L’Encyclopédie/1re édition/CATARACTE

CATARRHE  ►

CATARACTE D’EAU, (Physiq.) chûte ou précipice dans le canal ou lit d’une riviere, qui a pour cause des rochers ou autre chose qui arrête le courant, & fait tomber l’eau avec bruit & une grande impétuosité.

Ce mot vient du Grec καταῤῥάσσω, cum impetu decido, je tombe avec impétuosité ; lequel est composé de κατὰ, en en-bas, & de ῥάσσω, dejicio, je jette en-bas.

M. de Maupertuis, dans la relation curieuse & intéressante de son voyage au Nord, parle des cataractes du fleuve de Torneao, & de la maniere dont les gens du pays les franchissent dans des nacelles fort minces. On peut voir aussi dans le tome I. de l’histoire ancienne de M. Rollin, la description abrégée des cataractes du Nil, & de l’intrépidité avec laquelle les peuples du pays s’y exposent.

Strabon appelle aussi cataractes, ce qu’on appelle aujourd’hui cascade ; & ce que nous appellons présentement cataracte, les anciens l’appelloient catadupes. Voyez Cascade & Catadupes.

Dans presque tous les fleuves, dit M. de Buffon, la pente va en diminuant jusqu’à leur embouchûre d’une maniere assez insensible : mais il y en a dont la pente est très-brusque dans certains endroits, ce qui forme ce qu’on appelle une cataracte, qui n’est autre chose qu’une chûte d’eau plus vive que le courant ordinaire du fleuve. Le Rhin, par exemple, a deux cataractes ; l’une à Bilefeld, & l’autre auprès de Schaffouse. Le Nil en a plusieurs, & entr’autres deux qui sont très-violentes & qui tombent de fort haut entre deux montagnes : la riviere Vologda, en Moscovie, a aussi deux cataractes auprès de Ladoga : le Zaïre, fleuve de Congo, commence par une forte cataracte qui tombe du haut d’une montagne : mais la plus fameuse cataracte est celle de la riviere Niagara, en Canada ; elle tombe de cent cinquante-six piés de hauteur perpendiculaire comme un torrent prodigieux, & elle a plus d’un quart de lieue de largeur ; la brume ou le brouillard que l’eau fait en tombant se voit de cinq lieues, & s’éleve jusqu’aux nues ; il s’y forme un très-bel arc-en-ciel lorsque le soleil donne dessus. Au-dessous de cette cataracte il y a des tournoyemens d’eau si terribles, qu’on ne peut y naviger jusqu’à six milles de distance ; & au-dessus de la cataracte la riviere est beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est dans les terres supérieures. Voyez Transact. philosoph. abr. vol. VI. part. II. pag. 119. Voici la description qu’en donne le Pere Charlevoix : « Mon premier soin fut de visiter la plus belle cascade qui soit peut-être dans la nature : mais je reconnus d’abord que le baron de la Hontan s’étoit trompé sur sa hauteur & sur sa figure, de maniere à faire juger qu’il ne l’avoit point vûe.

» Il est certain que si on mesure sa hauteur par les trois montagnes qu’il faut franchir d’abord, il n’y a pas beaucoup à rabattre des six cents piés que lui donne la carte de M. de l’Isle, qui sans doute n’a avancé ce paradoxe que sur la foi du baron de la Hontan & du P. Hennepin : mais après que je fus arrivé au sommet de la troisieme montagne, j’observai que dans l’espace de trois lieues que je fis ensuite jusqu’à cette chûte d’eau, quoiqu’il faille quelquefois monter, il faut encore plus descendre, & c’est à quoi ces voyageurs paroissent n’avoir pas fait assez d’attention. Comme on ne peut approcher la cascade que de côté, ni la voir que de profil, il n’est pas aise d’en mesurer la hauteur avec les instrumens : on a voulu le faire avec une longue corde attachée à une longue perche, & après avoir souvent réiteré cette maniere, on n’a trouvé que cent quinze ou cent vingt piés de profondeur : mais il n’est pas possible de s’assûrer si la perche n’a pas été arrêtée par quelque rocher qui avançoit ; car quoiqu’on l’eût-toûjours retirée mouillée aussi-bien qu’un bout de la corde à quoi elle étoit attachée, cela ne prouve rien, puisque l’eau qui se précipite de la montagne réjaillit fort haut en écumant. Pour moi, après l’avoir considérée de tous les endroits d’où on peut l’examiner à son aise, j’estime qu’on ne sauroit lui donner moins de cent quarante ou cent cinquante piés.

