Librairie Guillaumin & Cie (p. 1-2).
L’IMPÔT PROGRESSIF

SOMMAIRE

Les propositions développées dans les pages qui vont suivre peuvent se résumer ainsi :

L’impôt progressif moderne, pratiqué dans la plupart des États de l’Europe, n’a rien de commun avec la taille de l’ancien régime.

Préjugés français sur l’impôt.

Nécessité de remplacer plusieurs de nos impôts qui n’ont pas même l’excuse d’être proportionnels, par l’impôt progressif, comme l’ont fait presque tous les États civilisés,

L’impôt n’a pas pour seul but de procurer à l’État les ressources nécessaires. Il doit jouer un rôle politique, social, un rôle de justice. Il doit favoriser la création de l’aisance, élever le prolétaire à la possession de la propriété et contribuer à limiter l’accumulation excessive de la richesse en quelques mains.

Le contribuable doit savoir combien il paie et pourquoi il paie, et se rendre compte de la proportion que l’État prélève par l’impôt sur son revenu.

L’impôt doit être personnel et non réel ; direct et non indirect. Il ne doit pas être caché comme une chose injuste, mais être très apparent, comme une créance légitime de la communauté.

L’État qui déguise l’impôt dans le prix des choses imite le serviteur qui fait danser l’anse du panier à l’insu du maître. Nous ne sommes pas arrivés fort heureusement à cette situation décrite par Mirabeau dans son fameux discours sur la banqueroute ; elle inspirait à Necker l’idée de proposer à l’assemblée un impôt d’un quart du revenu de chaque français et un impôt de 3 % du capital sur la vaisselle, et les bijoux.

Cela tient à l’ignorance où l’on était alors des lois économiques, et aussi à l’inexpérience dont les économistes nous ont corrigés depuis. On sait aujourd’hui que des institutions fiscales, plus logiques et plus justes, peuvent réparer les fautes commises. Si notre dette nationale est considérable, nos ressources le sont aussi ; il s’agit d’en tirer le meilleur parti dans l’intérêt de tous.

Lorsque la ploutocratie qui nous gouverne paiera sa large part de l’impôt, lorsque les conseilleurs seront les payeurs, suivant le dicton populaire, nous verrons l’ordre et l’économie régner dans les dépenses. Tant que le travail supportera la plus grosse part de l’impôt, les dépenses qui ne profitent qu’à la spéculation et à l’usure iront en augmentant. Faisons supporter les dépenses par la grande richesse, le gaspillage dont seule elle profite aujourd’hui disparaîtra comme par enchantement. Il faut être contribuables et imposables à merci comme nous le sommes, pour ne pas le comprendre. Substituons à l’immorale puissance de l’argent le pouvoir moralisateur du travail honnête, et le problème social sera facile à résoudre. Au travail, l’aisance ; à la richesse, l’impôt.

« Il faut considérer la richesse, a dit Carnegie, comme un dépôt sacré qui doit être administré par le possesseur aux mains de qui il est confié, pour le plus grand bien du peuple. Encore le millionnaire doit-il accorder, sa vie durant, une attention aussi soutenue à la distribution de son bien, qu’il en a consacré à son acquisition. Le jour est proche où l’homme, qui mourra en possession de millions inutilisés et disponibles, mourra déshonoré ».

L’impôt équitablement réparti, peut aider puissamment le riche à remplir le devoir social signalé par Carnegie, et l’empêcher de mourir déshonoré.