L’Encyclopédie/1re édition/ETERNÛMENT

ETERNÛMENT, s. m. (Medecine.) C’est une des fonctions secondaires des organes de la respiration, qui consiste dans une forte expiration excitée par un mouvement convulsif, qui determine l’air expiré à passer principalement par les narines, pour en emporter la cause de l’irritation, qui a mis en jeu les puissances qui servent à la respiration. Le méchanisme de l’éternûment peut être plus particulierement exposé, de la maniere qui suit.

Immédiatement avant que d’éternuer, on sent une sorte de chatouillement leger sous l’os cribleux, qui distribue les nerfs olfactifs aux narines : il s’excite ensuite une espece de mouvement convulsif des muscles qui servent à l’inspiration, qui dilatent le thorax beaucoup plus qu’à l’ordinaire ; ensorte que l’air entre dans les poumons en plus grande quantité : il y est retenu le plus long-tems qu’il se puisse, par l’action continuée des muscles inspirateurs. L’on paroît dans cet état hésiter & suspendre l’expiration qui doit nécessairement suivre ; l’air retenu dans les poumons par la glotte, qui est fermée dans ce tems-là, se raréfie beaucoup plus que de coûtume, à proportion de ce qu’il séjourne davantage dans la poitrine : il dilate par conséquent très-fortement les parties qui le renferment, il les applique contre les parois du thorax ; on sent une sorte de prurit au creux de l’estomac, vers le diaphragme. Cependant les cartilages des côtes, qui sont pliés & retenus dans une situation plus forcée qu’à l’ordinaire, tendent avec un effort proportionné à leur ressort trop bandé, à se remettre dans leur état naturel. En même tems, & par une sorte de convulsion, les muscles expirateurs se contractent très-fortement, & prévalent, par leur action prompte & subite, sur les organes expirateurs, & chassent l’air des poumons avec une grande impétuosité, qui force la glotte à s’ouvrir ; frappe ses bords & toutes les parties par où il passe : d’où se forme un bruit éclatant, souvent accompagné d’une espece de cri. Les muscles qui servent à relever la racine de la langue, entrent aussi en contraction ; ce qui ferme presque le passage par la bouche, & détermine l’air à se porter presque tout vers la cavité des narines, ou il se heurte fortement contre les membranes qui les tapissent, & entraîne avec lui toutes les matieres mobiles qui sont attachées à leur surface. Tous ces effets sont causes par une irritation violente des nerfs qui se distribuent à ces membranes. (voyez Nez, Narines, Membrane pituitaire) ; laquelle irritation se transmettant à la commune origine des nerfs, excite une convulsion générale dans tous ceux qui se distribuent aux muscles de la poitrine, du dos & de la tête, de même qu’il arrive un spasme universel en conséquence de la piquûre, de la blessure de tout autre nerf ou tendon, dans quelque partie du corps que ce soit.

Il n’est par conséquent pas nécessaire, pour expliquer le méchanisme de l’éternûment, d’avoir recours à la communication particuliere des nerfs, qui n’est pas bien prouvée, entre ceux de la membrane pituitaire & ceux de la poitrine ; car ce ne sont pas les seuls organes de la respiration qui sont mis en jeu dans l’éternûment, mais encore les muscles du cou & de la tête. Les postérieurs la tirent en-arriere, & la retiennent dans cette situation pendant la grande inspiration qui précede l’éternûment proprement dit ; & ensuite les antérieurs agissant à leur tour avec une grande promptitude, ramenent la tête, & la fléchissent en-avant.

Tels sont les mouvemens combinés qui constituent l’éternûment. Comme la toux sert à nettoyer les voies de l’air dans les poumons (voyez Toux), de même l’éternûment est produit pour nettoyer les narines.

L’irritation de la membrane pituitaire, causée par les humeurs dont elle est enduite, devenues acres, ou par toute autre matiere de même nature (voyez Sternutatoire), portée & appliquée sur les nerfs qui s’y distribuent, forcent la nature à employer tous les moyens possibles pour faire cesser cette irritation ; ce qu’elle fait par le moyen de l’air qu’elle pousse avec impétuosité contre ces matieres irritantes, & qu’elle fait servir comme de balai pour les enlever & les chasser hors des narines. C’est pourquoi on éternue ordinairement le matin après le reveil, & sur-tout en s’exposant au grand jour, à cause de la mucosité qui s’est ramassée pendant la nuit, & qui est devenue acre, irritante. L’éternûment qu’elle excite, sert à l’enlever & à découvrir les nerfs olfactifs, pour qu’ils soient plus sensibles à l’action des corps odoriferans.

