La Cité de Dieu (Augustin)/Livre II/Chapitre X

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 31).
CHAPITRE X.
C’EST UN TRAIT DE PROFONDE MALICE DES DÉMONS, DE VOULOIR QU’ON LEUR ATTRIBUE DES CRIMES, SOIT VÉRITABLES, SOIT SUPPOSÉS.

On allègue pour excuse que ces actions attribuées aux dieux ne sont pas véritables, mais supposées. Le crime alors n’en serait que plus énorme, si l’on consulte les notions de la vraie piété et de la vraie religion ; et si l’on considère la malice des démons, quel art profond pour tromper les hommes ! Quand on diffame un des premiers de l’État qui sert honorablement son pays, cette attaque n’est-elle pas d’autant plus inexcusable qu’elle est plus éloignée de la vérité ? Quel supplice ne méritent donc pas ceux qui font à Dieu une injure si atroce et si éclatante ! Au reste, ces esprits du mal, que les païens prennent pour des dieux, n’ont d’autre but, en se laissant attribuer de faux crimes, que de prendre les âmes dans ces fictions comme dans des filets, et de les entraîner avec eux dans le supplice où ils sont prédestinés ; soit que des hommes qu’ils se plaisent à faire passer pour des dieux, afin de recevoir à leur place par mille artifices les adorations des mortels, aient en effet commis ces crimes, soit qu’aucun homme n’en étant coupable, ils prennent plaisir à les voir imputer aux dieux, pour donner ainsi aux actions les plus méchantes et les plus honteuses l’autorité du ciel. C’est ainsi que les Grecs, esclaves de ces fausses divinités, n’ont pas cru que les poëtes dussent les épargner eux-mêmes sur la scène, ou par le désir de se rendre en cela semblables à leurs dieux, ou par la crainte de les offenser, s’ils se montraient jaloux d’avoir une renommée meilleure que la leur.