L’Évolution Française sous la Troisième République/Chapitre IX

chapitre ix

le triomphe de la république.

Stabilité ministérielle. — La conférence ouvrière de Berlin. — L’impératrice Frédéric à Paris. — Cronstadt. — Une « situation nouvelle ». — Le tarif général des douanes. — La « dernière carte » des monarchistes. — Faux calcul. — Mœurs financières. — Les élections de 1893. — Le ministère Casimir-Périer. — La flotte russe à Toulon. — Un deuil national.

Il était aisé de prévoir que la victoire électorale remportée par la république dans des circonstances décisives aurait de multiples effets ; mais on peut dire que toutes les prévisions demeurèrent inférieures à la réalité. Ce furent les deux pouvoirs les plus conservateurs de l’univers, l’autocratie moscovite et le césarisme pontifical qui s’inclinèrent les premiers et recherchèrent son alliance. Un événement si considérable devait se répercuter à l’intérieur ; il eut pour conséquence l’anéantissement ou la mise hors de combat des partis inconstitutionnels, auxquels l’Église retira son appui. Dès les premiers moments, on vit, à quelques votes assagis des députés conservateurs et à leur attitude sur le passage du chef de l’État, qui continuait de parcourir la France, partout fêté et acclamé, que le temps était passé des intransigeances irréfléchies. Mais ils n’eussent sans doute pas abdiqué leurs préférences, laissant à la génération suivante le soin de former une véritable droite républicaine, si l’initiative du Saint-Siège n’était venue détourner d’eux un grand nombre d’électeurs catholiques. Nous aurons occasion d’étudier ce grand mouvement[1], auquel on s’accorde généralement à donner pour point de départ le discours adressé par le cardinal Lavigerie, en 1890, aux officiers de l’escadre française.

Un autre résultat de la victoire républicaine fut d’assurer enfin cette stabilité ministérielle qui n’avait été obtenue que par Jules Ferry, de 1883 à 1885, et dont le secret semblait s’être aussitôt perdu. M. de Freycinet, qui prit la présidence du conseil au début de 1890 et la garda deux ans, dirigeait déjà le ministère de la guerre depuis le mois d’avril 1888[2]. Il y avait été accueilli avec méfiance : beaucoup de personnes se résignaient mal à voir un ministre civil à la tête de l’armée ; on se souvenait, d’autre part, de la façon peu satisfaisante dont, à plusieurs reprises, il avait géré les intérêts diplomatiques de la France. Mais, cette fois, un homme nouveau se révéla en lui ; complètement dévoué aux intérêts professionnels dont il avait la garde, s’entourant des conseils les plus autorisés[3], il mena avec suite et méthode une œuvre considérable. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude d’apprécier la valeur technique de cette œuvre, mais on doit remarquer que, si l’administration de M. de Freycinet a soulevé des critiques, elle a trouvé dans l’armée même[4] ses plus chauds partisans.

C’était la première fois, depuis de longues années, que la présidence du conseil se trouvait unie au portefeuille de la guerre ; l’Europe ne s’en alarmait point : elle comprenait à merveille que le parti de la paix venait de triompher en France, et que la prospérité de la République constituait désormais une des garanties du repos général. Elle constatait en même temps, avec une surprise satisfaite, que si les choses militaires se maintenaient, en Allemagne, au premier rang des préoccupations impériales, Guillaume ii n’avait rien dit ni fait qui permit de lui attribuer des arrière-pensées belliqueuses : bien au contraire, il témoignait une sollicitude inattendue aux classes laborieuses, Les fameux rescrits du 4 février 1890 consacraient, en quelque sorte, l’importance et l’urgence de la question ouvrière et, pour en mieux préparer la solution, convoquaient à Berlin une conférence internationale. La France, invitée à y prendre part, répondit par une acceptation conçue en termes dignes et sages et empreinte de la réserve prudente qui s’imposait tant au point de vue politique qu’au point de vue social[5].

Les débats furent amples et sérieux ; on fit d’honnête et discrète besogne. Mais à voir la façon dont, peu après, l’Empereur, faisant volte-face, abandonna la « politique ouvrière » et déclara la guerre aux socialistes, il parut qu’il avait convoqué la conférence de Berlin, moins par intérêt pour les travailleurs que pour accentuer la séparation de sa politique d’avec celle du prince de Bismarck, pour étonner le monde, ou encore pour se préparer l’occasion d’un rapprochement avec la France. Ce qui donna quelque valeur à cette dernière supposition, c’est que moins d’un an après la conférence de Berlin, au mois de février 1891, l’impératrice Victoria, veuve de Frédéric iii, arriva à Paris dans un semi-incognito. Le but avoué de son voyage était d’inviter les peintres français à participer à l’Exposition de Berlin, mais on s’accorda à voir là une avance faite à la République française par Guillaume ii.

Le moment était décisif ; la politique de recueillement cessait d’être possible : l’heure était venue de prendre parti. La République se trouvait une dernière fois libre de choisir entre les trois éventualiiés qui s’étaient dessinées, on peut le dire, dès le lendemain de la guerre de 1870 : la détente avec l’Allemagne, l’entente avec l’Angleterre, l’alliance avec la Russie. Ce fut le tort de l’empereur Guillaume de s’exposer, suivant une parole qu’on lui prête, à ce que les Français ne lui rendissent pas « le coup de chapeau qu’il leur donnait ». Si l’impératrice Frédéric avait voulu faire à Paris un simple séjour d’agrément[6], ses visites aux artistes, ses promenades à travers nos musées[7] n’eussent été suivies par le public qu’avec une sympathie bienveillante commandée par le caractère de la souveraine, par son deuil, ses sentiments bien connus et le souvenir de son noble époux. Mais on crut sentir qu’elle avait pour mission de chercher à effacer le passé et à engager l’avenir. Si Guillaume ii avait été bien inspiré en choisissant sa mère pour messagère de paix, il avait donné à son message une forme peut-être trop précise et trop pressante qui devait forcément réveiller des souvenirs douloureux, rouvrir des blessures mal fermées. L’occasion était si belle pour les professeurs de faux patriotisme et les entraîneurs de foule que pendant un long moment l’anxiété régna. L’imminence même du péril, la notion exacte que la moindre incartade déchaînerait la guerre et la crainte de l’effroyable responsabilité qui en résulterait pour eux, contint leur zèle. L’Impératrice quitta Paris sans encombres. Les artistes se crurent autorisés à reprendre leur parole et à décliner une invitation qui n’avait rien que de flatteur pour l’amour-propre national. En Europe, on fut étonné et mécontent de cet accès de nervosité intempestive. On avait vu naguère un représentant du maréchal de Mac Mahon venir saluer à Metz l’empereur Guillaume ier et, plus tard, marcher derrière son cercueil une mission militaire française présidée par le général Billot, alors qu’il eût été si facile de n’envoyer personne à Metz et de se faire représenter aux funérailles impériales par une délégation civile. Le médiocre accueil réservé à l’impératrice Frédéric parut aussi inexcusable que l’insulte faite au roi d’Espagne à son retour de Berlin, en 1885.