L’éternûment produit encore plusieurs autres bons effets, entant que les secousses qui en résultent, se communiquent à toutes les parties du corps, & particulierement au cerveau. Hippocrate faisoit exciter l’éternûment pour faire sortir l’arriere-faix. Aphor. xlvj. sect. 11. L’éternûment qui se fait deux ou trois fois après le sommeil, rend le corps agile, dispos, & ranime les fonctions de l’ame ; mais s’il est répeté un plus grand nombre de fois de suite, il affoiblit considérablement, à cause de la convulsion des nerfs ; & il fait naître une douleur dans le centre nerveux du diaphragme, par le trop grand tiraillement qu’il y excite. Il peut produire bien d’autres mauvais effets, dont il est fait mention en parlant des remedes & autres choses propres à faire éternuer. Voyez Sternutatoire & Errhins.

L’éternûment est aussi produit, mais rarement, par d’autres causes que cette irritation des narines. Hoadly, of the respiration, p. 96. fait mention d’un éternûment habituel, causé par un vice de l’abdomen, & peut-être aussi du diaphragme, puisque la respiration ne se faisoit que par le moyen des côtes. Hildanus, cent. I. obs. xxjv. fait mention d’un homme qui éternuoit à volonté, & qui faisoit cent éternûmens de suite ; exemple bien singulier, & peut-être unique. On a vû des femmes hystériques faire des éternûmens énormes, & pendant plusieurs jours par intervalles. Le pere Strada a fait un traité de l’éternûment, dans lequel il donne la raison de l’usage établi de saluer ceux qui éternuent. C’est, selon lui, une coûtume des Payens, qui étoit cependant reçûe chez les Juifs comme chez les Romains. Voyez l’ouvrage cité & l’article suivant.

L’éternûment excessif est une affection convulsive trop long-tems continuée, ou trop violente. L’indication qui se présente, est d’emporter la cause de l’irritation qui produit la convulsion ; il faut conséquemment employer des remedes adoucissans & mucilagineux, qui émoussent l’acreté des matieres attachées à la membrane pituitaire, & qui relâchent les nerfs trop tendus & trop sensibles. On conseille pour cet effet le lait chaud, l’huile d’amandes douces, attirés par le nez. On prétend aussi que l’on peut arrêter l’éternûment, en comprimant fortement avec le doigt le grand angle de l’œil ; sans doute parce qu’on engourdit par-là une branche du nerf de la cinquieme paire, qui entre dans l’orbite avant que de se répandre dans le tissu de la membrane pituitaire. Lorsque l’éternûment dépend d’une fluxion considérable d’humeurs acres sur les narines, on doit travailler à les détourner du siége qu’elles occupent, & où elles produisent un symptome si fatiguant, par le moyen des purgatifs hydragogues ; & dans le cas où l’éternûment dépend de quelqu’autre maladie, il faut s’appliquer à en emporter la cause par les remedes qui lui sont appropriés pour que l’effet cesse. Cet article est tiré en partie du commentaire & des notes sur les institutions de Boerhaave, par M. Haller. (d)

Eternument, (Littér.) L’ancienneté & l’étendue de la coûtume de faire des souhaits en faveur de ceux qui éternuent, a engagé les Littérateurs à rechercher curieusement, d’après l’exemple d’Aristote, si cet usage tiroit son origine de la religion, de la superstition, des raisons de morale ou de physique. Voyez là-dessus, pour couper court, les écrits de Strada, de Schootérius, & le mémoire de M. Morin, qui est dans l’histoire de l’académie des Inscriptions.

Mais toutes les recherches qu’on a faites à ce sujet, ne laissent à desirer que la vérité ou la vraissemblance. Il faudroit être aujourd’hui bien habile pour deviner si dans les commencemens l’on a regardé les éternûmens comme dangereux, ou comme amis de la nature ; chaque peuple a pû s’en former des idées différentes, puisque les anciens medecins même ont été partagés : cependant aucun d’eux n’a adopté le système de Clément d’Alexandrie, qui ne consideroit les sternutations que comme une marque d’intempérance & de mollesse : c’est un système à lui tout seul.

