L’Encyclopédie/1re édition/CARACTERES
* CARACTERES D’IMPRIMERIE, ce sont autant de petits parallelepipedes d’une composition métallique particuliere, à l’extrémité desquels est en relief une lettre ou quelqu’autre figure employée dans l’impression des livres, & dont la surface enduite d’encre noire, rouge, ou d’autre couleur, voyez Encre, & appliquée fortement par la presse d’Imprimerie, voyez Imprimerie & Presse, contre du papier préparé à cet effet, y laisse son empreinte.
On conçoit qu’il faut que le caractere qui doit laisser son empreinte sur le papier, soit tourné dans le sens opposé à l’empreinte. Exemple, pour que le caractere B donne l’empreinte B, il faut que ce caractere soit disposé comme le voici B ; car si l’on suppose un papier appliqué sur ce, B de maniere qu’il en reçoive l’empreinte, il est évident que quand on retournera le papier pour appercevoir l’empreinte laissée, les parties de ce B qui étoient à gauche, se trouvant à droite, & celles qui étoient à droite, se trouvant à gauche, on ne verra plus la figure B, mais la figure B. C’est précisément comme si le papier étant transparent, on regardoit le caractere B par derriere. C’est là ce qui rend la lecture d’une forme difficile à ceux qui n’en ont pas l’habitude. Voyez Imprimerie, Forme.
On conçoit encore que si l’on avoit autant de ces petits caracteres en relief, qu’il en peut entrer dans l’écriture, & qu’on possedât l’art de les arranger comme ils le doivent être pour rendre l’écriture ; de les enduire de quelque matiere colorante, & d’appliquer dessus fortement du papier, de maniere que ce papier ne se chargeât que des figures des caracteres disposés, on auroit l’art le plus utile qu’on pût desirer, celui de multiplier à peu de frais & à l’infini les exemplaires des bons livres pour lesquels cet art devroit être réservé ; car il semble que l’Imprimerie mettant les productions de l’esprit humain entre les mains de tout le monde, il ne faudroit imprimer de livres que ceux dont la lecture ne peut nuire à personne.
Cet art suppose celui de faire les caracteres, & celui de les employer : l’art de faire les caracteres se distribue en deux autres, celui de préparer les poinçons nécessaires pour la fonte des caracteres, & l’art de fondre ces caracteres à l’aide des poinçons.
On peut donc distribuer l’art d’imprimer en trois parties : l’art de graver les poinçons, premiere partie ; l’art de fondre les caracteres, seconde partie ; l’art d’en faire usage, auquel nous avons restraint le nom d’Imprimerie, troisieme partie.
Nous allons exposer ici l’art de graver les poinçons, & celui de fondre les caracteres. Quant à celui d’employer les caracteres, on le trouvera à l’article Imprimerie, avec l’historique détaillé de l’art entier.
De la Gravure des poinçons. On peut regarder les Graveurs des poinçons comme les premiers auteurs de tous les caracteres mobiles, avec lesquels on a imprimé depuis l’origine de l’Imprimerie : ce sont eux qui les ont inventés, corrigés & perfectionnés par une suite de progrès longs & pénibles, & qui les ont portés dans l’état où nous les voyons.
Avant cette découverte, on gravoit le discours sur une planche de bois, dont une seule piece faisoit une page, ou une feuille entiere : mais la difficulté de corriger les fautes qui se glissoient dans les planches gravées, jointe à l’embarras de ces planches qui se multiplioient à l’infini, inspira le dessein de rendre les caracteres mobiles, & d’avoir autant de pieces séparées, qu’il y avoit de figures distinctes dans l’écriture.
Cette découverte fut faite en Allemagne vers l’an 1440 ; l’utilité générale qu’on lui trouva, en rendit les succès très-rapides. Plusieurs personnes s’occuperent en même tems de sa perfection ; les uns s’unissant d’intérêt avec l’inventeur ; d’autres volant, à ce qu’on prétend, une partie du secret pour faire société à part, & enrichir l’art naissant de leur propres expériences ; de maniere qu’on ne sait pas au juste qui est le véritable auteur de l’art admirable de la Gravure des poinçons & de la Fonderie des caracteres, plusieurs personnes y ayant coopéré presqu’en même tems ; cependant on en attribue plus communément l’honneur à Jean Guttemberg, gentilhomme Allemand. Voyez l’article Imprimerie.
Les Graveurs de caracteres sont peu connus dans la république des Lettres. Par une injustice dont on a des exemples plus importans, on a attribué aux Imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions, une réputation & des éloges que devoient au moins partager avec eux les ouvriers habiles qui avoient gravé les poinçons sur lesquels les caracteres avoient été fondus ; sans les difficultés de l’art typographique qui sont grandes, ce seroit comme si l’on eût donné à un Imprimeur en taille-douce la gloire d’une belle estampe, dont il auroit acheté la planche, & vendu au public des épreuves imprimées avec soin.
On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs, des Etiennes, & autres Imprimeurs, que la beauté & la netteté de leurs caracteres ont rendus célebres, sans observer qu’ils n’en étoient pas les auteurs, & qu’ils n’auroient proprement que montré l’ouvrage d’autrui, s’ils n’avoient travaillé à le faire valoir par les soins d’une impression propre & soignée.
Nous ne prétendons point ici déprimer l’art appellé proprement Typographique : il a ses regles, qui ne sont pas toutes faciles à bien observer, & sa difficulté qu’on ne parvient à vaincre que par une longue habitude du travail. Ce travail se distribue en plusieurs branches qui demandent chacune un talent particulier. Mais n’est-ce pas assez pour l’Imprimeur de la loüange qui lui revient du méchanisme de la composition, de la propreté de l’impression, de la pureté de la correction, &c. sans lui transporter encore celle qui appartient à des hommes qu’on a laissés dans l’oubli, quoiqu’on leur eût l’obligation de ce que l’Imprimerie a de plus beau ? Car une chose qui doit étonner, c’est que les Écrivains qui ont fait en différens tems l’histoire de l’Imprimerie, qui en ont suivi les progrès, & qui se sont montrés les plus instruits sur cet objet, se sont fort étendus sur le mérite des Imprimeurs, sans presque dire un mot des Graveurs en caracteres ; quoique l’Imprimeur ou plûtôt le Typographe ne soit au Graveur, que comme un habile chanteur est à un bon compositeur de Musique.
C’est pour rendre à ces Artistes la gloire qui leur est dûe, que M. Fournier le jeune, lui-même habile Fondeur & Graveur en caracteres à Paris, en a fait mention dans un livre de modeles de caracteres d’Imprimerie, qu’il a publié en 1742. Il a mis au nombre de ceux qui se sont distingués dans l’art de graver les caracteres, Simon de Colines, né dans le village de Gentilly près Paris ; il gravoit en 1480 des caracteres romains, tels que ceux que nous avons aujourd’hui. Alde Manuce faisoit la même chose & dans le même tems à Venise. Claude Garamond, natif de Paris, parut en 1510, & porta ce travail au plus haut point de perfection qu’il ait jamais acquis, soit par la figure des caracteres, soit par la justesse & la précision avec lesquelles il les exécuta.
Vers le commencement de ce siecle on a perfectionné quelques lettres, mais on n’a rien ajoûté à l’exactitude & à l’uniformité que Garamond avoit introduites dans son art. Ce fut lui qui exécuta par ordre de François I. les caracteres qui ont tant fait d’honneur à Robert Etienne. Robert Granjean aussi de Paris, fils de Jean Granjean, Imprimeur & Libraire, grava de très-beaux caracteres grecs & latins ; il excella dans les caracteres italiques. Il passa à Lyon en 1570 ; il y travailla huit ans, au bout desquels il alla à Rome où le pape Gregoire XIII. l’avoit appellé.
Les caracteres de ce Graveur ont été plus estimés que ceux d’aucun de ses contemporains : ils étoient dans le même goût, mais plus finis. Les frappes ou matrices s’en sont fort répandues en Europe, & elles servent encore en beaucoup d’endroits.
Le goût de ces italiques a commencé à passer vers le commencement du dix-huitieme siecle : cette espece de révolution typographique fut amenée par les sieurs Granjean & Alexandre, Graveurs du roi, dont les caracteres servent à l’Imprimerie royale. En 1742, M. Fournier le jeune que nous avons déja cité avec éloge, les approcha davantage de notre maniere d’écrire, par la figure, les pleins & les déliés qu’il leur donna. Voyez l’article Italique.
Guillaume le Bé, né à Troies en Champagne vers l’an 1525, grava plusieurs caracteres, & s’appliqua principalement aux hébreux & rabbiniques : il travailla d’abord à Paris ; de-là il alla à Venise, à Rome, &c. Il revint à Paris où il mourut. Robert Etienne a beaucoup employé de ses caracteres dans ses éditions hébraïques.
Jacques de Sanlecque, né à Cauleu, dans le Boulonois en Picardie, commença dès son extrème jeunesse, à cultiver la Gravure en caracteres. Il travailloit vers l’an 1558 ; il y a bien réussi.
Jacques de Sanlecque son fils, né à Paris, commença par étudier les Lettres ; il y fit des progrès, & se rendit aussi digne successeur de son pere dans la Gravure. Sanlecque pere & fils étoient, en 1614, les seuls Graveurs qu’on eût à Paris. Le fils exécuta de très-belles notes de Plein-Chant & de Musique, plusieurs beaux caracteres, entre lesquels on peut nommer le plus petit qu’on connût alors à Paris, & que nous appellons la Pariscenne. Voyez Parisienne.
M. Fournier le jeune, juge très compétent, par la connoissance qu’il a & de son Art & de l’Histoire de cet Art, prononce séverement que depuis Sanlecque fils, jusqu’au commencement du dix-huitieme siecle, il ne s’est trouvé en France aucun Graveur en caracteres tant soit peu recommandable. Lorsqu’il fut question de distinguer les i & les u consonnes & voyelles, il ne se trouva pas un seul ouvrier en état d’en graver passablement les poinçons ; ceux de ces anciens poinçons qu’on retrouve de tems en tems, montrent combien l’art avoit dégénéré. Il en sera ainsi de plusieurs Arts, toutes les fois que ceux qui les professent seront rarement employés ; on fond rarement des statues équestres ; les poinçons des caracteres Typographiques sont presqu’éternels : il est donc nécessaire que la maniere de s’y prendre & d’exceller dans ces ouvrages, s’oublie en grande partie.
La Gravûre des caracteres est proprement le secret de l’Imprimerie ; c’est cet Art qu’il a fallu inventer pour pouvoir multiplier les lettres à l’infini, & rendre par-là l’Imprimerie en état de varier les compositions autant qu’une langue a de mots, ou que l’imagination peut concevoir d’idées, & les hommes inventer de signes d’écriture pour les désigner.
Cette gravûre se fait en relief sur un des bouts d’un morceau d’acier, d’environ deux pouces géométriques de long, & de grosseur proportionnée à la grandeur de l’objet qu’on y veut former, & qui doit y être taillé le plus parfaitement qu’il est possible, suivant les regles de l’Art & les proportions relatives à chaque lettre ; car c’est de la perfection du poinçon, que dépendra la perfection des caracteres qui en émaneront.
On fait les poinçons du meilleur acier qu’on peut choisir. On commence par arrêter le dessein de la lettre : c’est une affaire de goût ; & l’on a vû en différens tems les lettres varier, non dans leur forme essentielle, mais dans les rapports des différentes parties de cette forme entr’elles. Soit le dessein arrêté d’une lettre majuscule B, que nous prendrons ici pour exemple, cette lettre est composée de parties blanches & de parties noires. Les premieres sont creuses, & les secondes sont saillantes.
Pour former les parties creuses, on travaille un contre-poinçon d’acier de la forme des parties blanches. Voyez Planch. III. de la Gravûre, fig. 52. le contre-poinçon de la lettre B ; ce contre-poinçon étant bien formé, trempé dur, & un peu revenu ou recuit, afin qu’il ne s’égraine pas, sera tout prêt à servir.
Le contre-poinçon fait, il s’agit de faire le poinçon : pour cela on prend de bon acier ; on en dresse un morceau de grosseur convenable, que l’on fait rougir au feu pour le ramollir ; on le coupe par tronçons de la longueur dont nous avons dit plus haut. On arrondit un des bouts qui doit servir de tête, & l’on dresse bien à la lime l’autre bout ; ensorte que la face soit bien perpendiculaire à l’axe du poinçon ; ce dont on s’assûrera en le passant dans l’équerre à dresser sur la pierre à l’huile, ainsi qu’il sera expliqué ci-après. On observe encore de bien dresser deux des longues faces latérales du poinçon, celles qui doivent s’appliquer contre les parois internes de l’équerre à dresser. On fait une marque de repaire sur une de ces faces ; cette marque sert à deux fins : 1°. à faire connoître le haut ou le bas de la lettre, selon le côté du poinçon sur lequel elle est tracée ; 2°. à faire que les mêmes faces du poinçon regardent à chaque fois qu’on le remet dans l’équerre, les faces de l’équerre contre lesquelles elles étoient appliquées la premiere fois. Cette précaution est très essentielle ; sans elle on ne parviendroit jamais à bien dresser la petite face du poinçon, sur laquelle la lettre doit être pour ainsi dire découpée.
Lorsqu’on a préparé le poinçon, comme nous venons de le prescrire, on le fait rougir au feu, quand il est très-gros ; quand il ne l’est point, il suffit que l’acier soit recuit, pour recevoir l’empreinte du contre-poinçon ; on le serre dans un tas dans lequel il y a une ouverture propre à le recevoir. On l’y affermit par deux vis, la face perpendiculaire à l’axe tournée en haut ; on présente à cette face le contre-poinçon qu’on enfonce à coup de masse, d’une ligne ou environ, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainsi l’empreinte des parties creuses de la lettre.
