L’Encyclopédie/1re édition/MORT

MORT, s. f. (Hist. nat. de l’homme.) destruction des organes vitaux, ensorte qu’ils ne puissent plus se rétablir.

La naissance n’est qu’un pas à cette destruction :

Et le premier instant où les enfans des rois
Ouvrent les yeux à la lumiere,
Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupiere
.

Dans le moment de la formation du fœtus, cette vie corporelle n’est encore rien ou presque rien, comme le remarque un des beaux génies de l’académie des sciences. Peu-à-peu cette vie s’augmente & s’étend ; elle acquiert de la consistance, à mesure que le corps croît, se développe & se fortifie ; des qu’il commence à dépérir, la quantité de vie diminue ; enfin lorsqu’il le courbe, se desseche & s’affaisse, la vie décroît, se resserre, se réduit presque à rien. Nous commençons de vivre par degrés, & nous finissons de mourir, comme nous commençons de vivre. Toutes les causes de dépérissement agissent continuellement sur notre être matériel, & le conduisent peu-à-peu à sa dissolution. La mort, ce changement d’etat si marqué, si redouté, n’est dans la nature que la derniere nuance d’un être précédent ; la succession nécessaire du dépérissement de notie corps, amene ce degré comme tous les autres qui ont précédé. La vie commence à s’éteindre, long-tems avant qu’elle s’éteigne entierement ; & dans le réel, il y a peut-être plus loin de la caducité à la jeunesse, que de la décrépitude à la mort ; car on ne doit pas ici considérer la vie comme une chose absolue, mais comme une quantité susceptible d’augmentation, de diminution, & finalement de destruction nécessaire.

La pensée de cette destruction est une lumiere semblable à celle qu’au milieu de la nuit répand un embrasement sur des objets qu’il va bientôt consumer. Il faut nous accoutumer à envisager cette lumiere, puisqu’elle n’annonce rien qui ne soit préparé par tout ce qui la précede ; & puisque la mort est aussi naturelle que la vie, pourquoi donc la craindre si fort ? Ce n’est pas aux méchans, ni aux scélérats que je parle ; je ne connois point de remede pour calmer les tourmens affreux de leur conscience. Le plus sage des hommes avoit raison de dire que si l’on ouvroit l’ame des tyrans, on la trouveroit percée de blessures profondes, & déchirée par la noirceur & la cruauté, comme par autant de plaies mortelles. Ni les plaisirs, ni la grandeur, ni la solitude, ne purent garantir Tibere des tourmens horribles qu’il enduroit. Mais je voudrois armer les honnêtes gens contre les chimeres de douleurs & d’angoisses de ce dernier période de la vie : préjugé général si bien combattu par l’auteur éloquent & profond de l’histoire naturelle de l’homme.

La vraie philosophie, dit-il, est de voir les choses telles qu’elles sont ; le sentiment intérieur seroit d’accord avec cette philosophie, s’il n’étoit perverti par les illusions de notre imagination, & par l’habitude malheureuse que nous avons prise de nous forger des fantômes de douleur & de plaisir. Il n’y a rien de charmant & de terrible que de loin ; mais pour s’en assurer, il faut avoir la sagesse & le courage de considérer l’un & l’autre de près. Qu’on interroge les médecins des villes, & les ministres de l’Eglise, accoutumés à observer les actions des mourans, & à recueillir leurs derniers sentimens, ils conviendront qu’à l’exception d’un petit nombre de maladies aiguës, où l’agitation causée par des mouvemens convulsifs, paroît indiquer les souffrances du malade, dans toutes les autres on meurt doucement & sans douleur ; & même ces terribles agonies effrayent plus les spectateurs, qu’elles ne tourmentent le malade ; car combien n’en a-t-on pas vus, qui, après avoir été à cette derniere extrémité, n’avoient aucun souvenir de ce qui s’étoit passé, non plus que de ce qu’ils avoient senti : ils avoient réellement cessé d’être pour eux perdant ce tems, puisqu’ils sont obligés de rayer du nombre de leurs jours tous ceux qu’ils ont passés dans cet état, duquel il ne leur reste aucune idée.

Il semble que ce seroit dans les camps que les douleurs affreuses de la mort devroient exister ; cependant ceux qui ont vu mourir des milliers de soldats dans les hôpitaux d’armées, rapportent que leur vie s’éteint si tranquillement, qu’on diroit que la mort ne fait que passer à leur cou un nœud coulant, qui serre moins, qu’il n’agit avec une douceur narcotique. Les morts douloureuses sont donc très-rares, & presque toutes les autres sont insensibles.

Quand la faux de la parque est levée pour trancher nos jours, on ne la voit point, on n’en sent point le coup ; la faux, ai-je dit ? chimere poëtique ! La mort n’est point armée d’un instrument tranchant, rien de violent ne l’accompagne, on finit de vivre par des nuances imperceptibles. L’épuisement des forces anéantit le sentiment, & n’excite en nous qu’une sensation vague, que l’on éprouve en se laissant aller à une rêverie indéterminée. Cet état nous effraye de loin parce que nous y pensons avec vivacité ; mais quand il se prépare, nous sommes affoiblis par les gradations qui nous y conduisent, & le moment décisif arrive sans qu’on s’en doute & sans qu’on y réfléchisse. Voilà comme meurent la plûpart des humains ; & dans le petit nombre de ceux qui conservent la connoissance jusqu’au dernier soupir, il ne s’en trouve peut-être pas un qui ne conserve en même-tems de l’espérance, & qui ne se flatte d’un retour vers la vie. La nature a, pour le bonheur de l’homme, rendu ce sentiment plus fort que la raison ; & si l’on ne réveilloit pas ses frayeurs par ces tristes soins & cet appareil lugubre, qui dans la société dévancent la mort, on ne la verroit point arriver. Pourquoi les enfans d’Esculape ne cherchent-ils pas des moyens de laisser mourir paisiblement ? Epicure & Antonin avoient bien su trouver ces moyens : mais nos médecins ne ressemblent que trop à nos juges qui, après avoir prononcé un arrêt de mort, livrent la victime à sa douleur, aux prêtres, & aux lamentations d’une famille. En faut-il davantage pour anticiper l’agonie ?

Un homme qui seroit séquestré de bonne heure du commerce des autres hommes, n’ayant point de moyens de s’éclairer sur son origine, croiroit non-seulement n’être pas né, mais même ne jamais finir. Le sourd de Chartres qui voyoit mourir ses semblables, ne savoit pas ce que c’étoit que la mort. Un sauvage qui ne verroit mourir personne de son espece, se croiroit immortel. On ne craint donc si fort la mort, que par habitude, par éducation, par préjugé.

Mais les grandes alarmes regnent principalement chez les personnes élevées mollement dans le sein des villes, & devenues par leur éducation plus sensibles que les autres ; car le commun des hommes, sur-tout ceux de la campagne, voient la mort sans effroi ; c’est la fin des chagrins & des calamités des misérables. La mort, disoit Caton, ne peut jamais être prématurée pour un consulaire, fâcheuse ou deshonorante pour un homme vertueux, & malheureuse pour un homme sage.

Rien de violent ne l’accompagne dans la vieillesse ; les sens sont hébétés, & les vaisseaux se sont effacés, collés, ossifiés les uns après les autres ; alors la vie cesse peu-à-peu ; on se sent mourir comme on se sent dormir : on tombe en foiblesse. Auguste nommoit cette mort euthanasie ; expression qui fit fortune à Rome, & dont tous les auteurs se servirent depuis dans leurs ouvrages.

Il semble qu’on paye un plus grand tribut de douleur quand on vient au monde, que quand on en sort : là l’enfant pleure, ici le vieillard soupire. Du moins est-il vrai qu’on sort de ce monde comme on y vient, sans le savoir. La mort & l’amour se consomment par les mêmes voies, par l’expiration. On se reproduit quand c’est d’amour qu’on meurt ; on s’anéantit, (je parle toujours du corps, & qu’on ne vienne pas m’accuser de matérialisme), quand c’est par le ciseau d’Atropos. Remercions la nature, qui ayant consacré les plaisirs les plus vifs à la production de notre espece, émousse presque toujours la sensation de la douleur, dans ces momens où elle ne peut plus nous conserver la vie.

La mort n’est donc pas une chose aussi formidable que nous nous l’imaginons. Nous la jugeons mal de loin ; c’est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, & qui disparoît lorsqu’on vient à en approcher de près. Nous n’en prenons que des notions fausses : nous la regardons non-seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné des plus pénibles angoisses. Nous avons même cherché à grossir dans notre imagination ses funestes images, & à augmenter nos craintes en raisonnant sur la nature de cette douleur. Mais rien n’est plus mal fondé ; car quelle cause peut la produire ou l’occasionner ? La fera-t-on résider dans l’ame, ou dans le corps ? La douleur de l’ame ne peut être produite que par la pensée ; celle du corps est toujours proportionnée à sa force ou à sa foiblesse. Dans l’instant de la mort naturelle, le corps est plus foible que jamais ; il ne peut donc éprouver qu’une très-petite douleur, si même il en éprouve aucune.

Les hommes craignent la mort, comme les enfans craignent les ténebres, & seulement parce qu’on a effaré leur imagination par des fantômes aussi vains que terribles. L’appareil des derniers adieux, les pleurs de nos amis, le deuil & la cérémonie des funérailles, les convulsions de la machine qui se dissout, voilà ce qui tend à nous effrayer.

Les Stoïciens affectoient trop d’apprêts pour ce dernier moment. Ils usoient de trop de consolations pour adoucir la perte de la vie. Tant de remedes contre la crainte de la mort contribuent à la redoubler dans notre ame. Quand on appelle la vie une continuelle préparation à la mort, on a lieu de croire qu’il s’agit d’un ennemi bien redoutable, puisqu’on conseille de s’armer de toutes pieces ; & cependant cet ennemi n’est rien. Pourquoi l’appréhender si vivement ? enfin, pourquoi craindre la mort, quand on a assez bien vécu pour n’en pas craindre les suites ?

Je sai que la mortalité
Du genre humain est l’appanage..
Pourquoi donc serois-je excepté ?
La vie n’est qu’un pélerinage !
De son cours la rapidité
Loin de m’allarmer, me soulage ;
Sa fin, lorsque j’en envisage
L’infaillible nécessité,
Ne peut ébranler mon courage.
Brûlez de l’or empaqueté,
Il n’en périt que l’emballage,
C’est tout : un si léger dommage
Devroit-il être regretté ?
(D. J.)

Mort le, (Critiq. sacrée.) il est dit dans le Deutéronome, chap. xiv. ℣. 1. « vous ne vous ferez point d’incision, & vous ne vous raserez point toute la tête pour le mort ». Ce mort est Adonis, parce que dans sa fête, on pratiquoit toutes ces choses. Il est parlé de la fête d’Adonis dans Ezéchiel, viij. 14. Au reste, les Juifs avoient l’idée superstitieuse, que tous ceux qui se trouvoient dans la maison où il y avoit un mort, ou qui touchoient au cadavre, étoient souillés & obligés de se purifier, comme il paroît par saint Luc, xxij. 4.. (D. J.)

Mort, (Mythol.) les anciens ont fait de la mort une divinité fille de la Nuit ; ils lui donnent pour frere le Sommeil éternel, dont le sommeil des vivans n’est qu’une foible image. Pausanias parle d’une statue de la Nuit, qui tenoit entre ses bras ses deux enfans, le Sommeil & la Mort ; l’un qui y dort profondément, & l’autre qui fait semblant de dormir.