Les chancelleries notèrent avec soin la seule conséquence intéressante de ce malencontreux incident : tout régime de détente entre la France et l’Allemagne devenait impossible : la France marquait sa volonté de demeurer isolée plutôt que de ne pas trouver, dans une alliance ferme et fraternelle avec un autre peuple, l’équivalent de ce qu’elle-même pouvait donner. Cette alliance, il restait, pour y prétendre, l’Angleterre et la Russie. En Angleterre, on avait été très frappé de la défaite du boulangisme, du succès de l’Exposition et des résultats de notre politique coloniale. La presse anglaise était unanime dans l’expression de ses sentiments admiratifs. « Les énergies nationales de la France renaissent, et l’on voit se développer simultanément son activité au point de vue intellectuel, matériel et moral, disait le Daily News : l’œuvre de la République aura été grande : elle a accompli des merveilles pour le pays. » Les Anglais, gens pratiques, furent particulièrement sensibles au service financier que nous leur rendîmes au début de 1891, à ce prêt de soixante-quinze millions en or consenti par la Banque de France à la Banque d’Angleterre à la suite de la débâcle des finances argentines[8]. Bien avant qu’on sût ce que la flotte française allait faire à Cronstadt en cette même année 1891, des pourparlers avaient eu lieu entre l’ambassade de France à Londres et le gouvernement britannique au sujet d’un « gage d’amitié » que l’Angleterre désirait donner à sa « puissante voisine ». La Reine, qui avait pris l’habitude de venir presque chaque année passer quelques semaines d’hiver dans le midi de la France et y trouvait l’accueil le plus empressé, souhaitait une occasion de manifester sa reconnaissance. Il fut alors décidé que la flotte française, commandée par l’amiral Gervais, après avoir visité Stockholm et Cronstadt, se rendrait à Portsmouth[9]. En toute autre circonstance, la réception faite à nos marins en Suède et en Angleterre eût passé pour extrêmement chaleureuse ; mais l’éclat en fut effacé par l’explosion d’enthousiasme et la grandiose manifestation qui firent de l’entrevue de Cronstadt le point de départ, pour la France, d’une ère nouvelle.

Au lendemain du jour où Guillaume ii se réjouissait de proclamer le renouvellement de la Triple Alliance, l’entente franco-russe se scellait soudain avec une simplicité et une spontanéité qui démontraient à quel point les sympathies et les intérêts des deux peuples concordaient. Un seul obstacle avait empêché le Tsar de provoquer plus tôt cette entente : ses incertitudes sur l’avenir gouvernemental de la France. Maintenant, la République avait fait ses preuves : elle s’imposait avec tous les caractères d’un gouvernement définitif ; le rapprochement était possible ; on le sentit réalisé dès que les acclamations du peuple russe eurent été sanctionnées par les démonstrations officielles et par un échange de télégrammes significatifs entre l’Empereur et le Président de la République.

L’effet produit sur la France fut considérable. C’était la paix, après comme avant ; mais au lieu d’une paix imposée et par là même dure à supporter, ce serait désormais la paix voulue, librement consentie. Ce changement devait suffire, selon l’expression de M. de Blowitz, « à ramener la bonne humeur nationale ». Aux grandes manœuvres de l’Est, qui, pour la première fois, réunirent quatre corps d’armée, M. de Freycinet parla, en chef de gouvernement, de la « situation nouvelle » faite au pays. Il y avait bien quelque chose de nouveau en Europe : c’est que la France y était rentrée. L’enthousiasme, chez nous, dépassa un peu la limite : on mêla les accords de l’hymne russe à toutes sortes de festivités, même les plus étrangères à la politique[10], et il entra de la sentimentalité dans l’empressement avec lequel fut couvert l’emprunt russe au mois d’octobre 1891 ; quelques sceptiques firent remarquer que la Russie réclamait un peu vite le prix de ses bons offices, mais le séjour à Paris du chancelier de l’empire, M. de Giers, et des grands-ducs Alexis et Wladimir, prouva qu’elle n’entendait point revenir — l’emprunt souscrit — sur la parole donnée.

L’année 1891, qui vit une alliance politique se substituer à l’isolement de la France, vit, par un contraste piquant, la France substituer au régime des traités de commerce un isolement économique presque complet. Ce fut l’œuvre de M. Méline, député des Vosges, ancien ministre, ancien président de la Chambre, homme d’un incontestable talent et d’une puissance de volonté rare. Avec une persévérance douce que rien ne lassa, il avait poursuivi la formation d’une majorité protectionniste et l’établissement de ce tarif général des douanes auquel les Chambres travaillèrent pendant toute l’année 1891 et qui entra en vigueur le 1er février 1892. Le mouvement datait de loin. La loi sur les sucres, votée en 1884 et relevant les droits abaissés en 1880, avait été, en quelque sorte, la première loi de protection. Elle favorisait l’industrie sucrière et changeait l’assiette de l’impôt, le faisant porter non plus sur les produits de la fabrication, mais sur la betterave : d’où un bénéfice résultant de l’écart entre la présomption légale du rendement de la betterave et son rendement effectif. Elle établissait en outre, pour deux ans, une surtaxe de sept francs sur les sucres étrangers. Cette surtaxe fut prorogée en 1886. Dans l’intervalle, des taxes avaient été établies également (1885) sur les céréales étrangères. M. Méline se donnait du mal pour convertir à ses doctrines ses collègues du cabinet Ferry : ceux-ci avaient consenti à proposer une élévation des droits d’entrée sur les bestiaux, mais s’élaient refusés à en faire autant pour les céréales. Ce fut l’initiative parlementaire qui en prit la responsabilité, et tout aussitôt une majorité se déclara à laquelle le cabinet ne tenta pas de résister. Le droit de trois francs fut voté.

L’année suivante, bien que les taxes de 1885 eussent déjà entraîné une diminution des deux tiers sur les importations, les protectionnistes voulurent aller plus loin. Battus d’abord à une faible majorité, ils prirent leur revanche en faisant rejeter Ia convention avec l’Italie, que le gouvernement proposait de substituer au traité de navigation de 1862, lequel était arrivé à terme. En 1887, on vota le relèvement de cinq francs, puis une surtaxe sur les bestiaux. Toutes ces concessions n’étaient point obtenues sans bataille. Nombreuses étaient les répugnances et les hésitations, même parmi les ministres, résignés pourtant, par le fait de leur présence dans le gouvernement, à subir les conséquences du courant protectionniste qui allait s’accentuant. Beaucoup de députés avaient reçu de leurs électeurs une sorte de mandat impératif, et les votes s’en ressentaient ; ils différaient des votes ordinaires, les intérêts du département primant ceux du parti. Le droit de cinq francs fut décidé par quarante-trois départements contre vingt-deux. Il n’y en eut que vingt-cinq dont les représentants se divisèrent dans cet important débat.