Cette opération faite, on retire le contre-poinçon ; on ôte le poinçon du tas ; on le dégrossit à la lime, tant à sa surface perpendiculaire à l’axe, qu’à sa surface latérale ; on le dresse sur la pierre à l’huile avec l’équerre. Il y en a qui tracent quelquefois avec une pointe d’acier bien aiguë, le contour extérieur des épaisseurs des parties saillantes de la lettre : mais quand le contre-poinçon est bien fait, le Graveur n’a qu’à se laisser diriger par la forme. On enleve à la lime les parties qui sont situées hors du trait de la pointe aiguë, quand on s’en sert, ce qui arrive toûjours dans la gravûre des vignettes ; on observe bien de ne pas gâter les contours de la lettre, en emportant trop. On dresse la lettre sur la pierre à huile pour enlever les rebarbes que la lime a occasionnées ; on finit la lettre à la lime, & quelquefois au burin, ne laissant à cette extrémité que la lettre seule, telle qu’on voit la lettre B, fig. 50. même Planch. III. Cette figure montre le poinçon de la lettre B achevé ; on voit que la lime a enlevé en talud les parties qui excédoient les contours de cette lettre.
L’équerre à dresser, qu’on voit fig. 53. est un morceau de bois ou de cuivre formé par deux parallelepipedes ABCD, ABEF, qui forment un angle droit sur la ligne AB ; ensorte que, quand l’équerre est posé sur un plan, comme dans la fig. 51. cette ligne AB soit perpendiculaire au plan. La partie inférieure de l’équerre, celle qui pose sur le plan, est garnie d’une semelle d’acier ou d’autre métal, bien dressée sur la pierre à huile, qui doit être elle-même parfaitement plane. On place le poinçon dans l’angle de l’équerre ; on l’y assujettit avec le pouce, & avec le reste de la main dont on tient l’équerre extérieurement, on promene le tout sur la pierre à huile sur laquelle on a soin de répandre un peu d’huile d’olive. La pierre use à la fois & la semelle de l’équerre & la partie du poinçon. Mais comme l’axe du poinçon conserve toûjours son parallélisme avec l’arrête angulaire de l’équerre AB, & que l’équerre à cause de la grande étendue de sa base, ne perd point sa direction perpendiculaire au plan de la pierre ; il s’ensuit qu’il en est de même du poinçon, qu’il est dressé & que le plan de la lettre est bien perpendiculaire à l’axe du poinçon.
Quand le poinçon a reçû cette façon, on le trempe pour le durcir. On le fait ensuite un peu revenir ou recuire, afin qu’il ne s’égraine pas quand on s’en servira pour marquer les matrices ; c’est de sa ferme consistance que dépend sa dureté & sa bonté. Trop dur, il se brise facilement ; trop mou, les angles de sa lettre s’émoussent, & il faut revenir à la taille & à la lime.
Tous les poinçons des lettres d’un même corps doivent avoir une hauteur égale, relativement à leur figure. Les capitales doivent être toutes de même grandeur entr’elles, & de la hauteur des minuscules b, d, l, &c. & autres lettres à queue ; il en est de même de p, q, par en bas. Les minuscules sont aussi égales entr’elles, mais d’un calibre plus petit, comme m, a, &c. On les égalise avec un calibre ; ce calibre est un morceau de laiton plat dans lequel sont trois entailles, la plus grande pour les lettres pleines, telles que j long, Q capital, &c. la seconde pour les lettres longues qui sont les capitales, les minuscules longues, telles que d, b, p, q, &c. la troisieme pour les minuscules, comme m, a, c, e. La lettre du poinçon qu’on présente à l’une de ces entailles, doit la remplir exactement : desorte qu’après que les caracteres sont fondus, leurs sommets & leurs bases se trouvent précisément dans la même ligne, ainsi qu’on voit dans l’exemple suivant &c.
Les poinçons faits, ils passent entre les mains du Fondeur, qui doit veiller à ce que les poinçons qu’il achete ou qu’il fait, ayent l’œil bien terminé & d’une profondeur suffisante, & que les bases & sommets des lettres se renferment bien entre des paralleles. On commence ordinairement par le poinçon de la lettre M, & c’est lui qui sert de regle pour les autres.
De la Fonderie en caracteres. La Fonderie en caracteres est une suite de la gravure des poinçons. Le terme Fonderie en caracteres a plusieurs acceptions : il se prend ou pour un assortiment complet de poinçons & de matrices de tous les caracteres, signes, figures, &c. servant à l’Imprimerie, avec les moules, fourneaux, & autres ustensiles nécessaires à la fonte des caracteres ; ou pour le lieu où l’on fabrique les caracteres ; ou pour l’endroit où l’on prépare le métal dont ils sont formés ; ou enfin pour l’art même de les fondre : c’est dans ce dernier sens que nous en allons traiter particulierement.
La Fonderie en caracteres est un art libre. Ceux qui l’exercent ne sont point sujets à maîtrise, à réception, ou visites. Ils joüissent néanmoins des priviléges, exemptions & immunités attribuées à l’Imprimerie, & sont réputés du corps des Imprimeurs.
Cet art est peu connu, parce que le vulgaire ne fait point de distinction entre Fonderie & Imprimerie, & s’imagine que l’impression est l’ouvrage de l’Imprimeur, comme un tableau est l’ouvrage d’un Peintre. Il y a peu d’endroits où l’on exerce cet Art : à peine compte-t-on douze fonderies en caracteres en France ; de ces douze fonderies, il y en a plus de la moitié à Paris.
Les premiers Fondeurs étoient Graveurs, Fondeurs, & Imprimeurs ; c’est-à-dire qu’ils travailloient les poinçons, frappoient les matrices, tiroient les empreintes des matrices, les disposoient en formes, & imprimoient : mais l’art s’est divisé en trois branches, par la difficulté qu’il y avoit de réussir également bien dans toutes.
On peut observer sur les ouvriers qui ne sont que Fondeurs, ce que nous avons observé sur ceux qui ne sont qu’Imprimeurs : c’est qu’ils ne font les uns & les autres que prendre des empreintes ; les uns sur le métal, les autres sur le papier. Que les caracteres soient beaux ou laids, ils n’en sont ni à loüer ni à blâmer ; chacun d’eux coopere seulement à la beauté de l’édition, les Imprimeurs par la composition & le tirage, les Fondeurs par les soins qu’ils doivent avoir que les caracteres soient fondus exactement suivant les regles de l’Art ; c’est-à-dire que toutes les lettres de chaque corps soient entr’elles d’une épaisseur & d’une hauteur égale ; que tous les traits de chacune des lettres soient bien de niveau, & également distans les uns des autres ; que toutes les lettres des caracteres romains soient droites, & parfaitement perpendiculaires ; que celles des italiques soient d’une inclinaison bien uniforme ; & ainsi des autres caracteres suivant leur nature : toutes choses que nous allons expliquer plus en détail.
Lorsque le Fondeur s’est pourvû des meilleurs poinçons, il travaille à former des matrices : pour cet effet il prend le meilleur cuivre de rosette qu’il peut trouver ; il en forme à la lime des petits parallelepipedes longs de quinze à dix-huit lignes, & d’une base & largeur proportionnées à la lettre qui doit être formée sur cette largeur. Ces morceaux de cuivre dressés & recuits, sont posés l’un après l’autre sur un tas d’enclume : on applique dessus à l’endroit qui convient, l’extrémité gravée du poinçon ; & d’un ou de plusieurs coups de marteau, on l’y fait entrer à une profondeur déterminée depuis une demi-ligne jusqu’à une ligne & demie.
Par cette opération, le cuivre prend exactement la forme du poinçon, & devient un véritable moule de corps de lettres semblables à celles du poinçon ; & c’est par cette raison qu’on lui a donné le nom de matrice. Le nom de moule a été réservé pour un assemblage, dont la matrice n’est que la partie principale.
La matrice ainsi frappée n’est pas parfaite, eu égard à la figure dont elle porte l’empreinte : il faut soigneusement observer que sa face supérieure, fig. 1.3. Pl. II. de la Fonderie en caracteres, sur laquelle s’est faite l’empreinte du poinçon, soit exactement parallele à la lettre imprimée sur elle, & que les doux faces latérales soient bien perpendiculaires à celle-ci. On remplit la premiere de ces conditions en enlevant à la lime la matiere qui excede le plan parallele à la face de la lettre ; & la seconde, en usant de la lime & de l’équerre.
Cela fait, on pratique les entailles a, b, c, qu’on voit fig. 12. & 13. Les deux entailles a, b, placées l’une en-dessus, & l’autre en-dessous, fig. 13. à la même hauteur, servent à attacher la matrice au moule : l’autre entaille c reçoit l’extrémité de l’arc ou archet qui appuie la matrice contre le moule, ainsi que nous l’allons expliquer.
Le moule est l’assemblage d’un grand nombre de parties, dont on peut considérer la somme comme divisée en deux.
Toutes les pieces de chacune de ces deux moitiés de moule, sont assujetties les unes aux autres par des vis & par des écrous, & sont toutes de fer bien dressé & bien poli, à l’exception des deux extérieures qui sont de bois, & qu’on appelle par cette raison le bois du moule. Ce revêtement garantit les mains de l’ouvrier de la chaleur que le métal fondu qu’on jette continuellement dans le moule, ne manque pas de lui communiquer.
Les deux premieres parties qu’on peut considérer dans le moule, sont celles qu’on voit Planche II. de la Fonderie en caracteres, fig. 20 & 21. La fig. 20. représente la platine vûe en-dedans, & garnie de toutes ses pieces : la fig. 21. la même platine, ou sa semblable, mais vûe du côté opposé ; c’est sur les platines que l’on assujettit toutes les autres pieces ; elles leur servent, pour ainsi dire, de point d’appui, comme on va voir. La premiere piece qu’on ajuste sur la platine est la piece B, fig. 1. 2. 3. 17. 20. on l’appelle longue piece : elle & sa semblable sont en effet les plus longues du moule. (On observera que les mêmes pieces dans les différentes figures sont marquées des mêmes lettres). Cette longue piece qui a dix lignes de large, & qui est épaisse à discrétion, est fourchue par l’une de ces extrémités X, fig. 17. & 20. & reçoit par ce moyen la tête de la potence de l’autre moitié, à laquelle elle sert de coulisse : il ne faut pas oublier que les deux moitiés du moule sont presque entierement semblables, & que toutes les pieces dont nous avons déjà parlé, & dont nous allons faire mention dans la suite, sont doubles ; chaque moitié du moule a la sienne.
La longue piece est fixée sur la platine par une vis à tête ronde b, fig. 18. qui après avoir passé par le trou b, fig. 21. va s’envisser dans le trou taraudé fait à la longue piece à la hauteur de la fourchette X. Ce trou taraude ne traverse pas entierement l’épaisseur de la longue piece, qui a à son extrémité opposée un trou quarré d, fig. 17. & 18. qui reçoit le tenon quarré de la potence, fig. 9. & 10.
Avant que de placer la potence D, on applique un des blancs C, qu’on voit fig. 14. & 15. assemblés avec la potence. Ces blancs ont la même largeur que les longues pieces. Leur longueur est un peu moindre que la moitié de celle de la longue piece : elles ont la même épaisseur que celle du corps que l’on veut fondre dans le moule.
Le blanc appliqué sur la longue piece, comme on voit fig. 20. est percé d’un trou quarré, semblable à celui qu’on lui voit fig. 7. Ce trou quarré reçoit le tenon quarré x de la potence, fig. 9. & 10. Le tenon traverse le blanc, la longue piece, & la platine, & fixe toutes ces pieces ensemble.
Le nez D de la potence se jette du côté de l’extrémité la plus prochaine de la longue piece. Son extrémité m faite en vis, reçoit un écrou qui le contient. On voit cet écrou en d, fig. 21.
Ces écrous qui sont à pans se tournent avec la clé ou le tourne-écrou de la fig. 26.
Le blanc peut encore être fixé sur la platine par une vis à tête perdue, qui traverseroit la platine ; la longue piece entreroit dans l’épaisseur du blanc, & s’y arrêteroit : mais cela n’est plus d’usage.
Au-dessus des longues pieces & des blancs, on place les jets A, fig. 5. & 6. comme on les voit fig. eo. Ces jets sont des moitiés d’entonnoirs pyramidaux, dont les faces extérieures sont perpendiculaires les unes aux autres. Celles de ces faces qui s’appliquent sur la platine, sur le blanc, & sur la longue piece, doivent s’y appliquer exactement. Quand les deux moitiés du moule sont réunies, il est évident que les jets forment une trémie, dont la plus petite ouverture est en enbas. Leurs faces inclinées A, fig. 20. doivent un peu excéder les faces de la longue piece & du blanc, afin de former un étranglement au métal fondu qu’on versera dans le moule, & afin de déterminer en même tems le lieu de la rupture du superflu de matiere qu’on y versera, & faciliter cette rupture. Voyez les figures 2. 3. & 20. où cette saillie des faces inclinées des jets est sensiblement marquée.
Chaque jet porte une vis, qu’on voit fig. 6. par le moyen de laquelle & d’un écrou, on fixe cette piece sur la platine, comme on le voit en a, fig. 21. La partie de cette vis ou tenon vissé qui répond à l’épaisseur de la platine, est quarrée, & entre dans un trou de même figure ; ce qui empêche le jet de vaciller : inconvénient qui est encore prévenu par l’application exacte de l’une de ces faces contre la platine, & de l’autre contre la longue piece & le blanc.
Au-dessous du trou quarré d de la longue piece est une vis f fixée en queue d’aronde dans cette longue piece. Cette vis au moyen d’un écrou F, fig. 20. assujettit la piece E, fig. 19. qu’on appelle registre. La partie de la vis ou du tenon vissé f qui se loge dans l’épaisseur du registre, est quarrée, & entre dans une mortoise plus longue que large ; ce qui donne la commodité d’avancer ou de reculer le registre à discrétion, & de laisser entre son extrémité E, fig. 20. & l’extrémité ou l’angle saillant du blanc, tant & si peu de distance que l’on voudra. L’écrou F sert à l’affermir dans la situation convenable.
