L’Encyclopédie/1re édition/GREFFE
GREFFE, s. m. (Jurisprud.) est un lieu public où l’on conserve en dépôt les minutes, registres & autres actes d’une jurisdiction, pour y avoir recours au besoin ; c’est aussi le lieu où ceux qui ont la garde de ce dépôt, font & délivrent les expéditions qu’on leur demande des actes qui y sont renfermés.
Ce bureau ou dépôt est ordinairement près du tribunal auquel il a rapport : il y a néanmoins certains greffes pour des objets particuliers, qui sont souvent éloignés du tribunal, comme pour les greffes des hypotheques, des insinuations, &c.
On entend aussi par le terme de greffe, l’office de greffier. Voyez ci-après Greffier.
Chaque tribunal, soit supérieur ou inférieur, a au-moins un greffe ; il y en a même plusieurs dans certains tribunaux : chacun de ces greffes contient le dépôt d’une certaine nature d’actes.
Les greffes, ou plûtôt leurs expéditions, étoient appellés anciennement écritures ou clergies ; on les vendoit quelquefois, ou bien on les donnoit à ferme : l’un & l’autre fut ensuite défendu, & on ordonna qu’il y seroit pourvû de personnes capables. Enfin les greffes, qui n’étoient que de simples commissions révocables ad nutum, ont été érigés en titre d’office. Les greffes royaux sont domaniaux ; ceux des justices seigneuriales sont patrimoniaux à l’égard des seigneurs ; à l’égard de leurs greffiers, ce ne sont que des commissions révocables, à-moins que les greffiers n’ayent été pourvûs à titre onéreux. (A)
Greffe des Affirmations, est le bureau où l’on reçoit les affirmations de voyages des parties qui sont venues d’un lieu dans un autre, pour apporter leurs pieces & faire juger quelque affaire. (A)
Greffe d’Appeaux, ou Greffe pour les Appellations ; voyez Greffier d’Appeaux.
Greffe des Apprentissages : il fut ordonné par l’édit du mois d’Août 1704, que dans chaque ville du royaume où il y a maîtrise & jurande, il seroit établi un greffe pour insinuer & registrer tous les brevets d’apprentissage, lettres de maîtrise & actes de réception. Ces offices ont depuis été réunis aux communautés. (A)
Greffe des Arbitrages ; il fut créé par édit du mois de Mars 1673, à Paris & dans plusieurs autres villes du royaume, un certain nombre d’offices de greffiers des arbitrales, pour recevoir & expédier, chacun dans leur district, toutes les sentences arbitrales : mais ces offices furent bientôt unis à ceux des notaires, par différentes déclarations rendues pour chaque lieu où il se trouvoit de ces greffiers établis. (A)
Greffe de l’Audience, est l’office du greffier particulier qui tient la plume à l’audience. (A)
Greffe des Baptêmes, Mariages et Sépultures. Voyez Greffier des Baptêmes, &c.
Greffe en chef, c’est l’office du premier greffier d’un tribunal dont les autres greffiers ne sont que les commis. Au parlement il y a présentement deux greffes en chef, l’un appellé le greffe en chef civil, l’autre le greffe en chef criminel. Il y a aussi un greffe en chef pour les requêtes du palais. Voyez Greffier en chef. (A)
Greffe civil, est celui qui contient le dépôt de tous les actes concernant les affaires civiles. (A)
Greffe des Criées ou des Decrets, c’est l’office du greffier qui reçoit toutes les criées & jugemens concernant les saisies réelles : on entend aussi par-là le dépôt de ces sortes d’actes. (A)
Greffe criminel, est le lieu où sont en dépôt tous les jugemens & autres actes & pieces concernant les affaires criminelles : on entend aussi quelquefois par-là l’office de greffier au criminel. (A)
Greffe des Decrets, est la même chose que greffe des criées. Voyez ci-dev. Greffe des Criées. (A)
Greffe des Dépôts : tous les greffes en général sont autant de dépôts particuliers ; mais ceux auxquels le titre de greffe des dépôts est propre, sont des bureaux & dépôts particuliers où l’on conserve d’autres actes que les jugemens : tels sont les greffes des présentations & des affirmations ; ceux des greffiers appellés garde-sacs, qui gardent les productions des parties ; & le greffe des dépôts proprement dit, où l’on conserve les registres de distributions des procès, les procédures faites dans les jurisdictions, telles qu’interrogatoires sur faits & articles, enquêtes, informations, récollement, confrontations, procès-verbaux, &c. (A)
Greffe des Dépris ; voyez ci-après Greffier des Dépris.
