L’Encyclopédie/1re édition/BOTANIQUE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 340-345).
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BOTANIQUE, s. f. (Ordre encyclop. Entendement. Raison. Philosophie ou Science. Science de la nature. Physique générale, particuliere. Botanique.) partie de l’histoire naturelle, qui a pour objet la connoissance du regne végétal en entier ; ainsi la Botanique est la science qui traite de tous les végétaux & de tout ce qui a un rapport immédiat avec les végétaux.

L’étude de la végétation fait la premiere partie de cette science, c’est la base de toutes les autres ; car on doit commencer par examiner la nature des végétaux en général, avant que de traiter de chaque plante en particulier ; & on ne peut pas parvenir à connoître l’œconomie végétale, si on ne sait comment les germes des plantes se développent, & comment elles prennent leur accroissement ; quels sont les moyens de les multiplier ; quelle est leur organisation en général ; la structure de chaque partie ; leur maniere de se reproduire, & quel est le mouvement & la qualité de la séve ; & enfin si on ne sait en quoi le terrein & le climat peuvent influer sur les plantes. Tels sont les principes généraux qui établissent les fondemens de la Botanique : mais ces connoissances dépendent de la Physique, & forment le lien qui unit ces deux sciences. Voyez Végétation.

Le détail de la Botanique est divisé en plusieurs parties : il y en a trois principales ; savoir la nomenclature des plantes, leur culture, & leurs propriétés. La derniere est la seule qui soit importante par l’utilité que nous en tirons ; les deux premieres ne doivent nous occuper qu’autant qu’elles peuvent contribuer à faire valoir la troisieme, en perfectionnant la connoissance des propriétés. On doit entendre par les propriétés des plantes, tous leurs usages, même les usages d’agrément ; ainsi les arbres des forêts & les herbes des parterres ont dans ce sens leurs propriétés, comme les plantes usuelles dans la Medecine.

Dès que la connoissance des plantes a formé un corps de science, l’énoncé de leur nomenclature a dû précéder dans l’exposé de cette science l’histoire de leur culture & de leurs propriétés. Mais il est certain que la premiere connoissance que l’on ait eu des plantes, a été celle des usages auxquels on les a employées, & que l’on s’en est servi avant que de leur donner des noms. On s’est nourri avec des fruits ; on s’est vêtu avec des feuilles ou des écorces ; on a formé des cabanes avec les arbres des forêts avant que d’avoir nommé les pommiers ou les poiriers, le chanvre ou le lin, les chênes ou les ormes, &c. L’homme a dû satisfaire ses besoins les plus pressans par le seul sentiment, & indépendamment de toute connoissance acquise : on a joüi du parfum des fleurs dès qu’on s’en est approché, & on a recherché leur odeur sans s’inquiéter du nom de la rose ou du jasmin. Les usages des plantes qui supposent le plus d’expérience, n’ont jamais été indiqués par le nom ou par l’apparence extérieure d’aucune plante ; c’est par un coup heureux du hasard, que l’on a été instruit de l’utilité que l’on pouvoit tirer du riz ou du froment, du caffé & de la vigne. Enfin il y a tout lieu de croire que les plantes usuelles dans la Medecine & dans les Arts, n’ont été nommées qu’après que leur efficacité a été connue : il y en a plusieurs qui ont encore aujourd’hui des noms relatifs à leurs propriétés.

La nomenclature des plantes n’est donc pas nécessaire pour la découverte de leurs propriétés ; cela est si vrai qu’il seroit ridicule de l’avoir mis en question, s’il n’étoit prouvé par l’état présent de la Botanique & par l’expérience du passé, que l’on s’est appliqué à la nomenclature par préférence aux autres parties de cette science. On fait plus d’observations & on tente plus de combinaisons pour parvenir à réduire la nomenclature des plantes en système, qu’il ne faudroit peut-être faire d’expériences & acquérir de faits pour découvrir quantité de nouvelles propriétés utiles dans ces mêmes plantes. Ce défaut de conduite dans l’étude de la Botanique, est un obstacle à l’avancement de cette science, parce qu’il nous éloigne de son principal objet. Il est même à craindre que si on continuoit à marcher dans cette fausse route, on ne vînt à le perdre de vûe. Pour s’en convaincre il faut examiner quelle est l’utilité que l’on a retirée de la nomenclature des plantes, poussée au point de perfection que les Botanistes se sont efforcés de lui donner ; à quoi cette nomenclature peut servir dans la Botanique ; & à quoi elle peut nuire, en supposant que cette connoissance soit réduite en système constant & même infaillible.