L’année 1888 fut une année de renaissance économique : les vignobles se trouvèrent en grande partie reconstitués ; plusieurs marchés du dehors furent reconquis par le commerce français, et on nota une grande amélioration dans le rendement des impôts. On n’en releva pas moins les droits à l’entrée du maïs, puis les droits sur les seigles en grains et farines. Au commencement de 1890, M. Méline[11] se trouva à même de fonder un « groupe agricole » à la Chambre. L’échéance de nos traités de commerce approchait : il demeurait entendu qu’on ne les renouvellerait pas, du moins sur les mêmes bases. On les dénonça, et les travaux commencèrent en vue de la préparation d’un tarif général des douanes. Une enquête fut faite auprès des conseils, comités, chambres et syndicats ; les résultats furent collationnés et résumés par les conseils supérieurs du commerce et de l’agriculture. Les Chambres insistèrent sur la nécessité de conclure de nouveaux traités. Nous avons deux milliards d’importations de matières premières, disaient-elles, contre 600 millions d’exportations correspondantes. En revanche, nous vendons pour 1,700,000,000 d’objets manufacturés contre 600 millions d’achats. Que devenir sans traités ?

On vota des lois soumettant les raisins secs au régime des vins, augmentant les droits d’entrée sur les maïs, riz, millet, mais on consentit enfin un abaissement des droits sur les produits tunisiens, malgré l’opposition des représentants de l’Algérie. Ce n’était pas en France seulement que montait la marée protectionniste. Les États-Unis avaient adopté le bill Mac Kinley, qui équivalait, par les formalités dont l’importation se trouvait entourée[12], à une prohibition complète. Le 10 mars 1891, une nouvelle loi venait modifier, pour la dixième fois en sept ans, le régime des sucres. Cependant la Suisse et la Belgique avaient répondu à nos dénonciations en dénonçant à leur tour les traités de tout ordre qui les unissaient à la France, et jusqu’aux conventions réglant la navigation et la propriété artistique et littéraire. On en éprouva quelque ennui dans l’entourage de M. Méline. Certains avaient eu la naïveté de croire qu’ils pourraient s’enfermer dans l’enceinte fortifiée du protectionnisme sans s’exposer à des représailles de la part des autres pays.

Le gouvernement, quand s’engagea la discussion générale, se montra disposé à considérer les deux tarifs « comme la base des rapports commerciaux à établir entre la France et les puissances étrangères : le tarif minimum pour celles qui feront certaines concessions, et le tarif général pour les nations qui n’en consentiront aucune[13] ». Mais il ne voulut pas s’engager à ne pas traiter au-dessous du tarif minimum. La première partie du débat se termina selon les vues du gouvernement, qui réclamait l’exemption des matières premières, si indispensables à notre industrie ; mais ensuite le débat se poursuivit d’une manière défavorable à son programme de « tarification modérée[14] ».

Le tarif général fut approuvé le 18 juillet 1891 par 387 voix contre 110. Au Sénat, le tarif fut accepté et défendu avec plus de résignation encore et moins de conviction qu’à la Chambre[15]. L’exemple donné par la France lui suscita peu d’imitateurs. Mais il en résulta une certaine tension de rapports et de la mauvaise humeur entre elle et ses voisins. Le 7 décembre, les cabinets de la Triple Alliance communiquèrent aux Chambres de Rome, Berlin, Vienne et Budapest les traités de commerce signés la veille et préparant, par l’abaissement des tarifs douaniers, un Zollverein de l’Europe centrale. De même que les escadres, envoyées en ambassade, constituaient maintenant une sorte de marine diplomatique, on allait chercher dans les ententes commerciales le moyen de resserrer les alliances politiques.

Sans prétendre porter un jugement prématuré sur l’œuvre protectionniste, il est permis de donner pour épilogue à cette brève analyse les paroles prononcées au cours de la discussion par un représentant de la Beauce : « La solution définitive du problème agricole n’est pas dans la douane ; elle est dans la science, dans l’augmentation du rendement par le perfectionnement des méthodes. » Beaucoup de ceux qui ont contribué à l’établissement du tarif partagent cette manière de voir et estiment que la douane est un expédient et que la science, seule, est une solution.

Ce ne fut pas, contrairement à ce qu’on avait vu si souvent, la majorité qui se désagrégea la première ; ce fut, chose étrange ! le ministère qui se lassa d’être soutenu. M. de Freycinet et quelques-uns de ses collaborateurs avaient pris, à une époque de parlementarisme moins paisible, l’habitude de l’équilibrisme, et parfois il leur arrivait de traiter la majorité large et confiante qu’ils avaient devant eux comme ces instables mélanges de groupes sur lesquels il avait fallu autrefois chercher un point d’appui précaire. Tout à coup, la peur leur revenait d’être compromis par le Pape, ou bien le souci de ne point perdre le secret de la fameuse politique de concentration. Par une singulière aberration, ils choisirent instant où Léon xiii, s’adressant par une lettre encyclique aux catholiques de France, leur enjoignait d’adhérer à la République[16], pour présenter un projet de loi sur les associations contenant le germe d’une véritable persécution contre les congrégations religieuses. Un cabinet capable de prendre une semblable initiative, en pleine période de pacification[17], méritait le sort que fit la Chambre à M. de Freycinet et à ses collègues.

Après de longs pourparlers, ce fut M. Loubet, sénateur, qui procéda à une sorte de reconstitution du cabinet[18]. Le moment eût peut-être été bien choisi pour faire appel à des hommes nouveaux et jeunes. On voyait, depuis longtemps, les mêmes personnalités se passer les portefeuilles en exécutant des chassés-croisés qui manquaient souvent d’à-propos ; le prestige gouvernemental ne pouvait qu’en souffrir. Cette épuration politique, les circonstances allaient la provoquer dans des conditions fâcheuses.

