cette conformation chez l’homme est, comme cela semble probable, dû à un effet de retour, cette conformation nous reporte à un ancêtre extrêmement reculé, car elle n’existe pas chez les quadrumanes supérieurs.

Il existe une autre perforation de l’humérus, qu’on peut appeler l’intra-condyloïde, qui s’observe chez divers genres d’anthropoïdes et autres singes[50], ainsi que chez beaucoup d’animaux inférieurs et qui se présente quelquefois chez l’homme. Fait très remarquable, ce passage paraît avoir existé beaucoup plus fréquemment autrefois qu’à une époque plus récente. M. Busk[51] a réuni les documents suivants à ce sujet : « Le professeur Broca a remarqué cette perforation sur 4½ p. 100 des os du bras recueillis dans le cimetière du Sud à Paris ; dans la grotte d’Orrony, dont le contenu paraît appartenir à la période du bronze, huit humérus sur trente-deux étaient perforés ; mais il semble que cette proportion extraordinaire peut être due à ce que la caverne avait sans doute servi de caveau de famille. M. Dupont a trouvé aussi dans les grottes de la vallée de la Lesse, appartenant à l’époque du renne, 30 p. 100 d’os perforés ; tandis que M. Leguay, dans une espèce de dolmen, à Argenteuil, en observa 25 p. 100 présentant la même particularité. Pruner-Bey a constaté le même état chez 26 p. 100 d’os provenant de Vauréal. Le même auteur ajoute que cette condition est commune dans les squelettes des Guanches. » Le fait que, dans ce cas, ainsi que dans plusieurs autres, la conformation des races anciennes se rapproche plus des animaux inférieurs que celle des races modernes, est fort intéressant. Cela vient probablement en grande partie de ce que les races anciennes, dans la longue ligne de descendance, se trouvent quelque peu plus rapprochées que les races modernes de leurs ancêtres primordiaux.

Bien que fonctionnellement nul comme queue, l’os coccyx de l’homme représente nettement cette partie des autres animaux vertébrés. Pendant la première période embryonnaire, cet os est libre, et, comme nous l’avons vu, dépasse les extrémités postérieures. Dans certains cas rares et anormaux[52], il constitue, même après la naissance, un petit rudiment externe de queue. L’os coccyx est court ; il ne comprend ordinairement que quatre vertèbres ankylosées ; elles restent à l’état rudimentaire, car elles ne présentent, à l’exception de celle de la base, que la partie centrale seule[53]. Elles possèdent quelques petits muscles, dont l’un, à ce que m’apprend le professeur Turner, a été décrit par Theile, comme une répétition rudimentaire exacte de l’extenseur de la queue, muscle qui est si complètement développé chez beaucoup de mammifères.

Chez l’homme, la moelle épinière ne s’étend pas au-delà de la dernière vertèbre dorsale ou de la première vertèbre lombaire, mais un corps filamenteux (filum terminale) se continue dans l’axe de la partie sacrée du canal vertébral et même le long de la face postérieure des os coccygiens. La partie supérieure de ce filament, d’après le professeur Turner, est, sans aucun doute, l’homologue de la moelle épinière, mais la partie inférieure semble se composer simplement de la pie-mère, soit la membrane vasculaire qui l’entoure. Même dans ce cas, on peut considérer que l’os coccyx possède un vestige d’une conformation aussi importante que la moelle épinière, bien que n’étant plus contenu dans un canal osseux. Le fait suivant, que j’emprunte aussi au professeur Turner, prouve combien l’os coccyx correspond à la véritable queue des animaux inférieurs : Luschka a récemment découvert, à l’extrémité des os coccygiens, un corps enroulé très particulier, qui est continu avec l’artère sacrée médiane. Cette découverte a conduit Krause et Moyer à examiner la queue d’un singe (macaque) et celle d’un chat, et ils ont trouvé chez toutes deux, quoique pas à l’extrémité, un corps enroulé semblable.