On peignoit la Mort comme un squelette, avec une faux & des griffes : on l’habilloit d’une robe semée d’étoiles, de couleur noire avec des ailes noires.

Mors atris circumvolat alis, dit Horace.

On lui sacrifioit un coq, quoiqu’on la regardât comme la plus impitoyable des divinités ; c’est ce qui fait dire à Malherbe,

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles,
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier
.

Les Phéniciens lui bâtirent un temple dans l’île de Gadira, qui ne subsista pas long-tems ; mais il n’en sera pas de même de celui du duc de Buckingham, dont le génie de la Poésie a fait les frais : le voici.

Temple of Death.

In those cold climates, where the sun appears
Unwillingly, aud hides his face in tears ;
A dreadful Vale lies in a desert isle,
On which indulgent Heav’n did never smild.
There a thick grove of age’d Cypres’s-trees,
Which none without an awful horror sees,
Into its withr’d arms depriv’d of Leaves,
Whole flocks of ill-presaging birds, receives :
Poisons are all the plants the soil will bears.
And winter is the only season there.
Millions of graves cover the spacious field,
And springs of blood a thousand rivers yield,
Whose streams oppress’d with carcasses and bones
,

Instead of gentle murmurs, pour forth groans ;
Within this Vale, a famous temple stands
Old as the world it self wich it commands :
Round is its figure, and four iron Gates
Divide Mankind. By order of the fates,
There come in crowds, doom’d to one common grave ;
The young, the old, the monarch, and the slave.
Old age and pains which mankind most deplores,
Are faithful keepers of those sacred doors :
All clad in mournful blacks, which also load
The sacred walls of this obscure abode ;
And tapers of a pitchy substance made,
With clouds of smoak, encrease the dismal shade.
A Monster void of reason, and of sight,
The Goddess who sways this realm of night,
Her power extends o’er all things that have breath,
A cruel tyrant, and her name is
Death.

(D. J.)

Mort, s. m. (Médecine.) la mort uniquement considérée sous le point de vûe qui nous concerne, ne doit être regardée que comme une cessation entiere des fonctions vitales, & par conséquent comme l’état le plus grave, le plus contre-nature, dans lequel le corps puisse se trouver, comme le dernier période des maladies ; & enfin comme le plus haut degré de syncope. En l’envisageant sous cet aspect, nous allons tâcher d’en détailler les phénomenes, les causes, les signes diagnostics & prognostics, & d’exposer la méthode curative qui est couronnée par le succès le plus constant, & qui est la plus appropriée dans les différens genres de mort. La séparation de l’ame d’avec le corps, mystere peut-être plus incompréhensible que son union, est un dogme théologique certifié par la Religion, & par conséquent incontestable ; mais nullement conforme aux lumieres de la raison, ni appuyé sur aucune observation de Médecine. Ainsi nous n’en ferons aucune mention dans cet article purement médicinal, où nous nous bornerons à décrire les changemens qui arrivent au corps, & qui seuls tombent sous les sens, peuvent être apperçus par les médecins artistes sensuels, sensuales artifices.

Symptomes. On he connoît la mort que par opposition à la vie, de même que le repos se manifeste par son contraste direct avec le mouvement ; les principaux symptomes se tirent de l’inexercice de la circulation & de la respiration ; ainsi dès qu’un homme est mort, on cherche en vain le pouls dans les différentes parties où les arteres sont superficielles ; elles sont dans une immobilité parfaite. Le mouvement de la poitrine inséparable de celui des poumons, est totalement anéanti ; toutes les excrétions sont suspendues ; la chaleur est perdue ; les membres sont froids, roides, inflexibles ; les sens sont dans l’inaction ; il ne reste aucun vestige de sentiment ; une pâleur livide occupe le visage ; les yeux sont sans force, sans éclat, recouverts d’écailles, &c. Jusque-là le cadavre ne differe de l’homme vivant, que par le défaut de mouvement : les différens organes encore dans leur entier peuvent être ranimés ; ils conservent pendant quelque tems une aptitude à renouveller les mouvemens auxquels ils étoient destinés. Ils restent dans cet état jusqu’à ce que la putréfaction plus ou moins prompte, détruise leur tissu, rompe l’union des molécules organiques qui les composent, & mette par-là un obstacle invincible au retour de la vie. Lorsque la corruption commence à gagner, le corps devient successivement bleuâtre, livide, noir ; il exhale une odeur insoutenable, particuliere, qu’on nomme cadavéreuse ; bien-tôt après les vers y éclosent ; les différentes parties se désunissent, perdent leur lien, leur figure, & leur cohésion ; les molécules dégagées sont volatiles, s’évaporent ; & enfin, après leur dissipation il ne reste aucun vestige d’homme. Il me paroît qu’on pourroit distinguer dans la mort deux états bien différens, & établir en conséquence deux especes ou deux degrés remarquables de mort. J’appellerai le premier degré mort imparfaite, ou susceptible de secours, qui comprendra tout ce tems où il n’y a qu’un simple inexercice des fonctions vitales, & où les organes, instrumens de ces fonctions, sont encore propres à recommencer leur jeu. Le second degré le complément de la mort imparfaite, sera connu sous le nom de mort absolue, irrévocablement décidée. Il est caractérisé non-seulement par la cessation des mouvemens, mais encore par un état des organes tels qu’ils sont dans une impossibilité physique de les renouveller ; ce qui arrive le plus souvent par leur destruction opérée par la putréfaction, ou par des moyens méchaniques, quelquefois aussi par un desséchement considérable, ouvrage de l’art ou de la nature. Le tems qui se passe entre la mort imparfaite, & la mort absolue, est indéterminé ; il varie suivant les causes, les sujets, les accidens, les saisons, &c. En général, l’intervalle est plus long dans ceux qui meurent subitement ou de mort violente, que dans ceux où la mort est l’effet d’une maladie, ou de la vieillesse ; dans les enfans que dans les adultes, dans l’hiver que dans l’été, sous l’eau que dans un air libre, &c. La distinction que je viens d’établir, est fondée sur un grand nombre de faits par lesquels il conste évidemment que des personnes ont resté pendant assez long-tems dans cet état que nous avons appellé mort imparfaite, & qui après cela, ou par des secours appropriés, ou d’elles-mêmes, sont revenues à la vie. De ce nombre sont les morts volontaires ou extatiques ; quelques historiens assurent avoir vû des personnes qui par le seul acte de la volonté, suspendoient chez eux tous les mouvemens vitaux, & restoient pendant un certain tems sans pouls, sans respiration, roides, glacées, & après cela reprenoient d’elles-mêmes l’exercice des sens. Cheyne auteur connu, digne de foi, raconte qu’il a été témoin oculaire d’un semblable fait, & que la mort lui paroissoit si bien décidée, qu’il avoit déja pris le parti de se retirer ; cependant l’extase finit, la mort cessa, le pouls & la respiration revinrent par degrés. Il y a des gens qui réiterent souvent pour satisfaire les curieux ces morts imparfaites. On dit que les Lapons sur-tout excellent dans ce métier ; on en a cependant vû quelquefois mourir tout-à-fait victimes de ces dangereuses tentatives, de même qu’un anglois qui pouvoit suspendre avec la main le mouvement de son cœur ; il mourut enfin ayant poussé trop loin cette expérience. Le traité important, quoique mal digéré, que M. Bruhier médecin a donné sur l’incertitude des signes de la mort, contient un recueil intéressant & curieux d’observations, qu’il a pris la peine de rassembler & d’extraire de différens auteurs, qui prouvent que des morts mis sur la paille, dans la biere, & dans le tombeau même, en sont sortis vivans, après plusieurs jours.

Mais ce qu’il y a de plus terrible, & qu’il est à propos de remarquer dans ces histoires, c’est que presque toutes ces résurrections naturelles sont l’effet d’un heureux hasard, ou d’un concours de circonstances inattendues. Ainsi une jeune fille morte de la petite vérole revint en vie, parce que le bedeau qui la portoit laissa tomber le cercueil, dont les ais mal unis se dessassemblerent ; la secousse de cette chûte fit donner à l’enfant des signes de vie ; on la reporta chez elle, où elle revint en parfaite santé. Traité de l’incertitude des signes de la mort, §. VI. page 153. tome I. Une femme du commun etant exposée sur la paille avec un cierge aux piés, suivant l’usage, quelques jeunes gens renverserent en badinant le cierge sur la paille qui prit feu à l’instant : dans le même moment la morte se ranima, poussa un cri perçant, & vécut long-tems après. Ibid. §. IV. page 68. Plusieurs personnes enterrées avec des bijoux, doivent la vie à l’avidité des fossoyeurs ou des domestiques, qui sont descendus dans leurs tombeaux pour les voler ; les secousses, l’agitation, les efforts faits pour arracher les anneaux, pour les dépouiller, ont rappellé ces morts imparfaits à la vie. Voyez les observations rapportées dans l’ouvrage déja cité, tome I. page 53, 61, 98, 134, 170. &c. Dans d’autres la mort a été dissipée par des incisions faites pour les ouvrir : une femme dont Terrili raconte l’histoire, donna des signes de vie au second coup de bistouri ; il est arrivé quelquefois que la vie s’est manifestée trop tard dans de semblables circonstances ; le mort ressuscité a perdu la vie sous le couteau anatomique. Ce fut un pareil événement qui causa tous les malheurs du grand Vesale, ayant ouvert un gentilhomme espagnol, il apperçut dès qu’il eut enfoncé le bistouri quelques signes de vie ; & la poitrine ouverte lui fit observer le mouvement du cœur revenu ; le fait devenu public excita les poursuites des parens & des juges de l’inquisition. Philippe II. roi d’Espagne, par autorité ou plutôt par prieres, vint à bout de le soustraire à l’avidité de ce cruel tribunal, à condition qu’il expieroit son crime par un voyage à la Terre-Sainte. On raconte du cardinal Espinosa, premier ministre de Philippe II. qu’ayant été disgracié, il mourut de douleur. Lorsqu’on l’ouvrit pour l’embaumer, il porta la main au rasoir du chirurgien, & on trouva son cœur palpitant ; ce qui n’empêcha pas le chirurgien barbare de continuer son opération, & de le mettre par là dans l’impossibilité d’échapper à la mort. Il y a plusieurs exemples de personnes qu’on alloit enterrer, ou qui l’étoient déja, que la tendresse officieuse ou l’incrédulité d’un amant, d’un parent, d’un ami, d’un mari, d’une femme, &c. ont retiré des bras de la mort. Un homme au retour d’un voyage, apprend que sa femme est morte & inhumée depuis trois jours : inconsolable de sa perte, & ne pouvant se persuader qu’elle fût réelle, descend comme un autre Orphée dans son tombeau, & plus heureux ou plus malheureux que lui, il trouve le secret de lui rendre la vie & la santé. La même chose arriva à un négociant, qui revenant aussi d’un voyage deux jours après la mort de sa femme, la trouva exposée à sa porte dans le moment que le clergé alloit s’emparer de son corps, il fit monter la biere dans sa chambre, en tira le corps de sa femme, qui ne donna aucun signe de vie. Pour mieux s’assurer de sa mort, & pour tâcher de la dissiper, s’il étoit possible, il lui fit faire des scarifications & appliquer les ventouses ; on en avoit déja mis vingt-cinq sans le moindre succès, lorsqu’une vingt-sixieme fit crier à la morte ressuscitée, ah, que vous me faites mal ! Miladi Roussel, femme d’un colonel anglois, dut la vie à l’extrème tendresse de son mari, qui ne voulut pas permettre qu’on l’enterrât, quoiqu’elle parût bien morte, jusqu’à ce qu’il se manifestât quelque signe de putréfaction. Il la garda ainsi pendant sept jours, après lesquels la morte se réveilla comme d’un profond sommeil au son des cloches d’une église voisine. Voyez d’autres observations semblables dans l’ouvrage déja cité, tome I. pages 69, 94, 106, 108, &c. & tome II. pages 56 & 58. Quelques morts dont l’enterrement a été différé par quelque cause imprévue, sont précisément revenus à la vie dans cet intervalle : un témoin oculaire raconte & certifie qu’étant à Toulouse dans l’église de saint Etienne, il vit arriver un convoi dont on différa la cérémonie jusqu’àprès un sermon pendant lequel on déposa le corps dans une chapelle. Au milieu du sermon, le cadavre parut animé, fit quelques mouvemens qui engagerent à le reporter chez lui ; de façon, ajoûte l’historien de ce fait, que sans le sermon on auroit enterré un homme vivant, ou qui étoit prêt à le devenir. lbid. tom. l. p. 62. Diemerbroek rapporte qu’un paysan étant mort de la peste, on se préparoit à l’enterrer après les vingt-quatre heures, suivant l’usage ; le défaut de cercueil fit différer jusqu’au lendemain ; & lorsqu’on voulut y mettre le corps, on s’apperçut qu’il commençoit à reprendre l’usage de la vie. Enfin, il y a eu des personnes qui rappellées à la vie dans le tombeau, en ont été retirées, ont été assez heureuses pour faire entendre leurs cris à des gens que le hasard amenoit dans le voisinage. Ainsi un régiment d’infanterie étant arrivé à Dole, plusieurs soldats manquant de logemens, obtinrent la permission de se retirer dans l’église, & de coucher sur les bancs garnis du parlement & de l’université ; quelques soldats entendirent pendant long-tems des plaintes qui sembloient sortir d’un tombeau ; ils avertirent le clerc, on ouvre un caveau où l’on avoit enterré le jour même une fille, on la trouve vivante, &c.

