L’Aubergiste du village
Traduction par Léon Wocquier.
Michel Lévy Frères, éditeurs (1 & 2p. 221-234).
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III

III


Le chat de l’empereur est son cousin,
Grande lanterne, mais petite lumière.



— Hé bien, Kobe, demandait baes Gansendonck à son domestique, quel air ai-je avec mon nouveau bonnet ?

Le domestique recula de deux pas et se frotta les yeux comme quelqu’un frappé d’étonnement par une chose incroyable :

— Oh ! baes, s’écria-t-il, dites donc, est-ce bien vous ? Je pensais voir monsieur le baron. Bonté du ciel ! comment cela se peut-il ? Levez un peu la tête, baes ; tournez-vous encore un peu, baes ; marchez un peu maintenant, baes. Voyez-vous, vous ressemblez à monsieur le baron comme une goutte d’eau…

— Kobe, dit le baes avec une feinte sévérité, tu veux me flatter ; je n’aime pas cela.

— Je le sais, baes, répondit le domestique.

— Il y a peu d’hommes qui aient moins d’orgueil que moi, bien qu’on dise par jalousie que je suis fier parce que je ne puis supporter les paysans.

— Vous avez raison, baes. Mais, en vérité, je doute encore si vous n’êtes pas le baron !

La joie rayonnait dans les yeux de baes Gansendonck ; la tête en arrière et dans une fière attitude, il contempla en souriant le domestique qui continuait à faire toutes sortes de gestes d’étonnement.

Kobe n’avait pas tout à fait trompé son maître. À en juger sur l’extérieur, et sans avoir égard à sa stupide physionomie, baes Gansendonck ressemblait absolument au baron. Rien d’étonnant en cela ; depuis trois mois déjà il s’évertuait à copier les vêtements que le baron portait d’habitude ; ce à quoi peu de gens avaient fait attention, parce qu’à la campagne le baron vivait sans la moindre gêne et ne portait qu’un costume fort ordinaire.

Mais, quelques semaines auparavant, le baron avait eu une fantaisie. Qui n’en a pas ? Un magnifique caniche lui était mort, et de la peau de l’animal il s’était fait faire un bonnet fourré. Ce joli bonnet avait si bien donné dans l’œil à baes Gansendonck, qu’il s’en était fait confectionner un semblable en ville. Ce bonnet étalait en ce moment ses mille boucles frisées sur la tête du baes du Saint-Sébastien, qui ne pouvait assez s’admirer lui-même dans le miroir depuis la flatteuse exclamation de son domestique.

Il se prépara à sortir.

— Kobe, dit-il, prends ma fourche ; nous allons traverser le village.

— Oui, baes, répondît le domestique en composant sa physionomie, et en suivant son maître sur les talons.

Sur le grand chemin bordé de maisons, ils rencontrèrent beaucoup de villageois qui ôtèrent poliment leur chapeau ou leur casquette à baes Gansendonck, mais qui partaient d’un éclat de rire aussitôt qu’il était passé. Beaucoup d’habitants accoururent aussi sur le seuil de leur demeure ou de leur étable pour admirer le bonnet velu du baes ; celui-ci ne saluait personne le premier, et s’avançait la tête haute et d’un pas lent et majestueux comme le baron le faisait d’ordinaire. Kobe, la figure niaise en apparence, marchait silencieux derrière son maître, et le suivait dans tous ses mouvements aussi fidèlement, aussi patiemment, que s’il eût fait l’office d’un chien.

Tout alla bien jusqu’en face de la forge ; mais là se trouvait quelques jeunes gens qui conversaient. Dès qu’ils virent apparaître le baes, ils se mirent à rire si haut, qu’on pouvait les entendre dans toute la rue.

Sus[1], le fils du forgeron, connu pour un railleur émérite, se mit à se promener devant la forge la tête en arrière, à pas compassés, et singea si exactement baes Gansendonck que celui-ci crut en crever de dépit. En passant devant le jeune forgeron, il lui lança un regard étincelant en écarquillant les yeux à les faire sortir de l’orbite ; mais le forgeron le considéra avec un rire si provoquant que baes Gansendonck, fou de colère, passa son chemin en grommelant et menaçant, et s’enfonça dans un sentier latéral.

