La Cité de Dieu (Augustin)/Livre X/Chapitre II

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 196-197).
CHAPITRE II.
SENTIMENT DE PLOTIN SUR L’ILLUMINATION D’EN HAUT.

Mais nous n’avons sur ce point aucun sujet de contestation avec les illustres philosophes de l’école platonicienne. Ils ont vu, ils ont écrit de mille manières dans leurs ouvrages, que le principe de notre félicité est aussi celui de la félicité des esprits célestes, savoir cette lumière intelligible, qui est Dieu pour ces esprits, qui est autre chose qu’eux, qui les illumine, les fait briller de ses rayons, et, par cette communication d’elle-même, les rend heureux et parfaits. Plotin, commentant Platon, dit nettement et à plusieurs reprises, que cette âme même dont ces philosophes font l’âme du monde, n’a pas un autre principe de félicité que la nôtre, et ce principe est une lumière supérieure à l’âme, par qui elle a été créée, qui l’illumine et la fait briller de la splendeur de l’intelligible. Pour faire comprendre ces choses de l’ordre spirituel, il emprunte une comparaison aux corps célestes. Dieu est le soleil, et l’âme, la lune ; car c’est du soleil, suivant eux, que la lune tire sa clarté. Ce grand platonicien pense donc que l’âme raisonnable, ou plutôt l’âme intellectuelle (car sous ce nom il comprend aussi les âmes des bienheureux immortels dont il n’hésite pas à reconnaître l’existence et qu’il place dans le ciel), cette âme, dis-je, n’a au-dessus de lui que Dieu, créateur du monde et de l’âme elle-même, qui est pour elle comme pour nous le principe de la béatitude et de la vérité[1]. Or, cette doctrine est parfaitement d’accord avec l’Evangile, où il est dit : « Il y eut un homme envoyé de Dieu qui s’appelait Jean. Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière, mais il vint pour rendre témoignage à celui à qui était la lumière. Celui-là était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde[2] ». Cette distinction montre assez que l’âme raisonnable et intellectuelle, telle qu’elle était dans saint Jean, ne peut pas être à soi-même sa lumière, et qu’elle ne brille qu’en participant à la lumière véritable. C’est ce que reconnaît le même saint Jean, quand il ajoute, rendant témoignage à la lumière : « Nous avons tous reçu de sa plénitude[3] ».

  1. Voyez Plotin, Ennéades, II, lib. ix, cap. 2 et 3. — Comp. ibid., III, lib. ix, cap. 1 ; lib. v, cap. 3 ; lib. viii, cap. 9.
  2. Jean, I, 6-9.
  3. Ibid. 16.