Chaque platine porte à sa partie postérieure une vis G, qu’on voit figure 21. elle traverse une petite planche appellée bois, qui a la forme & la grandeur de la platine, au derriere de laquelle on la fixe par le moyen d’un écrou ; & pour que la platine & le bois s’appliquent plus exactement l’un contre l’autre, on a pratiqué au bois des cavités propres à recevoir les vis, écrous, & autres parties saillantes qu’on voit à la partie postérieure de la platine, fig. 21.
Les deux moitiés semblables du moule construites comme nous venons de l’expliquer, & comme on les voit fig. 2. & 3. s’ajustent exactement, & forment un tout, qu’on voit fig. 1. La potence de l’une entre dans l’entaille fourchue de la longue piece de l’autre ; & comme les entailles ont la même direction que les potences, elles se servent réciproquement de coulisses ; & il est évident qu’ainsi les blancs pourront s’approcher ou s’éloigner l’un de l’autre, en faisant mouvoir les deux moitiés du moule l’une sur l’autre.
On voit avec la même-évidence que le vuide formé par les jets, aura la forme d’une pyramide tronquée ; & que celui qui est entre les longues pieces & les blancs, aura la forme d’un prisme quadrangulaire d’environ dix lignes de hauteur, d’une épaisseur constante ; celle des blancs est d’une largeur à discrétion, cette largeur augmentant ou diminuant selon qu’on tient les blancs plus ou moins près l’un de l’autre : ce qui s’exécute par le moyen des registres qu’on avance ou qu’on recule à discrétion, comme nous avons dit. Le vuide du jet & celui du prisme communiquent ensemble, & ne font proprement qu’une même capacité.
Voilà bien des pieces assemblées : cependant le moule n’est pas encore formé ; il y manque la piece principale, celle pour laquelle toutes les autres ont été inventées & disposées, la matrice. La matrice se place entre les deux registres en M, comme on la voit fig. 2. elle appuie d’un bout contre la platine de l’autre moitié, & elle est liée par son autre extrémité à l’attache. L’attache est une petite piece de peau de mouton qu’on colle au bois d’une des parties du moule. L’attache passe entre le jimblet & le bois. On appelle jimblet une petite fiche de fer plantée dans le bois de la piece de dessus, & qui retenant l’attache, empêche la matrice de sortir de place.
La matrice ainsi placée entre les registres, est tenue appliquée aux longues pieces & aux blancs par le ressort DCE, fig. 1. qu’on appelle l’arc ou archet : l’extrémité E de ce ressort entre dans l’entaille C de la matrice, fig, 12. & 13. & fait effort pour presser la matrice contre la platine opposée, & sur le heurtoir ou la piece qu’on voit fig. 22. cette piece est adossée à celle qu’on voit en m, fig. 21. rivée à la partie postérieure de la platine ; elle sert à monter ou descendre à discrétion la matrice vers l’ouverture intérieure du moule, & à mettre la lettre dans la place qu’elle doit avoir sur le corps : pour cet effet on la prend plus ou moins épaisse.
Pour empêcher la matrice de tomber, & de sortir d’entre les registres, on met entre la platine & le bois qui porte l’attache, un petit crochet qu’on voit fig. 23, ce crochet s’appelle jobet. L’anneau du jobet s’enfile sur la tige G de la platine, fig. 21. & son crochet descend au-dessous de la matrice, & la soûtient comme on l’apperçoit en x, fig. 2. en laissant toutefois la place de la matrice qu’il embrasse.
Outre les parties dont nous venons de parler, on peut remarquer à chaque moitié du moule, fig. 1. 2. 3. un crochet ab, dont nous expliquerons l’usage plus bas.
Il est à propos, avant que de fermer le moule, d’observer à la partie supérieure de la longue piece représentée fig. 17. un demi-cylindre ab, placé à deux lignes au-dessous ou environ de son arrête supérieure : ce demi-cylindre, qu’on appelle cran, est une piece de rapport qui traverse la longue piece, & dont la partie saillante est arrondie : mais comme cette partie saillante empêcheroit le blanc de l’autre moitié de s’appliquer exactement à la longue piece qui la porte, on a pratiqué à cette moitié un canal concave dans le blanc. Ce canal hémi-cylindrique reçoit le demi-cylindre. On voit ce canal en b a, fig. 15.
Voilà tout ce qui concerne la structure du moule, qui est une des machines les plus ingénieuses qu’on pouvoit imaginer, ainsi qu’on achevera de s’en convaincre par ce que nous allons dire de la fonte.
Le moule est composé de douze pieces principales, dont nous avons fait mention. Toutes ces pieces de fer ont été bien limées, & sont bien jointes ; elles forment avec les autres un tout, qui a depuis deux pouces de long jusqu’à quatre, suivant la grosseur du caractere, sur deux pouces environ de large, contenant sur son plan horisontal au moins quarante pieces de morceaux distincts. Les deux portions presque semblables dans lesquelles il se divise s’appellent, l’une piece de dessus, l’autre piece de dessous : c’est celle qui porte l’archet qu’on appelle piece de dessous.
La premiere opération qu’on ait à faire quand on a construit & disposé le moule, est de préparer la matiere dont les caracteres doivent être fondus. Pour cet effet, prenez du plomb & du régule d’antimoine, fondez-les séparément ; mêlez-les ensuite, mettant quatre cinquiemes de plomb & un cinquieme de régule ; & ce mêlange vous donnera un composé propre pour la fonte des caracteres.
Ou, prenez de l’antimoine crud, prenez égale quantité de potin ; mettez le tout ensemble avec du plomb fondu, & vous aurez une autre composition.
La précédente est préférable à celle-ci, qu’il semble qu’on a abandonnée en France depuis une vingtaine d’années, parce qu’on a trouvé que le potin & l’antimoine faisoient beaucoup de scories, rendoient la matiere pâteuse, & exigeoient beaucoup plus de feu.
Au reste nous pouvons assûrer en général que la matiere dont on fond les caracteres d’Imprimerie est un mêlange de plomb & de régule d’antimoine, où le dernier de ces ingrédiens corrige la mollesse de l’autre.
Cette fonte se fait dans un fourneau, tel que celui qui occupe le milieu de la vignette, Planche I. de Fonder. il est divisé en deux parties, l’une & l’autre de brique. Celle qui répond à la fig. 4. est un fourneau sur lequel on a établi une chaudiere de fonte, dans laquelle le plomb est en fusion : cette chaudiere est chauffée avec du bois, comme on voit ; la fumée s’échappe par une ouverture qu’on peut distinguer sur le fond, & suit la cheminée qui est commune aux deux fourneaux.
Le second fourneau qui correspond à la figure 3. même vignette, est un fourneau proprement dit : à sa partie supérieure est l’ouverture du fourneau ; l’inférieure est un cendrier ; elles sont séparées par une grille horisontale : cette grille soûtient un creuset qui contient le regule d’antimoine, & les charbons allumés qui servent à le mettre en fusion. Le feu est excité par le courant d’air qui se porte à la grille. On recommande aux ouvriers occupés à ce fourneau de l’operation qu’ils y ont à faire, de se garantir avec soin de la vapeur du régule, qu’on regarde comme un poison dangereux : mais c’est un préjugé ; l’usage du régule n’expose les Fondeurs à aucune maladie qui leur soit particuliere ; sa vapeur n’est funeste tout au plus que pour les chats : les premieres fois qu’ils y sont exposés, ils sont attaqués de vertiges d’une nature si singuliere, qu’après s’être tourmentés pendant quelque tems dans la chambre où ils sont forcés de la respirer, ils s’élancent par les fenêtres : j’en ai vû deux fois l’expérience dans un même jour. Mais quand ils en réchapent, & qu’ils ne périssent pas dans les premiers accès, ils n’ont plus rien à redouter des seconds ; ils se font à la vapeur qui les avoit d’abord si violemment agités, & vivent fort bien dans les fonderies.
Le régule fondu dans le creuset est versé en quantité suffisante dans la chaudiere qui contient le plomb : l’ouvrier 4. prend le mêlange avec une cuilliere, & le verse dans les moules ou lingotieres qui sont à ses piés : on voit aussi sur le plancher des tenailles pour le creuset, son couvercle, une cuilliere, & d’autres outils au service de la fonderie.
Le rapport entre le plomb & l’antimoine n’est pas le même pour toute sorte de caracteres : la propriété de l’antimoine étant de donner du corps au plomb, on en mêle plus ou moins, selon que les caracteres qu’on a à fondre sont plus ou moins gros ; les petits caracteres n’étant pas aussi propres à résister à l’action de la presse que les gros, on les fond de la matiere que les ouvriers appellent matiere forte, & ceux-ci de celle qu’ils appellent matiere foible. La matiere forte destinée pour les petits caracteres, est un mêlange de régule & de plomb, où le premier de ces ingrédiens est en quantité beaucoup plus considérable, relativement à celle du plomb, que dans la matiere foible.
Quand la matiere ou composition est ainsi préparée & mise en lingots, elle passe dans les fourneaux des Fondeurs. Voyez ces fourneaux dans la vignette, fig. 2. & 2. à droit & à gauche. Ce fourneau est fait de la terre dont se servent les fournalistes pour la fabrique des creusets, mais moins fine, elle est composée de ciment de pots à beurre cassés, & de terre glaise pétris ensemble : sa grandeur est de dix-huit à vingt pouces de hauteur, sur dix à douze de diametre, & deux piés & demi de long ; il est séparé en deux dans sa hauteur par une grille qui peut être indifféremment de terre ou de fer. On pose le bois sur cette grille ; la partie inférieure D sert de cendrier : la face supérieure est percée d’un trou rond B d’environ dix pouces de diametre ; ce trou rond est environné d’une espece de bourlet qui supporte la chaudiere de fer A, fig. 9. on appelle cette chaudiere cueillere. Cette cueillere est divisée en deux ou trois portions comme on voit ; ces divisions servent à contenir des matieres de différentes forces ou qualités, suivant les ouvriers qui y travaillent, & chaque ouvrier puise dans la division qui contient la composition dont il a besoin.
Le fourneau a encore une autre ouverture H, à laquelle on adapte un autre tuyau de tole qui porte les fumées hors de l’attelier, comme on voit dans la vignette. Tout ce fourneau est porté sur un banc FGGG, au milieu de la hauteur duquel on a pratiqué une tablette F, qui sert à placer différens ustensiles.
A côté du fourneau on range plusieurs autres bancs, tels qu’on les voit dans la vignette, & au bas de la Plan. fig. 11. ce sont des especes de tables dont le dessus est à hauteur d’appui ; ces bancs sont environnés d’un rebord ; ils doivent être de deux ou trois pouces moins hauts que la partie supérieure du fourneau, à un des côtés duquel ils doivent s’arranger comme on voit dans la vignette. On a une plaque de tole ou de fer, qu’on place de maniere qu’elle porte d’un bout sur le fourneau, & de l’autre sur le banc. L’usage de cette tole est de ramasser les gouttes de matiere fondue qui s’échappent de la cuilliere, ou que l’ouvrier rejette du moule quand il est trop plein.
Quand l’ouvrier veut fondre un caractere, il prend le moule préparé comme nous avons dit, & comme on le voit fig. 1. de la main gauche, il place l’extrémité de l’arc ou archet dans l’entaille que nous avons dit être à la partie inférieure de la matrice, afin qu’elle s’applique exactement contre les longues pieces & les parties saillantes des blancs : il presse ensuite les deux moitiés du moule, de maniere que les registres soient bien placés contre les faces latérales de la matrice ; & il enduit superficiellement le fond du jet d’un peu d’ocre délayé dans de l’eau froide, quand la lettre est extrèmement fine. Cet enduit fait couler le métal promptement, & le précipite au fond du parallelepipede vuide, avant que rafraîchi par le contact de la surface des pieces qui forment cet espace vuide, il ait eû le tems de se figer & de s’arrêter. On se sert de la même précaution dans l’usage du moule à réglet, dont nous parlerons plus bas. Comme dans ce moule le métal a souvent plus d’épaisseur, & qu’il a beaucoup de chemin à parcourir, il n’en est que plus disposé à se figer, & à ne pas descendre jusqu’au fond du moule : c’est pourquoi l’on ne se contente pas seulement d’enduire le jet d’ocre délayé, on en enduit même toute sa surface intérieure, d’une couche à la vérité la plus légere qu’on peut : mais revenons à la fonte des caracteres.
Tout étant dans cet état, le Fondeur puise avec la cuilliere à verser qu’on voit fig. 13. une quantité de métal fondu qu’il jette par l’espece d’entonnoir que nous avons dit avoir été formé par les jets. Le métal fluide descend dans le prisme vuide que laissent entre elles les faces des longues pieces & des blancs, & se répand sur la surface de la matrice dont il prend toutes les formes ; de maniere que quand on l’en tire, il est parfaitement semblable au poinçon qui a servi à la former. Il rapporte aussi en creux l’impression du demi-cylindre ab, fixé à une des longues pieces, & dont nous avons parlé plus haut. Ce creux qu’on appelle cran, doit toûjours être à la face qui répond à la partie supérieure de la lettre : il sert aux Imprimeurs à connoître si la lettre est du sens dont elle doit être, ou si elle est renversée. Voyez l’article Imprimerie. Les deux opérations de puiser dans le moule avec la cuilliere & de verser dans le moule, sont représentées fig. 5. & 6. de la vignette.
Il y a ici une chose importante à observer ; c’est que dans le même instant que l’on verse la matiere dans le moule, on doit donner à celui-ci une secousse en-haut, afin que la matiere qui descend en sens contraire, frappe avec plus de force le fond de la matrice, & en prenne mieux l’empreinte.