Greffe des Domaines des Gens de Main-morte ; c’étoient des bureaux établis dans chaque ville pour le contrôle & enregistrement des titres des gens de main-morte de leurs baux, de la déclaration de leurs biens. Il y a eu plusieurs fois de ces greffes établis & ensuite supprimés, selon les occurrences. (A)
Greffe de l’Ecritoire ou des Experts ; voy. Greffier de l’Ecritoire, &c.
Greffe garde-sac ; voyez Garde-sac.
Greffe des Gens de Main-morte ; voyez Greffe des Domaines des Gens de Main-morte.
Greffe de Geole, c’est l’office de greffier d’une prison, & le lieu où il tient ses registres. Voyez Greffier de Geole. Ces offices ont été déclarés domaniaux par une déclaration du 16 Janvier 1581. (A)
Greffe des Hypotheques, est le bureau où le conservateur des hypotheques enregistre les oppositions qui se font entre ses mains au sceau des lettres de ratification que l’on obtient en chancellerie pour purger les hypotheques sur un contrat de rente assigné sur les revenus du roi. Voyez Conservateur des Hypotheques. (A)
Greffe des Insinuations, c’est le bureau où l’on insinue les actes sujets à la formalité de l’insinuation. Il y a un greffe pour l’insinuation des donations ; un autre pour les insinuations laïques ; un autre pour les insinuations ecclésiastiques. Ces bureaux ont été appellés greffes, parce qu’autrefois ces insinuations se faisoient en effet au greffe du tribunal. Voyez Insinuation. (A)
Greffe des Inventaires ; voyez Greffier des Inventaires.
Greffe des Main-mortes ; voyez Greffier des Main-mortes.
Greffe des Notifications ; voyez Greffier des Notifications.
Greffe des Présentations, est celui où se font les actes de présentations, tant du demandeur que du défendeur, de l’appellant & de l’intimé. Voy. Présentation. (A)
Greffe des Prisons, c’est la même chose que greffe de la geole. Voyez Geole, Greffe de la Geole & Prison. (A)
Greffe plumitif ; voyez Greffier au Plumitif.
Greffe sanguin, se disoit anciennement pour greffe criminel : de même qu’on disoit une enquête de sang, pour une information en matiere criminelle. (A)
Greffe de Subdélégation ; voyez Greffier des Subdélégations.
Greffe des Tailles ; voyez Greffier des Tailles. (A)
Greffe, s. f. (Jar.) c’est proprement une partie d’une jeune branche d’un nouveau rejetton de l’année, prise sur un arbre que l’on veut multiplier, pour l’insérer sur un autre arbre qui sert de sujet, & dont on veut améliorer le fruit ou changer l’espece : mais plus ordinairement on entend par le mot greffe, l’opération même de greffer, ou le produit de cette opération ; & c’est dans ce dernier sens que l’on a dit, que la greffe étoit le triomphe de l’art sur la nature. Par ce moyen en effet on force la nature à prendre d’autres arrangemens, à suivre d’autres voies, à changer ses formes, & à suppléer le bon, le beau, le grand à la place de l’abject : enfin on peut par le moyen de la greffe transmuer le sexe, l’espece, & même le genre des arbres, relativement aux méthodes des Botanistes, dont les systèmes en plusieurs cas sont peu d’accord avec les résultats de la greffe. Ce petit art est ce que l’on a imaginé de plus ingénieux pour la perfection de la partie d’Agriculture qui en fait l’objet ; & cette partie s’étend principalement sur tous les arbres fruitiers. Par le secours de la greffe on releve la qualité des fruits, on en perfectionne le coloris, on leur donne plus de grosseur, on en avance la maturité, on les rend plus abondans, enfin on change dans plusieurs cas le volume que les deux arbres auroient dû prendre naturellement. Mais on ne peut créer d’autres especes : si la nature se soûmet à quelques contraintes, elle ne permet pas qu’on l’imite. Tout se réduit ici à améliorer ses productions, à les embellir & à les multiplier ; & ce n’est qu’en semant les graines, en suivant ses procédés, qu’on peut obtenir des variétés ou des especes nouvelles ; encore faut-il pour cela tout attendre du hasard, & rencontrer des circonstances aussi rares que singulieres.