On est parvenu, par le moyen de la nomenclature, à distinguer environ vingt mille especes de plantes, selon l’estime des Botanistes, en comptant toutes celles qui ont été observées tant dans le nouveau monde, que dans l’ancien. S’il y avoit eu un plus grand nombre d’observateurs, & s’ils avoient parcouru toute la terre, ils auroient doublé ou triplé le nombre des especes de plantes ; ils en auroient peut-être trouvé cent mille & plus, conformément aux principes de leur calcul. Mais quel cas doit-on faire de ce calcul ? le résultat n’est pas le même pour tous les observateurs ; chacun compte à sa mode ; les uns multiplient sans nécessité, en séparant sous différentes especes des individus qui sont semblables ; les autres mêlent ensemble des individus différens, & diminuent par cette confusion le nombre des especes. On n’a donc pû convenir jusqu’ici d’un principe certain pour constater ce nombre : cependant on y a employé beaucoup d’art, on n’a épargné ni soins ni fatigues, mais toûjours infructueusement. Il ne faut pas en être surpris, car il est aisé de remonter à la source de cette erreur. On a voulu faire une science de la nomenclature des plantes, tandis que ce ne peut être qu’un art, & seulement un art de mémoire.

Il s’agissoit d’imaginer un moyen de se retracer, sans confusion, l’idée & le nom de chaque plante que l’on auroit vû réellement existante dans la nature, ou décrite & figurée dans les livres. Il y a cent façons différentes de parvenir à ce but : dès qu’on a bien vû un objet & qu’on se l’est rendu familier, on le reconnoît toûjours, on le nomme, & on le distingue de tout autre, avec une facilité qui ne doit surprendre que ceux qui ne sont pas dans l’habitude d’exercer leurs yeux ni leur mémoire. Il est vrai que le nombre des plantes étant, pour ainsi dire, excessif, le moyen de les nommer & de les distinguer toutes les unes des autres, en étoit d’autant plus difficile à trouver ; c’étoit un art qu’il falloit inventer ; art, qui auroit été d’autant plus ingénieux, qu’il auroit été plus facile à être retenu de mémoire. Par cet art une fois établi, on auroit pû se rappeller le nom d’une plante que l’on voyoit, ou se rappeller l’idée de celle dont on savoit le nom ; mais toûjours en supposant dans l’un & l’autre cas, que la plante même fût bien connue de celui qui auroit employé cet art de nomenclature ; car la nomenclature ne peut être constante que pour les choses dont la connoissance n’est point équivoque.

La connoissance en genéral est absolument indépendante du nom. Pour le prouver, examinons ce que doit faire un homme qui veut connoître une plante qu’il voit pour la premiere fois, & dont il ne sait pas le nom. S’il commence par s’informer du nom de cette plante il n’en tirera aucune lumiere, parce que le nom d’une chose que l’on ne connoît pas, n’en peut rappeller aucune idée. Il faudra donc qu’il observe la plante, qu’il l’examine, & qu’il s’en forme une idée distincte ; il y parviendra en la voyant, & s’il expose, s’il décrit tout ce qu’il aura vû, il communiquera aux autres la connoissance qu’il aura acquise. Alors le nom servira de signe pour lui rappeller l’idée de cette plante à lui-même & à ceux qui auront lû la description : mais il est impossible qu’un nom tienne jamais lieu de description ; ce signe peut rappeller l’idée d’une chose connue, mais il ne peut pas donner l’idée d’une chose inconnue.

Cependant on a fait des tentatives infinies pour parvenir à étendre les noms des plantes, à les compliquer & les combiner, de façon qu’ils pûssent donner une idée distincte des plantes, sans qu’il fût nécessaire de les avoir vûes, ou d’en avoir lû la description entiere. Ce projet ne tendoit à rien moins qu’à former une science de la nomenclature des plantes, s’il eût réussi : mais on a échoüé dans l’exécution autant de fois qu’on l’a entreprise, parce que les descriptions ne peuvent pas être réduites en nomenclature, & que par conséquent les noms ni les phrases ne peuvent pas être équivalens aux descriptions.

Les nomenclateurs ont entrevû la vérité de cette objection, & pour surmonter cette difficulté, ils ont joint au nom une petite partie de la description. C’est ce composé qu’ils appellent phrase. Ils ont tâché d’y faire entrer les caracteres spécifiques : mais comme ils n’ont pû comprendre dans ces phrases, c’est-à-dire dans les noms des especes, qu’une partie de la description qui ne pouvoit pas donner une idée de la plante, ils ont prétendu suppléer à ce défaut, en attribuant au nom générique une autre partie de la description. Ces deux parties étant désignées par les noms du genre & la phrase de l’espece, étant encore trop imparfaites pour faire reconnoître la plante, ils ont compris dans l’énoncé de l’ordre & de la classe d’autres parties de la description : mais quelqu’art qu’ils ayent employé pour combiner toutes ces partitions, ils n’ont pû parvenir à donner une idée distincte de la plante, parce qu’ils n’ont pas rapporté la description en entier.