Après que l’ouvrier a versé son métal, il remet sa cuilliere sur le fourneau, & il se dispose à ouvrir le moule : pour cet effet, il commence par déplacer l’arc ou archet, ou le ressort de l’entaille de la matrice, & le placer dans un cran fait au bois sous le heurtoir. Il ouvre le moule en séparant les deux moitiés ; & s’il arrive que la lettre reste adhérente à l’une des moitiés, il la détache avec le crochet qui est fixé sur l’autre, ce qui s’appelle décrocher. C’est ce qu’exécute la fig. 8. de la vignette : après quoi il referme le moule, replace l’arc sous la matrice, verse de la matiere, & recommence la même opération jusqu’à trois ou quatre mille fois dans un seul jour.
Il ne faut pas s’imaginer que la lettre au sortir du moule soit achevée, du moins quant à ce qui regarde son corps ; car pour le caractere il est parfait ; il est beau ou laid, selon que le poinçon qui a servi à former la matrice a été bien ou mal gravé.
Quelle que soit la figure d’un caractere, les contre-poinçons, les poinçons, les matrices, &c. la fonte en est la même ; & il n’y a dans toutes ces opérations aucune différence de l’Arabe, au Grec, au François, à l’Hébreu, &c.
La lettre apporte avec elle au sortir du moule une éminence de matiere de forme pyramidale, adhérente par son sommet au pié de la lettre. Cette partie de matiere qu’on appelle jet, est formée de l’excédent de la matiere nécessaire à former les caracteres, qu’on a versée dans le moule. On la sépare facilement du corps de la lettre, au moyen de l’étranglement que les plans inclinés des parties du moule appellées jets, y ont formé, ainsi que nous avons dit plus haut, & qu’on voit fig. 2. Planche II. D’ailleurs la composition que l’addition de l’antimoine rend cassante, presque comme de l’acier trempé, facilite cette séparation ; le jet séparé de la lettre s’appelle rompure.
Après que toutes les lettres sont rompues, c’est-à-dire, qu’on en a séparé les jets, qui se remettent à la fonte ; on les frotte sur une meule de grès qu’on voit fig. 7. Pl. III. & qu’on appelle pierre à frotter. Cette meule a depuis quinze jusqu’à vingt-cinq pouces de diametre ; elle est de la même sorte que celles dont se servent les Coûteliers pour émoudre. Pour la rendre propre à l’opération du Fondeur en caractere, on en prend deux qu’on met à plat l’une sur l’autre ; on répand entre elles du sable de riviere, puis on les meut circulairement, répandant de tems en tems de nouveau sable, jusqu’à ce que les petites éminences qui sont à ces pierres soient grugées, & qu’on ait rendu leurs surfaces planes & unies. Le sable en dressant les grès ou meules, ne les polit pas ; il y laisse toûjours de petits grains qui servent à enlever aux caracteres les bavûres qui leur viennent de la fonte.
On ne peut pas frotter toutes les lettres ; il y en a, mais en plus grand nombre dans l’italique que dans le romain, dont une partie de la figure excede le corps du côté qu’on frotte. Il est évident que si on les frottoit, la pierre emporteroit cette partie, & estropieroit la lettre : c’est pourquoi on commence par la dégager légerement, & par en enlever un peu de matiere avec un canif, afin qu’elle puisse se loger facilement dans l’espace vuide que lui présentera une lettre voisine. Cette operation par laquelle on dégage la partie saillante au canif, s’appelle crener.
Après que la lettre est crenée, on la ratisse & on emporte avec le canif tout ce qu’il y a d’étranger au corps depuis l’œil jusqu’au pié. Ces deux opérations suppléent au frottement ; les lettres crenées & ratissées s’accolent & se joignent aussi-bien que si elles avoient été frottées. Les deux faces du caractere que l’on frotte sur la meule, sont celles qui s’appliquent aux blancs du moule, quand on y verse le métal ; on donne cette façon à ces faces pour en enlever le morfil ou la vive arrête occasionnée tant par la face du blanc d’une des moitiés, que par celle de la longue piece de l’autre moitié.
Lorsque les lettres ont été frottées ou crenées & ratissées, on les arrange sur un composteur ; le composteur qu’on voit fig. 5. Pl. III. de la Fonderie des caracteres, est une regle de bois entaillée, comme on voit, sur laquelle on arrange les caracteres la lettre en-haut, & tous les crans tournés du même côté ; ensorte qu’on a tous les a, rangés en cette maniere, a, a, a, a, a, a, & non en celle-ci ava, vav, & ainsi des autres lettres : c’est ce que l’inspection des crans indiquera facilement. Les caracteres ainsi rangés dans le composteur sont transportés sur la regle de fer AB du justifieur, fig. 3. même Planche ; on les y place de maniere que leur pié soit en-haut, & que le caractere porte sur la face horisontale du justifieur, qui n’est lui-même, comme on voit, qu’un composteur de fer. A cette regle, on en applique une autre CD, qui a un épaulement en C, comme celui que l’on voit en B de la premiere piece fig. 3. cette regle a de plus en C & D, de petites languettes qui entrent dans les mortoises a & b de la figure 3, ensorte que, quand les deux regles fig. 3. & 4. sont appliquées l’une sur l’autre, elles enferment exactement la rangée de caracteres placée sur la premiere regle ; ainsi il n’y a que les piés des lettres qui excedent d’environ une ligne au-dessus des regles de fer, qui forment le justifieur.
Le justifieur ainsi garni d’une rangée de caracteres, est placé entre les deux jumelles A B, C D du coupoir qu’on voit fig. 1. Planche III. Le coupoir est une sorte d’établi très-solide : sur sa table sont fortement fixées la jumelle AB, qui est une planche d’un bon pouce d’épaisseur, & la barre de fer FE, qui a un crochet E & un crochet F à chacune de ses extrémités. Le crochet F est taraudé & reçoit une vis, au moyen de laquelle on peut faire avancer la seconde regle du justifieur, que nous avons décrite ci-dessus.
Les deux regles du justifieur sont serrées l’une contre l’autre par l’autre jumelle CD, représentée par sa partie inférieure dans la fig. 2. AB, CD sont deux fortes barres de fer, dont les crochets A, C, entrent dans la table du coupoir, BD est une autre barre de fer qui porte un écrou qui reçoit la vis FE, que l’on tourne comme celle d’un étau, par le moyen du manche FG. Tout cet assemblage est fixé à la table du coupoir, ensorte que la jumelle CD tirée ou poussée par la vis FE, peut seule se mouvoir.
Il suit de cette description du coupoir, que si l’on tourne la vis EF, fig. 2. on fera marcher la jumelle mobile AB, vers la jumelle immobile CD, fig. 1. & que par conséquent on fera appliquer les deux regles du justifieur contre la rangée de caracteres qu’elles contiennent. Mais pour serrer les caracteres les uns contre les autres, on fera tourner la vis Ff. Cette vis fera couler la seconde regle du justifieur le long de la rangée de caracteres, jusqu’à ce que son épaulement C fig. 4. rencontrant la rangée de caracteres, les pressera & les poussera vers l’épaulement B de la premiere piece fig. 3. jusqu’à ce qu’ils soient tous exactement appliqués les uns contre les autres. Cela fait, il est évident que les caracteres formeront comme un corps solide contenu par ses deux extrémités entre les épaulemens des deux pieces du justifieur, & selon sa longueur entre les mêmes pieces, par l’action des deux jumelles.
Mais avant que de consolider ainsi la rangée de caracteres, on passe un morceau de bois dur sur leurs extrémités saillantes ou sur leurs piés, afin de les enfoncer toutes également, & d’appliquer leur tête, ou la lettre, contre la surface de la regle horisontale du justifieur.
Lorsque tout est ainsi disposé, on coupe les caracteres avec le rabot, de la maniere que nous allons dire.
L’instrument qu’on voit Planche III. de la Fonderie en caracteres, fig. 6. est appellé rabot. Il est composé d’un fût de fer, qu’on voit fig. 10. Sous la partie NO de ce fût, sont arrêtés avec des vis les deux guides Ce, Df. Cet assemblage est surmonté d’un bois PQ qu’on voit fig. 8. ce bois sert de poignée au rabot. Il se fixe sur la partie NO, fig. 10. comme on l’y voit fixé, fig. 6. Le fer AB du rabot se place sur la face inclinée du fût, par les deux vis GH taraudées, & entrant dans les collets que le fer traverse, & qui sont eux-mêmes fixés sur le fût par la vis que l’on voit en R. Toutes ces pieces assemblées forment le rabot de la fig. 6. Les vis se serrent avec le tourne-vis de la fig. 16. même Planche III.
Quand on veut couper les lettres, on place le rabot sur le justifieur, ensorte que les parties saillantes des lettres soient entre les guides du rabot ; on hausse ou l’on baisse le fer, qui est un peu arrondi par son tranchant, ensorte qu’il puisse emporter autant de matiere que l’on souhaite.
Les reglemens ont statué sur la hauteur des lettres ; il est ordonné que la lettre portera, depuis sa surface jusqu’à l’extrémité de son pié, dix lignes & demie de pié de roi. Cette hauteur n’est pas la même par-tout ; la hauteur de Hollande a près d’une ligne de plus que celle de Paris ; celles de Flandre, & même de Lyon, ont plus de dix lignes. Au reste, lorsque des Imprimeurs, sans aucun égard pour les ordonnances, veulent des caracteres au-dessus ou au-dessous de dix lignes & demie, on a de petites pieces qu’on ajuste au moule à fondre les caracteres, entre le jet & les longues pieces.
Ces pieces s’appellent hausses ; selon que les hausses sont plus ou moins épaisses, un même moule sert à fondre des caracteres plus ou moins hauts de papier ; c’est l’expression dont on se sert pour désigner la dimension dont il s’agit ici.
Le fer du rabot étant convexe, les caracteres coupés auront tous une petite échancrure concave, de maniere qu’étant posés sur leurs piés, ils ne porteront, pour ainsi dire, que sur deux lignes, au lieu de porter sur une surface. On a pratiqué cette concavité aux piés des caracteres, afin qu’ils s’arrangent mieux sur le marbre de la presse, sur lequel exposant moins de surface, ils sont moins sujets à rencontrer des inégalités.
Mais ce retranchement de matiere n’est pas le seul qui se fasse avec le rabot ; on est contraint d’enlever encore de l’étoffe au haut de caractere, comme on peut le voir en B, figure 14. Ce retranchement se fait des deux côtés aux lettres qui n’ont ni tête ni queue, & seulement de côté opposé à la queue, lorsque les caracteres en ont une. Le but de cette opération est de dégager encore mieux l’œil du caractere. On voit en effet, fig. 14. que le caractere B est plus saillant que le caractere A, quoiqu’ils ayent été fondus l’un & l’autre dans le même moule.
La machine représentée figure 14. & qui contient les deux caracteres A & B dont nous venons de parler, s’appelle justification ; elle sert à connoître, par le moyen du petit reglet qu’on voit figure 13. & qu’on appelle jetton, si les traits des lettres se trouvent tous sur une même ligne. Pour cet effet, après avoir justifié les lettres mm, que nous avons dit être la premiere lettre que l’on fabrique, on place un a, par exemple, entre les deux m, en cette sorte mam, & l’on examine si l’arrête du jetton s’applique également sur les trois caracteres.
Le morceau de glace, fig. 12. & son jetton, fig. 1. servent à jauger de la même maniere les épaisseurs, & l’une & l’autre de ces deux machines indique pareillement, par l’application du jetton, si les traits des lettres se trouvent tous exactement dans la même ligne droite, comme nous venons de dire.
On entend par une fonte de caracteres d’Imprimerie, un assortiment complet de toutes les lettres majuscules, minuscules, accents, points, chiffres, &c. nécessaires à imprimer un discours, & fondues sur un seul corps.
Le corps est une épaisseur juste & déterminée, relative à chaque caractere en particulier ; c’est cette épaisseur qui fait la distance des lignes dans un livre, & qui donne le nom au caractere, & non l’œil de la lettre ; cependant pour ne rien confondre on dit fondre un Cicero sur un corps de S. Augustin, quand on a pris ce moyen pour jetter plus de blanc entre les lignes.
Mais pour se faire une idée juste de ce qu’on appelle en Fonderie de caracteres ou en Imprimerie, corps, œil, & blanc, prenez une distance ou ligne quelconque, supposez-la divisée en sept parties égales par des lignes paralleles ; supposez écrite entre ces lignes paralleles une des lettres que les Imprimeurs appellent courtes, telles que l’a, le c, l’m, &c. car ils appellent les lettres à queue, telles que le p, le q, le d, lettres longues. Supposez-la tracée entre ces paralleles de maniere qu’elle ait sa base appuyée sur la troisieme parallele en montant, & qu’elle touche de son sommet la troisieme parallele en descendant, ou ce qui revient au même, que des sept intervalles égaux dans lesquelles vous avez divisé la ligne, elle occupe les trois du milieu ; il est évident qu’il restera au-dessus de ces trois intervalles occupés, deux espaces vuides, & qu’il en restera aussi deux vuides au-dessous. Cela bien compris, il ne sera pas difficile d’entendre ce que c’est que le l’œil, le corps, & le blanc. Le corps est représenté par la ligne entiere ; l’œil occupe les trois espaces du milieu, c’est la hauteur même de la lettre : & l’on entend par les blancs, les deux espaces qui restent vuides au-dessous & au-dessus de l’œil.
la ligne AB, représente la hauteur du corps ; CD, le blanc d’en-haut ; DE, l’œil ; EF, le blanc d’en-bas. CD, forme dans une page imprimée la moitié de l’espace blanc qui estentre une ligne & sa supérieure ; & EF, la moitié de l’espace blanc qui est entre la même ligne & son inférieure.
Il y a des lettres qui occupent toute la hauteur du corps, telle est l’j consonne avec son point, comme on voit dans l’exemple, les Q capitales en romain, & les s & f en italique, ainsi que les signes (, §, [, &c.