Les élections municipales du 1er mai 1892[19] et les élections départementales des 31 juillet et 7 août[20] avaient montré les progrès toujours croissants de l’opinion républicaine ; le centenaire de Valmy et celui du 22 sep- tembre 1792 avaient été célébrés avec éclat ; le 14 juin, la rente française avait atteint le pair ; enfin, lors de son voyage triomphal dans l’Est, M. Carnot avait reçu la visite du grand-duc Constantin[21] venant le saluer au nom du Tsar, et la campagne du Dahomey, brillamment conduite, se terminait le 17 novembre par la prise d’Abomey. Cette série d’événements heureux accusait la stabilité de la République, son crédit, son prestige et la force de ses armes ; et, malgré tout, une inquiétude sourde se propageait qui ne venait pas uniquement des attentats anarchistes dont Paris était le théâtre[22] ; leur fréquence, leur caractère tragique pouvaient inspirer de la terreur à quelques personnes et diminuer le nombre des étrangers visitant Paris, mais bien vite, on avait compris — et les anarchistes ne tardèrent pas à s’en rendre compte eux-mêmes, — que ce n’était pas par de tels moyens qu’on « viendrait à bout de la société bourgeoise ». Il y avait autre chose ; il y avait une certaine presse née avec le boulangisme, ayant grandi avec lui et lui ayant survécu ; il y avait la nervosité de l’opinion, qui s’était habituée aux nouvelles à sensation, aux spirituelles et mordantes calomnies de Rochefort et continuait de chercher du rocambolisme et des machinations ténébreuses dans les dessous de la politique ; il y avait enfin cette préoccupation de trouver partout des conspirateurs, que M. Ribot signalait dès 1883. Les révélations de M. Terrail-Mermeix, l’histoire des conciliabules entre boulangistes et royalistes, les trois millions électoraux de Mme la duchesse d’Uzès, tout cela avait d’abord amusé, puis frappé l’imagination populaire. Quand survenait une affaire comme celle de la mélinite (1891), le public s’en emparaît, s’y passionnait, avide de détails inattendus. Une multitude de journaux les lui versaient jour par jour et, quand les circonstances s’y prêtaient, heure par heure. Ce public était ravi d’apprendre que M. Laur avait, du haut de la tribune, déversé l’injure sur M. Constans, alors ministre de l’intérieur, et que celui-ci, indigné, avait giflé son insulteur[23] ; il se pâmait d’aise devant les violentes diatribes de M. Drumont et jugeait fort ingénieux les indignes soupçons dirigés contre un homme vertueux et droit entre tous, l’un des meilleurs serviteurs de la patrie, M. Burdeau[24] ; il s’intéressait enfin aux efforts tentés pour atteindre le Président de la République, quelque hors d’atteinte qu’il parût. On s’ingéniait à « découvrir » M. Carnot en lui supposant des préférences politiques marquées, des ingérences inconstitutionnelles ou quelque arrière-pensée tendant à assurer sa réélection[25].

Ces manœuvres trouvaient surtout un écho parmi la population parisienne ; elles étaient recueillies, en province, par ces jeunes hobereaux qui, n’ayant reçu en héritage que la haine de la République, aimeraient à lui voir substituer un régime plus enclin à favoriser leur noble oisiveté. L’opposition de droite cherchait un moyen d’utiliser ces fâcheuses tendances à la calomnie ; elle était en quête de quelque énorme scandale qui pût faire du tort au gouvernement. Ce serait la dernière carte ; autant la jouer tout de suite.

La compagnie de Panama avait fait faillite, et cette faillite avait atteint cruellement la petite épargne ; l’énormité des sommes englouties dans ce désastre, les personnalités compromises, certains indices qui laissaient soupçonner de coupables agissements, tout contribuait à donner à cette affaire une portée exceptionnelle. On résolut donc de s’en servir ; le complot fut organisé dans le plus grand secret, et, le 21 novembre 1892, M. Delahaye, député d’Indre-et-Loire, monta à la tribune d’un air plein de mystère, pour insinuer que le parti républicain, pourri jusqu’à la moelle, avait dévoré en subventions et en « pots-de-vin » l’argent souscrit pour le percement de l’isthme des Panama. La mort d’un financier de mauvaise réputation, le baron J. de Reinach, survenue à la veille de l’interpellation dans des conditions qui firent croire à un suicide, en souligna l’opportunité d’une manière dramatique. À la Chambre, l’unanimité se trouva réunie aussitôt dans le désir, réel ou feint, de « faire la lumière ». Le président du conseil, M. Loubet, dont l’honnêteté s’indignait, les députés républicains jaloux de se justifier sans retard, les socialistes heureux d’atteindre « l’infâme capital », les monarchistes joyeux du tort fait à la République, se trouvèrent d’accord ; les coupables, s’il y en avait, criaient plus fort que les autres. On nomma une commission d’enquête présidée par M. Brisson : on réclama l’autopsie du baron de Reinach, et, entre temps, on renversa le ministère, qui s’y attendait. Une nouvelle reconstitution du cabinet s’opéra le 5 décembre sous la présidence de M. Ribot[26].

C’est alors qu’intervint une révélation sensationnelle du Figaro. Il s’agissait d’une visite nocturne faite au docteur Cornélius Herz par MM. Rouvier, Clemenceau et le baron de Reinach, peu d’heures avant la mort de ce dernier. Le gros public entendait, pour la première fois, prononcer le nom de l’aventurier américain dont l’extraordinaire influence était connue depuis longtemps dans le monde politique sans qu’il fût possible d’en pénétrer les causes[27]. En ce qui concerne M. Rouvier, le fait était exact : il avait agi avec imprudence en s’employent, lui ministre des finances, à servir les intérêts de M. de Reinach ; mais son intervention s’était exercée utilement dans maintes circonstances analogues ; son rôle dans l’affaire du Comptoir d’escomple ou dans celle de la Société des dépôts et comptes courants lui avait valu les éloges des capitalistes, et la baisse que causa à la Bourse la nouvelle de sa retraite disait assez clairement la reconnaissance que ceux-ci lui devaient. M. Rouvier, se sentant atteint, donna sa démission, et M. Tirard prit son portefeuille. Sur ces entrefaites, MM. Charles de Lesseps, Marius Fontane, Cottu et Sans-Leroy furent arrêtés et des poursuites ordonnées contre MM. Emmanuel Arène, Dugué de la Fauconnerie, Antonin Proust, Jules Roche et Rouvier, députés, Béral, Devès, Albert Grévy, Léon Renault et Thévenet, sénateurs.

À partir de ce jour ce fut une succession ininterrompue de scandales ; on était en plein imprévu : la commission d’enquête prenait des allures de tribunal ; on ne savait plus où était la justice, au Palais ou bien à la Chambre. Les députés se soupçonnaient les uns les autres et affichaient des « rigorismes d’occasion[28] ». M. Andrieux publia une prétendue liste de « chéquards » sortie on ne sait d’où, à laquelle un nom manquait ; le document était troué à l’endroit où le nom aurait dû figurer : par là pouvaient passer les calomnies les plus monstrueuses. L’opinion se laissa prendre à cette farce grossière, et chacun de chercher le nom de ce M. X… sur lequel M. Andrieux affectait de ne vouloir donner aucun éclaircissement ; on ne savait qu’inventer ; un jour il s’agissait d’un ambassadeur accrédité près du gouvernement de la République et, le lendemain, d’une personnalité touchant de très près au chef de l’État.