Cette description complette est absolument nécessaire pour caractériser une plante, de façon qu’on la puisse distinguer de toute autre plante : c’est une loi constante pour tous les objets de l’histoire naturelle, & principalement pour ceux qui sont aussi nombreux que les plantes. Cependant on a tâché d’éluder cette difficulté insurmontable dans la nomenclature, en se persuadant que l’on trouveroit dans les plantes, des parties dont la description pourroit suppléer à la description de la plante entiere, & que ces parties seroient assez constantes pour ne manquer à aucune plante, assez variées pour fournir des caracteres à chaque espece, & assez évidentes pour être facilement reconnues. Ç’a été par le moyen de ces attributs imaginaires, que l’on a prétendu réduire la nomenclature en système, en méthode, en distribution méthodique ; & si l’on en croit les plus enthousiastes des nomenclateurs, ce système est le système de la nature ; cependant la nature dément à chaque instant de pareils systèmes. Il n’y a dans les plantes aucunes parties qui se manifestent dans toutes les especes : les fleurs & les semences, qui paroissent être les parties les plus essentielles, & par conséquent les plus constantes, ne sont pas reconnoissables dans plusieurs especes. C’est pourtant sur les parties de la fructification, que les systèmes les plus vantés sont établis. Mais comme leur fondement n’est pas plus sûr que les fondemens des autres systèmes de nomenclature, ils ne se soûtiennent pas mieux, & ils ne sont pas moins éloignés les uns que les autres du système de la nature. Voyez Méthode.

En effet, comment peut-on espérer de soûmettre la nature à des lois arbitraires ? sommes-nous capables de distinguer dans un individu qu’elle nous présente, les parties principales & les parties accessoires ? Nous voyons des especes de plantes, c’est-à-dire des individus qui sont parfaitement ressemblans ; nous les reconnoissons avec certitude, parce que nous comparons les individus tout entiers : mais dès qu’on fait des conventions pour distinguer les especes les unes des autres, pour établir des genres & des classes, on tombe nécessairement dans l’erreur, parce qu’on perd de vûe les individus réels pour suivre un objet chimérique que l’on s’est formé. De-là viennent l’incertitude des nomenclateurs sur le nombre des especes, des genres & des classes, & la multiplicité des noms pour les plantes ; par conséquent toutes les tentatives que l’on a faites pour réduire la nomenclature des plantes en corps de science, ont rendu la connoissance des plantes plus difficile & plus fautive qu’elle ne le seroit, si on ne se servoit que de ses yeux pour les reconnoître, ou si on n’employoit qu’un art de mémoire sans aucun appareil scientifique. Ces systèmes n’ont servi à l’avancement de la Botanique, que par les descriptions exactes de plusieurs parties des plantes, & par les observations que l’on a faites sur ces mêmes parties, pour établir des caracteres méthodiques.

Voilà donc à quoi ont servi toutes les méthodes que l’on a imaginées jusqu’ici dans la nomenclature des plantes. Voyons à présent ce que l’on pourroit attendre de ces mêmes méthodes, en supposant qu’elles fussent portées au point de perfection, tant desiré par les nomenclateurs. Quiconque seroit bien instruit de ce prétendu système de la nature, auroit à la vérité un moyen infaillible de reconnoitre toutes les especes de plantes, & de les distinguer les unes des autres ; mais l’application de ce système paroîtroit immense dans le détail ; & ce seroit vraiment un chef d’œuvre de combinaisons & de mémoire, dont peu de personnes seroient capables, que de pouvoir rapporter sans équivoque vingt mille noms à vingt mille plantes que l’on ne connoîtroit presque pas. D’ailleurs un pareil système de nomenclature, une aussi grande connoissance de noms & de phrases, ne pourroit en aucune façon nous instruire de la culture & des propriétés des plantes ; puisque ces deux parties de la Botanique demandent chacune des observations toutes différentes de celles que suppose la nomenclature. Un méthodiste observe scrupuleusement la position, le nombre, & la forme de certaines parties de chaque plante : mais il n’en peut tirer aucune conséquence pour la culture ; parce que, suivant son système, le nombre, la position, & la forme de ces parties, doivent être les mêmes en quelque climat que se trouve la plante, & de quelque façon qu’elle soit cultivée. Ces mêmes observations ne peuvent donner aucune lumiere pour les propriétés des plantes. La preuve en est connue. Nous savons parfaitement que toutes les plantes que l’on rapporte au même genre, n’ont pas les mêmes propriétés : ce fait a été constaté dans tous les systèmes de nomenclature qui ont été faits jusqu’à présent ; & malheureusement on peut dire d’avance qu’il sera confirmé par tous ceux que l’on pourrra faire dans la suite. Cependant les méthodistes les plus zélés pour la découverte du prétendu système de la nature, ont annoncé qu’on pourroit parvenir à indiquer les propriétés des plantes par les vrais caracteres génériques. Ils prétendent même qu’on a déjà établi plusieurs de ces vrais caracteres qu’ils appellent naturels, & qui se sont soûtenus dans la plûpart des méthodes. Si cela est, ce ne peut être que l’effet d’un heureux hasard : car les méthodistes ne peuvent changer les propriétés des plantes, comme l’ordre de leur nomenclature.