Blaeskaek ! Blaeskaek ! criait-on derrière lui.

— Eh bien, Kobe, que dis-tu de cette canaille de paysans ? demanda-t-il quand son courroux fut un peu tombé. Ça ose se moquer de moi ! me traiter comme un fou ! un homme comme moi !

— Oui, baes ; les mouches piquent bien un cheval, et c’est une bête si grande !

— Mais je les retrouverai, les insolents ! Qu’ils y prennent garde, ils le paieront cher. Les montagnes ne se rencontrent pas, mais bien les hommes.

— Sans doute, baes, ce qui est différé n’est pas perdu.

— Je serais bien sot de faire encore ferrer mes chevaux ou de commander d’autres travaux chez ce drôle éhonté.

— Oui, baes, qui est trop bon est à demi fou.

— Personne de ma maison ne mettra plus le pied dans sa forge.

— Non, baes.

— Et alors le moqueur sera bien attrapé et se mordra les doigts, n’est-il pas vrai ?

— Sans doute, baes.

— Mais, Kobe, je crois que ce vaurien de forgeron est payé par quelqu’un pour me vexer et se railler de moi. Le garde champêtre croit aussi que c’est lui qui, à la nuit de mai dernière, a écrit quelque chose sur notre enseigne.

— À l’âne d’argent, baes.

— Il est inutile de répéter ces vilaines grossièretés !

— Oui, baes.

— Tu devrais le rosser d’importance entre quatre yeux pour que personne ne le voie, et puis lui faire mes compliments.

— Oui, baes.

— Le feras-tu ?

— Les compliments, oui, baes.

— Non, la rossée !

— C’est-à-dire que vous voudriez me voir revenir à la maison sans bras ni jambes. Je ne suis pas très-fort, baes, et le forgeron n’est pas chat à empoigner sans gants.

— As-tu peur d’un aussi lâche fanfaron ? Il y a de quoi être honteux !

— Il n’est pas bon de se battre contre celui qui est las de la vie. Mieux vaut Jean poltron que Jean mort, dit le proverbe, baes.

— Kobe, Kobe, je crois que tu ne mourras pas de courage.

— Je l’espère, baes.

Tout en causant, la colère de baes Gansendonck se dissipa. Parmi beaucoup de défauts il avait cependant une bonne qualité : c’est que, bien qu’il prît très-facilement la mouche, il oubliait très-promptement l’offense qu’on lui avait faite.

Il avait traversé quelques sapinières et se promenait sur ses propres terres, où il trouva mille occasions de laisser le champ libre à son sentiment outré de la propriété et de tempêter et invectiver contre tout le monde. Ici, une vache s’était fourvoyée et, s’écartant du sentier, avait passé sur sa terre ; là, une chèvre avait quelque peu brouté le feuillage de sa plantation ; plus loin, il crut découvrir des pas de chasseurs et la trace de leurs chiens.

Cette dernière circonstance surtout le fit trépigner de colère. Il avait fait placer à tous les coins de ses champs de grands poteaux avec l’inscription : Chasse défendue, et nonobstant ce il s’était trouvé quelqu’un d’assez audacieux pour violer son droit de propriété.

Il était en train de jeter au vent, sur ce fait, une kyrielle d’imprécations, et dans son courroux il frappait du poing le tronc d’un hêtre.

Kobe se tenait debout derrière le baes et songeait au dîner ; car il devait y avoir un lièvre. Il songeait qu’on ne saurait peut-être pas en bien préparer la sauce, et cette pensée le faisait aussi frapper du pied. Entre temps il se bornait à répondre : oui, baes, et non, baes, sans faire attention à ce que disait son maître.

Tout à coup Pierre Gansendonck entendit une voix moqueuse crier :

— Blaeskaek ! blaeskaek !

Furieux, il regarda tout autour de lui, mais n’aperçut personne que son domestique qui, les yeux fixés sur la terre, remuait les lèvres comme s’il eût été occupé à manger.

— Comment, maraud, est-ce toi ? s’écria baes Gansendonck avec fureur.