Quelques enfans étant allés jouer sur le tombeau d’un homme récemment enterré, furent épouvantés du bruit qu’ils entendirent ; ils raconterent la cause de leur frayeur ; on exhuma la personne qui étoit pour lors en vie. Il est évident que si ces personnes eussent été enterrées dans un cimetiere & couvertes de terre, elles n’auroient pû faire entendre leurs cris ; & même sans les circonstances imprévues qui se rencontrerent, elles seroient mortes de nouveau. Quels affreux soupçons ne font pas naître de pareils événemens sur le sort d’une infinité de personnes qu’on enterre trop promptement, & sans beaucoup de précautions, sans attendre sur-tout que la putréfaction manifestée ait décidé leur mort irrévocable. Il arrive de-là que plusieurs meurent absoiument, qui auroient pû revivre si on eût apporté à propos des secours convenables, ou du-moins si on ne les avoit pas privés d’air en les ensevelissant sous la terre, ou en les mettant dans des caveaux qui sont des especes de mouffetes ; d’autres au contraire, ce qui est encore plus terrible, revenus d’eux-mêmes à la vie, ne peuvent faire venir leurs plaintes à ceux qui pourroient les secourir, les tirer du tombeau où ils sont renfermés sans nourriture, ne revivent que pour mourir encore plus cruellement dans toutes les horreurs de la faim & du desespoir. On voit en effet souvent en exhumant les corps après plusieurs mois, qu’ils sont changés de place, de posture, de situation ; quelques-uns paroissent avec les bras, les mains rongées de rage. Dom Calmet raconte sur la foi d’un témoin oculaire, qu’un homme ayant été enterré dans le cimetiere de Bar-le-Duc, on entendit du bruit dans la fosse ; elle fut ouverte le lendemain, & on trouva que le malheureux s’étoit mangé le bras. On vit à Alais le cercueil d’une femme dont les doigts de la main droite étoient engagés sous le couvercle de son cercueil qui en avoit été soulevé. Le docteur Crafft fait mention d’une demoiselle d’Ausbourg, qui étant morte d’une suffocation de matrice, fut enterrée dans un caveau bien muré ; au bout de quelques années on ouvrit le caveau, l’on trouva la demoiselle sur les degrés près de l’ouverture, n’ayant point de doigts à la main droite. Cette histoire est fort analogue à celle d’un religieux carme, qui ayant été enterré depuis long-tems, fut trouvé à l’entrée du caveau les doigts écorchés, & la pierre qui bouchoit l’ouverture un peu dérangée ; mais ce qui doit confirmer & augmenter ces soupçons, c’est le long intervalle qui peut s’écouler entre la mort imparfaite & la mort absolue, c’est-à-dire, depuis le tems où les organes ont cessé leurs mouvemens, jusqu’à celui ou ils perdent l’aptitude à les renouveller. On a vu qu’il n’est pas rare de revivre après deux ou trois jours ; l’exemple de myladi Roussel prouve qu’on peut être pendant sept jours dans l’état de mort imparfaite. Il y a des observations incontestables de noyés, qui ont resté trois, quatre, & cinq jours sous l’eau. On lit dans les mélanges des curieux de la nature, un fait attesté par Kunkel, touchant un jeune homme qui étant tombé dans l’eau, n’en fut retire qu’après huit jours ; & Pechlin assure qu’un jeune homme fut pendant plus de quarante-deux jours enseveli sous les eaux, & qu’enfin retiré la septieme semaine, septimâ demum hebdommadâ extractum, on put le rappeller à la vie. Ces résurrections qu’on pourroit regarder comme des-miracles de la Médecine, passeront pour des fictions, pour des evénemens supposés dans l’esprit de quelques lecteurs, qui confondant les bornes du possible avec celles de leur connoissance, ignorent que le vrai peut bien souvent n’être pas vraissemblable. Tous ces faits, quelque merveilleux qu’ils paroissent, n’ont rien que de naturel & de conforme aux lois de l’économie animale : les anciens avoient déja observé qu’on peut rester sans pouls & sans respiration pendant très-long-tems ; ils ont même décrit une maladie sous le nom d’ἄπνος, qui veut dire sans respiration, où ils assurent qu’on peut être pendant trente jours sans aucun signe de vie, ne différant d’un véritable mort, que par l’absence de la putréfaction. Il y a un traité grec sur cette maladie, περι τῆς ἄπνου, que Galien, Pline, & Diogene de Laerce, croient avoir été composé par Héraclide de Pont, & que Celse attribue à Démocrite. Cet ouvrage fut fait à l’occasion d’une femme qui reprit l’usage de la vie, après avoir été pendant sept jours sans en donner la moindre marque. L’histoire naturelle nous fournit dans les animaux des exemples qui confirment ceux que nous avons rapportés : tout le monde sait que les loirs restent pendant tout l’hiver au fond d’une caverne, ou enterrés sous la neige, sans manger & sans respirer ; & qu’après ce tems lorsque la chaleur revient, ils sortent de l’engourdissement ; parfaite image de la mort dans laquelle ils étoient ensevelis : plusieurs oiseaux passent aussi tout l’hiver sous les eaux ; telles sont les hirondelles entre autres, qui loin d’aller suivant l’erreur populaire fort accréditée, dans des climats plus chauds, se précipitent au fond de la mer, des lacs, & des rivieres, & y passent ainsi sans plumes & sans vie jusqu’au retour du printems ; lorsque la chûte des feuilles annonce les approches du froid, dit un poëte latin.

Avolat (hirundo) & se credit aquis præcepsque sub illas
 Mersa, in dumosâ mortua valle jacet.

Flebilis, exanimis, deplumis, nuda, neque ullam
     Vivifici partem masta caloris habens
Et tamen huic redeunt in sensus munera vitæ,
     Cum novus herbosam flosculus ornat humum, &c.

David Herlicius, épigram. lib. VI.

M.  Falconet, medecin de Paris, étant en Bresse, vit apporter une masse de terre que les pêcheurs avoient tirée de l’eau ; & après l’avoir lavée & débrouillée, il apperçut que ce n’étoit autre chose qu’un amas d’hirondelles qui approchées du feu se déroidirent & reprirent la vie. On lui assura qu’il n’étoit pas rare d’en pêcher de la sorte en cette province. Traité de l’incertitude, &c. tome I. page 131. Tous ces faits vérifient bien la remarque de Pline, qui sert d’épigraphe à l’ouvrage de M.  Bruhier : « telle est la condition des hommes, dit ce savant naturaliste, ils sont exposés à des jeux de hasard, tels qu’on ne peut même se fier à la mort ».

Causes. Il n’est pas possible de déterminer quelles sont les causes qui occasionnent la mort, & quelle est leur maniere d’agir, sans connoître auparavant celles qui entretiennent cette continuité & cette réciprocité d’actions qui forment la vie. Voyez Vie, Économie animale. On peut regarder du-moins dans l’homme, & dans les animaux dont la structure est à-peu-près semblable, la circulation du sang ou le mouvement du cœur & des arteres, comme le signe le plus assuré, la mesure la plus exacte, & la cause la plus évidente de la vie. Deux autres fonctions surnommées aussi vitales, savoir la respiration & l’action du cerveau, concourent essentiellement à l’intégrité de cette premiere, qui est la fonction par excellence. La nécessité de la respiration est fondée sur ce que tout le sang qui va se distribuer dans les différentes parties du corps, est obligé, depuis l’instant de la naissance, de passer par les poumons : aussi dès que le mouvement de ce viscere, sans lequel ce passage du sang ne peut avoir lieu, vient à cesser, la circulation est entierement arrêtée par tout le corps, le cœur & les arteres cessent tout de suite leurs battemens ; & ce qu’il y a de remarquable, c’est que dès le moment qu’on fait recommencer la respiration, on renouvelle les contractions alternatives du cœur. Quelques écrivains, observateurs peu exacts & anatomistes mal instruits, ont pensé que dans les personnes qui restoient long-tems sans respirer, le trou ovale ouvert & le canal artériel conservant les propriétés & les usages qu’il avoit dans le fœtus, suppléoient à la respiration, en donnant lieu à une circulation particuliere, telle qu’on l’observe dans le fœtus ; mais c’est un fait gratuitement avancé, qui n’a d’autre fondement que la difficulté de trouver une explication plus conforme aux préjugés qu’on s’est formé sur les causes de la vie & de la mort. Il est d’ailleurs contraire aux observations anatomiques & à l’expérience qui fait voir que dans les noyés & les pendus, les mouvemens du cœur & les arteres ne sont pas moins interceptés que ceux des organes de la respiration. On n’a encore rien de bien décidé sur la maniere dont le cerveau influe sur les organes de la circulation ou de la vie : le fluide nerveux si universellement admis n’est appuyé sur aucune preuve satisfaisante ; & le solidisme des nerfs rejetté sans examen plus conforme au témoignage des sens & à la plûpart des phénomenes de l’économie animale, souffre encore quelques difficultés ; mais quel que soit le méchanisme de cette action, il est certain qu’elle est nécessaire au jeu des nerfs : les observations & les expériences concourent à prouver la nécessité d’une libre communication des nerfs cardiaques entre le cerveau & le cœur, pour continuer les mouvemens de cet organe ; mais il est à-propos de remarquer que le cœur continue de battre quelquefois assez long-tems, malgré la ligature, la section, l’entiere destruction de tous ces nerfs ou d’une grande partie. Willis lia dans un chien les nerfs de la paire vague ou de la huitieme paire, qui, de concert avec les rameaux de l’intercostal, vont former le plexus cardiaque & se distribuer au cœur ; le chien après cette opération tomba muet, engourdi, eut des frissons, des mouvemens convulsifs dans les hypocondres : ces mêmes nerfs entierement coupés, il ne laissa pas de vivre plusieurs jours, refusant constamment de manger. Cerebr. anatom. page 234. Lower a réitéré cette expérience avec le même succès, de corde, pag. 90. Vieussens est encore allé plus loin, pour ôter lieu à tout vain subterfuge : il coupa ces nerfs & ceux qui concourent à la formation de l’intercostal ; & malgré cela le chien qu’il soumit à ce martyre philosophique vécut plus de vingt heures. Nevrograph. pag. 179. On observe que les jeunes animaux, plus muqueux & par conséquent plus irritables, résistent encore plus long-tems à ces épreuves ; ils sont beaucoup plus vivaces. Il est certain que dans les apoplexies fortes l’action du cerveau est très-dérangée, souvent anéantie : il arrive cependant quelquefois que le cœur continue de battre à l’ordinaire, tandis que tous les autres mouvemens sont interrompus. L’exemple d’une personne qui garda pendant long-tems un abscès au cervelet, joint aux expériences que nous avons rapportées, font voir évidemment que l’ingénieuse distinction des nerfs qui naissent du cervelet d’avec ceux qui tirent leur origine du cerveau, fondement peu solide de la fameuse théorie des maladies soporeuses proposée par Boerrhaave, si accréditée dans les écoles, que cette distinction, dis-je, est purement arbitraire, absolument nulle. Il résulte de là que la cause du mouvement du cœur ne réside point dans les nerfs qui s’y distribuent ; ils ne me paroissent avoir d’autre usage que celui de produire & d’entretenir son extrème & spéciale contractilité, principe fondamental & nécessaire de tout mouvement animal. Voyez Sensibilité. Le principal, ou pour mieux dire l’unique moteur actif du cœur, est le sang qui y aborde, qui irritant les parois sensibles des ventricules, en détermine conséquemment aux lois de l’irritabilité les contractions alternatives. Voyez Cœur. Ce que je dis du cœur doit s’appliquer aux arteres qui suivent les mêmes lois, & qui semblent n’être qu’une continuation ou une multiplication de cet organe.