Il seroit bien à souhaiter qu’il fût possible d’établir un pareil système. Cette découverte seroit plus profitable au genre humain, que celle du système du monde : cependant elle ne nous dispenseroit pas de faire des expériences pour découvrir de nouvelles propriétés dans les plantes : il y auroit beaucoup de genres qui ne comprendroient que des especes dont on ne connoîtroit pas les propriétés. Quoiqu’on pût tirer quelque indication de la propriété générale attribuée à la classe, il faudroit encore acquérir de nouvelles lumieres pour assigner le degré d’efficacité des plantes d’un de ses genres : d’ailleurs toutes les especes d’un même genre seroient-elles également actives, demanderoient-elles la même préparation, &c. Je n’insisterai pas davantage sur une supposition chimérique ; il me suffira de faire observer, qu’autant la nature est indépendante de nos conventions, autant les propriétés des plantes sont indépendantes de leur nomenclature. Peut-être que les descriptions completes des plantes pourroient donner quelques indices de leurs propriétés : mais que peut-on attendre d’une description imparfaite de quelques parties ? On conçoit que la description exacte d’un animal, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, peut donner quelque idée de ses qualités. Mais si l’on n’observoit que les parties de la génération, comme on prétend le faire dans les plantes, que pourroit-on conclure de cet animal ? à peine pourroit-on savoir s’il est plus ou moins fécond qu’un autre. S’il est vrai que certaines plantes, dont les parties de la fleur & du fruit sont semblables à quelques égards, ayent les mêmes propriétés, c’est un fait de hasard qui n’est point constant dans les autres plantes. Ces combinaisons fortuites peuvent arriver dans tous les systèmes des nomenclateurs : mais je pense qu’il n’est pas plus possible de trouver leur prétendu système naturel, que de juger de la qualité des fruits sans les avoir goûtés.

Non-seulement la nomenclature des plantes ne peut contribuer en rien à la connoissance de leur culture, ni de leurs propriétés, mais elle y est très-préjudiciable en ce qu’elle retarde l’avancement de ces deux parties de la Botanique. La plûpart de ceux qui se sont occupés de cette science depuis le renouvellement des lettres, se sont appliqués par préférence à la nomenclature. Que de méthodes se sont détruites en se succédant les unes aux autres ! que de vains efforts pour parvenir à un but imaginaire ! Mais toutes ces tentatives ont marqué beaucoup de soin, de finesse, & de sagacité dans le plus grand nombre des méthodistes. Ils auroient pû s’épargner bien des fatigues, ou en faire un meilleur emploi, en s’appliquant à la culture ou aux propriétés des plantes. Une seule méthode suffisoit pour la nomenclature ; il ne s’agit que de se faire une sorte de mémoire artificielle pour retenir l’idée & le nom de chaque plante, parce que leur nombre est trop grand pour se passer de ce secours : pour cela toute méthode est bonne. A présent qu’il y en a plusieurs, & que les noms des plantes se sont multipliés avec les méthodes, il seroit à souhaiter qu’on pût effacer à jamais le souvenir de tous ces noms superflus, qui font de la nomenclature des plantes une science vaine & préjudiciable aux avantages réels que nous pouvons espérer de la Botanique par la culture & par les propriétés des plantes.

