L’Encyclopédie/1re édition/DIURÉTIQUE

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DIURÉTIQUE, adj. (Thérap. & mat. Méd.) on appelle ainsi tout médicament capable de provoquer la secrétion & l’excrétion de l’urine.

Parmi les médicamens qui font couler abondamment les urines, il en est qui excitent directement la fonction des organes qui la séparent, ou qui disposent les humeurs à cette excrétion de la façon la plus avantageuse : il en est d’autres qui n’occasionnent l’abondance d’urine que parce qu’ils portent dans la masse des humeurs une quantité de liquide proportionnée à la quantité de l’urine évacuée ; à la rigueur ce ne seroit que les premiers qu’on devroit regarder comme diurétiques : les derniers ne le sont pas plus, qu’une nourriture plus abondante que de coûtume n’est une purgation, quoiqu’elle soit suivie ordinairement d’une évacuation abdominale beaucoup plus copieuse. Cependant on appellera, si l’on veut, les premiers diurétiques vrais, ou proprement dits ; les seconds diurétiques faux, ou improprement dits : & cette distinction sera mieux entendue que celle que la plûpart des auteurs de matiere médicale ont établie entre les diurétiques qu’ils ont divisés en chauds & en froids, quoiqu’ils ayent ramené ces anciennes expressions de chaud & de froid aux notions modernes.

Les diurétiques chauds sont, selon ces auteurs, ceux qui agissent en excitant les solides, en stimulant, en irritant, ou en foüettant les humeurs, les brisant, les affinant, augmentant leur mouvement, soit intestin, soit progressif, &c. & les diurétiques froids, ceux qui produisent précisément l’effet contraire, qui calment, qui temperent, qui conservent ou augmentent la fluidité du sang, qui lui procurent un cours égal & paisible, un état doux & balsamique ; & aux solides des mouvemens souples, aisés, harmoniques, &c. ou qui corrigent les défauts contraires, éteignent l’incendie du sang, appaisent la fougue des humeurs, changent ou émoussent ses diverses acrimonies, &c. assouplissent des solides roides, crispés, agacés, calment le spasme, l’érétisme, &c.

Les diurétiques chauds sont les diurétiques vrais ; l’observation décide leur qualité. Les prétendus diurétiques froids, ou ne sont que des diurétiques faux, ou ne peuvent être regardés que comme des remedes généraux, tels que la saignée, les vomitifs, les narcotiques, qui rétablissent très-efficacement le cours des urines dans plusieurs cas ; ou enfin ils agissent par des sels, ce qui les ramene dans la classe des diurétiques chauds, dont la plus grande partie n’agissent que par ce principe. Les aqueux purs, les émulsions, les très-légeres infusions de plantes diurétiques ; l’eau de poulet, de veau, de citrouille, la limonade, les tisanes aiguisées de-quelques gouttes d’un acide minéral, les légeres décoctions des farineux, &c. un grand nombre d’eaux prétendues minérales, &c. tous ces remedes, dis-je, regardés comme des diurétiques froids, sont des diurétiques faux, & ne sont utiles qu’à titre de remedes généraux. Les plantes, de la famille des bourraches, & les cucurbitacées, rangées par plusieurs auteurs parmi les diurétiques froids, sont éminemment nitreuses, & rentrent par-là dans la classe des diurétiques chauds, dont plusieurs doivent leur vertu à ce sel ; vertu qu’on peut appeller, si l’on veut, tempérante avec les Stahliens, ou antiphlogistique avec Boerhaave, mais qui est assez analogue par tous ses effets à celle de tous les sels neutres (& en général même à celle des médicamens que nous appellons purement irritans), pour qu’il soit au moins inutile de l’en séparer par ce titre très-indéterminé, & qu’il ne mérite que je sache par aucune qualité sensible. Voyez Tempérant, Rafraichissant, Médicament, Nitre.

Les diurétiques chauds sont assez communément confondus avec les remedes appellés apéritifs ; & ces derniers ne sont même ordinairement des remedes réels, ou du moins des remedes dont l’action soit manifeste, qu’autant qu’ils produisent l’effet diurétique.

Les diurétiques sont employés par les Medecins pour deux vûes générales, ou pour établir la secrétion de l’urine suspendue ou diminuée par un vice particulier des instrumens, ou de la matiere de cette secrétion : telles sont la plûpart des maladies des reins, & plusieurs maladies des ureteres & de la vessie (voyez les articles particuliers) ; ou pour procurer par cette voie une évacuation utile à la guérison de plusieurs maladies, & quelquefois même absolument curative : telles sont principalement un grand nombre de maladies chroniques, l’hydropisie, l’ictere, les fievres quartes, les suppressions de mois, les maladies de la peau, les maux à la tête habituels, &c. Les diurétiques ne sont mis ordinairement en usage dans les maladies aiguës, que comme secours secondaires : on se propose de faire couler les urines, d’entretenir cette évacuation, mais non pas de procurer par cette voie l’évacuation principale ou curative ; car quoique la nature termine quelquefois les maladies aiguës par une abondante évacuation d’urine, les Médecins agissans n’ont rien statué encore sur les cas où il seroit peut-être utile de la diriger dès le commencement du traitement vers les voies urinaires, plûtôt que vers le ventre, la peau, le poumon, &c.