Toutes les causes de mort tendent à suspendre les mouvemens du cœur, les unes agissant sur les nerfs ou sur le cerveau, attaquent & détruisent l’irritabilité, paralysent pour ainsi dire le cœur, le rendent insensible à l’impression du sang, ou le mettent hors d’état d’exécuter les mouvemens accoutumés ; les autres opposent des obstacles invincibles à l’expulsion du sang, ou empêchent son retour dans les ventricules. On peut compter quatre especes, quatre causes générales de mort, ou quatre façons particulieres de mourir : 1°. la mort naturelle ou de vieillesse ; 2°. la mort violente ; 3°. la mort subite ; 4°. la mort de maladie, qui se rapportent aux deux causes premierement établies.

I. La mort de vieillesse est celle qui arrive naturellement aux vieillards décrépits, par le défaut des organes propres à cet âge, indépendamment de toute maladie étrangere. Quelques auteurs aussi peu au fait de la vraie morale que de la saine physique, pour trouver une raison de cette mort, ont eu recours à des causes finales toujours incertaines, à des volontés expresses de Dieu ; ayant à expliquer comment on mouroit dans ces circonstances, ils ont mal déterminé le pourquoi : d’autres, aussi mauvais physiciens, ont gratuitement attribué cette mort aux fatigues de l’ame, au dégoût qu’ils lui ont supposé de rester trop long-tems emprisonnée dans notre frêle machine. Van-Helmont l’a déduit de l’extinction de la flamme vitale & du chaud inné : cette idée est du-moins plus naturelle, mais elle n’explique encore rien. Il reste à déterminer quelle est la cause de cette extinction.

On trouve dans la structure du corps humain & dans l’examen de ses propriétés, des raisons très simples de cette mort : on n’a qu’à observer les changemens qui arrivent dans l’organisation du corps & dans le méchanisme des fonctions lorsque l’âge augmente, on verra que depuis le premier instant que l’on commence à vivre, les fibres deviennent plus fortes, plus serrées, moins sensibles, moins irritables. Dans la vieillesse, la plûpart des petits vaisseaux s’obliterent, les visceres se durcissent, les secrétions diminuent, la peau n’est plus humectée, la maigreur augmente de plus en plus jusqu’au point du marasme senile ; la circulation est plus lente, plus foible, bien moins universelle que dans les enfans ; le pouls est dur, foible, petit, inégal, pour l’ordinaire intérieur : lorsque la vieillesse devient décrépite, l’irritabilité diminue considérablement ; les vaisseaux deviennent plus ou moins durs : on en a vu près de l’origine du cœur qui avoient acquis la dureté de l’os du cartilage, des pierres. Lorsque la mort est prochaine, le pouls est intermittent, extrèmement lent & foible ; & ces caracteres augmentent ainsi par nuances jusqu’à ce que, la sensibilité du cœur entierement détruite, les forces tout-à-fait épuisées, le mouvement de cet organe cesse, & ces vieillards meurent alors sans presque s’appercevoir qu’ils cessent de vivre, le passage de la vie à la mort n’étant presque pas sensible chez eux. On voit par-là que notre merveilleuse machine a cela de commun avec toutes les autres ; que la maniere dont les mouvemens s’y exécutent est une raison suffisante pour en empêcher la perpétuité : chaque moment de vie prépare & dispose à la mort. Il est facile d’appercevoir combien peu on doit compter sur tous ces élixirs admirables, ces secrets précieux que des empiriques ignorans ou fripons débitent pour prolonger la vie, pour rajeunir & conduire à l’immortalité.

II. Sous le titre de mort violente nous comprenons toutes celles qui sont occasionnées par quelque cause extérieure dont l’action est évidente & prompte ; nous comptons d’abord en conséquence toutes les blessures qui empêchent le mouvement du cœur, par la section des nerfs, le dérangement du cerveau ; par l’effusion du sang, les plaies des ventricules, des gros vaisseaux, les épanchemens intérieurs, les chûtes sur la tête ou l’épine, avec commotion ou luxation, &c. les opérations chirurgicales mal faites ou imprudemment entreprises ; celles qui interceptent la respiration, comme celles qui pénetrent fort avant dans la poitrine, qui coupent, détruisent la trachée-artere. Nous mettons aussi au nombre des morts qui viennent par défaut de respiration, celles des noyés, de ceux qui sont exposés à la vapeur du vin fermentant, du charbon, des mines, des tombeaux qui ont resté long-tems fermés, des mouffetes, & très-rarement ou plûtôt jamais la mort des pendus ; car ils meurent-le plus souvent par la luxation de la premiere vertebre du col : cette opération est un coup de maître, un tour délicat de bourreau expérimenté, qui ne veut pas faire languir le patient. Quelquefois aussi les pendus meurent apoplectiques, le sang étant retenu & accumulé dans le cerveau par la compression que fait la corde sur les jugulaires. Le froid est quelquefois & dans certains pays si violent, que les personnes les plus robustes ne sauroient y être exposées pendant quelque tems sans perdre la vie de tout le corps ou de quelque partie : son effet le plus sensible est de suspendre le mouvement des humeurs, & d’exciter une gangrene locale ou universelle ; cependant lorsqu’il est poussé au dernier degré d’intensité., il empêche la putréfaction, il desseche les solides, les resserre puissamment, & gele pour ainsi dire les fluides. Ceux qui sont morts de cette façon se conservent pendant long-tems : on en a trouvé qui étoient encore frais après bien des années. On pourroit enfin rapporter aux morts violentes celle qui est l’effet des poisons actifs pris intérieurement ou introduits par quelque blessure ou morsure extérieure ; leur action est extrémement variée & fort obscure. Voyez Poison.

III. La mort subite est une cessation prompte des mouvemens vitaux, sans aucun changement considérable extérieur : c’est un passage rapide souvent sans cause apparente de l’exercice le plus florissant des differentes fonctions, à une inaction totale. On cesse de vivre dans le tems où la santé paroît la mieux affermie & le danger le plus éloigné, au milieu des jeux, des festins, des divertissemens, ou dans les bras d’un sommeil doux & tranquille : c’est ce qui faisoit souhaiter aux anciens philosophes de mourir de cette façon ; & en effet, à ne considérer que le présent, c’est la mort la moins désagréable, qui évite les souffrances, les horreurs que ne peuvent manquer d’entraîner les approches de la mort ; qui ne donne pas le tems de tomber dans cet anéantissement affreux, dans cet affaissement souvent honteux pour un philosophe, qui la précede dans d’autres circonstances ; & enfin on n’a pas le tems de regretter la vie, la promptitude de la mort ne permet pas toutes les tristes reflexions qui se présentent à un homme qui la voit s’approcher insensiblement.

On a vû des morts subites déterminées par des passions d’ame vives, par la joie, la terreur, la colere, le dépit, &c. Une dame vaporeuse mourut dans l’instant qu’on lui donnoit un coup de lancette pour la saigner, avant même que le sang sortît. Quelques personnes sont mortes ainsi sans qu’on pût accuser aucune cause précédente, sans que rien parût avoir donné lieu à un changement si prodigieux ; dans la plûpart de ceux qu’on a ouverts, on a trouvé des abscès qui avoient crevé, du sang épanché dans la poitrine ou dans le cerveau, des polypes considérables à l’embouchure des gros vaisseaux. Frédéric Hoffman raconte, sur le témoignage de Graff, médecin de l’électeur Palatin, qu’un nombre considérable de soldats étant morts subitement, on en fit ouvrir cinquante ; il n’y en eut pas un de ceux-là qui n’eût dans le cœur un polype d’une grandeur monstrueuse, monstrosâ magnitudine. Georges Greisell assure qu’il a trouvé de semblables concrétions dans le cœur ou le cerveau de tous ceux qui sont morts d’apoplexie ou de catarre, Miscell. nat. curios. 1670, observ. LXXIV. Wepfer dit avoir vû dans le cadavre d’un homme mort subitement apoplectique, un polype d’une étendue immense, qui non-seulement occupoit les carotides & les vaisseaux un peu considérables du cerveau, mais se distribuoit encore dans tous les sinus & anfractuosités de ce viscere ; on comprend facilement comment de semblables dérangemens peuvent suspendre tout-à-coup le mouvement progressif du cœur & faire cesser la vie ; mais il arrive quelquefois que tous les visceres paroissent dans un état sain & naturel, on ne trouve aucun éclaircissement dans l’ouverture du cadavre sur la cause de la mort ; c’est principalement dans le cas de mort subite excitée par des passions d’ame vives, par des douleurs aiguës inattendues, il n’y a alors qu’une affection nerveuse ; il y a lieu de présumer que le même spasme qui s’observe à l’extérieur, occupe les extrémités du cœur, & les empêche d’admettre le sang ou de réagir contre lui. Il est à propos d’observer ici que la mort subite peut aussi arriver dans le cours d’une indisposition, d’une maladie, par les mêmes causes qui la déterminent en santé, indépendamment de celle de la maladie ; un malade trompe quelquefois le prognostic le mieux fondé, il meurt avant le tems ordinaire & sans que les signes mortels ayent précédé, ou par une passion d’ame, ou par quelque dérangement interne qu’on ne sauroit prévoir : on voit des exemples de cette mort dans quelques fievres malignes, ceux qui en sont attaqués meurent dès le troisieme ou quatrieme jour, au grand étonnement des assistans & du médecin même qui ne s’attendoit à rien moins ; le cadavre ouvert ne laisse appercevoir aucune cause de mort, pas le moindre vice dans aucun viscere : ces cas méritent d’être sérieusement examinés ; n’y a-t-il pas lieu de soupçonner qu’on se presse trop d’ouvrir & d’enterrer ceux qui sont morts ainsi ?