Le système reproducteur offre diverses conformations rudimentaires, mais qui diffèrent par un point important des cas précédents. Il ne s’agit plus ici de vestiges de parties, qui n’appartiennent pas à l’espèce à l’état actif, mais d’une partie qui est toujours présente et active chez un sexe, tandis qu’elle est représentée chez l’autre par un simple rudiment. Néanmoins l’existence de rudiments de ce genre est aussi difficile à expliquer que les cas précédents, si l’on se place au point de vue de la création séparée de chaque espèce. J’aurai, plus loin, à revenir sur ces rudiments, et je prouverai que leur présence dépend généralement de l’hérédité seule, c’est-à-dire que certaines parties acquises par un sexe ont été transportées partiellement à l’autre. Je me borne ici à indiquer quelques-uns de ces rudiments. On sait que tous les mammifères mâles, l’homme compris, ont des mamelles rudimentaires. Il est arrivé que, dans quelques cas, celles-ci se sont développées et ont fourni du lait en abondance. Leur identité essentielle chez les deux sexes est également prouvée par le gonflement occasionnel dont elles sont le siège pendant une attaque de rougeole. La vésicule prostatique vesicula prostatica, qui a été observée chez beaucoup de mammifères mâles, est aujourd’hui universellement reconnue pour être l’homologue de l’utérus femelle, ainsi que le passage en rapport avec lui. Il est impossible de lire la description que fait Leuckart de cet organe, et l’argument qu’il en tire, sans admettre la justesse de ses conclusions. Cela est surtout apparent chez les mammifères dont l’utérus se bifurque chez la femelle, car, chez les mâles de ces espèces, la même bifurcation s’observe dans la vésicule[54]. Je pourrais encore mentionner ici quelques autres conformations rudimentaires du système reproducteur[55].

On ne saurait se méprendre sur la portée des trois grandes classes de faits que nous venons d’indiquer, mais il serait superflu de récapituler ici toute la série des arguments déjà développés en détail dans mon Origine des espèces. Une construction homologue de tout le système, chez tous les membres d’une même classe, est compréhensible, si nous admettons qu’ils descendent d’un ancêtre commun, outre leur adaptation subséquente à des conditions diverses. La similitude que l’on remarque entre la main de l’homme ou du singe, le pied du cheval, la palette du phoque, l’aile de la chauve-souris, etc., est absolument inexplicable par toute autre hypothèse[56]. Affirmer que ces parties ont toutes été formées sur un même plan idéal, n’est pas une explication scientifique. Quant au développement, en nous appuyant sur le principe des variations survenant à une période embryonnaire un peu tardive et transmises par hérédité à une époque correspondante, nous pouvons facilement comprendre comment il se fait que les embryons de formes très différentes conservent encore, plus ou moins parfaitement, la conformation de leur ancêtre commun. On n’a jamais pu donner aucune autre explication du fait merveilleux que les embryons d’un homme, d’un chien, d’un phoque, d’une chauve-souris, d’un reptile, etc., se distinguent à peine les uns des autres au premier abord. Pour comprendre l’existence des organes rudimentaires, il nous suffit de supposer qu’un ancêtre reculé a possédé les parties en question à l’état parfait, et que, sous l’influence de changements dans les habitudes d’existence, ces parties ont tendu à disparaître, soit par défaut d’usage, soit par la sélection naturelle des individus le moins encombrés d’une partie devenue superflue, causes de disparition venant s’ajouter aux autres causes déjà indiquées.

Nous pouvons ainsi comprendre comment il se fait que l’homme et tous les autres vertébrés ont été construits sur un même modèle général, pourquoi ils traversent les mêmes phases primitives de développement, et pourquoi ils conservent quelques rudiments communs. Nous devrions, par conséquent, admettre franchement leur communauté de descendance ; adopter toute autre théorie, c’est en arriver à considérer notre conformation et celle des animaux qui nous entourent comme un piège tendu à notre jugement. Cette conclusion trouve un appui immense dans un coup d’œil jeté sur l’ensemble des membres de la série animale, et sur les preuves que nous fournissent leurs affinités, leur classification, leur distribution géographique et leur succession géologique. Nos préjugés naturels, cette vanité qui a conduit nos ancêtres à déclarer qu’ils descendaient des demi-dieux, nous empêchent seuls d’accepter cette conclusion. Mais le moment n’est pas éloigné où l’on s’étonnera que des naturalistes, connaissant la conformation comparative et le développement de l’homme et des autres mammifères, aient pu si longtemps croire que chacun d’eux a été l’objet d’un acte séparé de création.


  1. Grosshirnwindungen des Menschen, 1868, p. 96. Les conclusions de cet auteur ainsi que celles de Gratiolet et d’Aeby relativement au cerveau ont été discutées par le professeur Huxley dans l’Appendice auquel nous avons fait allusion dans la préface de cette nouvelle édition.