Au lieu de nous occuper d’une suite de noms vains & surabondans, appliquons-nous à multiplier un bien réel & nécessaire ; tâchons de l’accroître au point d’en tirer assez de superflu pour en faire un objet de commerce. Tel est le but que nous présente la Botanique dans la seconde partie, qui est la culture des plantes. Il ne dépend pas toûjours de nous de découvrir leurs propriétés ; nous ne pouvons jamais les modifier à notre gré : mais il est en notre pouvoir de multiplier le nombre des plantes utiles, & par conséquent d’accroitre la source de nos biens, & de la rendre intarissable par nos soins. Les anciens nous en ont donné l’exemple : au lieu de passer tout leur tems & d’employer tous leurs soins à des recherches vaines sur les caracteres distinctifs du froment, du seigle, de l’orge, du riz, de l’avoine, du millet, du panic, du chiendent, & des nombreuses suites d’especes que l’on prétend rapporter à chacun de ces genres, ils se sont uniquement appliqués à cultiver celles de toutes ces plantes dont ils connoissoient l’utilité. Ils sont parvenus, à force de travail & de constance, à les rendre assez abondantes pour fournir aux besoins des hommes & des animaux domestiques. C’est en perfectionnant l’art de la culture des plantes, qu’ils ont trouvé le moyen de les distribuer sur la surface de la terre dans l’ordre le plus convenable à leur multiplication & à leur accroissement. On a semé les terres qui pouvoient produire d’abondantes moissons ; on a planté des vignobles dans les lieux propres à la maturité du raisin ; on a fait des pâturages ; on a élevé des forêts, &c. enfin on a su aider la nature, en rassemblant les plantes utiles dans les lieux les plus convenables, & en écartant de ces mêmes lieux, autant qu’il étoit possible, toutes les plantes inutiles. Voilà l’ordre le plus nécessaire, & l’arrangement le plus sage que l’on puisse mettre dans la division des plantes : aussi ç’a été le premier que les hommes ayent senti & recherché pour leur propre utilité. Voyez Agriculture.

La connoissance de la nature du terrein & de la température du climat, est le premier principe de l’Agriculture. C’est de l’intelligence de ce principe, & du détail de ses conséquences, que dépend le succès de toutes les pratiques qui sont en usage pour la culture des plantes. Cependant on n’est guidé que par des expériences grossieres, pour reconnoître les différens terreins. Les gens de la campagne ont sur ce sujet une sorte de tradition, qu’ils ont reçûe de leurs peres, & qu’ils transmettent à leurs enfans. Ils supposent chacun dans leur canton, sans aucune connoissance de cause, du moins sans aucune connoissance précise, que tel ou tel terrein convient ou ne convient pas à telle ou telle plante. Ces préjugés bien ou mal fondés, passent sans aucun examen ; on ne pense seulement pas à les vérifier : l’objet est cependant assez important pour occuper les meilleurs Physiciens. N’aurons-nous jamais des systèmes raisonnés, des distributions méthodiques des terreins, des climats, relativement à leurs productions ; je veux dire, de ces systèmes fondés sur l’expérience ?

La convenance du climat est moins équivoque que celle du terrein, parce qu’on la détermine aisément par la maturité des fruits, ou par les effets de la gelée : mais on n’a pas assez observé combien cette convenance de température a de fréquentes vicissitudes dans un même lieu. Les deux principales causes de ces changemens sont les coupes des forêts, ou seulement des arbres épars, ce qui diminue la quantité des brouillards ; & l’élévation des vallons, ou seulement des bords des rivieres & des ruisseaux, ce qui desseche le terrein & rend les inondations moins fréquentes. On conçoit aisément quels changemens ces deux causes peuvent occasionner dans la température du climat par rapport aux plantes. Il seroit trop long de suivre ce sujet dans les détails. Je me contenterai de faire observer que l’on ne doit pas renoncer à cultiver telle plante dans tel lieu, parce qu’elle n’y a pas réussi pendant quelque tems. On ne doit pas craindre de multiplier les expériences en Agriculture ; le moindre succès dédommage abondamment de toutes les tentatives inutiles.

On peut distinguer deux principaux objets dans la culture des plantes. Le premier est de les multiplier, & de leur faire prendre le plus d’accroissement qu’il est possible. Le second est de perfectionner leur nature, & de changer leur qualité.