IV. La mort qui doit être uniquement appellée mort de maladie, est celle qui arrive dans les derniers tems, lorsque les symptomes, les accidens, la foiblesse sont parvenus au plus haut période ; dans les maladies aiguës, la mort arrive d’ordinaire dans le tems où la maladie ayant parcouru ses différens périodes, se termineroit par quelque crise salutaire si elle avoit tourné heureusement ; de façon qu’on peut la regarder comme une des terminaisons des crises de la maladie où la nature a eu le dessous. On pourroit juger & raisonner d’une fievre aiguë comme d’une inflammation ; car comme cette affection locale se termine par la résolution, ou par la suppuration, ou enfin par la gangrene, de même les maladies aiguës se guérissent entierement ou dégénerent en maladies chroniques, ou enfin finissent par la mort de tout le corps ; en approfondissant cette matiere on trouveroit beaucoup de rapport dans la façon dont ces différentes terminaisons s’operent dans l’un & l’autre cas. Voyez Inflammation & Maladie aigue. Toutes les maladies aiguës se ressemblent assez par leurs causes, leur marche, leurs effets, & leur terminaison ; elles ne me paroissent différer qu’accidentellement par un siege particulier, par la lesion spéciale, primitive, chronique de quelque viscere, par l’altération plus ou moins forte du sang, causes qui en rendent le danger plus ou moins pressant. L’effet le plus heureux, le plus complet de l’augmentation qu’on observe alors dans le mouvement du sang, du cœur & des arteres, est de rappeller ou de suppléer l’excrétion dont la suppression avoit donné naissance à la maladie, de corriger & de refondre, pour ainsi dire, les humeurs, & enfin de rétablir l’exercice des organes affectés. Lorsque la gravité du mal, le dérangement considérable des visceres, la foiblesse des forces empêchent la réussite de ces efforts, l’altération du sang augmente, il ne se fait aucune coction, ou elle n’est qu’imparfaite, suivie d’aucune excrétion ; le sang n’obéit que difficilement aux coups redoublés du cœur & des vaisseaux, & leurs pulsations deviennent plus fréquentes, à mesure que la lenteur du mouvement du sang augmente, les obstacles opposés à la circulation se multiplient, les forces continuellement dissipées & jamais reparées vont en décroissant ; le mouvement progressif du sang diminue peu-à-peu, & enfin cesse entierement ; les battemens du cœur & des arteres sont suspendus, la gangrene universelle se forme, & la mort est décidée. Tous ces changemens que nous venons d’exposer se manifestent par différens signes qui nous font connoître d’avance le sort funeste de la maladie. Il ne nous est pas possible d’entrer ici dans le détail de tous les signes mortels, qui varient dans les différentes maladies, on pourra les trouver exposés aux articles de seméiotique, comme pouls, respiration, urine, &c. dont on les tire, & aux maladies qu’ils caractérisent : nous n’en rapporterons à présent que quelques généraux qui se rencontrent presque toujours chez les mourans, qui précedent & annoncent une mort prochaine. La physionomie présente un coup-d’œil frappant, surtout pour le médecin expérimenté, dont les yeux sont accoutumés à l’image de la mort ; une pâleur livide défigure le visage ; les yeux sont enfoncés, obscurs, recouverts d’écailles, la pupile est dilatée, les tempes sont affaissées, la peau du front dure, le nez éffilé, les levres tremblantes ont perdu leur coloris ; la respiration est difficile, inégale, stercoreuse ; le pouls est foible, fréquent, petit, intermittent ; quelquefois les pulsations sont assez élevées, mais on sent un vuide dans l’artere, le doigt s’y enfonce sans résistance ; bien-tôt après le pouls fuit de dessous le doigt ; les pulsations semblent remonter ; elles deviennent insensibles au poignet ; en appliquant la main au pli du coude, lorsque l’artere n’est pas trop enfoncée, on les y apperçoit encore ; c’est un axiome proposé par Hippocrate, & fort accrédité chez le peuple, que la mort ne tarde pas lorsque le pouls est remonté au coude, enfin tous ces battemens deviennent imperceptibles, le nez, les oreilles & les extrémités sont froides, on n’apperçoit plus qu’un léger sautillement au côté gauche de la poitrine, avec un peu de chaleur, qui cessent enfin tout-à-fait, & le malade meurt dans des efforts inutiles pour respirer. Il n’est pas rare de trouver dans les cadavres des engorgemens inflammatoires, des dépôts, des gangrenes dans les visceres, qui ont souvent accéléré & déterminé la mort ; ces desordres sont plûtôt l’effet que la cause de la maladie ; il est cependant assez ordinaire aux médecins qui font ouvrir les cadavres, d’appuyer sur ces accidens secondaires, souvent effets de l’art, l’impossibilité de la guérison, ils montrent à des assistans peu instruits tous ces desordres comme des preuves de la gravité de la maladie, & justifient à leurs yeux leur mauvais sucès. Il y a quelquefois des maladies pestilentielles, des fievres malignes qui se terminent au trois ou quatrieme jour par la mort ; le plus souvent on trouve des gangrenes internes, causes suffisantes de mort. Ces gangrenes paroissent être une source d’exhalaisons mephitiques, qui se portant sur les nerfs, occasionnent un relâchement mortel ; ces maladies si promptes semblent aussi attaquer spécialement les nerfs, & empêcher principalement leur action ; le symptôme principal est une foiblesse extreme, un affaissement singulier ; on peut rapporter à la mort qui termine les maladies aiguës, celle qui est déterminée par une abstinence trop longue, qui suit l’inanition ; il est bien difficile de décider en quoi & comment les alimens donnent, entretiennent & rétablissent les forces ; leur effet est certain, quoique la raison en soit inconnue : dès qu’on cesse de prendre des alimens, ou qu’ils ne parviennent point dans le sang, ou enfin quand la nutrition n’a pas lieu, les forces diminuent, les mouvemens ne s’exécutent qu’avec peine & lassitude, les contractions du cœur s’affoiblissent, le mouvement intestin du sang n’étant pas retenu par l’abord continuel d’un nouveau chyle, se développe, les différentes humeurs s’alterent, la salive acquiert une âcreté très-marquée, la machine s’affaisse insensiblement, les défaillances sont fréquentes, la foiblesse excessive, enfin le malade reste enseveli dans une syncope éternelle.

Dans les maladies chroniques la mort vient plus lentement que dans les aiguës, elle se prépare de loin, & d’autant plus sûrement ; elle s’opere à-peu-près de même ; quand la maladie chronique est prête à se terminer par la santé ou par la mort, elle devient aiguë. Toute maladie chronique qui est établie, fondée sur un vice particulier, une obstruction de quelques visceres, sur-tout du bas-ventre, qui donne lieu à l’état cachectique qui les accompagne toujours, à des jaunisses, des hydropisies, &c. qui empêche toujours la nutrition, la parfaite élaboration du sang, de façon qu’il est rapide, sans ton, sans force, & sans activité ; le mouvement intestin languit, les nerfs sont relâchés, les vaisseaux affoiblis, peu sensibles, la circulation est dérangée ; les forces, produit de l’action réciproque de tous les visceres manquent, diminuent de jour en jour, le pouls est concentré, muet, & conservant toujours un caractere d’irritation ; lorsque la maladie tend à sa fin il devient inégal, intermittent, foible, & se perd enfin tout-à-fait ; il ne sera pas difficile de comprendre pourquoi la lesion d’un viscere particulier entraîne la cessation des mouvemens vitaux, si l’on fait attention, 1°. qu’ils sont tous nécessaires à la vie ; 2°. que la circulation influe sur les actions de tous les autres visceres, & qu’elle est réciproquement entretenue & différemment modifiés par leur concours mutuel ; 3°. que le moindre dérangement dans l’action d’un viscere fait sur les organes de la circulation une impression sensible que le médecin éclairé peut appercevoir dans le pouls : ainsi la circulation peut être & est effectivement quelquefois troublée, diminuée, & totalement anéantie par un vice considérable dans un autre organe. On trouve ordinairement dans ceux qui sont morts de maladies chroniques beaucoup de desordres dans le bas-ventre, le foie, la ratte engorgés, abscédés, corrompus, les glandes du mésentere durcies, le pancréas skirrheux, &c. les poumons sont souvent remplis de tubercules, le cœur renferme des polypes, &c.

Avant de terminer ce qui regarde les causes de la mort, je ne puis m’empêcher de faire observer qu’on accuse très-souvent les Médecins d’en augmenter le nombre. Cette accusation est pour l’ordinaire dictée par la haine, le caprice, le chagrin, la mauvaise humeur, presque toujours portée sans connoissance de cause ; cependant, helas ! elle n’est que trop souvent juste ; quoique passionnément attaché à une profession que j’ai pris par goût & suivi avec plaisir, quoique rempli d’estime & de vénération pour les Médecins, la force de la vérité ne me permet pas de dissimuler ce qu’une observation constante m’a appris pendant plusieurs années, c’est que dans les maladies aiguës il arrive rarement que la guérison soit l’ouvrage du médecin, & au contraire, la mort doit souvent être imputée à la quantité & à l’inopportunité des remedes qu’il a ordonnés. Il n’en est pas de même dans les chroniques, ces maladies au-dessus des forces de la nature, exigent les secours du médecin ; les remedes sont quelquefois curatifs, & la mort y est ordinairement l’effet de la maladie, abandonnée à elle même sans remedes actifs ; en général on peut assurer que dans les maladies aiguës on médicamente trop & à contre-tems, & que dans les chroniques on laisse mourir le malade faute de remedes qui agissent efficacement, il ne manqueroit pas d’observations pour constater & confirmer ce que nous avons avancé. Un médecin voit un malade attaqué d’une fluxion de poitrine, c’est-à-dire d’une fievre putride inflammatoire ; persuadé que la saignée est le secours le plus approprié pour résoudre l’inflammation, il fait faire dans trois ou quatre jours douze ou quinze saignées, la fievre diminue, le pouls s’affaisse, les forces s’épuisent ; dans cet état de foiblesse, ni la coction ni la crise ne peuvent avoir lieu, & le malade meurt. Un autre croit que l’inflammation est soutenue par un mauvais levain dans les premieres voies ; partant de cette idée, il purge au-moins de deux jours l’un ; heureusement les purgatifs peu efficaces qu’il emploie ne font que lâcher le ventre, chasser le peu d’excrémens qui se trouvent dans les intestins ; les efforts de la nature dans le tems d’irritation n’en sont que foiblement dérangés ; la coction se fait assez passablement, l’évacuation critique se prépare par les crachats ; on continue les purgatifs parce que la langue est toujours chargée & qu’il n’y a point d’appétit ; mais à-présent ils cessent d’être indifférens, ils deviennent mauvais, ils empêchent l’évacuation critique ; la matiere des crachats reste dans les poumons, s’y accumule, y croupit ; le sang ne se dépure point, la fievre continue devient hectique, les forces manquent totalement, & la mort survient. Une jeune dame de considération est attaquée d’une fievre putride qui porte légerement à la gorge ; le pouls est dans les commencemens petit, enfoncé, ne pouvant se développer ; comme la malade a de quoi payer, on appelle en consultation plusieurs médecins qui regardant la maladie comme un mal de gorge gangréneux ; croyant même déjà voir la gangrene décidée à la gorge, ils prognostiquent une mort prochaine, & ordonnent dans la vûe de la prévenir, des potions camphrées, & font couvrir la malade de vésicatoires : cependant on donne l’émétique, & on fait même saigner, par l’avis d’un autre médecin appellé ; il y a un peu de mieux, la gorge est entierement dégagée ; on se réduit à dire, vaguement & sans preuves, que le sang est gangrené ; on continue les vésicatoires, les urines deviennent rougeâtres, sanglantes, leur excrétion se fait avec peine & beaucoup d’ardeur ; la malade sent une chaleur vive à l’hypogastre ; les délires & convulsions surviennent ; on voit paroître en même tems d’autres symptômes vaporeux ; le pouls reste petit, ferré, muet, convulsif ; la maladie se termine par la mort ; on ouvre le cadavre, on s’attend de trouver dépôt dans le cerveau, gangrene à la gorge, toutes ces parties sont très-saines ; mais les voies urinaires, & sur-tout la vessie & la matrice paroissent phlogosées & gangrénées. Il n’est personne qui ne voye que ces desordres sont l’effet de l’action spécifique des mouches cantharides. Dans les maladies chroniques la nature ne faisant presque aucun effort salutaire, il est rare qu’on la dérange ; mais comme elle est affaissée, engourdie, elle auroit besoin d’être excitée, ranimée : on l’affadit encore par des laitages & d’autres remedes aussi indifférens qui, loin de suivre cette indication, ne touchent point à la cause du mal, & qui laissent la maladie tendre à la destruction de la machine.