» Quant à sa figure, elle est en fer à cheval, & elle a environ quatre cents pas de circonférence, mais précisément dans son milieu elle est partagée en deux par une île fort étroite & d’un demi-quart de lieue de long, qui y aboutit. Il est vrai que ces deux parties ne tardent pas à se rejoindre ; celle qui étoit de mon côté, & qu’on ne voyoit que de profil, a plusieurs pointes qui avancent : mais celle que je découvrois en face me parut fort unie. Le baron de la Hontan y ajoûte un torrent qui vient de l’ouest : il faut que dans la fonte des neiges les eaux sauvages viennent se décharger là par quelque ravine, &c. ». pag. 332. &c. tom. III.

Il y a, continue M. de Buffon, une cataracte à trois lieues d’Albanie, dans la nouvelle Yorck, qui a environ cinquante piés de hauteur ; & de cette chûte d’eau il s’éleve aussi un brouillard dans lequel on apperçoit un léger arc-en-ciel, qui change de place à mesure qu’on s’en éloigne ou qu’on s’en approche. Voyez Trans. phil. abr. vol. VI. pag. 119.

En général dans tous les pays où le nombre d’hommes n’est pas assez considérable pour former des sociétés policées, les terrains sont plus irréguliers & le lit des fleuves plus étendu, moins égal, & rempli de cataractes. Il a fallu des siecles pour rendre le Rhône & la Loire navigables ; c’est en contenant les eaux, en les dirigeant & en nettoyant le fond des fleuves qu’on leur donne un cours assûré. Dans toutes les terres où il y a peu d’habitans, la nature est brute & quelquefois difforme. Hist. nat. de MM. de Buffon & Daubenton, tom. I.

Il est dit dans la Genese, à l’occasion du déluge, que les cataractes du ciel furent ouvertes. Il y a apparence que le mot de cataractes en cet endroit, signifie un grand réservoir d’eau.

M. Newton a donné le nom de cataracte à la courbe que décrivent, selon lui, les particules d’un fluide qui s’échappe d’un vase par un trou horisontal. Voy. Hydrodynamique. (O)

Cataracte, s. f. (Hist. nat. Ornith.) catarracta Ald. oiseau qui approche beaucoup du gannet, voy. Gannet. Le dessous du corps, les ailes, & le dos, font d’une couleur brune roussâtre mêlée de blanc & de jaune ; toute la face supérieure est de couleur blanche mêlée de brun roussâtre : il a la bouche grande & large ; le bec est très-gros, pointu, crochu & fort, il est épais d’un pouce, & de couleur noire : le cou est un peu allongé ; les ailes s’étendent jusqu’à l’extrémité de la queue, qui est de la longueur d’un palme & de couleur noirâtre : les cuisses sont couvertes de plumes jusqu’à la jambe : les pates, les doigts, & la membrane qui joint les doigts ensemble, sont de couleur cendrée : les ongles sont noirs, crochus, & petits. La cataracte differe du gannet par la petitesse du corps & des ongles ; cependant Willughby soupçonne que ces deux noms devroient être rapportés au même oiseau, parce qu’il croit qu’Aldrovande a fait sa description sur une représentation & non pas sur l’oiseau naturel. Aldrovande, Willughby, Ornit. Voyez Oiseau. (I)

* Cataracte, s. f. (Hist. anc.) c’est ainsi que les anciens appelloient ces défenses que nous plaçons à l’entrée des villes de guerre, & que nous appellons herse. Voyez Herse.

Cataracte, ou Suffusion, (Chirurgie.) suivant l’opinion des anciens, est une membrane ou pellicule qui nage dans l’humeur aqueuse de l’œil, & qui se mettant au-devant de la prunelle, empêche la lumiere d’y entrer. Voyez Vûe.

Ils croyent que la cataracte est formée par la condensation des parties les plus visqueuses de l’humeur aqueuse entre la tunique uvée & le crystallin ; quoique quelques-uns pensent que cette pellicule est détachée du crystallin même, qui n’est qu’un composé de plusieurs petites pellicules appliquées les unes sur les autres. Voyez Crystallin.