Le premier a dû être apperçû dès qu’il y a eu des hommes qui ont vécu en nombreuse société. Les essais que l’on aura faits dans ces premiers tems, étoient sans doute fort grossiers : mais ils étoient si nécessaires, qu’on a lieu d’être surpris qu’ils n’ayent pas été suivis jusqu’à présent de plus de progrès. Nous ne savons pas combien de moyens différens ont été employés pour labourer la terre depuis que les hommes existent : mais nous ne pouvons pas douter que ceux que nous employons ne puissent encore devenir meilleurs, & même qu’il n’y en ait d’autres à trouver qui vaudroient bien mieux. Cependant la charrue est toûjours la même depuis plusieurs siecles, tandis que les modes de nos ameublemens & de nos équipages changent en peu d’années, & que nous sommes parvenus à cet égard à un point de commodité qui ne nous laisse presque rien à desirer. Que l’on compare une charrue à une chaise de poste, on verra que l’une est une machine grossiere abandonnée à des mains qui le sont encore plus ; l’autre au contraire est un chef-d’œuvre auquel tous les Arts ont concouru. Notre charrue n’est pas meilleure que celle des Grecs & des Romains : mais il a fallu bien plus d’industrie & d’invention pour faire nos chaises de poste, qu’il n’y en a jamais eu dans les chars de triomphe d’Alexandre & d’Auguste. L’art de la culture des terres a été négligé, parce qu’il n’a été exercé que par les gens de la campagne ; les objets du luxe ont prévalu même en Agriculture ; nous sommes parvenus à faire des boulingrins aussi beaux que des tapis, & à élever des palissades de décoration. Enfin nous connoissons l’architecture des jardins, tandis que la méchanique du laboureur n’a presque fait aucuns progrès. Cependant les moyens de multiplier les plantes & de les faire croître, semblent être à la portée de tous les hommes ; & je ne doute pas qu’on ne pût arriver en peu de tems à un haut degré de perfection, si ceux qui sont capables d’instruire les autres, daignoient s’en occuper plus qu’ils ne le font.

Il paroît qu’il est plus difficile de produire des changemens dans la nature des plantes, & de leur donner de meilleurs qualités qu’elles n’en ont naturellement. On y est pourtant parvenu par le moyen de la greffe & de la taille des arbres. Cet art est connu depuis long-tems ; & il a, pour ainsi dire, survécu à la plûpart de ses effets. Nous savons des anciens qu’ils avoient le secret de tirer des semences du pommier & du poirier sauvages des fruits délicieux. Ces fruits ne sont pas venus jusqu’à nous : mais nous avons sû faire des pommes & des poires, que nous ne changerions pas pour celles des Romains ; parce que nous avons semé, greffé, & taillé les arbres aussi bien qu’eux. Cet art précieux est inépuisable dans ses productions. Combien ne nous reste-t-il pas d’expériences à faire, dont il peut résulter de nouveaux fruits qui seroient peut-être encore meilleurs que ceux que nous avons déjà trouvés ? Ce que nous avons fait pour les arbres & les arbrisseaux ne peut-il pas aussi se faire pour les autres plantes, sur-tout depuis que nous croyons savoir comment s’opere leur génération, en substituant aux poussieres fécondantes d’une plante, des poussieres d’une autre espece ? n’y auroit-il pas lieu d’espérer qu’elles produiroient dans le pistil de nouveaux germes, dont nous pourrions tirer des sortes de mulets, comme nous en avons dans les animaux ; & que ces mulets de plantes auroient de nouvelles propriétés, dont nous pourrions faire usage. Le nombre des variétés auxquelles la nature peut se prêter, est presque infini : c’est de ces variétés que nous avons tiré nos meilleurs fruits. Si nos prunes, nos pêches, nos abricots, &c. ne sont pas des especes constantes, ce sont au moins des productions préférables à la plûpart des especes constantes, & bien dignes par leur utilité d’occuper les Botanistes, qui semblent les dédaigner & en abandonner le soin aux Jardiniers.

La transmigration des plantes n’est pas un des moindres objets de leur culture : en tirant de l’étranger une nouvelle plante utile, on s’approprie un nouveau bien qui peut devenir meilleur que ceux dont on joüissoit auparavant. Le plane, l’orme, le maronnier, le pêcher, l’abricotier, le rosier, & tant d’autres, ont été transportés de pays fort éloignés, & ont été, pour ainsi dire, naturalisés chez nous. La nature a favorisé la premiere tentative que l’on a faite pour leur transplantation : mais combien y a-t-il de plantes qui nous paroissent trop délicates pour résister à notre climat, & qui pourroient peut-être y vivre, si on les en approchoit par degrés ; si au lieu de les transporter brusquement d’un lieu chaud à un lieu froid, on les déposoit successivement dans des climats de température moyenne, & si on leur donnoit le tems de se fortifier avant que de les exposer à la rigueur de nos hyvers ? Il faudroit peut-être plusieurs générations de la même plante dans chaque dépôt, & beaucoup d’industrie dans leur culture, pour les rendre plus robustes : mais quels avantages ne tireroit-on pas de toutes ces expériences, si on réussissoit dans une seule ? Je sai qu’il n’est pas possible de suppléer à la chaleur du soleil pour les plantes qui sont en plein air : mais on rapporte souvent au défaut de chaleur ce qui ne dépend que du terrein ; & je crois qu’il est toûjours possible de le rendre convenable à la plante que l’on veut cultiver.

