L’Encyclopédie/1re édition/INSINUATION

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 789-790).
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INSINUATION, s. f. (Jurisprud.) appellée en Droit publicatio seu in acta relatio, est parmi nous l’enregistrement ou la transcription qui se fait dans un registre public destiné à cet usage, des actes qui doivent être rendus publics, afin d’éviter toute surprise au préjudice de ceux qui n’auroient pas connoissance de ces actes.

La premiere origine de l’insinuation vient des Romains. Les gouverneurs des provinces avoient chacun près d’eux un scribe appellé ab actis seu actuarius, qui ressembloit beaucoup à nos greffiers des insinuations. Sa fonction étoit de recevoir les actes de jurisdiction volontaire, tels que les émancipations, adoptions, manumissions, & notamment les contrats & testamens qu’on vouloit insinuer & publier. On formoit de tous ces actes un registre séparé de celui des affaires contentieuses.

On faisoit alors insinuer volontairement presque tous les contrats & testamens, d’autant que les contrats reçus par les tabellions ne faisoient pas alors une foi pleine & entiere jusqu’à ce qu’ils eussent été vérifiés par témoins ou par comparaison d’écritures ; pour éviter l’embarras de cette vérification, on les faisoit insinuer & publier apud acta.

Cette insinuation se faisoit à Rome & à Constantinople apud magistrum census ; dans les provinces elle se faisoit devant le gouverneur, ou bien devant les magistrats municipaux, auxquels pour la commodité du public, on attribua aussi le pouvoir de recevoir les actes.

Il falloit que cette publication se fît en jugement & en présence du juge, actis intervenientibus & quasi sub figurâ judicii ; c’est pourquoi elle est appellée publicum testimonium, & les actes que l’on publioit ainsi, qui n’étoient auparavant qu’écritures privées, devenoient alors écritures publiques & authentiques. Voyez Loyseau, des offices, liv. II. chap. v. n°. 28. & suivans.

On étoit sur-tout obligé de faire insinuer les donations. Voyez ci-après Insinuations des Donations.

En France, l’insinuation se faisoit autrefois au greffe de la justice du lieu, où l’acte devoit être rendu public ; mais comme les greffiers ordinaires se trouvoient trop distraits par ces insinuations, on a établi des bureaux particuliers qui sont comme une annexe du greffe, & des greffiers particuliers pour faire ces insinuations.

Elles sont de trois sortes ; savoir, les insinuations des donations, les insinuations ecclésiastiques, & les insinuations laïques.

Les registres des insinuations sont publics, & doivent être communiqués, sans déplacer, à tous ceux qui le requierent. Voyez l’article 3 de la déclaration du 17 Février 1731. (A)

Insinuation des Donations est la transcription qui se fait des donations sur un registre public destiné à cet effet.

On insinuoit volontairement chez les Romains tous les actes que l’on vouloit rendre publics ; mais comme les donations sont plus suspectes que les contrats à titre onéreux, on étoit obligé de faire insinuer toutes les donations d’une certaine somme. On avoit d’abord fixé cela aux donations, qui montoient à 200 écus ; ensuite Justinien le réduisit aux donations qui excédoient 300 écus ; enfin il fut réglé qu’il n’y auroit que celles qui excéderoient 500 écus, qui auroient besoin d’être insinuées, au lieu qu’auparavant il n’y avoit que les donations pieuses qui étoient valables jusqu’à cette somme sans insinuation.

Il y avoit encore certaines donations qui étoient exemptes de cette formalité.

Telles étoient les donations faites par le prince ou à son profit, celles qui étoient faites pour la rédemption des captifs, celles qui étoient faites pour la reconstruction des maisons ruinées par le feu ou autre dommage, les donations rémunératoires, & celles qui étoient faites à cause de mort.

Par le droit du code, les donations à cause de noces appellées anténuptiales, n’étoient pas non plus sujettes à insinuation, si la future étoit mineure, & qu’elle eût perdu son pere : par le droit des novelles, elles étoient bonnes pour la femme indistinctement, mais non pour le mari.

En France, l’insinuation des donations se pratiquoit dans les pays de droit écrit, conformément aux loix de Justinien & long-tems avant l’ordonnance de 1529 ; on trouve en effet dans les privileges que Charles V. en qualité de régent du royaume, accorda au mois d’Octobre 1358 au chapitre de S. Bernard de Romans en Dauphiné, qu’une donation qui excédoit 500 florins, n’étoit pas valable si elle n’étoit insinuée par le juge.