  2. Leçons sur la physiologie, 1866, p. 890, citées par M. Dally : l’Ordre des primates et le transformisme, 1868, p. 29.
  3. Le Dr W. Lauder Lindsay a traité longuement ce sujet, Journal of Mental Science, juillet 1871 ; Edimburgh Veterinarian Review, juillet 1858.
  4. Un écrivain (British quarterly Review, 1 octobre 1871. p. 472) a critiqué en termes très sévères et très violents l’allusion contenue dans cette phrase ; mais, comme je n’emploie pas le terme identité, je ne crois pas faire erreur. Il me paraît y avoir une grande analogie entre une même maladie contagieuse ou épidémique produisant un même résultat ou un résultat presque analogue chez deux animaux distincts et l’essai de deux fluides distincts par un même réactif chimique.
  5. Naturgeschichte der Säugethiere von Paraguay, 1830, p. 50.
  6. Certains animaux placés beaucoup plus bas sur l’échelle partagent parfois les mêmes goûts. M. A. Nicolas m’apprend qu’il a élevé à Queensland, (Australie) trois individus de la variété Phaseolarctus cinereus et que tous trois acquirent bientôt un goût prononcé pour le rhum et pour le tabac.
  7. Brehm, Thierleben, B. I, 1864, p. 75, 86. Sur l’Ateles, p. 105. Pour d’autres assertions analogues, p. 25, 107.
  8. Dr W. Lauder Lindsay, Edinburgh Veterinary Review, juillet 1858, p. 13.
  9. Relativement aux Insectes, docteur Laycock : On a general Law of Vital Periodicity (British Association), 1842. Le docteur Mac Culloch (Silliman’s North Americ. Journ. of science, vol. xvii, p, 305) a vu un chien souffrant d’une fièvre tierce. J’aurai à revenir sur ce point.
  10. J’ai indiqué les preuves à cet égard dans la Variation des Animaux et des Plantes à l’état domestique, vol. II, p. 14 (Paris, Reinwald).
  11. « Mares e diversis generibus Quadrumanorum sine dubio dignoseunt feminas humanas a maribus. Primum, credo, oduratu, postea aspectu. M. Youatt, qui diu in Hortis Zoologicis (Bestiariis) medicus animalium erat, vir in rebus observandis cautus et sagax, hoc mihi certissime probavit, et curatores ejusdem loci et alii e ministris confirmaverunt. Sir Andrew Smith et Brehm notabant idem in Cynocephalo. Illustrissimus Cuvier etiam narrat multa de hàc re, quâ ut opinor, nihil turpius potest indicari inter omnia hominibus et Quadrumanis communia. Narrat enim Cynocephalum quemdam in furorem incidere aspectu feminarum aliquarum, sed nequaquam accendi tanto furore ab omnibus. Semper eligebat juniores, et dignoscebat in turbâ, et advocabat voce gestuque. »
  12. Cette remarque a été faite pour les Cynocéphales et pour les singes anthropomorphes par Geoffroy Saint-Hilaire et F. Cuvier (Hist. nat. des mammifères, t. I. 1824.
  13. Huxley, Man’s place in Nature, 1863, p. 34.
  14. Man’s place in Nature, 1863, p. 67.
  15. L’embryon humain (fig. supérieure) est tiré d’Ecker ; Icones Phys., 1859. tabl. xxx., fig. 2 ; cet embryon avait 10 lignes de longueur, par conséquent la figure est très agrandie. L’embryon du chien est emprunté à Bischoff ; Entwicklungsgeschichte des Hunde-Eies, 1845. tabl. XI, fig. 42, B. La figure est grossie cinq fois et dessinée d’après un embryon âgé de 25 jours. Les viscères internes, ainsi que les appendices utérins, ont été omis dans les deux cas. C’est le professeur Huxley, qui m’a indiqué ces figures ; c’est d’ailleurs en lisant son ouvrage, Man’s place in Nature, que j’ai eu l’idée de les reproduire. Hæckel a donné des dessins analogues dans son ouvrage Schöpfungsgeschichte.
  16. Prof. Wyman, dans Proc. of American Acad. of sciences, vol. IV. 1860 ; p. 17.
  17. Owen, Anatomy of vertebrates, vol I. p. 533.
  18. Die Grosshirnwindungen des Menschen, 1868, p. 95.
  19. Anatomy of vertebrates, vol II, p. 553.
  20. Proceedings Soc. Nat. Hist., Boston, 1863, vol. IX, p. 185.
  21. Man’s place in Nature, p. 65.
  22. J’avais déjà écrit ce chapitre avant d’avoir lu un travail de grande valeur, auquel je suis redevable pour beaucoup de données, par G. Canestrini « Caratteri rudimentali in ordine all origine dell uomo » (Annuario della Soc. d. nat., Modena, 1867, p. 81). Hæckel a admirablement discuté l’ensemble du sujet sous le titre de Dystéologie, dans sa Generelle Morphologie et Schöpfungsgeschichte.
