La Cité de Dieu (Augustin)/Livre II/Chapitre XVI

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 35).
CHAPITRE XVI.
SI LES DIEUX AVAIENT EU LE MOINDRE SOUCI DE FAIRE RÉGNER LA JUSTICE, ILS AURAIENT DONNÉ AUX ROMAINS DES PRÉCEPTES ET DES LOIS, AU LIEU DE LES LEUR LAISSER EMPRUNTER AUX NATIONS ÉTRANGÈRES.

Si les Romains avaient pu recevoir des lois de leurs dieux, auraient-ils emprunté aux Athéniens celles de Solon, quelques années[1] après la fondation de Rome ? Et encore ne les observèrent-ils pas telles qu’ils les avaient reçues, mais ils s’efforcèrent de les rendre meilleures. Je sais que Lycurgue avait feint d’avoir reçu les siennes d’Apollon, pour leur donner plus d’autorité sur l’esprit des Spartiates[2] ; mais les Romains eurent la sagesse de n’en rien croire et de ne point puiser à cette source. On rapporte à Numa Pompilius, successeur de Romulus, l’établissement de plusieurs lois, parmi lesquelles un certain nombre qui réglaient beaucoup de choses religieuses ; mais ces lois étaient loin de suffire à la conduite de l’État, et d’ailleurs on ne dit pas que Numa les eût reçues des dieux. Ainsi donc, pour ce qui regarde les maux de l’âme, les maux de la conduite humaine, les maux qui corrompent les mœurs, maux si graves que les plus éclairés parmi les païens ne croient pas qu’un État y puisse résister, même quand les villes restent debout[3], pour tous les maux de ce genre, les dieux n’ont pris aucun souci d’en préserver leurs adorateurs ; bien au contraire, comme nous l’avons établi plus haut, ils ont tout fait pour les aggraver.

  1. Ce ne fut que trois cents ans après la fondation de Rome, selon Tite-Live, lib. iii, cap. 33, 34.
  2. Voyez Xénophon, De republ. Laced., cap. 8.
  3. Saint Augustin fait peut-être allusion au beau passage de Plaute (Persa, act. iv, sc. 4, v. 11-14).