L’Encyclopédie/1re édition/HIÉRARCHIE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 203-204).

* HIÉRARCHIE, s. f. (Hist. ecclésiast.) il se dit de la subordination qui est entre les divers chœurs d’anges qui servent le Très-haut dans les cieux. Saint Denis en distingue neuf, qu’il divise en trois hiérarchies. Voyez Anges.

Ce mot vient d’ἱερὸς, sacré, & de ἀρχὴ, principauté.

Il désigne aussi les différens ordres de fideles, qui composent la société chrétienne, depuis le pape qui en est le chef jusqu’au simple laïque. Voyez Pape.

Il ne paroît pas qu’on ait eu dans tous les tems la même idée du mot hiérarchie ecclésiastique, ni que cette hiérarchie ait été composée de la même maniere. Le nombre des ordres a varié selon les besoins de l’Église, & suivi les vicissitudes de la discipline.

On a permis aux théologiens de disputer sur ce point tant qu’il leur a plû, & il est incroyable en combien des sentimens ils se sont partagés.

Quelques-uns ont prétendu qu’il y avoit bien de la différence entre être dans la hiérarchie & être sous la hiérarchie. Être dans la hiérarchie, selon eux, c’est par la consécration publique & hiérarchique de l’Église être constitué pour exercer ou recevoir des actes sacrés ; or tous ces actes ne sont pas joints à l’autorité & à la supériorité. Être sous la hiérarchie, c’est recevoir immédiatement de la hiérarchie des actes hiérarchiques. Il y a dans ces deux définitions quelque chose de louche qu’on en auroit écarté, si l’on avoit comparé la société ecclésiastique à la société civile.

Dans la société civile, il y a différens ordres de citoyens qui s’élevent les uns au-dessus des autres, & l’administration générale & particuliere des choses est distribuée par portion à différens hommes ou classes d’hommes, depuis le souverain qui commande à tous jusqu’au simple sujet qui obéit.

Dans la société ecclésiastique, l’administration des choses relatives à cet état est partagée de la même maniere. Ceux qui commandent & qui enseignent sont dans l’hiérarchie : ceux qui écoutent & qui obéissent sont sous l’hiérarchie.

Ceux qui sont sous la hiérarchie, quelque dignité qu’ils occupent dans la société civile, sont tous égaux. Le monarque est dans l’église un simple fidele, comme le dernier de ses sujets.

Ceux qui sont dans l’hiérarchie & qui la composent, sont au contraire tous inégaux, selon l’ancienneté, l’institution, l’importance & la puissance attachée au degré qu’ils occupent. Ainsi l’Église, le pape, les cardinaux, les archevêques, les évêques, les curés, les prêtres, les diacres, les soudiacres semblent en ce sens former cette échelle qui peut donner lieu à deux questions, l’une de droit & l’autre de fait. Voyez Église, Pontife, Cardinaux, &c.

Je ne pense pas qu’on puisse disputer sur la question de fait. Les ordres de dignités dont je viens de faire l’énumération, & quelques autres qui ont aussi leurs noms dans l’Église, soit que leurs fonctions subsistent encore ou ne subsistent plus, & qu’il faut intercaler dans l’échelle, composent certainement le gouvernement ecclésiastique.

Quant à la question de droit, c’est autre chose. Il semble qu’il y a le droit qui vient de l’institution premiere faite par Jesus-Christ, & le droit qui vient de l’institution postérieure faite soit par l’Église même, soit par le chef de l’Église, ou quelque autre puissance que ce soit. En ce cas, il y aura certainement parmi les hiérarques ecclésiastiques des ordres qui seront de droit divin, & des ordres qui ne seront pas de droit divin.

Tous les ordres qui n’ont pas été dès le commencement, ne seront pas de droit divin.

Parmi ces ordres qui n’ont pas été dès le commencement, plusieurs ne sont plus : ils ont passé. Parmi ceux qui sont, il y en a qui peuvent passer, parce qu’ils sont moins dispositionis dominicæ veritate, quam autoritate.