  23. Quelques excellentes critiques sur ce sujet ont été faites par MM. Murie et Mivart. (Trans. Zool. Soc., 1869, vol. VII, p. 92.)
  24. Variation des animaux et des plantes, etc., vol. II. p. 335 et 423 (édit. française). Voir aussi, Origine des espèces, p. 471.
  25. M. Richard (Annales des sciences nat. 3e  sér., Zoologie, 1852, t. XVIII. p. 13) décrit et figure des rudiments de ce qu’il appelle le muscle pédieux de la main, qu’il dit être quelquefois infiniment petit. Un autre muscle, le tibial postérieur, fait ordinairement défaut dans la main, mais apparaît de temps en temps sous une forme plus ou moins rudimentaire.
  26. Prof. V. Turner, Proc. Royal Soc. Edinburgh, 1866-67, p. 65.
  27. L’Expression des Émotions, p. 144. (Paris, Reinwald)
  28. Canestrini cite Hyrtl, Annuario della Soc. dei naturalisti, Modena, 1867, p. 97, sur le même sujet.
  29. J. Toynbee, F. R. S, The Diseases of the Ear, 1860, p. 12. Un physiologiste distingué, le professeur Preyer, m’apprend qu’il a récemment fait des expériences sur la fonction de la conque de l’oreille et qu’il en est arrivé à peu près à la même conclusion que celle que j’indique ici.
  30. Prof. A. Macalister, Annals and Magaz. of Nat. Hist., vol. VII. 1871, p. 342.
  31. M. Saint-George Mivart, Elementary Anatomy, 1873, p. 396.
  32. Voir les remarques et les dessins des oreilles de Lémuroïdes dans le mémoire de MM. Murie et Mivart. Trans. Zoolog. Soc., 1869, vol. VII, p. 6 et 90.
  33. Ueber das Darwinsche Spitzohr, Archiv für Path., Anat. und Phys., 1871, p. 485.
  34. L’Expression des Émotions p. 136. (Paris. Reinwald.)
  35. Muller, Manuel de physiologie (trad. Française), 1845, vol. II, p ; 307. Owen, Anat. of Vertebrates, vol. III, p. 260. Id., On the Walrus (morse), Proc. Zool. Soc., nov. 1854. R. Knox, Great artists and anatomists, p. 106. Ce rudiment paraît être quelque peu plus marqué chez les Nègres et chez les Australiens que chez les Européens. C. Vogt, Leçons sur l’homme (trad. française), p. 167.
  36. On connait la description que fait Humboldt du merveilleux odorat que possèdent les indigènes de l’Amérique méridionale ; ces assertions ont été confirmées par d’autres voyageurs. M. Mouzeau, (Études sur les facultés mentales, etc., vol. I, 1872, p. 91), affirme que de nombreuses expériences l’ont conduit à la conclusion que les nègres et les Indiens peuvent reconnaître les personnes à leur odeur dans l’obscurité la plus complète. Le Dr W. Ogle a fait de curieuses observations sur les rapports qui existent entre la faculté d’odorat et la matière colorante de la membrane muqueuse du nez, ainsi que de la peau du corps, C’est ce qui me permet de dire que les races colorées ont l’odorat plus développé que les races blanches. Voir son mémoire, Medico-chirurgical Transactions, Londres, 1870, vol. LIII, p. 276.
  37. The Physiology and Pathology of Mind, 2e  édit., 1868, p. 184.
  38. Eschricht, Ueber die Richtung der Haare am menschlichen Körper, Muller’s Archiv für Anat. und Phys., 1837, p. 47. J’aurai souvent à renvoyer à ce curieux travail.
  39. Paget, Lectures on Surgical Pathology, 1853, t. I, p. 71.
  40. Eschricht, l. c., pp. 40, 47.
  41. Voir : Variation des Animaux et des Plantes à l’état domestique, vol. I p. 327. Le professeur Alex Brandt a signalé récemment un autre cas analogue observé chez un Russe et chez son fils.
  42. Docteur Webb, Teeth in Man and the Anthropoid Apes, cité par le docteur C. Carter Blake. Anthropological Review. juillet 1867, p. 299.