Mais l’insinuation n’étoit point usitée en pays coutumier jusqu’à l’ordonnance de François I. en 1539, qui porte, art. 132, que toutes donations seront insérées & enregistrées es cours & jurisdictions ordinaires des parties & des choses données, qu’autrement elles seront réputées nulles, & ne commenceront à avoir leur effet que du jour de ladite insinuation.

L’article 58 de l’ordonnance de Moulins veut que toutes donations entre-vifs soient insinuées ès greffes des siéges ordinaires de l’assiete des choses données & de la demeure des parties dans quatre mois, à compter du jour de la donation pour les personnes & biens étant dans le royaume, & dans six mois pour ceux qui sont hors le royaume, à peine de nullité, tant en faveur du créancier que de l’héritier du donateur, & que si le donateur ou le donataire décédoit pendant ce tems, l’insinuation pourra néanmoins être faite pendant ledit tems.

La déclaration du 17 Novembre 1690 ajoute que les donations pourront être insinuées pendant la vie du donateur, encore qu’il y ait plus de quatre mois qu’elles ayent été faites, & sans qu’il soit besoin d’aucun consentement du donateur, ni de jugement qui l’ait ordonné ; & que lorsqu’elles ne seront insinuées qu’après les quatre mois, elles n’auront effet contre les acquéreurs des biens donnés & contre les créanciers des donateurs que du jour qu’elles auront été insinuées.

L’édit du mois de Décembre 1703, appellé communément l’édit des insinuations laïques, veut que toutes donations, à l’exception de celles faites en ligne directe par contrat de mariage, soient insinuées dans les tems & sous les peines portées par l’ordonnance de 1539, celle de Moulins, & par les déclarations postérieures.

Il y a encore eu plusieurs autres réglemens donnés en interprétation des précédens jusqu’à la déclaration du 17 Février 1731, qui forme le dernier état sur la matiere des insinuations ; elle veut que toutes donations entre-vifs de meubles ou immeubles, mutuelles, réciproques, rémunératoires, onéreuses, même à la charge de service & fondations en faveur de mariage, & autres faites en quelque forme que ce soit, à l’exception de celles qui seroient faites par contrat de mariage en ligne, soient insinuées ; savoir, celles d’immeubles réels ou d’immeubles fictifs, qui ont néanmoins une assiete, aux bureaux établis pour la perception des droits d’insinuation près les bailliages ou sénéchaussées royales, ou autre siege royal ressortissant nuement en nos cours, tant du lieu du domicile du donateur que de la situation des choses données ; & celle des meubles ou de choses immobiliaires qui n’ont point d’assiete, aux bureaux établis près lesdits bailliages, sénéchaussées, ou autre siege royal ressortissant nuement en nos cours du lieu du domicile du donateur seulement ; & au cas que le donateur eût son domicile, ou que les biens donnés fussent dans l’étendue de justices seigneuriales, l’insinuation doit être faite aux bureaux établis près le siége qui a la connoissance des cas royaux dans l’étendue desdites justices, le tout dans les tems & sous les peines portées par l’ordonnance de Moulins & la déclaration du 17 Novembre 1690 ; toutes insinuations qui seroient faites en d’autres jurisdictions sont déclarées nulles.

Les donations par forme d’augment, contre-augment, don mobile, engagement, droit de rétention, agencement, gain de noces & de survie dans les pays où ils sont en usage, doivent être insinuées suivant la déclaration du 20 Mars 1708 ; mais celles du 25 Juin 1729 & du 17 Février 1731 portent que le défaut d’insinuation n’emporte pas la nullité de ces donations.

La peine de nullité n’a pas lieu non plus pour les donations des choses mobiliaires, quand il y a tradition réelle, ou quand elles n’excedent pas la somme de 1000 livres, les parties qui ont négligé de les faire insinuer sont seulement sujettes à la peine du double droit. (A)

Insinuation ecclésiastique est celle qui se fait au greffe de la jurisdiction ecclésiastique pour les actes qui y sont sujets, tels que les provisions des bénéfices & autres actes qui y sont relatifs, les lettres de vicariat général, ou pour présenter aux bénéfices les provisions d’official, de vice-gérent, de promoteur, de greffier des officialités ou chapitres, les révocations de ces actes, &c.

