L’Encyclopédie/1re édition/BAPTÊME

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 64-65).
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BAPTÊME, s. m. (Théol.) sacrement par lequel on est fait enfant de Dieu & de l’Eglise, & qui a la vertu d’effacer le péché originel dans les enfans, & les péchés actuels dans les adultes.

Le mot baptême en général signifie lotion, immersion, du mot Grec βάπτω, ou βαπτίζω, je lave, je plonge ; & c’est en ce sens que les Juifs appelloient baptême certaines purifications légales qu’ils pratiquoient sur leurs prosélytes après la circoncision. On donne le même nom à celle que pratiquoit S. Jean dans le desert à l’égard des Juifs, comme une disposition de pénitence pour les préparer, soit à la venue de J. C. soit à la réception du baptême que le Messie devoit instituer, & dont le baptême de S. Jean étoit absolument différent, par sa nature, sa forme, son efficace, & sa nécessité, comme le prouvent les Théologiens, contre la prétention des Luthériens & des Calvinistes.

Le baptême de l’Eglise chrétienne est appellé dans les Peres de plusieurs noms relatifs à ses effets spirituels, comme adoption, renaissance, régénération, remission des péchés, renouvellement de l’esprit, vie éternelle, indulgence, absolution ; & par les Grecs, tantôt παλιγγενεσια ψυχῆς, régénération de l’ame, & tantôt χρῖσμα, onction ; soit à cause de celles qu’on y pratique, soit parce qu’il nous consacre à J. C. quelquefois φωτίσμα, & φωτίσμος, illumination, σφραγὶς, signe ou marque ; & par les Latins salut, mystere, sacrement. Cyprian. Augustin. Tertull. Cyrill. Justin. Chrysost. Clem. Alex. Euseb. Ambros. &c.

La définition que nous avons donnée au commencement de cet article ne convient donc au baptême, qu’entant qu’il est le premier des sacreméns de la loi nouvelle : sa matiere éloignée est l’eau naturelle, comme de riviere, de fontaine, de pluie, &c. par conséquent toute autre liqueur, soit artificielle, soit même naturelle, telle que le vin, ne peut être employée comme matiere dans ce sacrement ; & les exemples qu’on cite au contraire, ou sont apocryphes, ou partoient d’une ignorance grossiere, justement condamnée par l’Eglise. Voyez Matiere.

Sa forme dans l’Eglise Greque consiste en ces paroles : baptisatur servus vel serva Dei N in nomine Patris, & Filii, & Spiritus sancti ; & dans l’Eglise Latine, le prêtre en versant de l’eau naturelle sur la tête de la personne qu’il baptise, la nomme d’abord par le nom que lui ont donné ses parrein & marreine, & prononce ces mots : ego te baptiso, in nomine Patris, & Filii, & Spiritus sancti, amen. Cette forme étant pleinement exprimée dans les Ecritures, Mat. ch. xxviij. vers. 19. & attestée par les écrits des plus anciens Auteurs ecclésiastiques, il s’ensuit que tout baptême conféré sans une appellation ou invocation expresse des trois personnes de la sainte Trinité, est invalide. La doctrine des conciles y est formelle, sur-tout celle du premier concile d’Arles tenu en 314 ; & l’Eglise a mis une grande distinction entre les hérétiques, qui dans leur baptême conservoient ou corrompoient cette forme ; se contentant à l’égard des premiers, lorsqu’ils revenoient dans son sein, de les recevoir par la cérémonie de l’imposition des mains, & réitérant aux autres le baptême, ou plûtôt leur donnant le sacrement qu’ils n’avoient jamais reçû. Voyez Rebaptisans.

Le baptême a été rejetté totalement par plusieurs anciens hérétiques des premiers siecles, tels que les Ascodrutes, les Marcosiens, les Valentiniens, les Quintilliens, qui pensoient tous que la grace qui est un don spirituel, ne pouvoit être communiquée ni exprimée par des signes sensibles. Les Archontiques le rejettoient comme une mauvaise invention du Dieu Sebahoth, c’est-à-dire, du Dieu des Juifs, qu’ils regardoient comme un mauvais principe. Les Seleuciens & les Hermiens ne vouloient pas qu’on le donnât avec de l’eau : mais ils y employoient le feu, sous prétexte que S. Jean-Baptiste avoit assûré que le Christ baptiseroit ses disciples dans le feu. Les Manichéens & les Pauliciens le rejettoient également, aussi bien que les Massaliens. Le nombre des hérétiques qui ont altéré ou corrompu la forme du baptême, n’est pas moindre : Menandre baptisoit en son propre nom : les Eluséens y invoquoient les démons ; les Montanistes y joignoient le nom de Montan leur chef, & de Priscille leur prophétesse, aux noms sacrés du Pere & du Fils. Les Sabelliens, les Marcosiens, les disciples de Paul de Samosate, les Eunomiens, & quelques autres hérétiques ennemis de la Trinité, ne baptisoient point au nom des trois Personnes divines ; c’est pourquoi l’Eglise rejettoit leur baptême : mais, comme nous l’avons dit, elle admettoit celui des autres hérétiques, pourvû qu’ils n’altérassent point la forme prescrite, quelles que fussent d’ailleurs leurs erreurs sur le fond des mysteres.