Il y a deux sortes de cataractes, la vraie & la fausse : la vraie a plusieurs degrés & plusieurs noms différens : d’abord le malade voit des especes de brouillards, d’atomes, de mouches, &c. sur les objets exposés à sa vûe. Jusques-là la cataracte est appellée imaginaire, parce qu’il n’y a encore à l’œil aucun changement sensible dont d’autres personnes que le malade puissent s’appercevoir. A mesure que la suffusion augmente, la prunelle commence à prendre une couleur de verd de mer, ou quelquefois celle d’un air rempli de brouillards ; & alors la cataracte s’appelle chûte d’eau. Lorsque le mal est arrivé à son plus haut période, & que la matiere est suffisamment coagulée, le malade perd tout-à-fait la vûe ; la prunelle cesse d’être transparente, mais devient blanche ou brune, ou de quelqu’autre couleur ; & c’est en cet état que le nom de cataracte convient proprement à cette maladie.

Voilà la théorie commune sur les cataractes, à laquelle quelques Medecins & Chirurgiens modernes, tels que Heister, Brisseau, Maître-Jan, &c. en opposent & en substituent une nouvelle. Ils pensent que la membrane ou pellicule qui s’oppose au passage des rayons de la lumiere, n’est autre chose que le crystallin même qui a été ainsi condensé, & qui a perdu se transparence, & qu’alors au lieu de servir d’instrument à la vision, il y sert d’obstacle, en empêchant les rayons de pénétrer jusqu’à la rétine. Cette altération dans sa transparence est accompagnée d’un changement de couleur : il devient quelquefois verdâtre ; & c’est pour cela que les Grecs ont appellé cette indisposition de l’œil glaucome. Ainsi dans le sentiment de ces auteurs, le glaucome & la cataracte sont la même chose ; quoique dans l’autre hypothese ce soient deux maladies fort différentes, dont l’une, à savoir la premiere, passe pour incurable, & non pas l’autre. Voyez Glaucome.

La principale preuve qu’on ait apportée en faveur de cette seconde hypothese, à l’académie royale des Sciences où elle a été proposée, est qu’après qu’on a abaissé la cataracte, la personne ne peut plus voir qu’à l’aide d’un verre lenticulaire. Or si on n’avoit rien fait qu’enlever une pellicule de devant le crystallin, il seroit après l’opération dans le même état qu’avant la formation de la cataracte, & feroit les mêmes réfractions ; & il ne seroit pas besoin de verre lenticulaire : au lieu qu’en supposant que c’est le crystallin qui a été enlevé, on conçoit qu’il faut un verre lenticulaire pour suppléer à sa fonction.

A cela on répond, qu’il y a eu des personnes qui ont vû après l’opération sans le secours d’aucun verre ; & il est du moins très-constant, qu’immédiatement après l’opération, bien des personnes ont vû très-distinctement ; & quoiqu’il ait fallu bientôt après un verre lenticulaire, les premiers instans pendant lesquels la personne a pu s’en passer, suffisent pour prouver que ce n’étoit point le crystallin qu’on avoit rangé.

M. de la Hire, en preuve de l’ancien système, apporte pour raison de la nécessité du verre lenticulaire après l’opération, que le vice qui a produit la cataracte est encore subsistant dans l’humeur aqueuse, qui étant trouble & épaisse, ne laisse passer que peu de rayons ; inconvénient à quoi on remédie par le verre lenticulaire qui en réunit un plus grand nombre sur la rétine. Il ajoûte quelques expériences faites sur des yeux de bœufs, d’où il résulte que le crystallin ne sauroit être rangé entierement au fond de l’œil, mais qu’il en reste toûjours assez pour empêcher le passage d’une grande partie des rayons, tant à cause de son volume, que parce qu’il est soûtenu par l’humeur aqueuse & vitrée. Il observe de plus que dans l’opération de la cataracte, l’aiguille pourroit égratigner la surface antérieure du crystallin, & ouvrir la membrane qui lui sert d’enveloppe ; d’où s’ensuivroient des rides qui rendroient les réfractions irrégulieres, & changeroient la direction des rayons qui se rencontreroient tous au même point ; au moyen de quoi la représentation des objets se feroit d’une maniere imparfaite. Il prétend enfin que si c’étoit le crystallin qui fût dérangé, la personne ne verroit plus du tout, parce que les réfractions nécessaires pour la vision, ne pourroient plus se faire du tout. Voyez Crystallin & Vision.