Toutes ces calomnies avaient leur contre-coup à l’étranger ; les souverains se sentaient en péril d’être insultés en la personne de leurs représentants, et la presse allemande insinuait, joyeuse, que désormais de simples chargés d’affaires suffiraient auprès de la République. On dut exiger du gouvernement suisse des excuses pour une insulte grave faite à la France pendant le carnaval de Berne[29]. Une méprisable tentative de discrédit fut dirigée contre les Caisses d’épargne et faillit causer une panique[30]. À chaque instant, on se croyait trahi : on dénonçait comme vendus à l’étranger, tantôt un journal, tantôt une agence de nouvelles politiques. La dénonciation la plus retentissante fut formulée par M. Déroulède contre M. Clemenceau en termes d’une éloquence indignée : le leader du parti radical paya, ce jour-là, en voyant toutes les mains se détourner de la sienne, le plaisir immoral qu’il avait pris à jouer à la politique comme on joue à la Bourse, à entretenir dans l’opinion de dangereuses utopies, à entraver continuellement la marche des affaires ; toute son existence politique n’avait eu qu’un but : détruire, et qu’un moyen : l’intrigue. Les hommes sont mus, le plus souvent, par le désir ardent de se dépasser, de se supplanter les uns les autres : celui-là n’était pas anxieux de gagner lui-même ; empêcher les autres de gagner lui suffisait ; il ne souhaitait qu’une puissance négative et aimait à l’exercer, à l’imprévu ; son dilettantisme morbide le poussait à paralyser les initiatives, à décourager l’effort sincère, à semer la défiance, à susciter des obstacles, à lever des haines, à utiliser des rancunes ; les qualités de son esprit rendaient son action redoutable, car la logique pure semblait diriger sa pensée, et la précision de son langage en doublait la force ; il arrivait par là à imposer son commandement à des troupes de hasard qui se débandaient ensuite, un peu confuses d’avoir participé à l’œuvre néfaste.

En peu de temps une grande partie du personnel gouvernemental se trouva renouvelé ; les hommes étaient disqualifiés les uns après les autres, tantôt pour des fautes plus ou moins graves, mais caractérisées, tantôt pour des peccadilles sans importance ; la folie des dénonciations avait à ce point troublé les esprits qu’on ne savait plus distinguer le vrai du faux, ni les actes repréhensibles d’avec ceux qui avaient été simplement inopportuns ou maladroits. Le ministère subit une transformation : le président du conseil prit le portefeuille de l’intérieur ; MM. de Freycinet, Loubet et Burdeau se retirèrent[31] ; on ne manqua pas de dire qu’ils s’étaient sentis « compromis ». Ces « débarquements » successifs divertissaient et intriguaient en même temps la galerie ; sans tenir compte à M. Ribot de la crânerie avec laquelle il résistait à l’orage, on lui reprochait avec acrimonie le moindre mouvement d’humeur, la moindre nervosité ; il ne se lassait pas pour cela de démasquer l’odieux calcul de ceux qui avaient provoqué cette douloureuse crise, ni d’inviter au calme et au sang-froid la majorité républicaine.

Le président de la Chambre ne fut pas réélu ; on reprochait à M. Floquet d’avoir dicté à la Compagnie de Panama ses libéralités à la presse et de lui avoir recommandé certains journaux favorables à la République, de préférence à d’autres ; M. Casimir-Périer fut élu à sa place[32]. Quant au président du Sénat, il quitta volontairement et sans prétexte plausible le poste qu’il occupait depuis si longtemps. Ces changements comblaient de satisfaction les organes des partis inconstitutionnels, lesquels en concluaient que l’ingratitude est l’essence même de la République ; ils développaient ce thème philosophique en l’appuyant sur des exemples et opposaient, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, l’empressement à récompenser les services rendus, qui distingue les gouvernements monarchiques, à l’indifférence que la démocratie témoigne à ceux qui l’ont le plus fidèlement servie ! Par malheur, en attribuant à Jules Ferry la succession de M. Le Royer, les sénateurs donnèrent un démenti à cette thèse déclamatoire ; la mort semblait attendre, pour frapper le grand homme d’État, que la justice de ses compatriotes eût mis fin à l’ostracisme qui pesait sur lui. Trois semaines plus tard, Jules Ferry mourut subitement, et ses obsèques revêtirent le caractère d’une grande réparation nationale[33]. Au milieu de tous ces affolements, la parole pontificale s’éleva de nouveau ; dans une lettre adressée à M. de Mun, le Pape maintint ses précédentes instructions et condamna implicitement l’entreprise des ennemis de la République.

Elle allait échouer ; leur calcul se trouvait faux ; en sériant bien les révélations et les scandales, ils s’étaient flattés de tenir l’opinion en haleine jusqu’aux élections ; ils avaient compté sur la résistance du gouvernement, s’imaginant que les quelques défaillances dont ils avaient acquis la preuve n’étaient que l’avant-garde d’une multitude immense de fautes et de félonies dont ils découvriraient les traces les unes après les autres. Loin de fuir la lumière, le gouvernement avait aidé à la faire, et, somme toute, on arrivait à un résultat tout opposé à celui qu’on avait poursuivi. Même en admettant que certaines des ordonnances de non-lieu rendues en faveur des membres du Parlement compris dans les poursuites fussent dictées par une trop grande indulgence[34], on était loin de cette accusation d’ensemble lancée contre tout un parti, de ce soupçon général dans lequel on englobait l’armée républicaine presque tout entière. Par contre, le procès de Panama avait mis à nu d’étranges mœurs financières et fait connaître la décrépitude morale d’une portion de la société qui ne s’occupait point de politique et chez qui la soif de l’argent avait oblitéré la notion de l’honneur et du devoir. À la lueur de cette sinistre découverte, ce qu’on a appelé « l’antisémitisme » prenait soudain un sens et une portée ; à travers les exagérations coupables et l’exaltation haineuse de ses instigateurs, ce mouvement de révolte s’expliquait, s’excusait presque. Seulement il était aisé de deviner que la foule, toujours simpliste, en viendrait à couvrir d’un même mépris juifs et chrétiens, et étendrait aux capitalistes en général la responsabilité des pratiques détestables qui venaient de lui être révélées. Il ne pouvait résulter de tout cela qu’un progrès des idées socialistes et une force d’argumentation ajoutée à celles dont disposent les partisans de la limitation des fortunes privées. Le monde politique avait été le plus visé ; il était le moins atteint. On avait voulu établir la vénalité des « nouvelles couches » : on arrivait à démontrer leur résistance à une tentation dont le public ignorait jusque-là la force et la fréquence ; au lieu de prouver que beaucoup de votes avaient été vendus, on prouvait qu’il s’était trouvé beaucoup de monde pour les acheter, ce qui était bien différent.

Comme s’apaisait l’effervescence panamiste, une crise ministérielle intervint, et M. Charles Dupuy devint président du conseil[35]. Dans la déclaration lue devant le Parlement, on remarqua cette courte phrase qui formulait avec une brusque et noble franchise la moralité à tirer des derniers événements : « Une leçon, toutefois, se dégage de ces épreuves : c’est que l’aisance et la fortune ne s’acquièrent que par le travail et ne se conservent que par la correction des mœurs et la dignité de la vie. » Nul mieux que le nouveau chef du cabinet, qui, sorti des rangs les plus humbles, avait derrière lui une vie de droiture et de labeur honnête, n’était qualifié pour prononcer ces belles paroles ; mais ils étaient beaucoup qui avaient le droit de les répéter. Dans les démocraties, l’attrait qu’exerce le pouvoir peut amener les hommes à consentir des compromis avec leur conscience et à flatter les passions du peuple, devant lequel, en fin de compte, chacun est responsable. En France, il existe un danger de plus : le pouvoir garde les formes et les apparences de l’état de choses monarchique ; les gouvernants ne reçoivent pas seulement le dépôt de l’autorité ; ils habitent de somptueux palais ; on leur rend des honneurs ; ils échappent, en quelque sorte, à leur milieu habituel, et tout le temps que durent les fonctions à eux dévolues par la majorité dont ils sont les délégués, leur existence matérielle est embellie et transformée ; ce sont là des avantages auxquels il est dans la nature humaine de s’accoutumer rapidement et de renoncer avec peine. Si l’on fait le compte de ceux qui ont abandonné sans hésitation, sinon sans regret, les lambris dorés des demeures officielles pour reprendre une vie étroite et modeste, on verra que la troisième République a été servie avec un désintéressement que bien des monarchies n’ont pas connu.