On se dispensera de faire ici l’énumération de tous les arbres qui peuvent se greffer les uns sur les autres, & des sujets qui conviennent le mieux à chaque espece d’arbre ; parce qu’il en sera fait mention à l’article de chaque arbre en particulier. Venons à l’explication des différentes méthodes de greffer, qui sont la greffe en fente, la greffe en couronne, la greffe à emporte-piece, la greffe en flûte, la greffe en approche, & la greffe en écusson.
Greffe en fente ; c’est la plus ancienne façon de greffer : on en fait usage sur-tout pour les fruits à pepin. On peut l’appliquer sur des sujets qui ayent depuis un pouce jusqu’à six de diametre ; mais pour la sûreté du succès le moindre volume doit prévaloir, quoiqu’il y ait exemple d’avoir vû réussir cette greffe sur des sujets de trois piés de pourtour, sur lesquels on avoit inséré des greffes d’un pouce & demi de diametre : mais quand les arbres sont si gros, il vaut mieux les greffer sur leurs branches moyennes. Le tems propre à faire cette greffe est depuis le commencement du mois de Février, jusqu’à ce que la seve soit en action, au point de faire ouvrir les boutons ou de faire détacher l’écorce. Il faut éviter la pluie, le hâle & l’ardeur du soleil. La greffe proprement dite doit être choisie sur des arbres vigoureux & de bon rapport, où il faudra couper des branches de la derniere pousse qui soient bien saines & disposées à se mettre à fruit ; à la différence des branches gourmandes & de faux bois, qui ne conviennent nullement à faire des greffes. On peut faire provision de bonnes branches, & les couper quelque tems avant de s’en servir ; il faudra dans ce cas les laisser de toute leur longueur & les couvrir de terre jusqu’à moitié dans un lieu frais & à l’ombre, où on pourra les garder pendant un mois ou deux. Elles n’en seront que mieux disposées à prospérer : ces branches se trouvant privées de la nutrition de seve, ne se soûtiennent à la faveur de l’humidité de la terre, que dans un état de médiocrité ; mais elles se relevent vivement dès qu’elles se trouvent appliquées sur des sujets vigoureux, dont elles tirent un suc nourricier plus analogue : par ce moyen encore on prolonge le tems de greffer, par la raison que ces branches reçoivent plûtard l’impression des premieres chaleurs, qui mettent la seve en mouvement au printems.
Cette maniere de greffer exige plus d’attirail qu’aucune autre ; il faut une scie pour couper le tronc du sujet, un greffoir pour entr’ouvrir la fente, un fort couteau de cinq ou six pouces de lame pour fendre le tronc, une serpette ordinaire pour tailler la greffe & unir l’écorce du tronc après le sciage, un coin de fer ou de bois dur, & un marteau pour frapper sur le couteau qui doit commencer la fente, & ensuite sur le coin afin de l’ouvrir & de l’entretenir ; il faut aussi être pourvu de terre grasse qui soit maniable, de quelques morceaux d’écorces, de mousse & d’osier.