M. Antoine rapporte, en faveur du sentiment opposé, qu’en disséquant le corps d’une personne à qui on avoit fait l’opération de la cataracte aux deux yeux, il avoit trouvé les deux crystallins actuellement couchés & rangés au fond, entre l’humeur vitrée & la tunique uvée, où l’aiguille les avoit laissés, & que la personne néanmoins après cette opération, n’avoit pas laissé de voir ; d’où il infere que le dérangement du crystallin est pratiquable, & peut ne pas détruire la vision. En effet, on peut supposer que l’humeur vitrée & aqueuse, après qu’on a écarté le crystallin, est venue remplir la cavité, qu’elle a pris la forme de son moule, & a produit les réfractions que l’humeur crystalline produisoit elle-même ; car il est constant par l’expérience que l’une & l’autre de ces deux humeurs produit les mêmes réfractions. Voyez Œil.

Cependant pour faire voir qu’il y a des cataractes distinctes des glaucomes, M. Littre a montré à la société royale de Londres, l’œil d’un homme qui n’avoit point vû pendant les vingt-deux dernieres années de sa vie, où il y avoit une cataracte ou pellicule très-distincte qui couvroit l’ouverture de la prunelle. Voyez Pupille, Vision, &c.

Feu M. de la Peyronie, premier Chirurgien du Roi, pensoit qu’il pouvoit y avoir des cataractes membraneuses ; il croyoit que la membrane qui couvre la partie antérieure du crystallin, & qui forme en partie la capsule de ce corps, pouvoit perdre sa transparence, se séparer peu à peu du crystallin, & devenir adhérente au cercle de l’iris ; dans ce cas, on pourroit abattre le crystallin, sans pour cela détruire la cataracte.

On dit qu’on ne doit faire l’opération que lorsque la cataracte est bien mûre : les signes de maturité sont 1°. que la couleur en soit égale en toutes ses parties ; car les cataractes marbrées sont ordinairement caséeuses ; elles n’ont pas une consistance égale dans tous leurs points, ce qui est indiqué par la couleur variée ; ces sortes de cataractes ne sont point assez fermes pour soûtenir l’action de l’aiguille, & se partagent en différentes parties, ce qui rend fort souvent l’opération infructueuse : 2°. que les malades n’apperçoivent plus qu’une foible lueur ; qu’ils ne fassent qu’appercevoir les ombres des corps opaques que l’on passe devant leurs yeux, & qu’ils soient affectés par le grand jour.

Lorsque dans cet état l’iris ou cercle de la prunelle se dilate à l’obscurité, & se resserre au grand jour ; on peut entreprendre l’opération après avoir préparé le malade par les remedes généraux.

Pour faire l’opération, on fait mettre le malade sur une chaise posée vis-à-vis des fenêtres, à une distance convenable & un peu de biais, afin que la lumiere ne frappe point à plomb le visage du malade. On choisit pour cela un jour bien serein : mais il faut prendre garde qu’un rayon de soleil ne puisse venir frapper les yeux du malade. Le Chirurgien s’assied sur une chaise un peu plus haute, afin d’opérer commodément étant plus élevé que le malade. S’il n’y a qu’un œil d’incommodé, on applique sur le sain une compresse en plusieurs doubles avec une bande posée obliquement ; un aide qui est debout derriere le malade, lui appuie fermement la tête sur sa poitrine. Voyez Planche XXIV. fig. 4.

