Librairie Guillaumin & Cie (p. 3-5).

CHAPITRE I

Que l’impôt moderne sur le revenu n’est pas la taille arbitraire de l’ancien régime




M. Jules Roche a publié sur nos finances et sur l’économie politique plusieurs articles bien pensés et très documentés, mais il nous paraît nécessaire de signaler de véritables erreurs dans le numéro du 15 novembre 1903 de la Revue des Deux-Mondes, où parut l’un de ses articles.

Il a été d’un bout à l’autre, à côté de la question, quand il a confondu l’impôt sur le revenu avec cette taille qui a fait le désespoir des contribuables français pendant plus de 500 ans, et qui était précisément le contraire de l’impôt sur le revenu[1].

On peut dire que c’était l’impôt sur le non-revenu, c’est-à-dire sur la misère, comme le sont, encore aujourd’hui, plusieurs de nos impôts. Il était absolument arbitraire, il ne tenait aucun compte du revenu, inventé et pratiqué qu’il était, précisément pour exempter de tout impôt le vrai revenu, celui qui existait réel et palpable, entre les mains des possesseurs de la richesse, à cette époque : les seigneurs, le haut clergé, les grandes abbayes, tous possesseurs d’immenses domaines, de droits féodaux importants, de rentes souvent considérables, d’une foule de privilèges mobiliers et immobiliers.

La primitive taille aux quatre cas devait son origine à la conquête même du sol gallo-romain. C’était l’application pure et simple du droit du plus fort vis-à-vis du plus faible ; l’idée d’une juste répartition n’y était pour rien. Henriquez, avocat au Parlement, écrivait encore en 1786 : « Quant à la quotité de ce droit, lorsqu’elle n’est pas fixée par les titres, la jurisprudence, généralement reçue, est de doubler les cens ».

Cela ressemble assez à ce qui se passerait aujourd’hui si un propriétaire bourgeois, (c’est un peu l’héritier du seigneur féodal) venait dire à son fermier (successeur du tenancier main mortable) : « Je vais faire un voyage à Jérusalem », ou bien : « Je me suis laissé faire prisonnier à la guerre », ou bien encore : « Je vais marier ma fille aînée. — Comme nous n’avons rien d’écrit à ce sujet, vous aurez l’obligeance, au lieu de 5.000 francs de fermages, de m’en payer 10.000 cette année ». Et comme le Roi, c’est-à-dire l’État alors, était encore plus besogneux et dépensier que le seigneur, c’était, à la fin de la monarchie, à peu près sur la totalité du territoire, qu’à propos d’aides et de tailles, les fermiers généraux ou leurs suppôts levaient dans les campagnes, et même dans les villes, une foule de tributs qui n’avaient rien de commun avec le revenu des taillables et corvéables à merci. Le revenu était bien le prétexte ; on le supposait du moins ; mais, par suite de l’abus le plus monstrueux, ou de la fausse application de ce principe qui est excellent, on ne l’invoquait qu’au détriment du travailleur, au profit de la richesse réelle et du gros revenu. Aussi, en 1788, un grand nombre de provinces inséraient dans leurs cahiers de doléances, à l’article « Finances » le vœu suivant : « Un impôt unique et un seul rôle : l’impôt à répartir sur tous les immeubles réels ou fictifs, y compris les domaines de Sa Majesté, sauf la quotité qui devra être répartie sur l’Industrie et sera fixée par les États Provinciaux ». (Article 13 des doléances de l’Assemblée des Notables de Salins).




  1. Lire à ce sujet le petit livre de Lamennais De l’Esclavage Moderne.