Voici la façon d’y procéder. On coupe la greffe de deux ou trois pouces de longueur, ensorte qu’elle reste garnie de trois ou quatre bons yeux ou boutons ; on fait au gros bout & sur la longueur d’un demi-pouce, une entaille en forme de coin sur deux faces, en conservant avec précaution l’écorce qui reste sur les autres côtés, & qui doit être bien adhérente. Il faut que le côté qui sera tourné en dehors soit un peu plus épais que celui du dedans, & que de ce même côté du dehors & précisément au-dessus de l’entaille, la greffe ait un bon œil ; ensuite il faudra scier le tronc du sujet à plus ou moins de hauteur, suivant que l’on se propose d’en faire un arbre d’espallier, de demi-tige, ou de haut vent. Ce sciage doit être fait un peu en pente, tant pour l’écoulement des eaux que pour faciliter la réunion des écorces ; puis il sera très-à-propos d’unir & ragréer avec la serpette le déchirement qu’on aura fait avec la scie à l’écorce du sujet : après cela, on appliquera le couteau transversalement sur le tronc à-peu près au milieu ; on frappera avec ménagement quelques coups de marteau sur le couteau, pour commencer la fente & donner entrée au coin que l’on forcera à coups de marteau autant qu’il sera besoin pour faire place à la greffe. Si par l’examen que l’on fera ensuite on appercevoit que la fente eût occasionné des inégalités soit au bois soit à l’écorce, il faudra les retrancher avec la serpette, ensorte que la greffe soit bien saisie & arrêtée, sans qu’il reste de jours ni de défectuosités. Ces dispositions étant bien faites, on placera la greffe, avec grande attention sur-tout de faire correspondre l’écorce de la greffe avec celle du sujet : c’est-là le point principal d’où dépend tout le succès.
J’ai dit plus haut qu’à l’endroit de l’entaille de la greffe, il devoit rester deux côtés garnis d’écorce, & que l’un de ces côtés devoit être plus épais que l’autre ; c’est ce côté plus épais qui doit faire face au dehors, & l’écorce de cette partie de la greffe doit si bien se rapporter à celle du sujet, que la seve puisse passer de l’un à l’autre sans obstacle ni détour, comme si les deux écorces n’en faisoient qu’une. La nécessité de ce rapport très-exact des écorces vient de ce qu’on s’est assûré par des expériences, que le bois de la greffe ne s’unit jamais avec celui du sujet ; que la réunion se fait uniquement d’une écorce à l’autre, & que l’accroissement des parties ligneuses ne devient commun qu’à mesure qu’il se forme de nouveau bois.
La greffe ainsi appliquée, on recouvre toutes les fentes & coupures d’une espece de mastic composé de cire & de poix. pour parer aux inconvéniens de la pluie, de la sécheresse, & des autres intempéries de l’air qui ne manqueroient pas d’altérer la greffe ; mais les gens moins arrangés se contentent de mettre un morceau d’écorce sur la fente horisontale ; de recouvrir le dessus du tronc avec de la glaise mêlée de mousse ou de menu foin, & d’envelopper le tout avec du linge qui laisse passer & dominer la greffe ; on attache ce linge par le bas avec un bon osier qui resserre en même tems la fente faite au sujet.
On peut mettre deux greffes sur le même sujet, ou même quatre s’il est gros, en faisant une seconde fente en croix ; mais il est plus ordinaire de n’en mettre qu’une.
La greffe en fente est bien moins usitée à-présent que la greffe en écusson, quoiqu’il soit vrai que la premiere pousse plus vigoureusement & forme plûtot un arbre de haute tige que la seconde.
Greffe en couronne. Le procédé pour cette greffe est à-peu-près semblable à celui de la greffe en fente ; il n’y a d’autre différence que de mettre les greffes entre l’écorce & le bois sans faire de fente ; de les choisir plus fortes & pour le moins d’un demi pouce de diametre ; de leur donner plus de hauteur, & de faire l’entaille plus longue. Il faut que l’arbre que l’on veut couronner soit en pleine seve, ensorte que l’écorce puisse se séparer aisément du bois ; on scie une ou plusieurs branches à un pié ou deux au-dessus du tronc de l’arbre qui doit servir de sujet ; on coupe & on unit les égratignures du sciage avec la serpette dont la pointe sert ensuite à séparer l’écorce & à la détacher du bois de façon à pouvoir y insérer les greffes. On en peut mettre six ou huit sur chaque branche à proportion de sa grosseur ; puis on recouvre le tout, comme il a été dit pour la greffe en fente : on ne fait usage de cette greffe en couronne que pour de très-gros arbres de fruits à pepin qui souffriroient difficilement la fente.