Un homme a depuis long-tems le bas-ventre rempli d’obstruction, il est cachectique, une fievre lente commence à se déclarer, les jambes sont œdémateuses, on lui donne des apozemes adoucissans, des bouillons de grenouille, on hasarde quelques légeres décoctions de plantes apéritives ; la maladie ne laisse pas d’empirer, & le malade meurt enfin hydropique ; on néglige les remedes héroïques, les fondans savonneux, martiaux, &c. Un autre est attaqué d’une phthisie tuberculeuse, il commence à cracher du pus ; le médecin ne fait attention qu’à l’état de suppuration où il croit voir le poumon, il pense que les humeurs sont acres, qu’il ne faut que combattre ces acretés, invisquer par un doux mucilage, & engainer, pour ainsi dire, les petites pointes des humeurs, il donne en conséquence du lait ; s’il entrevoit un peu d’épaississement joint à l’acreté, il donne le petit-lait ou le lait d’anesse ; enfin, il en combine les différentes especes, met son malade à la diete lactée ; mais ces secours inefficaces n’arrêtent point les progrès ni la funeste terminaison de la maladie ; au moins on ne peut pas dire que le médecin dans les chroniques tue ses malades ; tout au plus pourroit-on avancer qu’il les laisse quelquefois mourir. Il seroit bien à souhaiter qu’on fût réduit à un pareil aveu dans les maladies aiguës.

Quelle que soit la cause de la mort, son effet principal immédiat est l’arrêt de la circulation, la suspension des mouvemens vitaux : dès que cette fonction est interrompue, toutes les autres cessent à l’instant ; l’action réciproque des solides entr’eux & sur les humeurs est détruite, le sang reste immobile, les vaisseaux dans l’inaction ; tous les mouvemens animaux sont suspendus. La chaleur & la souplesse des membres qui en sont une suite se perdent, &, par la même raison, l’exercice des sens est aboli, il ne reste plus aucun vestige de sentiment ; mais la sensibilité ou irritabilité, principe du sentiment & du mouvement, subsistent pendant quelque tems ; les parties musculeuses piquées, agacées en donnent des marques incontestables ; le cœur lui-même après qu’il a cessé de se mouvoir peut, étant irrité, recommencer ses battemens. C’est dans la continuation de cette propriété que je fais consister la mort imparfaite ; tant qu’elle est présente, la vie peut revenir, si quelque cause constante peut la remettre en jeu ; il faut pour cela que tous les organes soient dans leur entier, que le mouvement du sang renouvellé ne trouve plus d’obstacles qui l’arrêtent & le suspendent de rechef ; que l’action des causes qui ont excité la mort cesse ; c’est ce qui arrive dans tous les cas où elle doit être attribuée au spasme du cœur, dès que la mort a suspendu les mouvemens, un relâchement considérable succede à cet état de constriction, la moindre cause peut alors rendre la vie & la santé ; le sang lui-même, altéré par le développement du mouvement intestin, peut servir d’aiguillon pour résusciter les contractions du cœur.

Lorsque le sang arrêté quelque-tems, laissé à lui-même, sans mouvement progressif, sans sécrétion, sans être renouvellé par l’abord du chyle ; son mouvement intestin se développé, devient plus actif, & tend enfin à une putréfaction totale, qui détruit le tissu de tous les visceres ; rompt l’union, la cohésion des fibres, bannit toute irritabilité, & met le corps dans l’état apparent de mort absolue : il est bien des cas où même avant que la putréfaction se soit manifestée, les organes ont entierement perdu leur sensibilité, ils ne peuvent recommencer leurs mouvemens quelque secours qu’on emploie. On peut observer cela surtout après les maladies aiguës, où le sang altéré est dans un commencement de putréfaction, où quelques visceres sont gangrenés ; & il est à propos de remarquer que dans ces circonstances, la mort absolue suit de près la mort imparfaite, & que l’on apperçoit bientôt des signes de pourriture. Il en est de même lorsqu’une blessure a emporté, coupé, déchiré les instrumens principaux de la vie ; ou enfin lorsqu’on a fait dissiper toutes les humeurs, qu’on a desséché ou embaumé le corps.

Diagnostic. Il n’est pas possible de se méprendre aux signes qui caractérisent la mort ; les changemens qui différentient l’homme vivant d’avec le cadavre sont très-frappans & très-sensibles ; on peut assurer la mort, dès qu’on n’apperçoit plus aucune marque de vie, que la chaleur est éteinte, les membres roides, inflexibles, que le pouls manque absolument, & que la respiration est tout-à-fait suspendue : pour être plus certain de la cessation de la circulation, il faut porter successivement la main au poignet, au pli du coude, au col, aux tempes, à l’aine & au cœur, & plonger les doigts profondement pour bien saisir les arteres qui sont dans ces différentes parties ; & pour trouver plus facilement les battemens du cœur s’ils persistoient encore, il faut faire pancher le corps sur un des côtés ; on doit prendre garde, pendant ces tentatives, de ne pas prendre le battement des arteres qu’on a au bout de ses propres doigts, & qui devient sensible par la pression, pour le pouls du corps qu’on examine, & de ne pas juger vivant celui qui est réellement mort ; on constate l’immobilité du thorax, & le défaut de respiration en présentant à la bouche un fil de coton fort délié, ou la flamme d’une bougie, ou la glace d’un miroir bien polie ; il est certain que la moindre expiration feroit vaciller le fil & la flamme de la bougie & terniroit la glace ; on a aussi coutume de mettre sur le creux de l’estomac un verre plein d’eau, qui ne pourroit manquer de verser s’il restoit encore quelque vestige de mouvement ; ces épreuves suffisent pour décider la mort imparfaite ; la mort absolue se manifeste par l’insensibilité constante à toutes les incisions, à l’application du feu ou des ventouses, des vésicatoires, par le peu de succès qu’on retire de l’administration des secours appropriés. On doit cependant être très-circonspect à décider la mort absolue, parce que un peu plus de constance peut-être vaincroit les obstacles. Nous avons vu que dans pareil cas, vingt-cinq ventouses ayant été appliquées inutilement, la vingt-sixieme rappella la vie, & dans ces circonstances il n’y a aucune comparaison entre le succès & l’erreur ; la mort absolue n’est plus douteuse quand la putréfaction commence à se manifester.

Prognostic. L’idée de prognostic emportant nécessairement avec soi l’attente d’un événement futur pourra paroître, lorsque la mort est arrivée, singuliere & même ridicule à ceux qui pensent que la mort détruit entierement toute esperance ; confirme les dangers, & réalise les craintes ; mais qu’on fasse attention qu’il est un premier degré de mort, pendant lequel les résurrections sont démontrées possibles, & par un raisonnement fort simple, & par des observations bien constatées. Il s’agit de déterminer les cas où l’on peut, avec quelque fondement, esperer que la mort imparfaite pourra se dissiper, & ceux au contraire où la mort absolue paroît inévitable. Je dis plus, il est des circonstances où l’on peut assurer que la mort est avantageuse, qu’elle produit un bien réel dans la machine, pourvu qu’on puisse après cela la dissiper ; & pour ôter à cette assertion tout air de paradoxe, il me suffira de faire observer que souvent les maladies dépendent d’un état habituel de spasme dans quelque partie, qu’un engorgement inflammatoire est assez ordinairement entretenu & augmenté par la constriction & le resserrement des vaisseaux ; la mort détruisant efficacement tout spasme, lui faisant succéder le relâchement le plus complet, doit être censée avantageuse dans tous les cas d’affection spasmodique ; d’ailleurs la révolution singuliere, le changement prodigieux qui se fait alors dans la machine peut être utile à quelques personnes habituellement malades ; ce que j’avance est confirmé par plusieurs observations, qui prouvent que des personnes attaquées de maladies très-serieuses dès qu’elles ont eu resté quelque-tems mortes, ont été bientôt remises après leur résurrection, & ont joui pendant plusieurs années d’une santé florissante. Voyez le traité de l’incertitude des signes de la mort, §. 4. 5. & 6. On a vu aussi quelquefois dans des hémorrhagies considérables la cessation de tout mouvement devenir salutaire. Les jugemens qu’on est obligé de porter sur les suites d’une mort imparfaite sont toujours très-fâcheux & extrémement équivoques ; on ne peut donner que des espérances fort légeres, qu’on voit même rarement se vérifier. Les morts où ces espérances sont les mieux fondées, sont celles qui arrivent sans lésion, sans destruction d’aucun viscere, qui dépendent de quelqu’affection nerveuse, spasmodique, qui sont excitées par des passions d’ame, par la vapeur des mines, du charbon, du vin fermentant, des mouffetes, par l’immersion dans l’eau ; lorsqu’il n’y a dans les pendus que la respiration d’interceptée, ou même une accumulation de sang dans le cerveau sans luxation des vertebres, on peut se flatter de les rappeller à la vie ; il en est de même de la mort qui vient dans le cours d’une maladie sans avoir été prévenue & annoncée par les signes mortels ; les morts volontaires ou extatiques n’ont, pour l’ordinaire, aucune suite facheuse ; elles se dissipent d’elles-mêmes. S’il en faut croire les historiens, il y a des personnes qui en font métier, sans en éprouver aucun inconvénient ; il est cependant à craindre que le mouvement du sang, souvent suspendu, ne donne naissance à des concrétions polypeuses dans le cœur & le gros vaisseau. La mort naturelle qui termine les vieillesses décrépites ne peut pas se dissiper, le retour de la vie est impossible, de même que dans les morts violentes où les nerfs cardiaques sont coupés, le cerveau considérablement blessé, la partie médullaire particulierement affectée ; la destruction du cœur, des poumons, de la trachée artere, des gros vaisseaux, des visceres principaux, &c. entraîne aussi nécessairement la mort absolue, il est rate qu’elle ne succede pas promptement à la mort imparfaite, lorsqu’elle est amenée par quelque maladie, & qu’elle est précédée des signes mortels. Il y a cependant quelques observations qui font voir que la mort, arrivée dans ces circonstances, a été dissipée. Enfin il n’y a plus d’espoir lorsque la putréfaction est décidée ; nous n’avons aucune observation dans les fastes de la Médecine de résurrection opérée après l’apparition des signes de-pourriture.