Les diurétiques faux conviennent aussi-bien que les vrais dans les cas de la premiere classe : on donne même très-utilement dans ces cas les diurétiques vrais avec un véhicule aqueux fort abondant, c’est-à-dire avec les diurétiques faux. Dans les cas de la seconde classe, ce n’est qu’aux diurétiques vrais qu’on peut avoir recours.

Les diurétiques tempérés peuvent être donnés sans conséquence dans la plûpart des maladies, soit aiguës, soit chroniques ; mais l’administration des diurétiques forts demande de la part du praticien les considérations suivantes :

1°. On ne doit pas les donner dans le cas d’une grande pléthore, & sur-tout si le cours des humeurs paroît principalement déterminé vers les reins, & qu’on craigne le pissement de sang, un engorgement inflammatoire des reins, ou des douleurs néphrétiques ; au moins faut-il faire précéder la saignée dans ce cas. Traduction libre du Conspectus Therapeiæ de Juncker.

2°. Les diurétiques sont contre-indiqués par la présence d’un corps étranger dans les voies urinaires, d’une carnosité, d’un grumeau de sang, d’une pierre, &c. Idem. ibid.

3°. On doit employer les diurétiques avec beaucoup de circonspection dans les affections goutteuses ; car la vûe de chasser par les urines une prétendue matiere tartareuse, regardée comme la cause de ces affections, est une indication très-précaire. Id. ib.

4°. Il faut s’abstenir de l’usage des forts diurétiques, si l’on veut tenter de chasser par ces remedes les petits calculs, & du gravier. Les remedes relâchans-nitreux, (c’est-à dire mucilagineux, émulsifs, doux, & en même tems nitreux, tels que la bourrache, les mauves, la citrouille, &c.) agissant très doucement, sont d’autant plus recommandables dans ce cas, que l’observation leur devient plus favorable de jour en jour. Id. ib. Juncker semble les recommander comme efficaces : mais si l’efficacité de ces remedes n’est pas bien évidente, on peut au moins assûrer qu’ils ne sont pas dangereux.

5°. On doit avoir d’autant plus de soin de faire couler les urines dans l’état de la maladie, que le sujet attaqué en rendoit plus abondamment dans l’état de santé.

6°. Il se trouve des sujets, qui dans de certains périodes reglés, par exemple, tous les mois, ou vers les équinoxes, rendent une grande quantité d’urine. Si cette évacuation qu’on doit regarder comme naturelle & nécessaire pour les sujets qui l’éprouvent, vient à essuyer quelque dérangement, il faut y remédier avec soin. Id. ib.

Voici la liste des diurétiques que donne Juncker, qui n’y a compris aucun des diurétiques froids, quoiqu’il ait fait une classe de diurétiques délayans, émolliens, & lubréfians. Cette liste est plus courte que celle qu’on pourroit dresser sur les prétentions de la plûpart des Pharmacologistes, & des auteurs des traités généraux de pratique : elle est cependant chargée encore du nom de plusieurs médicamens, dont la vertu diurétique n’est pas assez confirmée par l’observation. Voyez les articles particuliers.