Tous ces différens objets d’agriculture sont bien dignes d’occuper les hommes, & principalement ceux qui se sont voüés à la Botanique : mais les propriétés des plantes nous touchent encore de plus près, c’est le bien dont l’agriculture nous prépare la joüissance. Nous devrions réunir tous nos efforts pour y parvenir, & nous appliquer par préférence à découvrir de nouvelles propriétés.

Nous devons certainement au hasard la plûpart de celles que nous connoissons ; & la découverte des autres est si ancienne, que nous en ignorons l’histoire. Pour juger des tems passés par ce qui se fait à présent au sujet des propriétés des plantes, il est très probable qu’on n’en a jamais connu aucune que par des circonstances fortuites. Bien loin d’avoir eu des principes pour avancer cette connoissance, on a souvent pris les plantes des plus salutaires pour des poisons, tandis que l’on mettoit en usage celles dont les effets auroient paru très-dangereux, si on les avoit examinées sans prévention. On a peine à concevoir que les hommes gardent des préjugés contre leurs propres intérêts, cependant on n’en a que trop d’exemples : on s’est souvent laissé prévenir sans raison pour ou contre des remedes dont on faisoit dépendre la vie ou la mort des malades ; chacun les employoit ou les rejettoit à son gré, sans trop penser à en déterminer les vraies propriétés. D’où vient donc cette indifférence pour des choses qui nous intéressent de si près ? Notre amour pour la vie n’est point équivoque, & cependant nous semblons négliger ce qui peut la conserver. Nous savons que les propriétés des plantes sont les moyens les plus doux & souvent les plus sûrs pour rétablir notre santé, ou pour prévenir nos maladies ; & l’art qui pourroit nous conduire à reconnoître ces propriétés n’est pas encore né. Que d’arts frivoles ont été portés à leur comble ; que de connoissances vaines ont été accumulées au point de former des sciences, tandis que l’on s’est contenté de faire une liste des plantes usuelles dans la Medecine, & de distinguer leurs propriétés par un ordre méthodique qui les repartit en classes & en genres ! On a compris dans une même classe les plantes évacuantes, & dans une autre les plantes altérantes : les purgatives, les émétiques sont des genres de la premiere classe ; & la seconde est divisée en plantes céphaliques, béchiques, cardiaques, diurétiques, diaphorétiques, &c. Voyez Matiere médicale.

Cette méthode est très-incomplete ; parce qu’à l’exception du genre des purgatifs qui est partagé en purgatifs forts & en purgatifs minoratifs, il n’y en a aucun autre qui soit sous-divisé ; & parce que dans tous les especes ne sont point déterminées, les plantes y sont seulement rassemblées pêle-mêle sans être caractérisées, de façon que l’on puisse distinguer leurs propriétés de celles des autres plantes du même genre. Cependant cette méthode est bonne, en ce qu’elle est moins arbitraire qu’aucune méthode d’histoire naturelle ; ses caracteres dépendant des effets que produisent les plantes sur le corps humain, sont aussi constans que la nature des plantes & que la nature humaine : aussi cet ordre méthodique n’a point été changé jusqu’ici ; & je crois qu’il vaudroit bien mieux le développer en entier & le suivre dans les détails, que de penser à en faire d’autres. L’abus que l’on a fait des méthodes dans les nomenclatures des plantes, doit nous préserver d’un pareil abus dans l’exposé de leurs propriétés, qui ne peut être que le résultat de nos observations.

Il se présente naturellement deux objets principaux dans les observations qui peuvent nous conduire à la connoissance des propriétés des plantes. Le premier est de déterminer l’effet des propriétés connues, & de le modifier dans les différentes circonstances. Le second est de trouver les moyens de découvrir de nouvelles propriétés.