Curation. C’est un axiome généralement adopté que

Contra vim mortis nullum est medicamen in hortis.

qu’à la mort il n’y a point de remede ; nous osons cependant assurer, fondés sur la connoissance de la structure & des propriétés du corps humain, & sur un grand nombre d’observations, qu’on peut guérir la mort, c’est-à-dire, appeller le mouvement suspendu du sang & des vaisseaux, jusqu’à ce que la putréfaction manifestée nous fasse connoître que la mort est absolue, que l’irritabilité est entierement anéantie, nous pouvons esperer d’animer ce principe, & nous ne devons rien oublier pour y réussir. Je n’ignore pas que ce sera fournir dans bien des occasions un nouveau sujet de badinage & de raillerie à quelques rieurs indiscrets, & qu’on ne manquera pas de jetter un ridicule sur les Médecins, qui étendront jusqu’aux morts l’exercice de leur profession. Mais en premier lieu, la crainte d’une raillerie déplacée ne balancera jamais dans l’esprit d’un médecin sensé l’intérêt du public, & ne le fera jamais manquer à son devoir. 2°. Quoique dans le plus grand nombre de cas les secours administrés soient inutiles pour dissiper la mort ; ils servent de signes pour constater la mort absolue, & empêchent de craindre que les morts reviennent à la vie dans un tombeau où il ne seroit pas possible de s’en appercevoir, & où ils seroient forcés de mourir une seconde fois, de faim, de rage & de désespoir. 3°. Enfin, l’espérance de réussir doit engager les Médecins à ne pas abandonner les morts ; un seul succès peut dédommager de mille tentatives infructueuses ; l’amour-propre peut il être plus agréablement flatté que par la satisfaction vive & le plaisir délicat d’avoir donné la vie à un homme, de l’avoir tiré des bras même de la mort ? Y a-t-il rien qui rende les hommes plus approchans de la divinité que des actions semblables ? D’ailleurs rien n’est plus propre à augmenter la réputation & l’intérêt qui en est d’ordinaire la suite, attraits plus solides, mais moins séduisans. Toute l’antiquité avoit une admiration & une vénération pour Empedocle, parce qu’il avoit rendu l’usage de la vie à une fille qui n’en donnoit depuis quelque-tems aucun signe, & qu’on croyoit morte. Apollonius de Tyane soutint par une résurrection très-naturelle qu’il opéra avec un peu de charlatanisme, sa réputation de sorcier, & fit croire qu’il avoit des conversations avec le diable ; voyant passer le convoi d’une femme morte subitement le jour de ses nôces, il fait suspendre la marche, s’approche de la biere, empoigne la femme, la sécoue rudement, & lui dit du air mystérieux quelques paroles à l’oreille ; la morte donne à l’instant quelques signes de vie, & attire par-là une grande vénération au rusé charlatan ; c’est par de semblables tours d’adresse qu’on donne souvent un air de surnaturel & de magique à des faits qui n’ont rien d’extraordinaire. Asclépiade, médecin, fut dans un pareil cas aussi heureux & moins politique, ou charlatan ; il vit dans une personne qu’on portoit en terre quelques signes de vie, ou des espérances de la rappeller, la fait reporter chez elle, malgré la résistance des héritiers avides, & lui rendit, par les secours convenables, la vie & la santé. Pour compromettre encore moins sa réputation & l’efficacité des remedes appropriés, un médecin doit faire attention aux circonstances où ils seroient tout-à fait inutiles, comme lorsque la mort absolue est décidée, ou qu’elle paroît inévitable ; lorsque la pourriture se manifeste, lorsque quelque viscere principal est détruit, lorsque la mort est le dernier période de la vieillesse, &c. il seroit, par exemple, très-absurde de vouloir rappeller à la vie un homme à qui on auroit tranché la tête, arraché le cœur, coupe l’aorte, l’artere pulmonaire, la trachée artere, les nerfs cardiaques, &c. on ne peut raisonnablement s’attendre à quelqu’effet des secours, que pendant le tems que l’irritabilité subsiste, & que les différens organes conservent leur structure, leur force & leur cohésion ; l’expérience nous montre les moyens dont nous devons nous servir pour renouveller les mouvemens suspendus ; elle nous apprend que l’irritation faite sur les parties musculeuses sur le cœur, en fait recommencer les contractions ; ainsi un médecin qui se propose de rappeller un mort à la vie, après s’être assuré que la mort est imparfaite, doit au plûtot avoir recours aux remedes les plus actifs ; ils ne sauroient pécher par trop de violence, & choisir sur-tout ceux qui agissent avec force sur les nerfs, qui les sécouent puissamment ; les émétiques & les cordiaux énergiques seroient d’un grand secours, si on pouvoit les faire avaler, mais souvent on n’a pas cette ressource, on est borné à l’usage des secours exterieurs & moyens. Alors, il faut secouer, piquer, agacer les différentes parties du corps, les irriter par les stimulans appropriés ; 1°. les narines par les sternutatoires violens, le poivre, la moutarde, l’euphorbe, l’esprit de sel ammoniac, &c. 2°. les intestins par des lavemens acres faits avec la fumée ou la décoction de tabac, de sené, de coloquinte, avec une forte dissolution de sel marin ; 3°. le gosier, non pas avec des gargarismes, comme quelques auteurs l’ont conseille, sans faire attention qu’ils exigent l’action des muscles du palais, de la langue & des joues, mais avec les barbes d’une plume, ou avec l’instrument fait exprès qui, à cause de son effet, est appellé la ratissoire ou le balai de l’estomac ; & souvent ces chatouillemens font une impression plus sensible que les douleurs les plus vives ; 4°. enfin tout le corps par des frictions avec des linges chauds imbibes d’essences spiritueuses aromatiques, avec des brosses de crin, ou avec la main simplement, par des ventouses, des vésicatoires, des incisions, & enfin par l’application du feu ; toutes ces irritations extérieures doivent être faites dans les parties les plus sensibles, & dont la lésion est la moins dangereuse : les incisions, par exemple, sur des parties tendineuses, à la plante des piés, les frictions, les vésicatoires & les ventouses font plus d’effet sur l’épine du dos & le mamelon. Une sage-femme a rappellé plusieurs enfans nouveau nés à la vie, en frottant pendant quelque-tems, avec la main sèche, le mamelon gauche ; personne n’ignore à quel point cette partie est sensible, & lorsque la friction ne suffisoit pas, elle suçoit fortement à plusieurs reprises ce mamelon, ce qui faisoit l’effet d’une ventouse. On ne doit pas se rebuter du peu de succès qui suit l’administration de ces secours, on doit les continuer, les varier, les diversifier ; le succès peut amplement dédommager des peines qu’on aura prises ; quelquefois on s’est bien trouvé de plier les morts dans des peaux de moutons récemment égorgés, dans des linges bien chauds, trempés d’eau-de-vie, leur ayant fait avaler auparavant, par force, quelque élixir spiritueux, puissant, sudorifique. On ne doit pas négliger l’application des épithèmes, des épicarpes composés avec des cordiaux les plus vifs, parce qu’on n’a aucun mauvais effet à en redouter, & quelque observation en constate l’efficacité ; Borel assure s’être servi avec succès de roties de pain pénétrées d’eau-de-vie chaude, qu’on appliquoit sur la région du cœur, & qu’on changeoit souvent. Il est encore un secours imaginé par la tendresse, consacré par beaucoup d’expériences & d’observations, & par l’usage heureux qu’en faisoient les Prophetes, au rapport des historiens. Ils se couchoient sur la personne qu’ils vouloient résusciter, souffloient dans la bouche, & rappelloient ainsi l’exercice des fonctions vitales ; c’est par cet ingénieux stratagème qu’un valet rendit la vie à un maître qu’il chérissoit : lorsqu’il vit qu’on alloit l’enterrer, il se jette avec ardeur sur son corps, l’embrasse, le secoue, appuie sa bouche contre la sienne, l’y laisse collée pendant quelque-tems, il renouvelle par ce moyen le jeu des poumons, qui ranime la circulation, & bien tôt il s’apperçoit que la vie revient. On a substitué à ce secours, qui pourroit être funeste à l’ami généreux qui le donne, l’usage du soufflet, qui peut, par le même méchanisme, opérer dans les poumons les mouvemens alternatifs d’inspiration & d’expiration. Ce secours peut être principalement utile aux noyés, & à ceux qui meurent par le défaut de respiration dans les mouffetes, dans les caves, dans les tombeaux, &c. quelquefois il n’est pas possible d’introduire l’air dans les poumons, l’épiglotte abaissé fermant exactement l’orifice du larinx ; si alors on ne peut pas la soulever, il faut en venir promptement à l’opération de la trachéotomie, & se servir du trou fait à la trachée-artere pour y passer l’extrèmité du soufflet ; outre ces secours généraux, qu’on peut employer assez indifféremment dans toutes sortes de morts, il y en a de particuliers qui ne conviennent que dans certains cas. Ainsi, pour rappeller à la vie ceux qui sont morts de froid, il ne faut pas les présenter au feu bien fort tout de suite ; il ne faut les rechauffer que par nuances, les couvrir d’abord de neige, ensuite du fumier, dont on peut augmenter graduellement la chaleur. Lorsqu’il arrive à quelque voyageur dans le Canada de mourir ainsi de froid, on l’enterre dans la neige, où on le laisse jusqu’au lendemain, & il est pour l’ordinaire en état de se remettre en chemin. Le secours le plus avantageux aux pendus sont les frictions, les bains chauds & la saignée ; ils ne manquent guere de réussir quand ils sont appliqués à tems, & qu’il n’y a point de luxation ; lorsque la mort n’est qu’une affection nerveuse, c’est-à-dire, dépendante d’un spasme universel ou particulier au cœur, on la dissipe par la simple aspersion de l’eau froide, par l’odeur fétide de quelque résineux, & par les sternutatoires. Je remarquerai seulement à l’égard de ces morts, qu’il n’est pas nécessaire de beaucoup se presser de les secourir ; la mort imparfaite est assez longue, & l’irritabilité se soutient assez long-tems ; je crois même qu’il seroit plus prudent d’attendre que la constriction spasmodique eût été détruite par la mort même ; les remedes appliqués pour lors opéreroient plutôt & plus efficacement ; en effet, on observe que souvent la mort récente résiste aux secours les plus propres précipitamment administrés, tandis que deux, trois jours après, elle se dissipe presque d’elle même. D’ailleurs, par une guerison trop prompte, on prévient les bons effets qui pourroient résulter d’une suspension totale de mouvement dans la machine. La précipitation est encore plus funeste dans les morts qui sont la suite d’une blessure considérable, & l’effet d’une grande hémorragie ; il est certain que dans ce cas toute l’espérance du salut est dans la mort ; l’hémorragie continue tant qu’il y a du mouvement dans les humeurs ; leur repos permet au contraire aux vaisseaux de se consolider, & au sang de se cailler ; c’est aussi une méthode très-pernicieuse que d’essayer de tirer par des cordiaux actifs les malades de la syncope, ou de la mort salutaire où ils sont ensevelis ; ces remedes ne font qu’un effet passager, qui est bien-tôt suivi d’une mort absolue ; ainsi, lorsque la blessure n’est pas extérieure, & qu’on ne peut pas v appliquer des styptiques, il faut laisser long-tems les morts à eux-mêmes, & après cela ne les ranimer qu’insensiblement, & les soutenir, autant qu’on pourra, dans cet état de foiblesse. Nous avertissons en finissant, qu’on doit varier les différens secours que nous avons proposés suivant les causes qui ont excité la mort, l’état du corps qui l’a précédé, & les symptomes qu’on observe. (m)

Mort civile, (Jurisprud.) est l’état de celui qui est privé de tous les effets civils, c’est-à-dire de tous les droits de citoyen, comme de faire des contrats qui produisent des effets civils, d’ester en jugement, de succéder, de disposer par testament : la jouissance de ces différens droits compose ce que l’on appelle la vie civile ; de maniere que celui qui en est privé est reputé mort selon les lois, quant à la vie civile ; & cet état opposé à la vie civile, est ce que l’on appelle mort civile.