Greffe à emporte piece. Autre pratique qui a beaucoup de rapport avec la greffe en fente ; on ne s’en sert que pour greffer de gros arbres qu’on ne pourroit fendre sans les risquer : voici le procédé. On fait avec un ciseau de menuisier une entaille un peu profonde dans l’écorce & dans le bois, d’une branche moyenne, vive & saine de l’arbre dont on veut changer l’espece. On dispose la greffe à-peu-près comme pour la fente ; mais il faut que le gros bout soit taillé & ajusté de maniere à pouvoir remplir exactement l’entaille qui aura été faite. On y fait entrer la greffe un peu à serre & de façon que les écorces se raccordent bien : on assûre cette greffe avec de l’osier, & on la couvre de mastic ou de glaise, à-peu-près comme pour la greffe en fente. On peut mettre ainsi plusieurs greffes sur une même branche, afin d’être plus certain du succès, le tems propre pour cette maniere de greffer est depuis le commencement de Février jusqu’à ce que le mouvement de la seve fasse détacher les écorces.
Greffe en flûte. C’est la plus difficile de toutes les méthodes de greffer ; elle se fait au mois de Mai, lorsque les arbres sont en pleine seve : on choisit deux branches, l’une sur l’arbre qui doit servir de sujet, & l’autre sur l’arbre de bonne espece que l’on veut multiplier ; ces deux branches, par la mesure que l’on en prend, doivent se trouver de même grosseur dans la partie qui doit servir de greffe, & dans celle que l’on veut greffer. On laisse sur pié la branche qui doit être greffée, on en coupe seulement le bout à trois ou quatre pouces au-dessus de l’endroit où l’on veut greffer. Après avoir fait une incision circulaire au-dessous, on enleve toute l’écorce sur cette longueur de trois ou quatre pouces ; ensuite on détache la bonne branche de son arbre, on en coupe le bout au-dessus de l’endroit qui a été trouvé de grosseur convenable ; on fait une incision circulaire à l’écorce pour avoir un tuyau de la longueur de deux ou trois travers de doigt, ensorte qu’il soit garni de deux bons yeux : on enleve adroitement ce tuyau en pressant & tournant l’écorce avec les doigts, sans pourtant offenser les yeux ; puis on le passe dans le bois de la branche écorcée, de façon qu’il enveloppe exactement & qu’il se réunisse par le bas à l’écorce du sujet : s’il s’y trouve quelque inégalité, on y remédie avec la serpette. Enfin on couvre le dessus de la greffe avec un peu de mastic ou de glaise, & plus communément on rabat sur l’écorce de petits copeaux, en incisant tout-autour avec la serpette le bout du bois qui est resté nud en-dessus ; on forme par là une espece de couronnement qui défend la greffe des injures de l’air. Cette méthode de greffer est peu usitée, si ce n’est pour le châtaignier, le figuier, l’olivier, le noyer, &c. qu’il seroit très-difficile de faire réussir en les greffant d’autre façon.
Greffe en approche. Cette méthode ne peut s’exécuter qu’avec deux arbres voisins l’un de l’autre, ou dont l’un étant en caisse peut être approché de l’autre ; elle se fait sur la fin du mois de Mai lorsque les arbres sont en pleine seve. On ne laisse qu’une tige au sujet, qui doit être au-moins de la grosseur du doigt, & dont on coupe la tête : on fait au-dessus de la tige coupée & en pente, une entaille propre à recevoir la bonne branche réduite à moitié de sa grosseur. On amincit cette branche sur les côtés & en-dessous, de façon qu’elle puisse entrer dans l’entaille, la remplir exactement, & que les écorces puissent se toucher & se réunir de part & d’autre : on couvre ensuite les ouvertures avec du mastic ou de la glaise que l’on ajuste & que l’on attache comme à la greffe en fente. Lorsque par l’examen que l’on fait deux ou trois mois après, on juge que les écorces sont suffisamment réunies ; on coupe la bonne branche au-dessous de la greffe, & on laisse encore subsister quelque tems les enveloppes pour plus d’assûrance. Cette méthode de greffer réussit difficilement ; on ne s’en sert que pour quelques arbrisseaux curieux.