Le P. Cellot Jésuite avance que l’hiérarchie n’admet que l’évêque, & que les prêtres ni les diacres ne sont point hiérarques ; mais Bellarmin, Gerson, Petrus Aurelius, saint Jérome, & d’autres peres de l’église ont eu sur ce point des sentimens très-différens.

Ne pourroit-on pas croire que ceux qui ont droit d’assister dans un concile & d’y donner leur voix, sont nécessairement dans la hiérarchie, ou du nombre de ceux qui ont part au gouvernement ecclésiastique, soit qu’ils soient de droit divin ou non ?

Ne faudroit-il pas avoir égard aussi aux ordres qui conférés impriment un caractere ineffaçable, & ne permettent plus à celui qui l’a reçu de passer dans un autre état ?

Quoi qu’il en soit, sans prétendre décider les questions qui appartiennent à une hiérarchie aussi sainte & aussi respectable que celle de l’Eglise de Jesus-Christ, nous allons exposer simplement quelques idées propres à les éclaircir.

Jesus-Christ a institué l’apostolat. Des auteurs prétendent que l’Eglise a ensuite distribué l’apostolat en plusieurs degrés qu’ils regardent en conséquence comme d’institution divine ; ont-ils raison ? ont-ils tort ? Voyez Apôtres.

D’autres ne sont d’accord ni sur ce que Jesus-Christ a institué, ni sur ce que ses successeurs ont institué d’après lui. Ils veulent que la céremonie qui place le simple fidele dans l’ordre hiérarchique soit un sacrement, & comptent autant de sacremens que de degrés hiérarchiques.

Il y en a qui soutiennent que la consécration des évêques n’est point un sacrement ; parce que, disent-ils, l’évêque a reçu dans la prêtrise toute la puissance de l’ordre. Cependant entre les pouvoirs spirituels d’un évêque & d’un prêtre, quelle différence ! Voyez Evêques.

Frappés de cette différence, & considérant surtout que l’épiscopat confere le pouvoir d’administrer le sacrement de l’ordre & d’élever à la prêtrise ; pouvoir que le prêtre n’a pas, même radical, comme celui de confesser & d’absoudre sans permission en cas de nécessité ; la plûpart soutiennent que l’épiscopat est d’un autre ordre que la prêtrise, voy. Prêtre, & que le sacre épiscopal est un sacrement. Voyez Evêque.

Aucuns n’ont fait cet honneur à la tonsure ni à la papauté, quoique la tonsure tire le chrétien du commun des fideles pour le placer dans l’état ecclésiastique, & qu’elle méritât bien autant d’être un sacrement que la céremonie des quatre moindres qui confere au tonsuré le pouvoir de fermer la porte des temples, d’y accompagner le prêtre & de porter les chandeliers ; pouvoir qui n’appartient pas tant à l’ordonné, qu’un suisse, un bedeau, ou un enfant de chœur ne puisse le remplacer sans ordre ni sacrement. Voyez Tonsure & Tonsuré.

Mais la papauté à laquelle on attribue tant de prérogatives, & qui en a beaucoup, a-t-elle moins besoin d’une grace solemnelle que la fonction de présenter les burettes & de chanter l’épître ou l’évangile ? Jesus-Christ s’est-il plus expliqué en faveur du soudiaconat que du pontificat ? A-t-il dit à quelqu’un de ses disciples : Chantez dans le temple, essuyez les calices, comme il a dit à Pierre : Paissez mes ouailles ? Voyez Diacre & Soudiacre.

Mais si l’Eglise a pu partager l’apostolat en plusieurs degrés, & étendre ou restreindre le sacrement de l’ordination ; ne l’a-t-elle pas encore de changer cette division, & de se faire une autre hiérarchie ? Qu’est-ce qui lui a donné le pouvoir d’établir, & lui a ôté celui de changer ?