La discipline de l’Eglise sur la maniere d’administrer ce sacrement, n’a pas toûjours été la même : autrefois on le donnoit par une triple immersion ; & cet usage a duré jusqu’au xiie siecle. Il est vrai que dans le vie quelques Catholiques d’Espagne s’en tenoient à une seule immersion, de peur, disoient-ils, que les Ariens n’imaginassent que par la triple immersion ils divisoient la Trinité à l’exemple de ces hérétiques : mais cette raison frivole ne changea généralement rien à l’ancien usage. Celui de baptiser par infusion, ou en versant l’eau sur la tête, commença, selon quelques-uns, dans les pays septentrionaux, & s’introduisit en Angleterre vers le ixe siecle. Le concile de Calchut ou de Celchyth, tenu en 816, ordonna que le prêtre ne se contenteroit pas de verser de l’eau sur la tête de l’enfant, mais qu’il la plongeroit dans les fonts baptismaux.

Les Ecrivains ecclésiastiques parlent de plusieurs cérémonies qu’on pratiquoit au baptême, qui sont aujourd’hui abolies, ou dont il ne reste que de légeres traces ; comme de donner aux nouveaux baptisés du lait & du miel dans l’Eglise d’orient ; & dans celle d’occident, du miel & du vin, de les revêtir d’une robe blanche, &c. de ne baptiser qu’à jeûn, de donner immédiatement après le baptême la confirmation & l’eucharistie, &c.

Les Théologiens distinguent trois sortes de baptême ; le baptême d’eau, dont nous venons de parler ; le baptême de feu, c’est-à-dire, la charité parfaite jointe à un ardent desir d’être baptisé, c’est ce qu’on appelle aussi le baptême du S. Esprit, qui supplée au baptême d’eau ; & le baptême de sang, c’est-à-dire, le martyre. On ne baptisoit autrefois les catéchumenes qu’à Pâque & à la Pentecôte, excepté en cas de nécessité.

Le ministre ordinaire du baptême est l’évêque ou le prêtre : mais en cas de nécessité toutes personnes, même les femmes, peuvent baptiser.

Quelques-uns ont prétendu que dans la primitive Eglise on ne baptisoit que les adultes : mais c’est sans fondement ; car quoiqu’on n’ait point dans l’Ecriture de textes précis qui marquent que des enfans ont été baptisés, & que quelques anciens peres, comme Tertullien, fussent persuadés que de baptiser les enfans avant qu’ils eussent atteint l’âge de raison, c’étoit les exposer à violer les engagemens de leur baptême ; & qu’ainsi il étoit de la prudence & de la charité de n’admettre à ce sacrement que les adultes : il est néanmoins certain 1°. que les Apôtres ont baptisé des familles entieres, dans lesquelles il est très-probable qu’il se trouvoit des enfans : 2°. que la pratique actuelle de l’Eglise à cet égard est fondée sur la tradition des Apôtres, comme l’assûre S. Augustin, après S. Irénée & S. Cyprien. Ce dernier sur-tout consulté par l’évêque Fidus, s’il ne seroit pas à propos de fixer le tems du baptême des enfans au huitieme jour après leur naissance, comme celui de la circoncision l’étoit chez les Juifs, en conféra avec soixante-cinq autres évêques assemblés en concile à Carthage en 253, & répondit à Fidus : Quod tu putabas esse faciendum, nemo consentit : sed universi potius judicavimus, nulli hominum nato misericordiam Dei & gratiam denegandam. Quelqu’autorisée que fût cette pratique dans les premiers siecles de l’Eglise, il faut convenir qu’elle n’étoit pas généralement observée à l’égard de tous les enfans des fideles : les catéchumenes même différoient plusieurs années à recevoir le baptême. L’histoire ecclésiastique nous apprend que S. Ambroise ne fut baptisé qu’après avoir été élû évêque de Milan. On sait que l’empereur Constantin ne reçut ce sacrement qu’à l’article de la mort, & qu’il eut en cela bien des imitateurs d’un nom illustre dans l’Eglise. Plusieurs differoient ainsi leur baptême le plus long-tems qu’ils pouvoient, mais par des motifs très-différens ; les uns par un esprit d’humilité, dans la crainte de n’être pas assez bien disposés pour recevoir dignement ce premier sacrement ; les autres pour mener plus librement une vie déréglée, se flattant d’en obtenir le pardon à la mort par l’efficace du baptême. Les Peres s’éleverent avec tant de force contre les fausses raisons & le danger des délais dont on usoit pour recevoir si tard le baptême, qu’ils réussirent peu-à-peu à etablir l’usage qui subsiste aujourd’hui.