Greffe en écusson. C’est la plus expéditive, la plus étendue, & la plus simple ; la plus usitée, la plus naturelle, & la plus sûre de toutes les méthodes de greffes. Un jardinier peut faire par jour trois cents écussons, au lieu qu’à peine peut-il faire cent greffes en fente, quoique ce soit la méthode la moins longue après celle en écusson : on peut même pour celle-ci employer de jeunes gens, qui sont bien-tôt stilés à cette opération. Presque tous les arbres peuvent se greffer en écusson : on court les risques de la plus grande incertitude en greffant les fruits à noyau par une autre méthode ; & c’est la meilleure dont on puisse se servir pour les arbres curieux & étrangers ; rien de plus simple que l’attirail qu’elle exige. Un greffoir & de la filasse, voilà tout. La greffe en écusson réussit plus ordinairement qu’aucune autre sorte de greffe ; & d’autant plus sûrement, que si la premiere opération manque, ce qui s’apperçoit en moins de quinze jours, on peut la répéter plusieurs fois pendant tout le tems de la durée de la seve. Aucune méthode n’est plus naturelle, puisqu’elle approche le plus qu’il est possible des voies de la nature ; il suffit de la simple substitution d’un œil faite à une branche : c’est, pour ainsi dire, tromper la nature. Aussi cette maniere de greffer a-t-elle si bien prévalu, qu’on n’en emploie presque pas d’autre à-présent, avec cette grande raison de plus, que les sujets n’en sont nullement deshonorés ; vingt incisions manquées sur une branche, la laissent toûjours vive & entiere ; quelques plaies causées à l’écorce se recouvrent aisément, & on peut recommencer l’année suivante. Enfin les arbres greffés de cette maniere donnent plûtôt des fleurs & des fruits, que lorsqu’ils sont greffés en fente.
On peut greffer en écusson pendant toute la belle saison, depuis le commencement du mois de Mai jusqu’à la fin de Septembre ; si ce n’est qu’il en faut excepter les tems de pluie, les chaleurs trop vives & les grandes sécheresses. Il faut aussi le concours de deux circonstances ; que le sujet soit en seve, ainsi que l’arbre sur lequel on prend l’écusson : le progrès des écussons que l’on peut faire pendant cinq mois de la belle saison, n’est pas le même, ceux que l’on fait avant la S. Jean poussent dès la même année ; c’est ce qu’on appelle écusson à la pousse ; ceux que l’on greffe après ce tems se nomment écusson à œil dormant, parce qu’ils ne poussent qu’au printems de l’année suivante. Au surplus pour l’un & l’autre cas l’écusson se fait de la même maniere.
Ce qu’on appelle proprement l’écusson n’est autre chose qu’un œil levé sur une branche de l’année ; on choisit pour cet effet sur l’arbre dont on veut multiplier l’espece, une des premieres branches de l’année, dont les yeux soient bien nourris & bien formés. La premiere attention sera de couper toutes les feuilles jusque contre la queue, afin d’empêcher d’autant moins la dissipation de la seve & le desséchement de l’œil. On peut au besoin conserver ces branches pendant deux ou trois jours, en les faisant tremper par le gros bout dans un peu d’eau, ou en les piquant en terre dans un lieu frais & à l’ombre.
Pour lever l’écusson ou l’œil de dessus la branche, on fait avec le greffoir trois incisions triangulaires dans l’écorce qui environne l’œil ; la premiere en-travers à deux ou trois lignes au-dessus de l’œil ; la seconde à l’un des côtés, en descendant circulairement pour qu’elle se termine au dessus de l’œil ; & la troisieme de l’autre côté en sens contraire, de façon qu’elle vienne croiser la seconde à environ un demi-pouce au-dessous de l’œil, & que ces trois traits fassent ensemble une espece de triangle dont la pointe soit en bas ; puis en pressant & tirant adroitement avec ses doigts cette portion d’écorce, sans offenser l’œil, elle se détache aisément si la seve est suffisante.