— Encore moi ! répondit Kobe : Seigneur Dieu, qu’avez-vous donc, baes ?

— Je demande, vaurien, si c’est toi qui viens de parler ?

— Ne l’avez-vous pas bien entendu, baes ?

Gansendonck exaspéré lui arracha la fourche des mains et allait l’en frapper ; mais lorsque le domestique s’aperçut que l’affaire était sérieuse, il bondit en arrière, et levant les mains au ciel, il s’écria :

— Ô Seigneur, voilà que notre baes devient tout à fait fou !

— Blaeskaek ! blaeskaek ! cria de nouveau une voix derrière Pierre Gansendonck.

Il aperçut alors une pie dans les branches du hêtre et entendit l’oiseau railleur répéter son injurieuse apostrophe :

— Kobe, Kobe, cria-t-il, cours chercher mon fusil de chasse. C’est la pie du forgeron : il faut qu’elle meure, la coquine de bête !

Mais la pie s’élança de l’arbre, et prit son vol vers la maison.

Le domestique fut pris d’un rire convulsif si violent, qu’il tomba sur le gazon, où il se roula pendant quelques instants.

— Finis ! hurlait le baes, ou je te chasse ! Finis de rire, te dis-je.

— Je ne puis, baes !

— Lève-toi !

— Oui, baes !

— J’oublierai ton impertinence à une condition : il faut que tu empoisonnes la pie du forgeron.

— Avec quoi, baes ?

— Avec du poison.

— Oui, baes, si elle veut le manger.

— Alors tue-la avec un fusil.

— Oui, baes.

— Allons, partons… Mais que vois-je là-bas dans ma sapinière ? Soyez donc propriétaire pour être pillé par un chacun !

À ces mots il courut vers la sapinière, suivi par le domestique, et tout en tempêtant.

Il avait aperçu de loin une pauvre femme et deux enfants occupés à briser les branches mortes des sapins et à réunir ces branches en un gros fagot. Bien qu’une très ancienne coutume permette aux pauvres gens de ramasser le bois sec dans les sapinières, baes Gansendonck ne pouvait souffrir qu’il en fût ainsi. Le bois sec était sa propriété tout aussi bien que le bois vert, et nul ne devait toucher à sa propriété. Ajoutez à cela que c’était une femme, et qu’il n’avait à craindre ni résistance ni moquerie. Cela lui donna du courage et lui permit de lâcher la bride à sa colère.

Il saisit la pauvre mère par les épaules en s’écriant :

— Impudents voleurs ! Allons, marchez au village avec moi ! dans les mains des gendarmes ! En prison, fainéants vauriens !

La femme tremblante laissa tomber le bois qu’elle avait ramassé, et fut tellement épouvantée par ces terribles menaces, qu’elle se mit à pleurer sans prononcer une parole. Les deux enfants se cramponnèrent aux vêtements de leur mère et remplirent le bois de cris désespérés.

Kobe hochait la tête avec dépit : l’expression d’indifférence habituelle à sa physionomie avait disparu ; on eût dit qu’un sentiment de pitié s’était emparé de lui.

— Ici, coquin ! lui cria le baes ; donne-moi un coup de main pour conduire ces brigands aux gendarmes !

— Cher homme, je ne le ferai plus jamais ! dit la femme d’une voix suppliante. Voyez mes pauvres petits agneaux d’enfants ; ils se meurent de peur !

— Tais-toi, vagabonde, s’écria le baes ; je te déshabituerai bien de marauder et de voler !

Le domestique prit la femme par le bras avec une feinte colère et la secoua vivement ; mais en même temps il murmura à voix basse à son oreille :

— Tombez à genoux et dites Monsieur.

La femme se précipita à genoux devant baes Gansendonck, tendit les mains vers lui et dit d’un ton de prière :

— Oh ! monsieur, monsieur, grâce, s’il vous plaît, monsieur ! Oh ! pour mes pauvres petits enfants, grâce, mon cher monsieur !

Le baes parut touché par un mobile secret. Il lâcha la femme, la regarda d’un air rêveur, le visage radouci et bienveillant ; cependant il ne la fit pas se relever.