Les fraudes & les abus qui peuvent se commettre dans ces sortes d’actes donnerent lieu à Henri II. de créer par édit du mois de Mars 1553 des greffes d’insinuations ecclésiastiques en chaque diocèse, & permit aux archevêques & évêques d’y nommer jusqu’à ce qu’il en eût été autrement ordonné.

Mais l’execution de cet édit ayant été négligée, Henri IV. par l’édit de Juin 1595, érigea ces greffes en offices royaux séculiers & domaniaux.

Cependant le clergé obtint de Louis XIII. en 1615 la permission de rembourser ceux qui avoient acquis ces offices, à la charge d’y commettre des personnes laïques capables.

Quelques évêques ayant commis à ces places leurs domestiques, l’ordonnance de 1627 enjoignit à ces greffiers de se démettre de leurs places.

Le même prince, par son édit de 1637, créa dans les principales villes du royaume des contrôleurs des procurations pour résigner, & autres actes concernant les bénéfices.

Les difficultés qui s’éleverent pour l’exécution de ce dernier édit, donnerent lieu à une déclaration en 1646, qui permit au clergé de rembourser ces contrôleurs, au moyen de quoi leur charge seroit faite par les greffiers des insinuations des diocèses.

Cette derniere déclaration ayant été interpretée diversement par les différentes cours, Louis XIV. pour fixer la Jurisprudence sur cette matiere, donna un édit au mois de Décembre 1691, par lequel, en supprimant les anciens offices de greffiers des insinuations ecclésiastiques ; & en recréant de nouveaux, il régla les actes qui seroient sujets à insinuation, & la maniere dont cette formalité seroit remplie.

Voyez cet édit, & ce qui se trouve à ce sujet dans les mémoires du clergé. (A)

Insinuation laïque est opposée à insinuation ecclésiastique ; toute insinuation d’un acte qui n’est pas ecclésiastique, telle que l’insinuation d’une donation ou d’un testament, est une insinuation laïque ; néanmoins dans l’usage on distingue l’insinuation des donations & substitutions des insinuations laïques. On entend par celles-ci, l’insinuation qui se fait de tous les autres actes translatifs de propriété, & autres auxquels la formalité de l’insinuation a été étendue par l’édit du mois de Décembre 1703, appellé communément l’édit des insinuations laïques.

Les actes des notaires sujets à insinuation doivent être insinués dans la quinzaine, à la diligence des notaires qui les passent, à l’exception des donations & substitutions, & des contrats translatifs de propriété de biens immeubles situés hors le ressort de la jurisdiction où ils sont passés.

Quand l’insinuation doit être faite à la diligence des parties, le notaire doit faire mention dans l’acte, qu’il est sujet à insinuation.

Les nouveaux possesseurs, par contrats ou titres, doivent les faire insinuer dans les trois mois, & les nouveaux possesseurs à titre successif doivent faire leur déclaration, & payer les droits dans les six mois.

Les notaires de Paris ne sont en aucun cas chargés de faire faire insinuation.

Voyez les édits de 1703, la déclaration du 19 Juillet 1704, l’édit d’Octobre 1705, celui du mois d’Août 1706, la déclaration du 20 Mars 1708, & autres réglemens postérieurs. (A)

Insinuation des Substitutions a été établie par l’article 57 de l’ordonnance de Moulins, qui veut que les substitutions testamentaires soient enregistrées ou insinuées dans six mois, à compter du décès du testateur, & à l’égard des autres, du jour qu’elles auront été faites, à peine de nullité.

La déclaration du 17 Novembre 1690, permet de les faire publier & insinuer en tout tems, mais avec cette différence que quand ces formalités ont été remplies dans les six mois du jour que la substitution a été faite, elle a son effet du jour de la date, tant contre les créanciers que contre les tiers acquéreurs des biens qui y sont compris ; au lieu que si la publication & enregistrement ne sont faits qu’après les six mois, la substitution n’a d’effet contre les acquéreurs des biens donnés & contre les créanciers du donateur, que du jour qu’elle a été insinuée.

L’édit des insinuations laïques du mois de Décembre 1703, ordonne, article 10, que les substitutions seront insinuées & enregistrées ès registres des greffes des insinuations, tant du lieu du domicile des donateurs ou testateurs, que de ceux où les immeubles seront situés, sans préjudice de la publication des substitutions prescrites par les ordonnances.

Toutes ces dispositions sont rappellées dans l’ordonnance des substitutions, titre ij. Voyez Substitution. (A)