La manie des délations s’éteignit avec l’affaire dite des faux papiers. Le journal la Cocarde annonça un jour à grand fracas qu’il se trouvait en possession de documents des plus graves soustraits à l’ambassade d’Angleterre : la rédaction donnait même à entendre que le vol avait été organisé par ses soins. Naïvement, M. Millevoye porta à la tribune de la Chambre lesdits documents et en donna lecture : sa communication fut accueillie par un fou rire, tant la ridicule exagération du langage et l’absurdité des idées en disaient clairement l’origine falsifiée. Les députés furent un peu confus d’avoir écouté ces sornettes, et l’opi- nion de s’y être laissé prendre.

Le calme était déjà revenu dans les esprits quand s’ouvrit la période électorale. Les chefs et les hommes importants de chaque parti avaient chacun leur mot à dire. MM. Casimir-Perier, Constans, Spuller, firent entendre la note modérée, et M. Goblet donna le la aux « socialistes de gouvernement ». M. Léon Say parla en vieux libéral, et M. d’Haussonvilie en monarchiste impénitent ; les constitutionnels entraient en scène sous la direction très loyale du prince d’Arenberg, leur lieutenant-colonel[36]. M. Dupuy se disait assuré du succès de cette grande consultation nationale ; sa bonhomie, son bon sens plaisaient au pays, charmé de trouver enfin un homme sûr de lui ; la confiance était peut-être la qualité qui avait le plus fait défaut à ses prédécesseurs ; on ne l’en appréciait que davantage. Rien ne troublait la sérénité du président du conseil, ni les désordres provoqués par les étudiants, qui, secondés puis débordés par les ouvriers en grève, mirent, pendant deux semaines, un quartier de Paris en révolution[37], ni les complications extérieures que pouvait entraîner l’action très énergique de l’escadre française au Siam[38].

Les élections eurent lieu les 20 août et 3 septembre 1893 ; elles renvoyèrent au Palais-Bourbon 311 républicains de gouvernement, 122 radicaux, 35 ralliés, 58 réactionnaires et 49 socialistes. La République gagnait une soixantaine de sièges ; les principaux metteurs en scène de la tragi-comédie panamiste, MM. Delahaye, Andrieux, Drumont, échouaient, ainsi que MM. Naquet, Maurice Barrès, Saint-Martin, épaves du boulangisme. M. Clemenceau était, lui aussi, rendu à la vie privée, tandis que MM. Burdeau, Jules Roche, Rouvier, Arène et tous les ministres obtenaient le renouvellement de leurs mandats et d’importantes majorités.

Le suffrage universel ne s’était pas encore prononcé avec une pareille netteté ; mais son verdict s’accentuait sans se modifier : c’étaient toujours la même réponse négative donnée aux agités et aux « amélioreurs », toujours le même mot d’ordre de progrès lent et sage, la même répugnance pour les solutions violentes, la même méfiance de l’absolu. Jamais institution n’a été plus attaquée et plus vilipendée que le suffrage universel ; les réactionnaires y voyaient la cause première de tous les maux dont ils s’affligent ; il représentait pour eux ce qu’est aux cléricaux la fraoc-maçonnerie. Mais, en même temps, l’espoir leur restait de quelque grand revirement qui pourrait s’opérer grâce à lui ; ils escomptaient ses colères irréfléchies, sa mobilité, et ne pouvaient prévoir la persévérance rigide de ses indications[39]. « Les individus isolés qui prennent part à une élection, a dit Aristote, jugeront moins bien que les savants ; mais, réunis, ils vaudront beaucoup mieux. » Il était réservé à la troisième République de montrer combien cette parole est demeurée juste à travers les temps. Le suffrage universel a recueilli des mains de ses fondateurs le présent gouvernement, et l’a conduit parmi des obstacles nombreux et redoutables jusqu’à l’âge de sa majorité. À trois reprises, la pression des hommes et des circonstances s’est exercée sur lui sans parvenir à le faire dévier ; ni en 1877, ni en 1889, ni en 1893, on n’a pu obtenir de lui la condamnation des républicains : il avait montré, en 1885, qu’il savait apprécier leurs fautes et n’y restait pas insensible ; mais pourquoi une révolution là où une indication suffisait ?

Pour expliquer leurs défaites successives, les opposants ont eu recours au facile reproche d’ingérence officielle ; l’ingérence s’est exercée, il est vrai, grâce à cette centralisation administrative qui donne au préfet, représentant du ministre, une autorité plus considérable que celle appartenant au ministre lui-même ; quand le préfet veut faire du zèle ou que ses propres opinions l’entraînent au delà des instructions qu’il a reçues, des armes se trouvent à sa portée dont il peut faire un usage abusif ; mais, pour énergique que puisse être son action, elle ne s’en exerce pas moins dans une sphère restreinte ; le nombre est considérable de ceux qu’elle n’atteint pas et sur qui s’exerce, au contraire, l’action parfois bien plus puissante — parce qu’elle est indépendante et continue — des grands propriétaires fonciers, des riches industriels. Depuis 1877, d’ailleurs, un effort loyal a été fait par le gouvernement pour assurer la liberté des élections, et la comparaison avec les pays étrangers amènera tout homme de bonne foi à cette conclusion que le suffrage universel est, en France, aujourd’hui, aussi libre que le permet la vie publique, encore si imparfaite ; il est plus libre, en tout cas, que ne le fut jamais le suffrage restreint.

Le 13 octobre 1893, la flotte russe entra à Toulon, venant apporter à la France un nouveau message d’amitié ; les manifestations de sympathie entre les deux peuples, moins spontanées qu’à l’époque de l’entrevue de Cronstadt, furent plus grandioses et de signification plus éclatante : il était désormais impossible de nier l’existence d’un accord durable entre l’Empire moscovite et la République ; l’Europe s’en montra chagrine, et certains correspondants de journaux étrangers à Paris mirent à décrire les fêtes franco-russes toute la malveillance dont ils étaient capables. Le peuple de la capitale, il est vrai, mêla à son enthousiasme un peu de puérilité, et la dignité nationale eut à souffrir parfois de ses démonstrations trop joyeuses. Il sut, du moins, les suspendre pour voir passer les solennelles funérailles du maréchal de Mac Mahon ; derrière le cercueil de l’ancien Président de la République, toutes les armées se trouvèrent représentées dans un hommage unanime qui s’adressait à la nation entière ; elle y trouva la juste récompense de bien des labeurs et de bien des efforts.