Quelqu’un agenouillé devant lui ! les mains tendues vers le ciel ! et demandant grâce ! c’était royal !

Après avoir savouré quelques instants ce suprême bonheur, il releva lui-même la pauvre femme, essuya une larme d’attendrissement qui perlait dans ses yeux et reprit :

— Pauvre mère, j’ai été un peu vif, mais c’est fini. Reprenez votre fagot ; vous êtes une brave femme. Désormais vous pouvez casser le bois mort dans toutes mes propriétés, et quand même il s’y trouverait un peu de vert, je ne dirais rien. Rassurez-vous, je vous pardonne entièrement.

La femme contemplait avec étonnement les deux singuliers personnages qui étaient devant elle, le baes avec son air de protection, le domestique se mordant les lèvres et faisant de visibles efforts pour ne pas rire.

— Oui, petite mère, répéta le baes, vous pouvez ramasser les branches mortes dans tous mes bois. Ce disant ; il montrait de la main tous les alentours comme si la contrée entière lui eût appartenu.

La pauvre femme fit quelques pas en arrière pour reprendre son fagot, et le remercia ainsi d’une voix émue par la reconnaissance :

— Dieu vous bénisse pour votre bonté, monsieur le baron !

Un frisson parcourut les membres de baes Gansendonck, et son visage fut comme illuminé d’un rayonnement de bonheur.

— Femme ! femme ! approchez-vous un peu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous dit là ? Je n’ai pas compris.

— Soyez mille fois remercié, monsieur le baron ! répondit la ramasseuse de bois.

Baes Gansendonck mit la main à la poche, et en retira une pièce d’argent qu’il présenta à la femme en lui disant les larmes aux yeux :

— Tenez, petite mère, réjouissez-vous un peu aussi ; et quand ce sera l’hiver, venez tous les samedi là-bas au Saint-Sébastien ; on vous y donnera du bois et du pain à foison. Retournez chez vous maintenant.

En disant ces mots, il quitta la femme, et sortit précipitamment du bois. Il pleurait tellement que des larmes abondantes coulaient sur ses joues. Le domestique, remarquant cela, s’essuya aussi les yeux avec la manche de sa veste.

— C’est surprenant, dit enfin le baes en soupirant, que je ne puisse voir souffrir personne sans que mon cœur déborde.

— Moi non plus, baes.

— L’as-tu entendu, Kobe ? cette femme m’a pris aussi pour monsieur le baron.

— Elle a raison, baes.

— Tais-toi maintenant, Kobe ; nous allons regagner tout doucement la maison.

— Oui, baes.

Kobe se mit à suivre avec la plus grande soumission l’empreinte des pas de son maître. Tous deux marchaient rêveurs : le baes pensait au beau nom que la pauvre femme lui avait donné ; le domestique songeait au lièvre à la sauce au vin qui l’attendait à la maison.

Depuis quelques instants, trois chasseurs avaient débouché de derrière une haie de chênes et contemplaient, en riant et en plaisantant, baes Gansendonck et son domestique. C’étaient trois jeunes messieurs en élégant costume de chasse, le fusil sous le bras.

L’un d’eux semblait connaître particulièrement bien le baes du Saint-Sébastien. Il expliquait à ses compagnons par quel singulier démon d’orgueil et de suffisance le brave homme était possédé, et leur faisait un grand éloge de Lisa, sa fille.

— Allons, allons, s’écria-t-il enfin, nous sommes las : amusons-nous un peu. Suivez-moi, nous accompagnerons le baes au Saint-Sébastien, et nous y viderons une bouteille. Mais ayez soin de lui parler avec respect et de faire force compliments. Plus fou ce sera, mieux cela vaudra.

Ce disant, il sauta avec ses compagnons au delà du fossé desséché, et courut vers le baes. Il s’inclina profondément devant celui-ci et le salua avec mille politesses.

Pierre Gansendonck prit des deux mains son bonnet fourré et s’efforça de répéter vis-à-vis du jeune homme ce que celui-ci avait fait vis-à-vis de lui. Les deux autres chasseurs, au lieu de prendre part à ces cérémonies, se cachaient derrière le domestique et faisaient d’incroyables efforts pour ne pas éclater de rire.