L’écusson étant levé, on le tient entre ses levres par la queue de la feuille qu’on doit y avoir laissée exprès ; ensuite on choisit sur le sujet un endroit bien uni, où l’on fait avec le greffoir deux incisions comme si l’on figuroit la lettre majuscule T, & on en proportionne l’étendue à la grandeur de l’écusson que l’on y veut placer ; puis on détache avec le manche du greffoir l’écorce des deux angles rentrans, & on fait entrer l’écusson entre ces deux écorces, en commençant par la pointe que l’on fait descendre peu-à-peu jusqu’à ce que le haut de l’écusson réponde exactement à l’écorce supérieure du sujet. On prend ensuite de la filasse de chanvre, ou encore mieux de la laine filée, dont on passe plusieurs tours sans couvrir l’œil, & que l’on assûre par un nœud, pour maintenir les écorces & faciliter leur réunion.
Lorsque cette greffe a été faite à œil poussant, c’est-à-dire avant la S. Jean, dès qu’on s’apperçoit au bout de huit ou dix jours que l’écusson est bien vif & qu’il est prêt à pousser, on coupe le sujet à quatre doigts au dessus de l’écusson, afin qu’en déterminant la seve à se porter avec plus d’abondance sur le nouvel œil, il puisse pousser plus vîte & plus vigoureusement ; ensuite on relâche peu-à-peu ou on coupe entierement la ligature par-derriere l’écusson, à-mesure du progrès que l’on apperçoit : mais si c’est à œil dormant que la greffe ait été faite, c’est-à-dire après la S. Jean, on ne dégage l’écusson & l’on ne coupe la tête du sujet qu’au printems suivant, lorsque l’écusson commence à pousser.
On connoît encore d’autres manieres de greffer, telles que la greffe sur les racines, la greffe en queue de verge de foüet, la greffe par térébration, &c. mais la trop grande incertitude de leur succès les a fait négliger.
C’est principalement pour la multiplication des bonnes especes d’arbres fruitiers, que l’on fait usage de la greffe, attendu qu’en les élevant de semence, on ne se procureroit que très-rarement la même sorte de fruit dont on auroit semé la graine : il est bien constant d’ailleurs que la greffe contribue à perfectionner les fruits par les circuits & les détours que cette opération occasionne à la seve, en la forçant de traverser les inflexions & les replis qui se forment toûjours à l’endroit où la greffe s’unit au sujet. Mais on ne peut par le moyen de la greffe changer l’espece des arbres, ni même produire de nouvelles variétés ; ce grand œuvre est reservé à la seule nature : tout l’art se réduit à cet égard à donner aux fruits un fort petit degré de perfection. On se sert aussi de la greffe pour multiplier plusieurs arbrisseaux curieux, & même quelques arbres, tels que les belles especes d’érable, d’orme, de mûrier, &c. mais à ce dernier égard, c’est au détriment de la figure, de la force, & de la durée des arbres ; ils ne peuvent jamais récupérer la beauté qu’ils auroient eue & l’élévation qu’ils auroient prise dans leur état naturel.
On est bien revenu du merveilleux que les anciens qui ont traité de l’Agriculture, & quantité de modernes après eux, attribuoient à la greffe : à les en croire, on pouvoit faire par cette voie les métamorphoses les plus étonnantes & changer la propre nature des choses, en faisant produire à la vigne de l’huile au lieu de vin, & aux arbres des forêts les fruits les plus délicieux, au lieu des graines seches qu’ils rapportent. A les entendre, le platane pouvoit devenir un arbre fruitier & produire des figues, des cerises, ou des pommes : mais je me suis assûré par plusieurs expériences, que le platane est peut-être de tous les arbres celui qui est le moins propre à servir de sujet pour la greffe ; non-seulement les fruits que l’on vient de citer n’y reprennent pas, mais même un seul écusson de figuier fait mourir le platane ; & ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que les écussons pris & appliqués sur le même arbre n’ont point encore voulu réussir, quoique cette épreuve ait été répétée quantité de fois. Les changemens que l’on peut opérer par le moyen de la greffe, sont plus bornés que l’on ne pense ; il faut entre l’arbre que l’on veut faire servir de sujet & celui que l’on veut y greffer, un rapport & une analogie qui ne sont pas toûjours indiqués sûrement par la ressemblance de la fleur & du fruit : ce sont pourtant les caracteres les plus capables d’annoncer le succès des greffes. Voyez les Planches de Jardinage.