À la rentrée, un nouveau ministère fut constitué. M. Casimir-Perier apparaissait comme l’homme nécessaire ; on attendait qu’il donnât un nouveau prestige à la présidence du conseil ; jusque-là, le chef du cabinet avait été presque l’égal, en pouvoir et en autorité, de ses collègues ; les uns et les autres se mettaient d’accord et arrêtaient un commun programme ; on avait reconnu les inconvénients de cette méthode, et on souhaitait la voir se modifier dans le sens du parlementarisme britannique ; c’était au « premier » à avoir son programme et à trouver des collaborateurs pour l’appliquer. M. Casimir-Perier prit donc le pouvoir[40], et son prédécesseur, M. Charles Dupuy, exerça à sa place les fonctions de président de la Chambre. Il s’y distingua en une circonstance tragique. Le 9 décembre 1893 un anarchiste, du nom de Vaillant, lança des tribunes de la salle des séances une bombe dont un hasard providentiel atténua les terribles effets ; il y eut des blessés[41], mais point de morts. Comme l’explosion emplissait la salle de fumée et jetait le trouble parmi les assistants, le président Dupuy prononça ces simples paroles, désormais historiques : « Messieurs, la séance continue… » Les députés demeurèrent à leurs places, et la délibération[42] fut à peine interrompue. De tels incidents, pour pénibles et inquiétants qu’ils fussent, ne pouvaient diminuer l’impression de calme bienfaisant qui pénétrait les esprits. Chacun sentait que la période des grandes luttes politiques était close et que les oppositions dynastiques avaient perdu leur raison d’être.

Ici, au seuil de cette année 1894, que devait assombrir un grand deuil national, nous arrêterons cette étude : la pousser plus loin, ce serait s’exposer à empiéter sur l’avenir incertain ; les événements qui l’ont marquée n’ont pas achevé de produire leurs effets ; il en est un dont les conséquences se sont manifestées, toutefois, avec une instantanéité qui permet de les apprécier dès maintenant. Le crime du 24 juin 1894 a donné à la République la consécration suprême ; les misérables qui l’ont conçu n’avaient point songé aux chocs en retour de l’éternelle justice. Après avoir offert l’exemple de toutes les vertus publiques et privées, le président Carnot se préparait, sa tàche accomplie, à remettre en d’autres mains les hautes fonctions qu’il exerçait depuis 1887. Il s’estimait heureux d’avoir consacré à son pays, selon sa promesse, tout ce qu’il avait de force et de dévouement, et pensait rester fidèle à l’esprit de la Constitution en n’acceptant pas le renouvellement de ses pouvoirs. Il goûtait une dernière fois, dans les rues illuminées de Lyon, la joie des acclamations sincères et d’une popularité qui allait s’accentuant chaque jour. Il venait de prononcer un de ces discours réfléchis où l’on était toujours certain de trouver un appel à la concorde, un motif d’espérer en l’avenir ou une raison de croire au progrès. Dans cette ville en fête, un misérable, qui ne l’avait jamais vu, marcha à sa rencontre et, l’ayant aperçu, le tua.

Ses amis et ses ennemis ont dit de lui qu’il était honnête ; mais ce mot-là ne devrait pas avoir pour lui le même sens que pour les autres : il était honnête, en effet, d’une honnêteté exquise et rare qui s’étendait à toutes les minutes de son existence et à toutes les manifestations de sa pensée, d’une honnêteté si pure, si droite, si absolue que la France oublia parfois de s’en apercevoir, comme si elle eût trouvé tout naturel d’avoir pour chef le plus vertueux de ses fils.

L’histoire détaillera les services rendus par le président Carnot à son pays, le prestige dont il sut entourer ses fonctions, l’influence discrète, mais efficace, qu’il exerça sur ses ministres, son amour de la paix, son souci d’encourager les initiatives, ses sympathies pour la jeunesse, sa confiance sereine dans les jours difficiles et sa foi invincible aux destinées de la patrie. Elle dira surtout qu’il a mérité de servir son pays par delà la mort, car son sang a empourpré les sommets de la République. Les hommes aux humbles origines qui l’ont faite ont tous été grandis par le poignard de Caserio, et la vieille Gaule a senti, assemblée autour de ce tombeau, que ses destinées nouvelles et ses libres institutions venaient de recevoir le baptême aux yeux des peuples et des rois.