Quoique Jesus-Christ soit venu dans le monde pour ouvrir à tous les hommes la voie du salut, cependant il étoit d’usage & de regle dans la primitive Eglise de refuser le baptême à certaines personnes engagées dans des conditions ou professions notoirement criminelles, comme incompatibles avec la sainteté du Christianisme ; à moins qu’elles ne renonçassent à cette profession ou à cet état. De ce nombre étoient les sculpteurs, fondeurs, ou autres ouvriers qui faisoient des idoles ; les femmes publiques, les comédiens, les cochers, gladiateurs, musiciens, ou autres qui gagnoient leur vie à amuser le public dans le cirque ou l’amphithéatre ; les astrologues, devins, magiciens, enchanteurs, ceux qui étoient adonnés aux crimes contre nature, ceux-mêmes qui étoient tellement passionnés pour les représentations des jeux & du théatre, qu’ils refusassent de s’en abstenir dès qu’ils auroient embrassé la religion ; les concubinaires, ceux qui tenoient des lieux de débauche ; quelques-uns même ont crû qu’on n’y admettoit pas les gens de guerre : mais l’histoire ecclésiastique ne laisse aucun doute que les Chrétiens n’ont pas confondu une profession utile & honorable par elle-même, avec des arts ou des conditions réprouvées par la raison même. Bingham, orig. eccles. liv. XI. ch. v. §. 6. 7. 8. 9. 10.

On convient aujourd’hui qu’on ne doit pas baptiser les enfans des infideles, même soûmis à la domination des princes Chrétiens, malgré leurs parens, à moins que ces enfans ne soient en danger évident de mort ; parce que cette violence est contraire au droit naturel qu’ont les peres & les meres sur leurs enfans ; & que d’ailleurs elle exposeroit le sacrement à une profanation certaine, par l’apostasie à laquelle ces peres & meres engageroient leurs enfans.

Quelques-uns ont crû qu’on devoit conférer le baptême aux morts, & même qu’on pouvoit le recevoir à leur place, fondés sur ce passage de S. Paul aux Corinthiens I. epit. ch. xv. vers. 30. alioquin quid facient qui baptisantur pro mortuis, si mortui non resurgunt : ut quid & baptisantur pro illis ? passage sans doute mal entendu, & qui à la lettre ne signifie autre chose, sinon qu’on peut pratiquer en mémoire des morts des œuvres de pénitence qui leur obtiennent la rémission des péchés qu’ils n’ont pas suffisamment expiés en cette vie : car le mot de baptême, dans un sens général & usité dans l’Ecriture, signifie quelquefois la pénitence, les afflictions & les souffrances. Ainsi dans S. Luc, Jesus-Christ parlant de sa passion, l’appelle un baptême : ch. xij. vers. 50. baptismo habeo baptisari ; & dans S. Marc, ch. x. vers. 38. potestis . . . . baptismo quo ego baptisor baptisari. (G)

Bapteme du tropique ou de la ligne, (en Marine.) c’est une cérémonie ridicule, mais d’un usage ancien & inviolable parmi les gens de mer, qui la pratiquent bien régulierement sur ceux qui passent pour la premiere fois le tropique ou la ligne équinoctiale.

Chaque nation s’y prend diversement, & même les équipages d’une même nation l’exercent en différentes manieres. Voici celle qui est la plus ordinaire parmi les équipages François.

Pour préparatifs, on met une baille au pié du grand mât pleine d’eau de la mer ; le pilote pour l’ordinaire se met auprès, le visage barbouillé, le corps revêtu & tout entortillé de garcettes, dont quelques-unes lui pendent des bras. Il est accompagné de cinq ou six matelots habillés de même : il tient entre ses mains un livre de cartes marines tout ouvert ; aux environs il y a des matelots avec des seaux pleins d’eau ; il y en a sur les vergues & sur les hunes. On amene celui qui doit être baptisé en grande cérémonie ; on le fait asseoir sur une planche tenue aux deux bouts par deux matelots, & posée sur la baille pleine d’eau ; on lui fait jurer sur le livre que tient le pilote, de pratiquer sur les autres la même cérémonie, lorsque l’occasion s’en trouvera ; & dans l’instant les deux matelots renversent la planche, & font tomber l’homme dans la baille ; en même tems ceux qui sont à la hune & sur les vergues lui jettent plusieurs seaux d’eau sur le corps. Les officiers & les passagers se rachettent d’une si ridicule cérémonie, en donnant quelque argent aux équipages : mais on ne fait point de grace à ceux qui ne donnent rien. On demande cependant permission au capitaine pour faire le baptême.

Un vaisseau qui n’a point encore passé la ligne ou le tropique, y est soûmis : mais le capitaine le rachette par quelques rafraîchissemens qu’il donne aux gens de l’équipage, autrement ils couperoient l’éperon ou quelque autre partie du vaisseau : mais aujourd’hui beaucoup de capitaines abolissent cette ridicule cérémonie. (Z)