Dans les lettres longues, telles que le d & le q, il faut distinguer deux parties, le corps & la queue ; le corps occupe les trois intervalles du milieu, de même que les lettres courtes, & la queue occupe les deux intervalles blancs, soit d’en-haut, soit d’enbas, selon que cette queue est tournée. Voyez dans l’exemple le d & le q. S’il se trouve dans une ligne un q, & dans la ligne au-dessous un d, qui corresponde exactement au q, il n’y aura point d’intervalle entre les queues : les extrémités de ces queues se toucheront, d’où il s’ensuit que voilà la hauteur relative des corps & celle des caracteres déterminée ; que resteroit-il donc à faire pour que la Fonderie & l’Imprimerie fussent assujeties à des regles convenables ? sinon de déterminer la largeur des lettres ou caracteres, relativement à leur hauteur : c’est ce que personne n’a encore tenté. On est convenu que la hauteur du corps étant divisée en sept parties égales, la hauteur du caractere, de l’m, par exemple, seroit de trois de ces parties ; quant à sa largeur, chacun suit son goût & sa fantaisie ; les uns donnent au caractere ou à l’œil, une forme plus ou moins voisine du quarré que les autres.
Nous invitons M. Fournier, à qui nous devons la table des rapports des corps entr’eux, à nous donner la table des proportions des caracteres entr’eux dans chaque corps. Elle est bien aussi importante pour la perfection de l’art de la gravure en caracteres, que la premiere pour la perfection & commodité de l’art d’imprimer.
Il pourra pour cet effet, consulter les regles que les grands écrivains à la main se sont prescrites, & celles que les plus habiles graveurs ont suivies par goût.
Une observation qui se présente naturellement & qu’on ne sera pas fâché de trouver ici, c’est qu’il y a quelque rapport entre l’impression & le genie d’une langue ; par exemple, l’Allemand est extraordinairement diffus ; aussi n’y a-t-il presque point de blanc entre les lignes, & les caracteres sont-ils extrèmement serrés sur chaque ligne : les Allemands tâchent de regagner par là, l’espace que la prolixité de leur diction exigeroit.
Les expressions œil, corps, blanc, caractere fondu sur un corps d’un autre caractere, &c. ne doivent plus rien avoir d’obscur.
On disoit corps foible & corps fort, dans le tems qu’on ignoroit la proportion que les yeux des caracteres devoient avoir avec leurs corps, & celle que les corps & les caracteres devoient avoir avec d’autres corps & caracteres. Cette ignorance a duré parmi nous jusqu’en 1742, que M. Fournier le jeune, graveur & fondeur de caracteres, proposa sa table des rapports des différens corps des caracteres d’Imprimerie. Nous ne tarderons pas à en faire mention. Nous observerons en attendant, qu’avant cette table on n’avoit aucune regle sûre pour l’exécution des caracteres ; chaque Imprimeur commandoit des caracteres suivant les modeles qu’il en trouvoit chez lui, ou qu’il imaginoit. Aucun n’ayant l’idée soit du corps soit de l’œil, par exemple, d’un véritable Cicéro, ce caractere avoit autant de hauteurs de corps & d’œil différentes qu’il y avoit d’Imprimeries, & s’appelloit ici foible, là fort ; ici petit œil, là gros œil.
On dit une fonte de Cicéro, de Petit-Romain, &c. lorsque ces caracteres ont été fondus sur les corps de leurs noms. Les fontes sont plus ou moins grandes, suivant le besoin ou le moyen de l’Imprimeur qui les commande, par cent pesant ou par feuilles. Quand un Imprimeur demande une fonte de cinq cents, il veut que cette fonte, bien assortie de toutes ses lettres, pese cinq cents. Quand il la demande de dix feuilles, il entend qu’avec cette fonte on puisse composer dix feuilles ou vingt formes, sans être obligé de distribuer. Le Fondeur prend alors ses mesures ; il compte cent-vingt livres pesant pour la feuille, y compris les quadrats & espaces, ou soixante pour la forme, qui n’est que la demi-feuille. Ce n’est pas que la feuille pese toûjours cent vingt livres, ni la forme soixante ; tout cela dépend de la grandeur de la forme, & on suppose toûjours qu’il en reste dans les cases.
S’il n’entre pas dans toutes les feuilles le même nombre de lettres, ni les mêmes sortes de lettres, il est bon de remarquer que, comme il y a dans une langue des sons plus fréquens que d’autres, & par conséquent des signes qui doivent revenir plus fréquemment que d’autres dans l’usage qu’on en sait en imprimant, une fonte ne contient pas autant d’a que de b, autant de b que de c, & ainsi de suite. La détermination des rapports en nombre, qu’il faut mettre entre les différentes sortes de caracteres qui forment une fonte, s’appelle la police. Il est évident que la police peut varier d’une langue à une autre, mais qu’elle est la même pour toutes sortes de caracteres employés dans la même langue. Pour donner une idée de la police dans notre François, soit, par exemple, demandée une fonte de cent mille lettres. Pour remplir ce nombre de cent mille caracteres, on prendra les nombres suivans de chacun. L’expérience a résolu chez les Fondeurs un probleme, dont on auroit trouvé difficilement ailleurs une solution exacte. J’espere que les Philosophes & les Grammairiens jetteront les yeux, avec quelque satisfaction, sur cette table, & en desireront de semblables du Latin, du Grec, de l’Anglois, de l’Italien, & de la plûpart des langues connues. Pour se les procurer, ils n’ont qu’à s’adresser aux Fondeurs en caracteres des différens pays où ces langues sont en usage.
Le lecteur s’appercevra facilement qu’elle ne contient que les signes grammaticaux, & qu’il ne s’agit ici que de ceux-là ; & que par conséquent cette police n’est pas particuliere à un livre ou d’algebre, ou d’arithmétique, ou de chimie ; mais qu’elle convient seulement à un discours oratoire, à la poësie, &c.
S’il est évident que la même police ne convient pas à toute langue, il ne l’est pas moins qu’elle convient à tout caractere, de quelque corps que ce soit, dans une même langue.
Il y a dans l’Imprimerie, ou plûtôt dans la Fonderie en caracteres, vingt corps différens.
Chacun de ces corps a son nom particulier & distinctif, propre aux caracteres fondus sur ces corps. Le plus petit se nomme Parisienne, & en descendant de la Parisienne jusqu’aux caracteres les plus gros, on a la Nompareille, la Mignone, le Petit-Texte, la Gaillarde, le Petit-Romain, la Philosophie, le Cicéro, le Saint-Augustin, le Gros-Texte, le Gros-Romain, le Petit-Parangon, le Gros-Parangon, la Palestine, le Petit-Canon, le Trismegiste, le Gros-Canon, le Double-Canon, le Triple-Canon, la Grosse-Nompareille ; voyez les articles de ces caracteres à leurs noms particuliers, & ci-après les modeles de ces caracteres dans les Planches placées à la fin de cet article. Ces Planches ont été composées sur les caracteres de M. Fournier le jeune, de qui nous tenons aussi tous les matériaux qui forment cet article & les autres articles de la Fonderie en caracteres. Nous pourrions bien assûrer que notre Ouvrage ne laisseroit rien à desirer d’important sur les Arts, si nous avions toûjours rencontré des gens aussi attachés au progrès de leur art, aussi éclairés, & aussi communicatifs que M. Fournier le jeune. Une observation que nous avons été cent fois dans le cas de faire, c’est qu’entre les ouvriers qui s’occupent d’un même art, les ignorans, & entre les ouvriers qui s’occupent de différents arts, ceux dont les métiers étoient les moins étendus & les plus vils, se sont toûjours montrés les plus mystérieux, comme de raison.
Ces corps se suivent par degrés ; les uns se trouvent juste, le double, le tiers, le quart, &c. des autres, de maniere que deux ou plusieurs combinés ensemble, remplissent toûjours exactement le corps majeur qui est en tête de la combinaison ; régularité bien essentielle à l’Imprimerie.
Mais pour établir entre les corps la correspondance dont nous venons de parler, & qui se remarquera bien dans la table des rapports ci-jointe, M. Fournier a été obligé de créer un corps exprès appellé le Gros-Texte, qui équivaut à deux corps de Petit-Texte, & d’en faire revivre deux autres qui n’étoient point connus ou qui l’étoient peu, la Palestine & le Trismégiste. Le premier fait les deux corps de Cicéro, le caractere le plus en usage dans l’Imprimerie ; & le second fait les deux points du Gros-Romain.
Sans ces trois corps la correspondance est interrompue. On a placé dans la table qui suit, dans la premiere colonne, les noms de ces corps, & dans celle du milieu, les corps auxquels ils équivalent.
Quand on rencontre le signe || dans un des articles de la colonne du milieu, il faut entendre que le nombre des corps qui rempliroient celui qui est en marge va changer, & que ce sont d’autres corps qui vont suivre, & dont la somme seroit équivalente au seul corps qui est dans la premiere colonne.
Mais ce n’étoit pas assez d’avoir fixé le nombre des corps des caracteres à vingt, & d’avoir établi les rapports que ces vingt corps devoient avoir entr’eux : il falloit encore donner la grandeur absolue d’un de ces corps, n’importe lequel. Pour cet effet, M. Fournier le jeune s’est fait une échelle, d’après le conseil des personnes les plus expérimentées dans l’Art.
Cette échelle est composée de deux parties qu’il appelle pouces ; ces deux pouces ne sont pas de la même longueur que les deux pouces de pié de Roi. Nous dirons plus bas quel est le rapport du pouce de son échelle, avec le pouce de pié de Roi. Il a divisé son pouce en trois lignes, & sa ligne en trois points. On voit cette échelle au haut de la table qui suit.
Cette table est divisée en quatre colonnes :
La premiere marque en chiffres l’ordre des caracteres.
La seconde, les noms de ces caracteres & leur équivalence en autres caracteres.
La troisieme & quatrieme, leurs hauteurs en parties de l’échelle.
lign. | points. | ||
1. | Parisienne. | 0 | 5 |
2. | Nompareille. | 1 | 0 |
3. | Mignone. | 1 | 1 |
4. | Petit-Texte. | 1 | 2 |
5. | Gaillarde. | 1 | 3 |
6. | Petit-Romain, 2 Parisiennes. | 1 | 4 |
7. | Philosophie, 1 Parisienne, 1 Nompareille. | 1 | 5 |
8. | Cicero, 2 Nompareilles. || 1 Parisienne, 1 Mignone. | 2 | 0 |
9. | Saint-Augustin, 2 Mignones. || 1 Nom-pareille, 1 Petit-Texte. | 2 | 2 |
10. | Gros-Texte, 2 Petit-Textes. || 1 Paris. 1 Philosophie. | 1 Nompareille, 1 Petit-Romain. | 1 Mignone, 1 Gaillarde. || 2 Rarisiennes, 1 Nompareille. | 2 | 4 |
11. | Gros-Romain, 2 Gaillardes. || 3 Nomp. || 1 Nomp. 1 Cicéro. | 1 Mign. 1 Philos. | 1 Petit-Texte, 1 Petit-Rom. || 2 Paris. 1 Petit-Texte. || 1 Paris. 1 Nompar. 1 Mignone. | 3 | 0 |
12. | Petit-Parangon, 2 Petit-Rom. | 4 Paris. || 1 Nomp. 1 Saint-August. | 1 Pet. Texte, 1 Cicéro. | 1 Gaillarde, 1 Philosop. || 2 Paris. 1 Petit-Romain. | 2 Nompar. 1 Pet. Texte. | 2 Mignones, 1 Nomp. || 1 Paris. 1 Nompar. 1 Gaill. | 1 Paris. 1 Mignone, 1 Petit-Texte. | 3 | 2 |
13. | Gros-Parangon, 2 Philosoph. || 1 Nomp. 1 Gros-Texte.| 1 Petit Texte, 1 Saint-Augustin. | 1 Pet. Rom. 1 Cic. || 2 Paris. 1 Cic. | 2 Nomp. 1 Pet. Rom. | 2 Mign. 1 Petit-Texte.| 2 Pet. Textes, 1 Nomp.|| 1 Paris. 1 Nomp. 1 Philosoph. | 1 Nomp. 1 Mign. 1 Gaill. || 2 Paris. 2 Nomp. | 3 Parisienne, 1 Mignone. | 3 | 4 |
14. | Palestine, 2 Cicéros. | 3 Pet. Textes. | 4 Nompareill. || 1 Nomp. 1 Gros-Rom.| 1 Petit-Texte, 1 Gros-Texte. | 1 Petit Rom. 1 Saint-Aug. | 2 Paris. 1 S.Aug. | 2 Nomp. 1 Cic. | 2 Mign. 1 Pet.Rom. | 2 Gaill. 1 Nomp. || 1 Paris. 1 Mignone, 1 Cic. | 1 Paris. 1 Gaill. 1 Petit-Rom.| 1 Nompar. 1 Mignone, 1 Philosoph. | 1 Nomp. 1 Petit-Texte, 1 Petit-Rom. | 1 Mign. 1 Pet. Text. 1 Gaill. || 2 Paris. 2 Mignones. | 3 Paris. 1 Gaillarde. | 4 | 0 |
15. | Petit-Canon, 2 Saint-Aug. | 4 Mign. || 1 Nomp. 1 Gros-Parangon. | 1 Petit-Texte, 1 Petit-Parang. | 1 Petit-Rom. 1 Gros-Rom. | 1 Cic. 1 Gros-Texte. || 2 Paris. 1 Gros-Romain. | 2 Nompar. 1 Gros-Texte. | 2 Mign. 1 Saint-Aug. | 2 Petit-Textes, 1 Cic. | 2 Gaill. 1 Petit-Rom. | 2 Petit-Rom. 1 Petit-Texte. | 2 Philosoph. 1 Nomp. || 2 Paris. 2 Gail.| 2 Nomp. 2 Pet. Text.|2 Paris. 3 Nomp.| 3 Nomp. 1 Pet. Rom.| 4 Paris. 1 Petit-Text. || 1 Paris. 1 Mign. 1 Gros Text.| 1 Nomp. 1 Pet. Text. 1 S. August.| 1 Paris. 1 Gaill. 1 S. Aug.| 1 Paris. 1 Philosop. 1 Cic.| 1 Nomp. 1 Petit-Rom. 1 Cic. | 1 Mign. 1 Gaill. 1 Cic.|| 2 Nomp. 1 Mign. 1 Gaill.| 2 Mign. 1 Nomp. 1 Pet. Text. | 4 | 4 |
16. | Trismegiste, 2 Gros-Rom. | 3 Ciceros| 4 Gaillardes| 6 Nompareilles || 1 Petit-Text. 1 Petit-Canon | 1 Cic. 1 Palest.| 1 S. Aug. 1 Gr. Parang.| 1 Gr. Text. 1 Pet. Parang. | 6 | 0 |
(On peut encore augmenter de beaucoup l’assemblage de ce corps & des suivans.) | |||
17 | Gros-Canon, 2 Gr-Parang.|4 Philosoph. || 1 Pet. Text. 1 Trismégiste| 1 Gr. Text. 1 Pet. Canon. | 1 Pet. Parang. 1 Palest. | 7 | 2 |
18 | Double-Canon, 2 Pet. Canons.|4 S. Aug.| 8 Mign.|| 1 Cic. 1 Gr. Canon.| 1 Petit-Parang. 1 Trismég. | 9 | 2 |
19 | Triple-Canon, 2 Trismégistes.| 4 Gros-Romains. || 6 Ciceros.| 8 Gaillardes.| 12 Nomp. | 1 Gr. Text 1 Double-Canon. | 1 Pet. Can. 1 Gr. Can. | 12 | 0 |
20 | Grosse-Nompareille, 4 Palest. | 8 Cicéros.| 12 Petits-Textes.| 16 Nompareilles.|| 1 Palest. 1 Triple-Canon. | 16 | 0 |
C’est un fait assez simple qui a conduit M. Fournier à la formation de sa table des rapports des caracteres : un Imprimeur demande, par exemple, un Cicéro au Fondeur, & envoye en lettres un échantillon sur lequel il veut que ce Cicéro soit fondu. Un autre Imprimeur demande aussi un Cicéro ; & comme c’est un caractere de même nom qu’il faut à tous les deux, on croiroit que ce caractere est aussi le même ; point du tout : l’échantillon de l’un de ces Imprimeurs est ou plus grand ou plus petit que l’échantillon de l’autre, & le Fondeur se trouve dans la nécessité ou de réformer ses moules, ou même d’en faire d’autres ; ce qui peut être poussé fort loin, ainsi que toutes les choses de fantaisie. Il semble que les écrivains ayent été plus d’accord entr’eux, qu’on ne l’est dans l’Imprimerie sur la hauteur & sur la largeur des caracteres. Ils ont commencé par convenir des dimensions du bec de plume ; ensuite ils ont fixé tant de becs de plume pour chaque sorte de caractere.
