L’Encyclopédie/1re édition/NARINES INTERNES

NARINES INTERNES, (Anatom.) On sait que ce sont deux grandes cavités égales dans lesquelles le nez est partagé par le moyen d’une cloison ; elles s’ouvrent en bas pour donner passage à l’air qui y entre dans l’inspiration, se porte aux poumons, & en sort dans l’expiration. Aprés que ces cavités se sont élargies en montant, elles vont chacune au-dessus du palais, vers la partie postérieure & intérieure de la bouche, où elles se terminent en une ouverture qui fait que la boisson sort quelquefois par les narines, & que le tabac, pris par le nez, tombe dans la bouche.

Il faut remarquer que les narines internes comprennent tout l’espace qui est entre les narines externes & les arrieres-narines, immédiatement au dessous de la voûte du palais, d’où les cavités s’étendent en-haut jusqu’à la lame cribleuse de l’os ethmoïde, où elles communiquent en-devant avec les sinus frontaux, & en-arriere avec les sinus sphénoïdaux. Latéralement, ces cavités sont terminées par les conques, entre lesquelles elles communiquent avec les sinus maxillaires.

Toutes ces choses doivent être observées pour pouvoir comprendre un fait fort singulier, rapporté dans les Mémoires de l’académie des Sciences, année 1722 ; il s’agit d’un tour que faisoit un homme à la foire à Paris. Il s’enfonçoit en apparence un grand clou dans le cerveau par les narines ; voici comment : il prenoit un clou de l’épaisseur d’une grosse plume, long environ de cinq pouces, & arrondi par la pointe. Il le mettoit avec sa main gauche dans une de ses narines, & tenant un marteau avec sa main droite, il disoit qu’il alloit enfoncer le clou dans sa tête, ou comme il s’expliquoit, dans sa cervelle. Effectivement il l’enfonçoit presqu’entier par plusieurs petits coups de marteau ; il en faisoit autant avec un autre clou dans l’autre narine ; ensuite il pendoit un sceau plein d’eau par une corde sur les têtes de ces clous, & le portoit ainsi sans aucun autre secours.

Ces deux opérations parurent d’abord surprenantes non-seulement au vulgaire, mais même aux Physiciens anatomistes les plus éclairés. Leur premiere idée fut de soupçonner quelque artifice, quelque industrie cachée, quelque tour de main ; mais M. Winslow, après avoir réfléchi sur la structure, la situation, & la connexion des parties, en trouva l’explication suivante.

Le creux interne de chaque narine va tout droit depuis l’ouverture antérieure jusqu’à l’ouverture postérieure, qui est au-dessus de la cloison du palais. Dans tout ce trajet, les parties osseuses ne sont revêtues que de la membrane pituitaire ; les cornets inférieurs n’y occupent pas beaucoup d’espace, & laissent facilement passer entr’eux & la cloison des narines, le tuyau d’une plume à écrire, que l’on peut sans aucune difficulté glisser directement jusqu’à la partie antérieure de l’os occipital. Ainsi un clou de la même grosseur pour le moins, mais arrondi dans toute sa longueur & sa pointe, ou fort émoussé, peut y glisser sans peine & sans coups de marteau, dont le joueur se servoit pour déguiser son tour d’adresse.

Cette premiere opération fait comprendre la seconde. Les clous étant introduits jusqu’à l’os occipital, & leurs têtes étant près du nez, il est aisé de juger que si on met quelque fardeau sur les têtes de ces clous, ils appuieront en-bas sur le bord osseux de l’ouverture antérieure des narines, pendant que leurs extrémités ou pointes s’élevent contre l’alongement de l’os occipital, qui fait comme la voûte du gosier. Les clous représentent ici la premiere espece de levier, dont le bras court est du côté du fardeau, & le bras long du côté de la résistance. Si l’on objecte que cela ne se peut faire sans causer une contusion très-considérable aux parties molles qui couvrent ces deux endroits, on peut répondre que l’habitude perpétuelle est propre à rendre avec le tems ces parties comme calleuses & presque insensibles.

Mais la pesanteur du fardeau est une autre difficulté plus grande ; car ce sont les os maxillaires qui soutiennent le poids, & leur connexion avec les autres pieces du crâne paroît si légere, qu’elle donne lieu de craindre qu’un tel effort ne les arrache. Cependant il faut considérer, 1°. que souvent ces os se soudent entierement avec l’âge, & que pour-lors il n’y a rien à craindre ; 2°. ces deux os unis ensemble sont engrenés par deux bouts avec l’os frontal, ce qui augmente leur force ; 3°. ils le sont encore avec l’os sphénoïde, par des entailles qui en empêchent la séparation de haut en bas ; 4°. ils sont de plus appuyés en arriere par les apophyses ptérigoïdiennes, comme par des arcs-boutans, ce qui leur est d’autant plus avantageux, qu’ils y sont enclavés par le moyen des pieces particulieres des os du palais ; 5°. le périoste ligamenteux qui tapisse toutes ces jointures, contribue beaucoup à leur fermeté ; 6°. enfin ajoutons que les muscles de la mâchoire inférieure y ont bonne part, principalement ceux qu’on appelle crotaphites. On sait qu’ils sont très-puissans, fortement attachés, non-seulement à une assez grande étendue de la partie latérale de la tête, mais encore aux apophyses coronoïdes de la mâchoire inférieure : ainsi elles sont assez capables de soulever cette mâchoire contre la supérieure, & par-là de soutenir celle-ci pendant qu’elle porte le seau plein d’eau. (D. J.)