Chez les Romains la mort civile provenoit de trois causes différentes ; ou de la servitude, ou de la condamnation à quelque peine qui faisoit perdre les droits de cité, ou de la fuite en pays étranger.

Elle étoit conséquemment encourue par tous ceux qui souffroient l’un des deux changemens d’état appellés en Droit maxima & minor, seu media capitis diminutio.

Le mot caput étoit pris en cette occasion pour la personne, ou plûtôt pour son état civil pour les droits de cité ; & diminutio signifioit le changement, l’altération qui survenoit dans son état.

Le plus considérable de ces changemens, celui que l’on appelloit maxima capitis diminutio ; étoit lorsque-quelqu’un perdoit tout à-la-fois les droits de cité & la liberté, ce qui arrivoit en différentes manieres. 1°. Par la condamnation au dernier supplice ; car dans l’intervale de la condamnation à l’exécution, le condamné étoit mort civilement. 2°. Lorsque pour punition de quelque crime on étoit déclaré esclave de peine, servus pana : on appelloit ainsi ceux qui étoient damnati ad bestias, c’est-à-dire condamnés à combatre contre les bêtes. Il en étoit de même de tous ceux qui étoient condamnés à servir de spectacle au peuple. Le czar Pierre I. condamnoit des gens à être fous, en leur disant je te fais fou. Ils étoient obligés de porter une marote, des grelots & autres signes, & d’amuser la cour. Il condamnoit quelquefois à cette peine, les plus grands seigneurs ; ce que l’on pourroit regarder comme un retranchement de la société civile. Ceux qui étoient condamnés in metallum, c’est-à-dire à tirer les métaux des mines ; ou in opus metalli, c’est-à-dire à travailler aux métaux tirés des mines. La condamnation à travailler aux salines, à la chaux, au soufre, emportoit aussi la privation des droits de cité, lorsqu’elle étoit prononcée à perpétuité. Les affranchis qui s’étoient montrés ingrats envers leurs patrons, étoient aussi déclarés esclaves de peine. 3° Les hommes libres qui avoient eu la lâcheté de se vendre eux-mêmes, pour toucher le prix de leur liberté, en la perdant étoient aussi déchus des droits de cité.

La novelle XXII. chap. viij. abrogea la servitude de peine ; mais en laissant la liberté à ceux qui subissoient les condamnations dont on vient de parler, elle ne leur rendit pas la vie civile.

L’autre changement d’état qui étoit moindre, appellé minor, seu media capitis diminutio, étoit lorsque quelqu’un perdoit seulement les droits de cité, sans perdre en même tems sa liberté ; c’est ce qui arrivoit à ceux qui étoient interdits de l’eau & du feu, interdicti aquâ & igne. On regardoit comme retranchés de la société ceux qu’il étoit défendu d’assister de l’usage de deux choses si nécessaires à la vie naturelle. Ils se trouvoient par-là obligés de sortir des terres de la domination des Romains. Auguste abolit cette peine à laquelle on substitua celle appellée deportatio in insulam. C’étoit la peine du bannissement perpétuel hors du continent de l’Italie, ce qui emportoit mort civile, à la différence du simple exil, appellé relegatio, lequel soit qu’il fût à tems, ou seulement perpétuel, ne privoit point des droits de cité.

Il y avoit donc deux sortes de mort civile chez les Romains ; l’une qui emportoit tout à la fois la perte de la liberté & des droits de cité ; l’autre qui emportoit la perte des droits de cité seulement. Du reste, la mort civile opéroit toûjours les mêmes effets quant à la privation des droits de cité. Celui qui étoit mort civilement, soit qu’il restât libre ou non, n’avoit plus ses enfans sous sa puissance : il ne pouvoit plus affranchir ses esclaves : il ne pouvoit ne succéder, ni recevoir un legs, ni laisser sa succession, soit ab intestat, ou par testament : tous ses biens étoient confisqués : en un mot, il perdoit tous les privileges du Droit civil, & conservoit seulement ceux qui sont du Droit des gens.

En France, il n’y a aucun esclave de peine, ni autres ; les serfs & mortaillables, quoique sujets à certains devoirs personnels & réels envers leur seigneur, conservent cependant en général la liberté & les droits de cité. Il y a néanmoins dans les colonies françoises des esclaves, lesquels ne jouissent point de la liberté, ni des droits de cité ; mais lorsqu’ils viennent en France, ils deviennent libres, à moins que leurs maîtres ne fassent leur déclaration à l’amirauté, que leur intention est de les remmener aux îles. Voyez Esclaves.

La mort civile peut procéder de plusieurs causes différentes ; ou de la profession religieuse ; ou de la condamnation à quelque peine qui fait perdre les droits de cité ; ou de la sortie d’un sujet hors du royaume, pour fait de religion, ou pour quelque autre cause que ce soit, lorsqu’elle est faite sans permission du roi, & pour s’établir dans un pays étranger.

Chez les Romains, la profession religieuse n’emportoit point mort civile, au-lieu que parmi nous, elle est encourue du moment de l’émission des vœux. Un religieux ne recouvre pas la vie civile, ni par l’adoption d’un bénéfice, ni par la sécularisation de son monastere, ni par sa promotion à l’épiscopat.

Les peines qui operent en France la mort civile sont : 1° toutes celles qui doivent emporter la mort naturelle : 2° les galeres perpétuelles : 3° le bannissement perpétuel hors du royaume : la condamnation à une prison perpétuelle.

Dans tous ces cas la mort civile n’est encourue que par un jugement contradictoire, ou par contumace.

Quand la condamnation est par contumace, & que l’accusé est décédé après les cinq ans sans s’être représenté, ou avoir été constitué prisonnier, il est reputé mort civilement du jour de l’exécution du jugement de contumace.

Il y a pourtant une exception pour certains crimes énormes, tels que celui de lése-majesté divine ou humaine, le duel, le parricide, &c. dans ces cas la mort civile est encourue du jour du délit ; mais elle ne l’est pas ipso facto, & ce n’est toûjours qu’après un jugement comme il vient d’être dit : tout ce que l’on a ajouté de plus à l’égard de ces crimes, c’est que la mort civile qui résulte des peines prononcées par le jugement, a un effet rétroactif au jour du délit.

Hors ces cas, celui qui est in reatu n’est pas reputé mort civilement ; cependant si les dispositions qu’il a faites sont en fraude, on les déclare nulles.

Celui qui est mort civilement demeure capable de tous les contrats du Droit des gens ; mais il est incapable de tous les contrats qui tirent leur origine du Droit civil : il est incapable de succéder soit ab intestat, ou par testament, ni de recevoir aucun legs : il ne peut pareillement tester, ni faire aucune donation entre-vifs, ni recevoir lui-même par donation, si ce n’est des alimens.

Le mariage contracté par une personne morte civilement est valable, quant au sacrement ; mais il ne produit point d’effets civils.

Enfin celui qui est mort civilement ne peut ni ester en jugement, ni porter témoignage ; il perd les droits de puissance paternelle ; il est déchu du titre & des privileges de noblesse, & la condamnation qui emporte mort civile, fait vaquer tous les bénéfices & offices dont le condamné étoit pourvu.

La mort civile, de quelque cause qu’elle procede, donne ouverture à la succession de celui qui est ainsi reputé mort.

Lorsqu’elle procede de quelque condamnation, elle emporte la confiscation dans les pays où la confiscation a lieu, & au profit de ceux auxquels la confiscation appartient. Voyez Confiscation.

Les biens acquis par le condamné depuis sa mort civile, appartiennent après sa mort naturelle, par droit de deshérence, au seigneur du lieu où ils se trouvent situés.

L’ordonnance de 1747 décide que la mort civile donne ouverture aux substitutions.

La mort civile éteint l’usufruit en général, mais non pas les pensions viageres, parce qu’elles tiennent lieu d’alimens : par la même raison le douaire peut subsister, lorsqu’il est assez modique pour tenir lieu d’alimens.

Toute société finit par la mort civile ; ainsi en cas de mort civile du mari ou de la femme, la communauté de biens est dissoute, chacun des conjoints reprend ce qu’il a apporté.

Si c’est le mari qui est mort civilement, il perd la puissance qu’il avoit sur sa femme, celle-ci peut demander son augment de dot & ses bagues & joyaux coutumiers, en donnant caution ; mais elle ne peut pas demander ni deuil, ni douaire, ni préciput.

Il y avoit chez les Romains différens degrés de restitution, contre les condamnations pénales : quelquefois le prince ne remettoit que la peine, quelquefois il remettoit aussi les biens ; enfin il remettoit quelquefois aussi les droits de cité, & même les honneurs & dignités.

Il en est de même parmi nous ; les lettres d’abolition, de commutation de peine, de pardon, de rappel de ban ou des galeres, les lettres de réhabilitation, celles de rémission, rendent la vie civile, lorsqu’elles sont valablement enthérinées.

Les lettres de revision operent le même effet, lorsque le premier jugement est déclaré nul, & que l’accusé est renvoyé de l’accusation.

Les lettres pour ester à droit, après les cinq ans de la contumace, ne donnent que la faculté d’ester en jugement.

La représentation du condamné par contumace, dans les cinq ans, lui rend de droit la vie civile.

Quoique la peine du crime se prescrive par vingt ans, lorsqu’il n’y a point eu de condamnation, & par trente ans lorsqu’il y a eu condamnation, la prescription ne rend pas la vie civile.

Sur la mort civile, voyez les lois civiles, liv. prélimin. Le Brun, des successions, liv. I. chap. j. sect. 2. Ferrieres sur l’art. 229 de la coutume de Paris. Augend, tom. II. chap. lxvij. Franc. Marc, tom. I. quest. 911. le traité de M. Richer de la mort civile. M. Duparc Poulam, sur l’art. 610 de la coutume de Bretagne. Hevin sur Frain, page 887. Voyez aussi les mots Bannissement, Contumace, Galeres, Lettres de Grace et Rappel, Réhabilitation. (A)

Mort, se dit figurément en plusieurs manieres dans le Commerce. On appelle un argent mort, un fonds mort, l’argent & le fonds qui ne portent aucun intérêt. Voyez Intérêt. On dit que le commerce est mort, quand il est tombé & qu’il ne s’en fait presque plus. Dictionn. de Comm.

Mort, au jeu de Tontine, sont les joueurs qui ont perdu toute leur reprise, & n’ont d’autre espérance que dans les as que leurs voisins peuvent avoir, & dans les jettons qu’ils leur procurent. Les joueurs qui sont morts n’ont point de cartes devant eux, & ne mêlent point à leur tour comme les autres.