En formant sa table des rapports, il paroît que M. Fournier le jeune est entré dans les vûes de l’édit du Roi, du 28 Février 1723, portant un reglement pour l’Imprimerie, qui semble supposer cette table. Exemple. Quand le reglement ordonne, que le Gros-Romain soit équivalent à un Petit-Romain & à un Petit-Texte, qu’est ce que cela doit signifier ? quel Petit-Romain & quel Petit-Texte choisira-t-on ? ils sont partout inégaux. En prescrivant cette regle, on imaginoit donc ou qu’il y avoit une table des rapports des caracteres instituée, ou qu’on en institueroit une. Mais quand on auroit eu pour les caracteres une grandeur fixe & déterminée, on n’auroit pas encore atteint à la perfection qu’on se pouvoit promettre ; puisque pour avoir l’équivalent convenable du Gros-Romain, ce n’étoit point un Petit-Romain & un Petit-Texte qu’il falloit prendre : car les corps des caracteres devant, selon M. Fournier, aller toûjours soit en diminuant soit en augmentant dans la proportion double, pour les avantages que nous allons expliquer, il s’ensuit que le Gros-Romain a deux Gaillardes pour équivalent, & non pas un Petit-Romain & un Petit-Texte.
En déterminant les forces des corps, M. Fournier a mis les Imprimeurs en état de savoir au juste ce qu’un caractere augmente ou diminue de pages sur un autre caractere ; combien il faudra de lignes de Petit-Romain, par exemple, pour faire la page in-12. de Cicéro ou de St. Augustin ; combien par ce moyen, on gagnera ou perdra de pages sur une feuille, & par conséquent ce qu’un volume aura de plus ou de moins de feuilles en l’imprimant de tel ou tel caractere.
Ces proportions établies & connues rendent le méchanisme de l’Imprimerie plus sûr & plus propre ; l’ouvrier sachant la portée de ses caracteres, remplit exactement tous les espaces vuides de ses ouvrages sans addition ni fraction, soit dans la composition des vignettes, soit dans tout autre ouvrage difficile & de goût. Il a par exemple pour reste de page un vuide de six lignes de Nompareille à remplir, il saura tout d’un coup qu’il peut y substituer ou quatre lignes de quadrats de Gaillarde, ou trois de Cicéro, ou deux de gros Romain, ou un seul de Trismégiste. Il a à choisir, & tout cela remplit & fait exactement son blanc sans peines ni soins.
On évite par le même moyen la confusion dans l’Imprimerie, particulierement pour ce qu’on appelle lettres de deux points : les lettres doivent se trouver exactement par la fonte, le double des corps pour lesquels elles font les deux points ; voyez Lettres de deux Points : mais ces corps, soit Petit-Texte, soit Petit-Romain, soit Cicéro, étant indéterminés, plus forts dans une Imprimerie, plus foibles dans une autre, il s’ensuit que ces lettres de deux points n’ayant point de rapport fixe avec les gros corps, formeront une multiplicité d’épaisseurs différentes ou de corps dans l’Imprimerie, où l’on n’aura cependant point d’autres noms, que celui de lettres de deux points.
Il faut pour l’usage de ces lettres de deux points, des quadrats ou espaces faits exprès & assujettis à la même épaisseur : mais les rapports institués par la table rameneront tout à la simplicité ; les lettres de deux points de Petit-Texte seront fondues sur le corps de Gros-Texte ; celles de Petit-Romain sur le corps de Petit-Parangon ; celles de Cicéro, sur le corps de Palestine, & ainsi de suite. Il ne sera plus nécessaire de fondre exprès des quadrats & espaces pour ces lettres ; parce que ceux qui servent pour les caracteres, qui sont le double de ces corps, seront incontestablement les mêmes.
Nous avons observé au commencement de cet article, que l’art de la Gravûre en poinçon, & de la Fonderie en caractere, étoit redevable de sa naissance parmi-nous, & de ses progrès, à Simon de Colines, Claude Garamond, Robert Grandjean, Guillaume le Bé ; Jacques de Sanlecque, pour les 15, 16, & 17e siecles, & pour le 18e à MM. Grandjean & Alexandre, qui ont consacré leurs travaux à l’Imprimerie du Roi.
L’équité & la reconnoissance ne nous permettent pas de passer sous silence ce que M. Fournier le jeune a fait pour le même art, depuis ces habiles Artistes. Il a commencé par l’article important de la table des rapports, dont nous avons fait mention plus haut. Cherchant ensuite ce qui pourroit être innové d’ailleurs avec avantage, il a remarqué que l’Imprimerie manquoit de grandes lettres majuscules pour les placards, affiches, & frontispices. Celles dont on se servoit avant lui étoient trop petites & d’un goût suranné ; les lettres de bois étoient communément mal formées, sujettes à se déjetter, à se pourrir, &c. Il en a gravé de quinze lignes géométriques de haut ; & par conséquent une fois plus grandes que celles de fonte, dont on usoit auparavant : il en a continué la collection complette depuis cette hauteur, jusqu’aux plus petites.
Il a redoublé ce travail, en exécutant des caracteres italiques de la même grandeur ; cette sorte de lettre n’existoit point dans l’Imprimerie. Les plus grosses qu’on y avoit eues étoient de deux points de Saint-Augustin, ou Gros-Romain, encore maigres & mal taillées. Il ne faut pourtant pas celer qu’on en employe de fort belles à l’Imprimerie royale, mais jusqu’à une certaine hauteur seulement ; & c’est d’ailleurs comme si elles n’existoient pas pour les autres Imprimeries du royaume.
Ces grandes majuscules ont presqu’éteint l’usage d’imprimer les affiches & frontispices en rouge & noir. Les mots que l’on veut rendre plus sensibles se remarquant assez par le mêlange des lignes de romain & d’italique dont les figures tranchent assez l’une sur l’autre ; on a évité par ce moyen le double tirage du rouge & du noir, & l’on a formé de plus beaux titres.
L’Imprimerie étoit aussi comme dénuée de ces petits ornemens de fonte qu’on appelle vignettes. Le peu qu’on en avoit étoit si vieux & d’un goût si suranné, qu’on n’en pouvoit presque faire aucun usage. M. Fournier, à l’imitation des sieurs Grandjean & Alexandre, qui en ont exécuté de fort belles pour l’Imprimerie du Roi, en a inventé de plus de cent cinquante sortes, qu’il a gravées relativement à la proportion qu’il a donnée aux corps. Une figure, par exemple, gravée pour être fondue sur un corps de Cicéro de la moitié de son épaisseur, n’a qu’à être renversée pour s’ajuster à la nompareille ; une autre sera quarrée, & représentera le Cicéro en tout sens ; une autre sera de la largeur d’un Cicéro & demi, & viendra au corps de Gros Romain ; une autre de deux Cicéros fera le corps de Palestine : ainsi du reste, qui fondu sur un corps fixe, forme par les largeurs, tels ou tels autres corps, de maniere que de quelque sens qu’on les retourne, elles présentent des grandeurs déterminées, dont les interstices seront exactement remplis par des corps plus ou moins forts.
C’est ainsi qu’en combinant ces petits objets, on compose facilement des ornemens de fonte plus ou moins grands, selon le besoin, & plus ou moins bien entendus, selon le goût du compositeur de l’Imprimerie. Voyez quelques-uns de ces ornemens dans les planches des caracteres qui sont à la fin de cet article.
Dans la gravure des poinçons des notes de Plein-chant, M. Fournier a fait des changemens dont lui ont su gré les Imprimeurs des différens dioceses qu’il a fournis. Les notes béquarres, bémols, &c. étoient gravées & fondues de différentes épaisseurs, suivant leurs figures ; de maniere que pour composer ces notes, & justifier les lignes, il falloit fondre des espaces d’épaisseurs indéterminées, parmi lesquels il y en avoit de très-fins. Ces espaces portoient quatre filets ; multipliés ils formoient autant de hachures dans les filets de la note, parce que la jonction ne se faisoit jamais si bien qu’on n’en vît l’endroit, sur-tout lorsque la note avoit un peu servi ; ces hachures devenant plus sensibles, n’en étoient que plus desagréables. D’ailleurs, l’ouvrier étoit toûjours obligé de justifier sa ligne en tâtonnant, comme on tâtonne une ligne de caracteres avec les espaces ordinaires. Pour éviter ces inconvéniens, M. Fournier a gravé des poinçons de notes, béquarres, bémols, guidons, poses, &c. précisément d’une même largeur, & des espaces portant quatre filets de la même épaisseur, ou deux, trois, quatre, cinq fois plus large ; les plus minces sont moitié d’épaisseur de la note : or toutes ces épaisseurs étant égales & déterminées, quand l’Imprimeur a décidé la longueur de sa ligne, toutes les autres se trouvent justifiées comme d’elles-mêmes ; il ne s’agit que d’employer le même nombre de notes, ou leur équivalent en espace, ce qui se fait sans soin. Arrivé au bout de la ligne, on y placera une demi-note, ou son équivalent, ou l’équivalent d’une note, ou un espace équivalent à plusieurs notes, suivant le vuide à remplir, & la ligne se trouvera justifiée. Les fautes qui seront survenues dans la composition, ne seront pas difficiles à corriger, puisqu’on aura toûjours précisément l’équivalent de ce qu’on deplacera. Comme on ne sera plus obligé de justifier avec des espaces fins, il y aura moins de hachures, & l’ouvrage sera plus parfait.
Pour cet effet, il a suffi de graver les filets qui portent la note tous de la même largeur, & de laisser sur ces filets la note, ou telle autre figure, suivant la grandeur qu’elles doivent avoir, suivant l’exemple qu’on voit.
M. Fournier a rétranché de la note dont on se servoit avant lui, une multiplication inutile de huit sortes, dont l’effet étoit desagréable, comme on voit, par l’usage où l’on étoit de mettre les queues de ces notes en-bas, elles se trouvoient mêlées avec les caracteres qui étoient dessous. Pour éviter cet inconvénient, de quoi s’agissoit-il ? De retourner en-haut la queue de ces notes, ainsi qu’on le pratique en Musique. Cet expédient a été d’autant plus avantageux, qu’on trouve dans le reste de la note de quoi former celle-ci, sans qu’il soit besoin d’en faire exprès. Exemple : retournez ces caracteres à la composition, & vous aurez, c’est-à-dire l’effet desiré, à moins de frais, sans embarras, & avec plus de propreté. Voyez l’exemple dans les tables des caracteres qui suivent.
On se sert dans l’Imprimerie beaucoup plus fréquemment de reglets simples, doubles ou triples, qu’on ne faisoit il y a dix ans, grace à M. Fournier qui a inventé un moule pour les fondre. On les exécutoit ci-devant en cuivre rouge ou laiton ; ils étoient chers, & jamais justes. Il eût été trop long, & peut-être impossible de bien planir les lames de laiton, de l’épaisseur déterminée de quelques corps de caracteres. On n’avoit d’autre ressource que dans différentes lames d’épaisseurs inégales, qu’on ajustoit avec le moins d’inconvénient que l’on pouvoit. Le moule de M. Fournier remédie à tout cela : c’est une machine simple & commode de quatorze à quinze pouces de longueur, sur un pouce ou environ de large, dans laquelle on fond des lames de la longueur de quatorze pouces, & de la hauteur d’un caractere donné. Le même moule sert pour telle hauteur qu’on veut : pour avoir des lames d’une épaisseur déterminée, il ne s’agit que d’y disposer le moule, ce qui s’exécute en un moment : on met ces lames dans le coupoir, & avec les rabots servant aux lettres, & des fers faits exprès, on taille sur une des faces un reglet de telle figure qu’on le souhaite.
