Librairie Guillaumin & Cie (p. 53-54).

CHAPITRE XX

Accession du travailleur à la propriété. Exemple fourni par l’Angleterre




Cette pensée de rendre le paysan propriétaire du sol qu’il cultive vient de recevoir, en Angleterre, un commencement d’exécution. Après quatre siècles de misères, de privations et de persécutions de toutes sortes, la nation irlandaise, affaiblie, diminuée, découragée, finissait par ne plus pouvoir tirer de la terre les lourdes redevances que le conquérant anglo-saxon exigeait de son travail. Dans leur propre intérêt, plutôt, sans doute, que par un sentiment d’humanité, les landlords anglais viennent de trouver une combinaison bien calculée. Ils passent à l’État anglais leurs droits de propriété sur ces terres irlandaises, moyennant un certain nombre de milliards ; l’État devenant ainsi propriétaire en masse du sol irlandais, traite avec les fermiers ou tenanciers qui l’occupent, et, moyennant une redevance déterminée pour chaque exploitation, le paysan devient, après un certain temps qui varie de 50 à 75 ans, propriétaire définitif du sol. Cette redevance est fixée de manière à intéresser le laboureur à rester dans son pays, au lieu d’aller chercher de quoi vivre dans les vastes contrées d’Amérique où la culture est plus avantageuse. La population irlandaise avait diminué de trois millions d’habitants en soixante ans.

Nous avons en France plus de cinq millions d’Irlandais, moins malheureux, heureusement, que leurs frères de misères, mais Irlandais tout de même, quoique mieux traités : ce sont nos métayers, nos tenanciers, nos censitaires, nos fermiers, payant aux propriétaires rentiers plus de 900 millions de fermages chaque année. Le capital de cette rente énorme qui épuise notre sol, serait amorti en moins d’un siècle moyennant de bonnes lois civiles, fiscales, financières et la suppression de notre procédure barbare, le tout combiné avec une échelle d’amortissement, dans le genre de celle qui a servi de base aux arrangements entre l’État anglais et les Irlandais.