Mais son usage a-t-il été invariable ? Qu’est-ce que les cardinaux d’aujourd’hui ? Que sont devenus les chorévêques d’autrefois qui avoient, selon le concile de Nicée, le pouvoir de conférer les moindres, & qui, laissant le séjour des villes, formoient dans les campagnes comme un ordre ou échelon mitoyen entre la prêtrise & l’épiscopat. Voyez Chorévêque.

Cet ordre a été supprimé de la hiérarchie par le pape Damase ; mais pesez bien la raison que ce pape en apporte. « Il faut, dit-il, extirper tout ce qu’on ne sait pas avoir été institué par Jesus-Christ, tout ce que la raison n’engage pas à maintenir ; & l’on ne voit que deux ordres établis par Jesus-Christ, l’un des douze apôtres, & l’autre des soixante & dix disciples ». Non amplius quam duos ordines inter discipulos Domini esse cognovimus ; id est, duodecim apostolorum & septuaginta discipulorum : undè iste tertius processerit funditàs ignoramus, & quod ratione caret extirpari necesse est. Sect. 6. c. 8. Chorespis.

Mais si l’on suivoit ce principe du pape Damase, quel renversement n’introduiroit-il pas dans la hiérarchie ecclésiastique ? On n’y laisseroit rien de ce qui n’est pas de l’institution de Jesus-Christ, ou de la nécessité d’un bon gouvernement ; or Jesus-Christ a-t-il donné la pourpre ou le chapeau à quelqu’un de ses disciples ?

Dire que lorsqu’on ne sait précisément quand une chose a commencé d’être établie ou d’être crue, elle l’a été dès la premiere origine ; c’est un raisonnement tout-à-fait faux, & on ne peut pas plus dangereux.

On objectera peut-être à la division du pape Damase de la hiérarchie en deux ordres, que les apôtres ont institué des diacres ; mais il est évident que cette dignité ne fut créée que pour vaquer à des fonctions purement temporelles. Les diacres faisoient distribution des aumônes & des biens que les fideles avoient alors en commun, tandis que les diaconnesses de leur côté veilloient à la décoration & à la propreté des lieux d’assemblée : quel rapport ces fonctions ont-elles avec la hiérarchie ?

Dans l’examen de ce sujet, il ne faut pas confondre le gouvernement spirituel, l’établissement, la propagation & la consécration du christianisme avec le service temporel. Ce n’est pas à ceux qui songent à accroître les revenus de l’église, à les gérer, & à les partager, que Jesus-Christ a dit : Ecce ego mitto vos sicut misit me Pater.

Il n’y a que les premiers qui soient les vrais membres de Jesus-Christ. Il en est l’instituteur. Il n’y a rien à changer à leur hiérarchie. Il n’y a point d’autorité dans l’Eglise qui ait ce droit ; ni Pierre, ni Paul, ni Apollon ne l’ont pas, nec addes nec minues.

Ce qui part de cette source, doit durer sans altération jusqu’à la fin des siecles. Les autres sont d’institution ecclésiastique créés pour l’administration temporelle & le service de la société des chrétiens, selon la convenance des lieux, des tems & des affaires. On les appellera, selon eux, ministres de l’Eglise.

L’origine de leurs pouvoirs & de leurs fonctions ne remonte pas jusqu’à Jesus-Christ immédiatement ; l’autorité qui les a créés peut les abolir : elle l’a fait quelquefois, & elle l’a dû faire.

Les apôtres ne préposerent des diacres & des administrateurs qu’à l’occasion du mécontentement & des plaintes des Grecs contre les Hébreux ; trop chargés des occupations temporelles, ils ne pouvoient plus vaquer aux spirituelles. Le service d’économe commençoit à nuire à l’état d’apôtre : non æquum est nos derelinquere verbum Dei & ministrare mensis.

Quoi qu’il en soit de toutes ces idées, je les soumets à l’examen de ceux qui par leur devoir doivent être plus versés dans la connoissance de l’histoire de l’Eglise & de son hiérarchie.