L’utilité de ce moule à reglets a été si généralement reconnue, que deux ou trois mois après qu’il en fut fait usage, les autres Fondeurs s’empresserent de l’imiter : mais ce qu’ils ont trouvé est grossier, moins simple, d’un usage moins commode, le sieur Fournier n’ayant point communiqué le sien, & l’ayant toûjours réservé pour sa Fonderie. Voyez à l’article Reglet, l’explication de cette machine, & dans nos planches de Fonderie en caracteres, sa figure & ses détails.
Pour jetter un peu de variété dans l’impression, & servir à l’exécution de quelques ouvrages particuliers, M. Fournier vient de graver un caractere nouveau dans son genre ; il est en deux parties & sur deux corps différents. La premiere fondue sur le corps de grand Parangon, s’appelle bâtarde coulée ; & l’autre partie qui a l’œil plus gros, est fondue sur le Trismégiste, qu’on appelle bâtarde. Ces caracteres avec l’alphabet de lettres ornées & festonées, pour tenir lieu de petites capitales, sont faits pour aller ensemble, & forment un tout qu’il appelle caractere de finance, parce qu’il imite l’écriture. Voyez-en le modele dans les planches qui suivent.
La partie la plus utile pour l’Imprimerie, & qui fera le plus d’honneur à M. Fournier, après sa table des rapports, c’est le changement des caracteres italiques auxquels il a donné une figure plus terminée, dont il a rendu les pleins & les déliés plus sensibles, & qu’il a plus approchés de notre écriture.
Au commencement de ce siecle, les sieurs Grandjean & Alexandre firent quelques changemens dans les italiques qu’ils graverent pour l’Imprimerie du roi ; cet exemple a enhardi le sieur Fournier. Pour mettre le lecteur en état de juger de son travail, voici quelques lignes des italiques, telles qu’il les a trouvées, & de celles qu’il leur a substituées.
Pour l’exécution des proportions données aux caracteres, & pour s’assûrer de leur exactitude, il faut faire une justification ou mesure juste de quarante lignes, mesure de l’échelle de M. Fournier, & de trente-sept lignes géométriques : elle contiendra ou quarante-huit Parisiennes, ou quarante Nompareilles, ou trente-deux Mignones & un gros Texte, ou trente petits textes, ou vingt-six Gaillardes & une Nompareille, ou vingt-quatre petits Romains, ou vingt-un Philosophies & une Gaillarde, ou vingt Cicéros, ou seize Saint-augustins & un gros-Texte, ou quinze gros Textes, ou treize gros-Romains & une Nompareille, ou douze petits-Parangons, ou dix gros-Parangons & un petit Parangon, ou dix Palestines, ou huit petits-Canons & un gros-Texte, ou six Trismégistes & une Palestine, ou cinq gros-Canons & un petit-Parangon, ou quatre doubles canons & un gros-texte, ou trois triples canons & une palestine, ou deux grosses nompareilles & deux palestines.
S’il y a ou quelques gros ou quelques petits caracteres dont il ne soit point fait mention dans la table des rapports, ni dans la justification précédente, c’est que ces gros caracteres ne se fondent pas, & que les petits tels que la perle, la sédanoise, &c. sont hors de proportions, quoiqu’ils se fondent. Au reste il seroit à souhaiter qu’on les réduisit aux mesures de la table ; l’art de l’Imprimerie n’en seroit que plus parfait, & sa pratique que plus facile.
Il ne nous reste plus qu’un mot à dire des reglemens auxquels les Fondeurs en caracteres sont assujettis.
Les Fondeurs sont tenus, avant que d’exercer leur profession, de se présenter aux syndic & adjoints de l’Imprimerie, & de se faire inscrire sur le registre de la communauté en qualité de Fondeurs de caracteres : ce qui doit se faire sans frais.
Il leur est néanmoins défendu d’exercer la Librairie ou l’Imprimerie.
Ils doivent résider & travailler dans le quartier de l’Université.
On a vû par ce qui précede, ce qu’il faut penser de l’article des reglemens sur la proportion des caracteres. Il leur est enjoint de fondre les caracteres de bonne matiere forte & cassante (voyez plus haut ce que c’est que cette matiere) : de travailler pour les Imprimeurs de Paris par préférence à ceux de province : de n’envoyer au-dehors aucune fonte sans en avoir déclaré au bureau de la communauté la qualité, le poids, & la quantité : de fondre les fontes étrangeres sur la hauteur de celles de Paris : de ne livrer des fontes & caracteres qu’aux Imprimeurs.
Voilà les principaux reglemens, d’où l’on voit combien ils sont imparfaits, & combien il est incertain qu’en séparant les arts de Graveur, de Fondeur, & d’Imprimeur, on ait travaillé à leur perfection réelle.
Je n’ai rien épargné pour exposer clairement ce
qui concerne les deux premiers, qui servent de préliminaires
essentiels au troisieme ; & j’espere que les
gens de lettres, qui ont par leurs ouvrages quelque
prétention à l’immortalité, ne m’accuseront pas d’avoir
été prolixe : quant au jugement des autres, il
m’importe peu. J’aurois été beaucoup plus étendu,
si je n’avois pris sur moi de glisser légerement sur les
opérations les moins importantes. En revanche j’ai
tâché de décrire les autres de maniere à m’acquiter
envers l’art & à le conserver, s’il étoit jamais menacé
de se perdre. Voyez la suite à l’article Imprimerie. Devions-nous moins à la Fonderie en caracteres,
par laquelle les productions des grands genies se multiplient
& s’éternisent, qu’à la fonderie en bronze,
qui met en relief les héros & leurs actions ? Voyez Fonderie en bronze à l’article Bronze.
Voici des exemples de tous les Caracteres en usage : ils sont de l’Imprimerie de M. le Breton, notre Imprimeur, & de la fonderie du sieur Fournier, excepté la Perle & la Sédanoise, qui ne se trouvent qu’à l’Imprimerie Royale, & que M. Anisson, directeur de cette Imprimerie, a bien voulu communiquer.
Nous renvoyons à nos Planches gravées les alphabets de la plûpart des peuples, tant anciens que modernes.
Voilà les principaux caracteres qui se rapportent ou aux Sciences, ou aux Arts, ou au Commerce ; & c’est ce que nous avions à dire de plus important sur le mot caractere pris dans son sens propre & primitif, c’est-à-dire pour une marque qui sert à désigner quelque chose. Mais ce mot caractere se prend en beaucoup d’autres sens ; la signification qu’on lui donne est alors figurée. Le mot dont il s’agit n’est pas le seul qu’on ait transporté du propre au figuré : on peut dire avec assez de vérité, que presque tous les mots de la langue sont dans ce cas. Il en est même quelques-uns qui ont perdu leur sens propre, & qui n’ont plus que le métaphorique, comme aveuglement & bassesse ; d’autres qui s’employent plus souvent au sens métaphorique qu’au sens propre ; & d’autres enfin qui s’employent également & aussi souvent dans l’un que dans l’autre : caractere est de ce nombre. Voici ses principales acceptions au figuré : elles ont toutes, ainsi que les acceptions de cette espece, un rapport plus ou moins éloigné au sens propre, c’est-à-dire qu’elles désignent une sorte de marque ou d’empreinte subsistante avec plus ou moins de ténacité : on peut même ajoûter que le mot caractere est un de ceux où le sens propre differe le moins du figuré.
Caractere, en Morale, est la disposition habituelle de l’ame, par laquelle on est plus porté à faire, & l’on fait en effet plus souvent des actions d’un certain genre, que des actions du genre opposé. Ainsi un homme qui pardonne rarement, ou qui ne pardonne jamais, est d’un caractere vindicatif ; je dis rarement ou jamais ; en effet le caractere est formé, non par la disposition rigoureusement constante, mais par la disposition habituelle, c’est-à-dire la plus fréquente dans laquelle l’ame se trouve.
M. Duclos, dans ses Considérations sur les mœurs, remarque avec grande raison que la plûpart des fautes & des sotises des hommes dans leur conduite viennent de ce qu’ils n’ont pas l’esprit en équilibre, pour ainsi dire, avec leur caractere : Cicéron, par exemple, étoit un grand esprit, & une ame foible ; c’est pour cela qu’il fut grand orateur, & homme d’état médiocre ; & ainsi des autres.
Rien n’est plus dangereux dans la société qu’un homme sans caractere, c’est-à-dire dont l’ame n’a aucune disposition plus habituelle qu’une autre. On se fie à l’homme vertueux ; on se défie du fripon. L’homme sans caractere est alternativement l’un & l’autre, sans qu’on puisse le deviner, & ne peut être regardé ni comme ami, ni comme ennemi ; c’est une espece d’anti-amphibie, s’il est permis de s’exprimer de la sorte, qui n’est bon à vivre dans aucun élément. Cela me rappelle cette belle loi de Solon, qui déclaroit infames tous ceux qui ne prenoient point de parti dans les séditions : il sentoit que rien n’étoit plus à craindre que les caracteres & les hommes non décidés.
Caractere des nations. Le caractere d’une nation consiste dans une certaine disposition habituelle de l’ame, qui est plus commune chez une nation que chez une autre, quoique cette disposition ne se rencontre pas dans tous les membres qui composent la nation : ainsi le caractere des François est la légereté, la gaieté, la sociabilité, l’amour de leurs rois & de la monarchie même, &c.
Dans les nations qui subsistent depuis long-tems, on remarque un fond de caractere qui n’a point changé : ainsi les Athéniens, du tems de Démosthene, étoient grands amateurs de nouvelles ; ils l’étoient du tems de S. Paul, & ils le sont encore aujourd’hui. On voit aussi dans le livre admirable de Tacite, sur les mœurs des Germains, des choses qui sont encore vraies aujourd’hui de leurs descendans.
Il y a grande apparence que le climat influe beaucoup sur le caractere général ; car on ne sauroit l’attribuer à la forme du gouvernement qui change toûjours au bout d’un certain tems : cependant il ne faut pas croire que la forme du gouvernement lorsqu’elle subsiste long-tems, n’influe aussi à la longue sur le caractere d’une nation. Dans un état despotique, par exemple, le peuple doit devenir bientôt paresseux, vain, & amateur de la frivolité ; le goût du vrai & du beau doivent s’y perdre ; on ne doit ni faire ni penser de grandes choses.
Caractere des sociétés ou corps particuliers. Les sociétés ou corps particuliers au milieu d’un peuple, sont en quelques manieres de petites nations entourées d’une plus grande : c’est une espece de greffe bonne ou mauvaise, entée sur un grand tronc ; aussi les sociétés ont elles pour l’ordinaire un caractere particulier, qu’on appelle esprit du corps. Dans certaines compagnies, par exemple, le caractere général est l’esprit de subordination ; dans d’autres l’esprit d’égalité, & ce ne sont pas-là les plus mal-partagées : celles-ci sont fort attachées à leurs usages ; celles-là se croyent faites pour en changer. Ce qui est un défaut dans un particulier, est quelquefois une vertu dans une compagnie. Il seroit nécessaire, par exemple, suivant la remarque d’un homme d’esprit, que les compagnies littéraires fussent pédantes.
Souvent le caractere d’une société est très-différent de celui de la nation, où elle se trouve pour ainsi dire transplantée. Des corps, par exemple, qui dans une monarchie feroient vœu de fidélité à un autre prince qu’à leur souverain légitime, devroient naturellement avoir moins d’attachement pour ce souverain que le reste de la nation ; c’est la raison pour laquelle les moines ont fait tant de mal à la France du tems de la ligue : il ne faut pas croire cependant que cet esprit ne change pas : d’autres tems, d’autres mœurs. « Les religieux, dont les chefs résident à Rome, dit le célebre M. de Voltaire, dans son admirable Essai sur le siecle de Loüis XIV. sont autant de sujets immédiats du pape répandus dans tous les états. La coûtume qui fait tout, & qui est cause que le monde est gouverné par des abus comme par des lois, n’a pas toûjours permis aux princes de remédier entierement à un danger, qui tient d’ailleurs à des choses utiles & sacrées. Prêter serment à un autre qu’à son prince, est un crime de lese-majesté dans un laïque : c’est dans le cloître un acte de religion. La difficulté de savoir à quel point on doit obéir à ce souverain étranger, la facilité de se laisser séduire, le plaisir de sécoüer un joug naturel pour en prendre un qu’on se donne à soi-même, l’esprit de trouble, le malheur des tems, n’ont que trop souvent porté des ordres entiers de religieux à servir Rome contre leur patrie.
» L’esprit éclairé qui regne en France depuis un siecle, & qui s’est étendu dans presque toutes les conditions, a été le meilleur remede à cet abus. Les bons livres écrits sur cette matiere, sont de vrais services rendus aux rois & aux peuples ; & un des grands changemens qui se soient faits par ce moyen dans nos mœurs sous Loüis XIV, c’est la persuasion dans laquelle les religieux commencent tous à être, qu’ils sont sujets du Roi avant que d’être serviteurs du Pape ». Ainsi pour le salut des Etats, la Philosophie brise enfin les portes fermées. (O)
Caractere se dit aussi de certaines qualités visibles qui attirent du respect & de la vénération à ceux qui en sont revêtus. La majesté des rois leur donne un caractere qui leur attire le respect des peuples. Un évêque soûtiendroit son caractere par son savoir & sa vertu, beaucoup plus que par l’éclat de la vanité mondaine, &c. Le droit des gens met le caractere d’un ambassadeur à couvert de toute insulte.
Caractere, en Théologie, c’est une marque spirituelle & ineffaçable, imprimée à l’ame par quelques sacremens, ce qui fait qu’on ne peut pas réitérer ces sacremens.