L’opérateur prend alors une aiguille convenable, voyez Aiguille, & prie le malade de tenir son œil ouvert, & de le tourner comme s’il vouloit regarder le bout du nez. Il lui recommande de le tenir aussi ferme qu’il pourra dans cette situation. Il pose ensuite le doigt index de sa main droite, si c’est l’œil droit sur lequel il opere, au-dessous du sourcil, & le pouce sur la pommette de la joue, pour tenir les paupieres ouvertes par l’écartement de ces deux doigts. Quelques praticiens se servent d’un instrument nommé speculum oculi, pour écarter les paupieres & tenir le globe de l’œil à découvert. Voy. Speculum oculi. Alors le Chirurgien reçoit de la main gauche, si c’est l’œil droit sur lequel il opere, & de la main droite, si c’est l’œil gauche, l’aiguille qu’un aide lui présente : il la tient par le milieu du manche avec le pouce, le doigt index & celui du milieu, à-peu-près comme on tient une plume pour écrire. Il appuie le petit doigt & l’annulaire sur la tempe, pour empêcher sa main de vaciller, & pique hardiment le globe de l’œil du côté du petit angle, à deux lignes du cercle extérieur de l’iris, & sur la ligne qu’on imagineroit être tirée d’un angle à l’autre. Voyez figure 4. & 5. Plan. XXIV. Il perce la conjonctive, la cornée opaque, & l’uvée. Quand il a pénétré l’uvée, il couche un peu le manche de son aiguille du côté de la tempe, & la pousse doucement pour en porter la pointe vers la partie supérieure de la cataracte ; & en l’appuyant un peu vers le bas de l’œil, il l’abbaisse, la détache du lieu qu’elle occupoit, & il la met enfin au-dessous de la pupille. S’il y avoit quelques adhérences autour du chaton, on coupe avec le tranchant de l’aiguille les portions de la membrane capsulaire, qui font obstacle à la précipitation de la cataracte. Lorsqu’elle est abaissée, le Chirurgien la tient en cet état pendant un peu de tems, & releve ensuite la pointe de son aiguille : si la cataracte reste abaissée, l’opération est faite : si elle remonte & fait le pont-levis, il appuie dessus, & l’abaisse un peu plus que la premiere fois, & la contient ainsi pendant un peu plus de tems. Il releve encore la pointe de son aiguille ; & si la cataracte remonte encore, quelques praticiens la piquent & tournent leur aiguille en rond pour la rouler, & la rangent ensuite au côté externe de l’intérieur de la cavité de l’œil, en retirant leur aiguille avec la précaution de hausser le manche.

Lorsque l’opération est faite, on ferme les paupieres, & on applique sur tout l’œil une compresse en plusieurs doubles, trempée dans un collyre fait avec l’eau de rose, l’eau de plantain, & un blanc d’œuf, battus ensemble : on bande l’œil sain de même que le malade ; parce que les mouvemens des yeux étant réciproques, l’œil malade seroit fatigué par l’action du sain. Le bandage se nomme œil-double. Voyez ce mot.

On saigne le malade, s’il survient inflammation : il est toûjours prudent de le faire pour la prévenir. Cette opération présente beaucoup de difficulté, dont il faut s’instruire dans les livres des maîtres de l’art ; & en les suivant dans la pratique, la réussite peut dépendre des précautions avec lesquelles on s’expose aux impressions de la lumiere. Une femme de soixante ans, aveugle depuis six, me pria de voir ses yeux : je reconnus deux cataractes, dont je lui fis l’opération aux deux yeux de suite avec succès. Il n’y survint point d’accidens Je lui permis le dixieme jour d’avoir les yeux ouverts une heure le matin & autant le soir. Je ne voulois lui accorder l’usage de ses yeux que par degrés. La satisfaction de voir lui fit négliger mes avis. Le dix-septieme jour, après avoir été examinée par plusieurs Chirurgiens de Paris qui avoient assisté à l’opération, & qui en jugerent fort avantageusement, cette femme fatigua beaucoup sa vûe, & devint aveugle l’après-dînée en regardant quelqu’un à une lumiere fort vive. L’iris qui se contractoit & se dilatoit fort bien lorsque l’œil étoit plus ou moins exposé à la lumiere, est actuellement immobile & fort dilatée, comme dans la goutte-sereine. Cette grande dilatation laisse appercevoir à un des yeux une portion de la cataracte, qui déborde la partie inférieure du cercle de la prunelle.

Une personne à qui on a abattu la cataracte, ressemble à ces hommes qui sortant tout-à-coup d’une caverne obscure, ne peuvent supporter l’éclat du grand jour : il faut que des gradations insensibles de lumiere préparent la vûe à en recevoir les rayons ; faute de ce ménagement, on risque de perdre tout-à-fait l’organe. (Y)