Liste des Diurétiques.
Végétaux. Les racines de rave.
Les racines d’ail. de raifort.
d’ache. de saxifrage.
de pié-de-veau. de scille.
d’aristoloche. de valériane.
d’asperge. de petite ortie.
de bardane. Herbes ou Plantes.
de carline. Le capillaire.
de benoîte. Le cerfeuil.
d’oignon. Le lierre terrestre.
de panais sauvage. La linaire.
de fraxinelle. Le cresson.
de panicaut. La véronique.
de fraisier. La verge d’or.
de garence. Les Fleurs.
de chiendent. D’arnica.
d’aunée. De paquerette.
de turquette. De genêt.
d’impératoire. De millepertuis.
de livêche. De linaire.
de cresson. De violette.
d’arrête-bœuf. Semences & Fruits.
de pareira-brava. De bardane.
d’herbe aux poux. De carvi.
de persil. Les écorces d’orange & de citron.
de pimprenelle.
Liste des Diurétiques.
Semences & Fruits.
De cumin. Le clyssus d’antimoine tartarisé.
De daucus.
De millepertuis. La teinture d’antimoine tartarisée.
De gremil.
De seseli. Le borax.
De violete. L’esprit de chaux vive.
D’ortie. Le crystal préparé.
Les amandes ameres. La pierre judaïque.
Les bayes d’alkekenge. La pierre de lynce.
de genievre. La pierre néphrétique.
de laurier. Les crystaux de Lune.
Les grateculs. Le nitre purifié.
Les noyaux de pêche. Le nitre antimonié.
de cerise. Le nitre régénéré.
Gommes-résines. La liqueur de nitre.
La gomme ammoniac. L’esprit de nitre fixé.
Le bdellium. L’esprit de nitre dulcifié.
Le galbanum. Les sels neutres ; par exemple.
Le sandarac.
L’oliban. Le tartre vitriolé.
Le sagapenum. L’arcanum duplicatum.
Les Baumes. Le nitre antimonié.
La térébenthine. Le sel polychreste.
Le baume de copahu. Les sels volatils urineux.
Le baume du Pérou. Le sel commun régénéré.
Les Bois. L’esprit de sel.
Le frêne. Le succin & sa teinture.
Le gayac. Les Animaux.
Le genevrier. Les cloportes.
Le bois néphrétique. Les crapaux.
Le sassafras. La pierre de la vessie.
Les Sels végétaux. Les cantharides.
Les alcalis fixes. Les coquillages préparés.
Le sel de chardon benit. Les mêmes saturés d’acide.
de chardon à foulon. L’esprit de corne de cerf.
de genêt. L’esprit d’ivoire.
d’impératoire. Les pierres de perches.
d’arrête-bœuf. Les pierres de carpes préparées.
de tiges de feves.
Le tartre & ses préparations ; par exemple, La poudre de vers de terre.
L’esprit des mêmes vers.
Le tartre vitriolé. Les yeux d’écrévisses.
Le tartre tartarisé. Les grenouilles.
Les crystaux de tartre. Le sang de bouc.
La terre foliée. Les scarabés de May confits dans le miel.
La liqueur de terre foliée.
Le sel de tartre. Les scorpions.
L’esprit de tartre. Le pié de lievre.
La teinture de tartre. Les coquilles d’œufs.
Les Minéraux. Les coquilles d’œufs d’autruche.
L’antimoine crud.

De tous ces remedes les plus éprouvés sont, sans contredit les suivans : du regne végétal, les racines d’asperge, de pareira-brava, de chiendent, d’aunée, de persil, de rave, de raifort, les oignons ; l’herbe de cresson, de persil, de cerfeuil, l’asperge qu’on sert sur nos tables, les bayes d’alkekenge, la térébenthine, & tous les baumes naturels liquides ; les sels essentiels des végétaux, le tartre, & la plûpart de ses préparations mentionnées dans la liste ci-dessus, & sur-tout la terre foliée, les alkalis fixes : du regne minéral, le nitre, le tartre vitriolé, le sel de Glauber, & l’esprit de sel : du regne animal, les cantarides dont l’usage intérieur est très-dangereux, les cloportes, l’esprit de fourmis, & les esprits alkalis-volatils. Voyez les articles particuliers.

La forme la plus ordinaire sous laquelle on administre les diurétiques, est celle de tisane, d’apozeme, de suc, ou de boiullon ; on fait fondre les sels dans ces boissons aqueuses, & on peut même dissoudre les baumes à la faveur du sucre ou du jaune d’œuf ; mais on donne plus souvent ces derniers sous la forme solide avec quelqu’excipient approprié : les poudres, comme celle de cloportes, & les poudres diurétiques composées qu’on peut former, selon l’art, par le mélange de plusieurs des remedes que nous venons d’indiquer, ou s’ordonnent sous la forme même de poudre, ou s’incorporent avec quelque composition diurétique officinale, le syrop des cinq racines, par exemple.

On applique assez communément des diurétiques extérieurement ; par exemple, des oignons cuits sous la cendre, dans les ardeurs & les rétentions d’urine ; & ce remede est quelquefois très-efficace : l’application des herbes émollientes, réduites par la cuite ou par le pilon en consistence de cataplasme, sur la région des reins & de la vessie, ou même sur tout le bas-ventre, réussit quelquefois dans le même cas, aussi-bien que les bains & le demi-bain ; mais ces derniers remedes ne sont pas des diurétiques proprement dits, mais des remedes généraux. Le bain d’huile, auquel j’ai vû souvent avoir recours dans les mêmes cas, m’a toûjours paru une ressource fort équivoque : on peut cependant consulter encore à ce sujet une observation plus attentive & plus éclairée. Voyez Retention d’urine. Ce secours, s’il étoit réel, seroit un diurétique faux, ou un remede général.

Quant à la maniere d’agir des diurétiques, voyez les articles Excrétion, Secrétions, Rein, Urine, & Médicament. (b)