Il n’y a que trois sacremens qui impriment caractere, savoir le Baptême, la Confirmation, & l’Ordre : aussi ne les réitere-t-on jamais, même aux hérétiques, pourvû qu’en les leur conférant il n’ait rien manqué d’essentiel dans la forme, ni dans la matiere.
Les Catholiques fondent l’existence & la réalité du caractere sur quelques passages de S. Paul, qui ne paroissent pas également concluans, non-seulement aux Protestans, mais même à plusieurs théologiens Catholiques. On en trouve des preuves plus solides dans la tradition. S. Augustin entr’autres écrivant contre les Donatistes, & parlant des sacremens de Baptême & d’Ordre, dit : Utrumque sacramentum est, & quadam consecratione utrumque homini datur, illud cum baptisatur, istud cum ordinatur ; ideoque in catholicâ utrumque non licet iterari. Epist. contr. Parmen. n°. 28. La même chose est prouvée par la doctrine de toute l’église d’Afrique contre les Donatistes, qui rebaptisoient & réordonnoient les Catholiques. Le caractere qu’impriment certains sacremens, ne se perd ni par le crime, ni par l’hérésie, ni par le schisme.
Voilà ce qu’enseigne l’Église. Quant à la nature ou l’essence du caractere, les Théologiens sont partagés entre-eux. Durand, in 4. dist. 4. quæst. I. dit que le caractere n’est point une qualité absolue distincte de l’ame, mais une simple relation de raison, ou une dénomination extérieure, par laquelle l’homme baptisé, confirmé, ou ordonné, est disposé par la seule volonté de Dieu, ou rendu propre à exercer, soit passivement, soit activement, quelques fonctions simples. Scot convient que le caractere n’est pas une qualité absolue : mais il prétend que c’est une relation réelle que l’ame reçoit de dehors. D’autres enfin soûtiennent que c’est quelque chose de réel & d’absolu, une espece de puissance pour exercer ou recevoir des choses saintes, & qui réside dans l’entendement comme dans son sujet immédiat. Tournel. de Sacr. in gener. quæst. IV. art. 11.
Les Protestans nient l’existence du caractere sacramentel, & disent qu’il a été imaginé par le pape Innocent III. cependant ils ne réiterent, ni ne veulent qu’on réitere le Baptême. Voyez Baptême.
Caractere dans les personnages, qu’un poëte dramatique introduit sur la scene, est l’inclination ou la passion dominante qui éclate dans toutes les démarches & les discours de ces personnages, qui est le principe & le premier mobile de toutes leurs actions ; par exemple, l’ambition dans César, la jalousie dans Hermione, la probité dans Burrhus, l’avarice dans Harpagon, l’hypocrisie dans Tartufe, &c.
Les caracteres en général sont les inclinations des hommes considérés par rapport à leurs passions. Mais comme parmi ces passions il en est qui sont en quelque sorte attachées à l’humanité, & d’autres qui varient selon les tems & les lieux, ou les usages propres à chaque nation : il faut aussi distinguer des caracteres généraux, & des caracteres particuliers.
Dans tous les siecles & dans toutes les nations, on trouvera des princes ambitieux qui préferent la gloire à l’amour ; des monarques à qui l’amour a fait négliger le soin de leur gloire ; des héroïnes distinguées par la grandeur d’ame, telles que Cornélie, Andromaque ; & des femmes dominées par la cruauté & la vengeance, comme Athalie & Cléopatre dans Rodogune ; des ministres fideles & vertueux, & de lâches flatteurs : de même dans la vie commune qui est l’objet de la tragédie, on rencontre par-tout & en tout tems de jeunes gens étourdis & libertins ; des valets fourbes & menteurs ; des vieillards avares & fâcheux ; des riches insolens & superbes. Voilà ce qu’on appelle caracteres généraux.
Mais parce qu’en conséquence des usages établis dans la société ces caracteres ne se produisent pas sous les mêmes formes dans tous les pays, & qu’une passion qui est la même en soi, varie d’un siecle à l’autre, n’agit pas aujourd’hui comme elle faisoit il y a deux ou trois mille ans chez les Grecs & chez les Romains où les erremens étoient compassés sur leurs usages, & que dans le même siecle elle n’agit pas à Londres comme à Rome, ni à Paris comme à Madrid ; il en résulte des caracteres particuliers, communs toutefois à chaque nation.
Enfin parce que dans une même nation les usages varient encore non-seulement de la ville à la cour, d’une ville à une autre ville, mais même d’une société à une autre, d’un homme à un autre homme ; il en naît une troisieme espece de caractere auquel on donne proprement ce nom, & qui dominant dans une piece de théatre, en fait ce que nous appellons une piece de caractere, genre dont M. Riccoboni attribue l’invention aux François : tels sont le Misantrope, le Joüeur, le Glorieux, &c.
Il faut de plus observer qu’il y a certains ridicules attachés à un climat, à un tems, qui dans d’autres climats & dans d’autres tems ne formeroient plus un caractere. Tels sont les Précieuses Ridicules, & les Femmes Savantes de Moliere, qui n’ont plus en France le même sel que dans leur nouveauté, & qui n’auroient aucun succès en Angleterre, où les singularités que frondent ces pieces n’ont jamais dominé.
Le caractere dans ce dernier sens n’est donc autre chose qu’une passion dominante qui occupe tout à la fois le cœur & l’esprit ; comme l’ambition, l’amour, la vengeance, dans le tragique ; l’avarice, la vanité, la jalousie, la passion du jeu, dans le comique. L’on peut encore distinguer les caracteres simples & dominans, tels que ceux que nous venons de nommer, d’avec les caracteres accessoires, qui leur sont comme subordonnés. Ainsi l’ambition est soupçonneuse, inquiete, inconstante dans ses attachemens qu’elle noue ou rompt selon ses vûes ; l’amour est vif, impétueux, jaloux, quelquefois cruel ; la vengeance a pour compagnes la perfidie, la duplicité, la colere, & la cruauté : de même la défiance & la lésine accompagnent ordinairement l’avarice ; la passion du jeu entraîne après elle la prodigalité dans la bonne fortune ; l’humeur & la brusquerie dans les revers : la jalousie ne marche guere sans la colere, l’impatience, les outrages ; & la vanité est fondée sur le mensonge, le dédain, & la fatuité. Si le caractere simple & principal est suffisant pour conduire l’intrigue & remplir l’action, il n’est pas besoin de recourir aux caracteres accessoires : mais si ces derniers sont naturellement liés au caractere principal, on ne sauroit les en détacher sans l’estropier.
M. Riccoboni, dans ses Observations sur la comédie, prétend que la maniere de bien traiter le caractere, est de ne lui en opposer aucun autre qui soit capable de partager l’intérêt & l’attention du spectateur. Mais rien n’empêche qu’on ne fasse contraster les caracteres ; & c’est ce qu’observent les bons auteurs : par exemple, dans Britannicus, la probité de Burrhus est en opposition avec la scélératesse de Narcisse ; & la crédule confiance de Britannicus avec la dissimulation de Néron.
Le même auteur observe qu’on peut distinguer les pieces de caractere des comédies de caractere mixte ; & par celles-ci il entend celles où le poëte peut se servir d’un caractere principal, & lui associer d’autres caracteres subalternes : c’est ainsi qu’au caractere du Misantrope, qui fait le caractere dominant de sa fable, Moliere a ajoûté ceux d’Araminte & de Célimene, l’une coquette, & l’autre médisante, & ceux des petits maîtres, qui ne servent tous qu’à mettre plus en évidence le caractere du Misantrope. Le poëte peut encore joindre ensemble plusieurs caracteres, soit principaux soit accessoires, sans donner à aucun d’eux assez de force pour le faire dominer sur les autres ; tels sont l’Ecole des maris, l’Ecole des femmes, & quelques autres comédies de Moliere.
C’est une question de savoir si l’on peut & si l’on doit, dans le comique, charger les caracteres pour les rendre plus ridicules. D’un côté il est certain qu’un auteur ne doit jamais s’écarter de la nature, ni la faire grimacer : d’un autre côté il n’est pas moins évident que dans une comédie on doit peindre le ridicule, & même fortement : or il semble qu’on n’y sauroit mieux réussir qu’en rassemblant le plus grand nombre de traits propres à le faire connoître, & par conséquent qu’il est permis de charger les caracteres. Il y a en ce genre deux extrémités vicieuses ; & Moliere a connu mieux que personne le point de perfection qui tient le milieu entr’elles : ses caracteres ne sont ni si simples que ceux des anciens, ni si chargés que ceux de nos contemporains. La simplicité des premiers, qui n’est point un défaut en soi, n’auroit cependant pas été du goût du siecle de Moliere : mais l’affectation des modernes qui va jusqu’à choquer la vraissemblance, est encore plus vicieuse. Qu’on caractérise les passions fortement, à la bonne heure ; mais il n’est jamais permis de les outrer.
Enfin une qualité essentielle au caractere, c’est qu’il se soûtienne ; & le poëte est d’autant plus obligé d’observer cette regle, que dans le tragique ses caracteres sont, pour ainsi dire, tous donnés par la fable ou l’histoire.
Aut famam sequere, aut sibi convenientia finge,
Dans le comique il est maître de sa fable, & doit y disposer tout de maniere que rien ne s’y démente, & que le spectateur y trouve à la fin comme au premier acte les personnages introduits, guidés par les mêmes vûes, agissans par les mêmes principes, sensibles aux mêmes intérêts, en un mot, les mêmes qu’ils ont paru d’abord.
Servetur ad imum
Qualis ab incepto processerit, & sibi constet.
Voyez Mœurs. Princip. pour la lect. des poët. tom. II. page 159. & suiv.
Caractere d’un ouvrage, différence specifique qui le distingue d’un autre ouvrage de même genre. Ainsi l’ode, l’éclogue, l’élégie, le poëme épique, la tragédie, la comédie, &c. sont des ouvrages de poësie ou des poëmes : mais chacun a ses principes, ses regles, son ton propre & particulier ; & c’est ce qu’on appelle son caractere. De même dans l’éloquence un plaidoyer, un sermon, un panégyrique, sont des discours oratoires ; la différence de la méthode qu’on y suit, celle du style qu’on y employe, forment leur caractere propre & particulier. Voyez Ode, Eclogue, &c. Panégyrique, Plaidoyer.
Caractere, en parlant d’un auteur, est la maniere qui lui est propre & particuliere de traiter un sujet, dans un genre que d’autres ont traité comme lui ou avant lui, & ce qui le distingue de ces auteurs. Ainsi l’on dit en parlant des poëtes lyriques, que Pindare est sublime, & quelquefois obscur, entortillé ; Anacréon, doux, tendre, élégant ; qu’Horace a l’élévation de l’un & la mollesse de l’autre ; que Malherbe est noble, harmonieux ; Rousseau impétueux, hardi ; La Motte ingénieux & délicat. M. de Fenelon trace ainsi en peu de mots les caracteres des principaux historiens de l’antiquité. « Hérodote, dit-il, raconte parfaitement ; il a même de la grace par la variété des matieres : mais son ouvrage est plûtôt un recueil des relations des divers pays, qu’une histoire qui ait de l’unité.
Polybe est habile dans l’art de la guerre & dans la politique : mais il raisonne trop, quoiqu’il raisonne très-bien. Il va au-delà des bornes d’un simple historien ; il développe chaque évenement dans sa cause ; c’est une anatomie exacte, &c.
Salluste a écrit avec une noblesse & une grace singuliere : mais il s’est trop étendu en peintures de mœurs, & en portraits de personnes, dans deux histoires très-courtes.
Tacite montre beaucoup de génie, avec une profonde connoissance des cœurs les plus corrompus : mais il affecte trop une brieveté mystérieuse. Il est trop plein de tours poëtiques dans ses descriptions ; il a trop d’esprit, il raffine trop. Il attribue aux plus subtils ressorts de la politique, ce qui ne vient souvent que d’un mécompte, que d’une humeur bisarre, que d’un caprice, &c. ». Lett. sur l’éloquence, &c.
On voit par cet échantillon, que le caractere des auteurs ne consiste pas moins dans leurs défauts que dans leurs perfections ; & comme il n’est point de genre d’écrire qui n’ait son caractere particulier, il n’est point non plus d’auteur qui n’ait le sien : l’un & l’autre sont fondés sur la différente nature des matieres, & sur la différence des génies. (G)
Caractere, terme moderne de Botanique : le caractere d’une chose est ce qui la distingue essentiellement de toute autre chose. Suivant cette définition, le caractere d’une plante est ce qui la distingue si bien de toutes celles qui ont quelque rapport avec elle, qu’on ne sauroit la confondre avec ces autres plantes, quand on fait attention aux marques essentielles qui les distinguent : or ce caractere distinctif, suivant plusieurs Botanistes, doit être formé d’après l’examen des parties qui composent la fleur. V. Botanique, Méthode.
L’on nomme caractere incomplet, ou selon M. Linnæus, caractere artificiel, celui dans lequel on décrit seulement quelques parties de la fleur, en gardant le silence sur les autres parties, que par la méthode qu’on s’est proposée, l’on suppose inutiles ; au lieu que l’on entend par le caractere naturel, celui dans lequel on désigne toutes les parties de la fleur, & on en considere le nombre, la situation, la figure, & la proportion. Article communiqué par M. le Chevalier de Jaucourt.
Caractere, en Peinture, signifie les qualités qui constituent l’essence d’une chose, qui la distinguent d’une autre ; caractere des objets, caractere des passions.
La pierre, les eaux, les arbres, la plume, les animaux, demandent une touche différente, qui exprime leur différent caractere.
On dit beau caractere de tête, non-seulement pour dire qu’elle exprime bien la passion dont la figure est affectée, mais on le dit aussi pour le rapport du dessein convenable à cette même tête.
Caractere de dessein, se dit encore pour exprimer la bonne ou la mauvaise maniere dont le peintre dessine, ou dont la chose en question est rendue. (R)