— Eh bien ! monsieur Adolphe, mon ami, dit le baes, comment va votre papa ? Toujours gros et gras ? Il ne vient plus nous rendre visite depuis qu’il demeure en ville. Mais loin des yeux, loin du cœur, dit le proverbe.

Adolphe prit par la main un de ses amis rieurs et l’attira de force devant le baes :

— Monsieur Gansendonck, dit-il avec solennité, j’ai l’honneur de vous présenter le jeune baron Victor Van Bruinkasteel ; mais veuillez excuser son infirmité ; c’est un mal nerveux qui lui est resté à la suite de convulsions : il ne peut regarder personne sans éclater de rire.

Victor ne put se contenir, il rejeta la tête en arrière, trépigna, et devint violet et bleu à force de rire.

— Tu vas gâter l’affaire, lui dit Adolphe à l’oreille. Finis, ou il va s’apercevoir de quelque chose.

— Faites à votre aise, monsieur Van Bruinkasteel, dit le baes ; ce n’est pas à rire qu’on gagne, des cors aux pieds.

Adolphe prit la main de son ami et répéta la présentation.

— Monsieur Van Bruinkasteel n’a pas l’honneur de me connaître ? dit le Baes en s’inclinant.

— En effet, répondit Victor, j’ai l’honneur de vous être inconnu.

— L’honneur n’est pas grand, monsieur, répondit le baes en s’inclinant de nouveau. Monsieur vient sans doute passer la saison de la chasse au château avec notre ami Adolphe.

— Pour vous servir, monsieur Gansendonck.

— Son père nous a acheté le pavillon de chasse, dit Adolphe ; monsieur Van Bruinkasteel sera, chaque hiver, votre voisin, et viendra probablement vous rendre visite souvent, monsieur Gansendonck.

— Mais, Adolphe, mon ami, pourquoi cet autre jeune monsieur demeure-t-il là derrière Kobe ? Aurait-il peur de moi ?

— Il est timide, monsieur Gansendonck ; que peut-on faire à cela ? C’est l’effet de sa grande jeunesse… Mais, monsieur Gansendonck, vous avez une chasse réservée à ce que je vois : vous êtes donc chasseur aussi ?

— Je suis grand amateur, n’est-ce pas, Kobe ?

— Oui, baes, de lièvres. — Moi aussi… Pourvu qu’on ne le laisse pas brûler ! ajouta-i-il à part lui.

— Que grommelles-tu là ? s’écria le baes d’une voix courroucée pour montrer à ces messieurs qu’il avait la haute main sur ses domestiques. Que grommelles-tu là, malotru ?

— Je demande si vous ne croyez pas qu’il soit temps de retourner à la maison, baes. Et je me disais en moi-même : pécher et chasser donnent faim à l’estomac.

— Quand un porc rêve c’est de drêche ! Tais-toi.

— Oui, baes, se taire et penser ne font tort à personne.

— Pas un mot de plus, te dis-je.

— Non, baes.

— Ces messieurs me feront-ils l’honneur de venir prendre chez moi un verre de vin du matin ? demanda Pierre Gansendonck.

— C’est là précisément ce que nous avions l’intention d’aller vous demander.

— Bien, venez donc ; vous me direz ce que vous pensez de ce petit vin-là. N’est-il pas vrai, Kobe, tu l’as goûté une fois au moins, toi ? Si vous ne vous en léchez pas les doigts, messieurs, dites que je suis un paysan.

— C’est vrai, baes ! répondit le domestique.

Le baes se mit en route d’un pas majestueux en causant amicalement avec Adolphe, tandis que les deux amis de celui-ci se tenaient en arrière pour pouvoir donner libre cours à leur gaîté. Kobe jetait sur cette scène des regards sournois, et lui-même eût ri aussi, si le lièvre ne lui eût tellement trotté en tête qu’il en avait des crampes d’estomac.

La société s’avança lentement vers le Saint-Sébastien.

  1. Abréviation flamande de François, Franciscus.