Le premier a été bien suivi par les bons observateurs, tant pour les remedes intérieurs de la Medecine, que pour les topiques de la Chirurgie par rapport au regne végétal. Aussi est-ce par le résultat de ces observations que l’on constate la plûpart des connoissances de la matiere médicale, qui est sans doute une des parties les plus certaines de la Medecine. Mais ces mêmes observations sont imparfaites en ce qui dépend de la Botanique & de la Pharmacie, c’est-à-dire de l’état actuel de la plante que l’on employe & de sa préparation. On ne sait pas bien en quoi different les propriétés d’une racine arrachée au printems ou en automne, en été ou en hyver ; une fleur cueillie, des feuilles séchées, une écorce enlevée ou un bois coupé dans ces différentes saisons ; en quelle proportion l’efficacité des plantes augmente ou diminue à mesure qu’on les garde après les avoir recueillies ; quelle différence y occasionne un dessechement plus ou moins prompt, & la façon de les tenir dans un lieu plus ou moins fermé ; en quoi les propriétés des plantes dépendent de leur âge, du terrein, & du climat dans lequel elles croissent, &c. Si on a quelques connoissances des effets que produisent ces différentes circonstances, ce sont des connoissances bien vagues & bien éloignées du point de précision qu’exige l’importance du sujet. On n’a jamais fait des expériences assez suivies pour avoir de bonnes observations sur ces différens objets : de telles observations pourroient nous faire connoître la meilleure façon de préparer les plantes pour modifier leur efficacité à tel ou tel point. Nous saurions au moins quel changement arrive dans la propriété d’une plante par une infusion plus ou moins longue, & par quantité d’autres préparations.

Il sera sans doute plus facile de déterminer l’effet des propriétés connues dans les plantes, & de les modifier par differens procédés, que de trouver le moyen de découvrir des vertus nouvelles. Les Chimistes avoient entrepris cette recherche, & avoient cru pouvoir y parvenir en décomposant les plantes, & en en faisant une analyse exacte : mais les plus habiles artistes ont échoüé dans cette entreprise ; les résultats de l’analyse n’ont pas été d’accord avec les qualités les plus connues des plantes analysées. On a même prétendu que les plantes les plus opposées en vertu, se réduisoient aux mêmes principes. Enfin on a abandonné la voie de l’analyse, après s’être convaincu qu’elle ne pouvoit conduire à aucune connoissance certaine sur les propriétés des plantes. Que de travaux infructueux ! La plûpart des plantes usuelles avoient été analysées ; on les avoit déja caractérisées par les principes auxquels elles avoient été réduites, & on espéroit que cette méthode nous feroit connoître les propriétés d’une nouvelle plante par les résultats de son analyse.

Il faut donc renoncer à cette erreur, quelque flateuse qu’elle soit : mais pour avoir fait des tentatives inutiles, on ne doit pas se décourager dans un sujet aussi important. Il s’agit à présent de substituer à l’analyse des plantes quelqu’autre moyen de découvrir leurs propriétés : dût-on échoüer de nouveau après une longue suite d’expériences, on ne peut trop les multiplier, pour peu que le succès soit probable. On vient de faire une découverte dont on pourroit tirer des lumieres pour cette recherche. M. de Buffon nous a fait voir des corps mouvans, non-seulement dans les semences des animaux, mais dans celles des plantes. Lorsqu’on a fait infuser pendant quelque tems des semences broyées ou d’autres parties d’une plante, on y voit, par le moyen du microscope, des parties organiques qui se développent, qui se meuvent de différentes manieres, & qui prennent des figures différentes. Hist. nat. tom. II. Voyez Animalcule. Cette belle découverte qui a, pour ainsi dire, dévoilé aux yeux de son auteur le mystere de la réproduction des animaux & des plantes, pourroit peut-être nous rendre les propriétés des plantes sensibles aux yeux. Ce fut la premiere réflexion que je fis, lorsque M. de Buffon me montra ces corps mouvans dans toutes les infusions de plantes qu’il mit en expérience pour la premiere fois, après qu’il eut conclu, que puisqu’il y avoit des parties organiques sensibles dans les semences des animaux, elles devoient aussi se trouver dans celles des plantes. Cette induction, qui ne pouvoit venir que d’un génie fait pour les plus grandes découvertes, a été confirmée par toutes les expériences qui ont été faites depuis. M. Néedham en a fait beaucoup en vûe de la végétation. Nouvell. obs. microscop. J’en ai fait quelques-unes par rapport aux propriétés des plantes, & je crois qu’il seroit à propos d’en faire bien d’autres, pour tâcher de parvenir par ce moyen à déterminer les différences entre les propriétés connues, & à en trouver de nouvelles. Le développement, la situation, la figure, le mouvement, la durée de ces corps mouvans pourroient servir de regle & de mesure pour juger des propriétés de la plante, & pour évaluer leur efficacité. Voyez Histoire naturelle, Plante. (I)