  43. Owen, Anat. of vertebrates, vol, III, pp. 320, 321, 325.
  44. On the primitive form of the skull, traduit dans Anthrop. Review, oct. 1868, p. 426.
  45. Le professeur Montegazza m’écrit de Florence qu’il a étudié récemment les dernières molaires chez les différentes races d’hommes ; il en arrive à la même conclusion que celle donnée dans le texte, c’est-à-dire que chez les races civilisées ces dents sont en train de s’atrophier ou d’être éliminées.
  46. Owen, Anat. of Vertebrates, vol. III, pp. 416, 434, 441.
  47. L. c., p. 94.
  48. M. C. Martins, De l’Unité organique, Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1862, p. 16 ; Hæckel, Generelle Morphologie, vol. II, p. 278, ont tous deux fait des remarques sur le fait singulier que cet organe rudimentaire cause quelquefois la mort.
  49. Voir pour l’hérédité le docteur Struthers, the Lancet, 24 janvier 1863, p. 83, et 15 février 1873. Le docteur Knox, Great artists and anatomists, p. 63, est, m’a-t-on dit, le premier anatomiste qui ait appelé l’attention sur cette conformation particulière chez l’homme. Docteur Gruber, Bulletin de l’Acad. imp. de Saint-Pétersbourg, 1867. p. 448.
  50. M. Saint-George Mivart, Trans. Philos. Soc., 1867, p. 310.
  51. On the caves of Gibraltar (Transact. Internat. Congress of Prehist. Arch., 3e  session, 1869, p. 159). Le professeur Wyman a récemment démontré (Fourth annual Report, Peabody museum, 1871, p. 20) que cette perforation existe chez 31 p. 100 de certains restes humains provenant des antiques tertres de l’ouest des États-Unis et de la Floride. On la rencontre fréquemment chez les nègres.
  52. M. de Quatrefages a recueilli les preuves sur ce sujet, Revue des cours scientifiques, 1867-68, p. 625. Fleischmann a exhibé, en 1840, un fœtus humain ayant une queue libre, laquelle, ce qui n’est pas toujours le cas, comprenait des corps vertébraux ; cette queue a été examinée et décrite par plusieurs anatomistes présents à la réunion des naturalistes à Erlangen ; voir Marshall, Niederländischen Archiv für Zoologie, décembre 1871.
  53. Owen, On the nature of limbs, 1849, p. 114.
  54. Leuckart, Todd, Cyclop, of Anat., 1849-52, t. IV, p. 1415. Cet organe n’a chez l’homme que de trois à six lignes de longueur, mais, comme tant d’autres parties rudimentaires, il varie par son développement et ses autres caractères.
  55. Owen, Anat. of Vertébrates, t. III, pp. 675, 676, 706.
  56. Le professeur Bianconi essaie, dans un ouvrage publié récemment et illustré de magnifiques gravures (la Théorie darwinienne et la création dite indépendante, 1874) de démontrer que l’on peut expliquer complètement par les principes mécaniques concordant avec l’usage auquel elles servent l’existence de toutes ces conformations homologues. Personne plus que lui n’a mieux démontré combien ces conformations sont admirablement adaptées au but qu’elles ont à remplir ; mais je crois qu’on peut attribuer cette adaptation à la sélection naturelle. Quand le professeur Bianconi considère l’aile de la chauve-souris, il invoque (p. 218) ce qui me paraît, pour employer le mot d’Auguste Comte, un simple principe métaphysique, c’est-à-dire, la conservation dans toute son intégrité de la nature mammifère de l’animal. Il n’aborde la discussion que de quelques rudiments et seulement des parties qui sont partiellement rudimentaires, telles que les petits sabots du cochon et du bœuf qui ne reposent pas sur le sol ; il démontre clairement que ces parties sont utiles à l’animal. Il est à regretter qu’il n’ait pas étudié et discuté d’autres parties, telles, par exemple, que les dents rudimentaires qui chez le bœuf ne percent jamais la gencive, les mamelles des quadrupèdes mâles, les ailes de certains scarabées ailés qui existent sous des élytres complètement soudées, les traces du pistil et des étamines chez diverses fleurs, et beaucoup d’autres cas analogues. Bien que j’admire beaucoup l’ouvrage du professeur Bianconi, je n’en persiste pas moins à croire avec la plupart des naturalistes qu’il est impossible d’expliquer les conformations homologues par le simple principe de l’adaptation.