Laissant donc à part la cause inconnue qui a pû porter les divers peuples à saluer un mouvement convulsif de la respiration, qui n’a rien de plus singulier que la toux ou le hoquet, il suffira de remarquer que les Grecs & les Romains, qui ont donné comme les autres dans cet usage, avoient la même formule de compliment à cette occasion ; car le ζῆθι des uns, vivez, & le salve des autres, portez-vous bien, sont absolument synonymes.

Les Romains faisoient de ce compliment, du tems de Pline le naturaliste, un des devoirs de la vie civile ; c’est lui qui nous l’apprend. Chacun, dit-il, salue quand quelqu’un éternue, sternutamentis salutamur ; & il ajoûte, comme une chose singuliere, que l’empereur Tibere exigeoit cette marque d’attention & de respect de tous ceux de sa suite, même en voyage & dans sa litiere : ce qui semble supposer que la vie libre de la campagne ou les embarras du voyage, les dispensoient ordinairement de certaines formalités attachées à la vie citadine.

Dans Pétrone, Giton qui s’étoit caché sous un lit, s’étant découvert par un éternûment, Eumolpus lui adresse aussi-tôt son compliment, salvere Gitona juber. Et dans Apulée semblable contre-tems étant arrivé plusieurs fois au galant d’une femme, qui avoit été obligé de se retirer dans la garde-robe, le mari, dans sa simplicité, supposant que c’étoit sa femme, solito sermone salutem ei precatus est, fit des vœux pour sa santé, suivant l’usage.

La superstition qui se glisse par-tout, ne manqua pas de s’introduire dans ce phénomene naturel, & d’y trouver de grands mysteres. C’étoit chez les Egyptiens, chez les Grecs, chez les Romains, une espece de divinité familiere, un oracle ambulant, qui dans leur prévention les avertissoit en plusieurs rencontres du parti qu’ils devoient prendre, du bien ou du mal qui devoit leur arriver. Les auteurs sont remplis de faits qui justifient clairement la vaine crédulité des peuples à cet égard.

Mais l’éternûment passoit pour être particulierement décisif dans le commerce des amans. Nous lisons dans Aristénete (épist. v. lib. II.) que Parthénis, jeune folle entêtée de l’objet de sa passion, se détermine enfin à expliquer ses sentimens par écrit à son cher Sarpédon : elle éternue dans l’endroit de sa lettre le plus vif & le plus tendre ; c’en est assez pour elle, cet incident lui tient lieu de réponse, & lui fait juger qu’au même instant son cher amant répondoit à ses vœux : comme si cette opération de la nature, en concours avec l’idée des desirs, étoit une marque certaine de l’union que la sympathie établit entre les cœurs. Par la même raison les poëtes grecs & latins disoient des jolies personnes, que les amours avoient éternué à leur naissance.

Après cela l’on comprend bien qu’on avoit des observations qui distinguoient les bons éternûmens d’avec les mauvais. Quand la lune étoit dans les signes du taureau, du lion, de la balance, du capricorne, ou des poissons, l’éternûment passoit pour être un bon augure ; dans les autres constellations, pour un mauvais présage. Le matin, depuis minuit jusqu’à midi, fâcheux pronostic ; favorable au contraire depuis midi jusqu’à minuit : pernicieux en sortant du lit ou de la table ; il l’alloit s’y remettre, & tâcher ou de dormir, ou de boire, ou de manger quelque chose, pour rompre les lois du mauvais quart-d’heure.

On tiroit aussi de semblables inductions des éternûmens simples ou redoublés, de ceux qui se faisoient à droite ou à gauche, au commencement ou au milieu de l’ouvrage, & de plusieurs autres circonstances qui exerçoient la crédulité populaire, & dont les gens sensés se moquoient, comme on le peut voir dans Cicéron, dans Séneque, & dans les pieces des auteurs comiques.

Enfin tous les présages tirés des éternûmens ont fini, même parmi le peuple ; mais on a conservé religieusement jusqu’à ce jour dans les cours des princes, ainsi que dans les maisons des particuliers, quelque marque d’attention & de respect pour les supérieurs qui viennent à éternuer. C’est un de ces devoirs de civilité de l’éducation, qu’on remplit machinalement sans y penser, par habitude, par un salut qui ne coûte rien, & qui ne signifie rien, comme tant d’autres puérilités dont les hommes sont & dont ils seront toûjours esclaves. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.