  1. Voir le chapitre x : « La République et l’Église. »
  2. M. Tirard, qui cherchait une occasion de se retirer, prit pour prétexte un vote hostile du Sénat à propos de l’expiration du traité de commerce de 1861, entre la France et la Turquie. M. de Freycinet forma le nouveau cabinet avec MM. Rouvier, Barbey, Yves Guyot, qui conservèrent les portefeuilles des finances, de la marine et des travaux publics, Léon Bourgeois (instruction publique), Ribot (affaires étrangères), Develle (agriculture), Jules Roche (commerce) et Fallières (justice). M. de Freycinet conserva son portefeuille sous les ministères Loubet et Ribot ; il resta cinq ans (de 1888 à 1893) à la tête du département de la guerre.
  3. Peu après l’avènement du ministère Freycinet, le général de Miribel devint chef d’état-major général de l’armée.
  4. À la revue de Poitiers, qui termina les grandes manœuvres de 1892, le général de Cools, dans un élan d’enthousiasme, proclama M. de Freycinet « le grand homme d’État, le grand citoyen qui a voué tous ses efforts et toute sa vie à la reconstitution de l’armée nationale ».
  5. La France envoya cinq délégués, parmi lesquels MM. Jules Simon et Burdeau.
  6. Il est à peu près certain que M. Herbette, ambassadeur de France, eut à peine et au dernier moment connaissance du projet conçu par le jeune Empereur, projet qui avait tout de suite séduit le caractère noble et généreux de sa mère, appelée à le réaliser. La souveraine arriva incognito, mais elle descendit à l’ambassade d’Allemagne, d’où le comte Münster expédia bientôt des invitations qui portaient la mention : « Pour avoir l’honneur de rencontrer Sa Majesté l’impératrice Frédéric. » L’incognito absolu, dès lors, était difficile à maintenir, et la visite de M. Carnot s’imposait. L’Impératrice le comprit, et, désireuse de faciliter toutes choses, elle fit dire au quai d’Orsay que, si le chef de l’État venait déposer sa carte chez elle le lendemain, il ne la rencontrerait point et qu’elle-même irait ensuite rendre visite à Mme Carnot. Le procédé était nouveau et aussi ingénieux qu’incorrect. Le protocole s’en formalisa-t-il, ou bien l’attitude des ex-boulangistes, de M. Deroulède et de ses adeptes, inspira-t-elle des craintes au gouvernement ? Toujours est-il qu’on préféra affecter de considérer l’incognito comme complet.
  7. L’ambassadeur d’Allemagne commit l’imprudence, en menant la souveraine visiter le palais de Versailles, de lui faire traverser le parc de Saint-Cloud, où subsistaient encore, à cette époque, les ruines incendiées du château. L’opinion, déjà nerveuse, en prit ombrage.
  8. Cet acte d’internationalisme capitaliste ne déplut pas aux socialistes : il soulignait la solidarité des « bourgeois » et légitimait celle des prolétaires. Interpellé à ce sujet par M. Laur, le ministre des finances fut approuvé par 419 voix contre 29, M. Rouvier avait toute l’autorité nécessaire pour pratiquer une semblable politique : avec lui, les excédents avaient reparu dans nos budgets. La cote de la Bourse démontrait l’excellence du crédit public. Aussi pour l’émission des rentes perpétuelles 3 % le 10 janvier 1891, l’État, qui demandait 869,500,000 francs, se vit offrir 14 milliards et demi.
  9. La négociation se précisa pendant le séjour en Angleterre de l’empereur Guillaume. Son entrée presque triomphale dans Londres, son attitude à Guildhall, les bruits d’accession de l’Angleterre à la Triple Alliance, mécontentaient l’opinion modérée. M. Waddington laissa habilement percer quelque ombrage, et l’invitation fut adressée à l’escadre française. Nos navires étaient déjà en route, et bientôt les nouvelles de Cronstadt parvinrent à Paris. Le ministère se trouva dans une grande perplexité : on ne pouvait refuser l’invitation anglaise, et d’autre part il fallait craindre d’affaiblir la portée des fêtes de Cronstadt en leur donnant un lendemain, et surtout dans les eaux britanniques. Le tact et la dignité de l’amiral Gervais et de ses officiers triomphèrent des difficultés de la situation.
  10. Plusieurs conseils généraux s’honorèrent en adressant au Président de la République un hommage bien mérité pour la part qui lui revenait dans la conclusion de l’entente franco-russe. Les conservateurs s’y associèrent.
  11. M. Méline avait occupé le fauteuil de la présidence, au Palais-Bourbon, pendant la durée du ministère Floquet.
  12. Les principales exigences du bill Mac Kinley avaient trait à la présentation de factures authentiques et de certificats d’origine des produits ; les contestations devaient être portées devant un tribunal exclusivement américain.
  13. Discours de M. de Freycinet, président du conseil, prononcé à la Chambre des députés le 22 mai 1891.
  14. Quand vint la discussion du tarif colonial, on l’assimila au tarif général pour les droits d’entrée dans les colonies, et on accorda le bénéfice de la demi-taxe pour l’entrée des denrées coloniales en France.
  15. Le produit des impôts pour 1891 dépassa les prévisions de plus de 400 millions, et l’exercice correspondant de près de 107 millions ; on peut donc dire que la France se trouvait en plein essor industriel. Par contre, des approvisionnements furent faits en vue du prochain changement de régime, en sorte qu’il est difficile de considérer ces chiffres comme normaux.
  16. Peu auparavant, le pape avait accordé à M. Judet, du Petit Journal, une interview qui fit quelque bruit.
  17. Les incidents qui s’étaient produits à Rome en octobre 1891, pendant les pèlerinages français, et sur lesquels nous reviendrons, n’eurent d’autre importance que de donner occasion aux Italiens de témoigner leurs mauvais sentiments à l’égard de la France. Le gouvernement français, en cette circonstance, ne se montra pas à la hauteur de sa tâche.
  18. La crise fut longue : MM. Rouvier et Bourgeois avaient tenté vainement de la résoudre. M. Loubet prit le portefeuille de M. Constans ; MM. Barbey, Fallières et Yves Guyot furent remplacés par MM. Cavaignac, Ricard et Viette. Peu après, M. Cavaignac, atteint par un vote de la Chambre qui lui enjoignait de mettre les forces navales sous le commandement du chef de l’armée de terre pendant l’expédition du Dahomey, se retira. M. Burdeau lui succéda et confia le commandement de l’expédition au colonel Dodds.
  19. Elles donnèrent les résultats suivants :

    Avant les élections, on comptait 20,642 conseils municipaux républicains contre 15,402 réactionnaires ; après les élections, on comptait 23,524 conseils municipaux républicains contre 12,409 réactionnaires.

    22 chefs-lieux de département ou d’arrondissement demeuraient aux mains des réactionnaires contre 336 dirigés par les républicains.

  20. Elles donnèrent un gain net de 181 sièges aux républicains.
  21. L’empereur de Russie se trouvait alors à Kiel avec l’empereur d’Allemagne ; la visite du grand-duc Constantin fut considérée comme destinée à ôter à l’entrevue de Kiel toute signification politique.
  22. Il y eut quatre explosions entre le 29 février et le 27 mars. Puis, Ravachol ayant été capturé, le restaurant Véry, lieu de son arrestation, sauta. Ce furent ensuite les bureaux de la Compagnie de Carmaux, dont les ouvriers étaient en grève, que les anarchistes voulurent détruire ; mais la bombe fut transportée au commissariat de police de la rue des Bons-Enfants : c’est là qu’elle éclata en faisant de nombreuses victimes.
  23. Cet incident occasionna dans la Chambre quelques pugilats : on appela cette journée la « journée des gifles ». À la reprise de la séance, qu’on avait dû suspendre, M. Constans s’excusa d’avoir cédé à un mouvement de colère bien légitime.
  24. M. Burdeau, rapporteur du projet de renouvellement de la Banque de France, avait conclu à son adoption. Drumont l’accusa d’avoir été payé par les Rothschild. Poursuivi et ne pouvant fournir la moindre preuve de son dire, il fut sévèrement condamné, M, Burdeau mourut président de la Chambre en 1894 : il ne s’était jamais consolé d’avoir été soupçonné.
  25. On commençait déjà à en parler, bien que deux années dussent encore s’écouler avant la fin du septennat.
  26. MM. Brisson et Casimir-Périer avaient échoué dans la tâche de former un cabinet, M. Ribot conserva ses anciens collègues ; il se borna à remplacer MM. Ricard et Jules Roche par MM. Ch. Dupuy et Siegfried. M. Dupuy prit l’instruction publique ; son prédécesseur, M. Léon Bourgeois, eut les sceaux. M. Siegfried entra au commerce.
  27. C’est ainsi que le docteur Herz avait été élevé en 1886 à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur. M. de Freycinet, auquel on demanda compte de cette nomination, fut assez embarrassé de s’en expliquer. Le docteur Herz était le type du politicien américain véreux, type inconnu en Europe : la corruption était pour lui non seulement une arme, mais un sport. Il ne se contentait pas de s’en servir : il y prenait plaisir.
  28. Paroles prononcées à la Chambre par M. Ribot, président du conseil.
  29. Une cavalcade internationale contenait un groupe représentant la France ; on y voyait le chef de l’État et les ministres conduits, les menottes aux mains, entre des gendarmes.
  30. La question des Caisses d’épargne avait fait l’objet, l’année précédente, d’un projet de loi. En 1875, le total des sommes déposées ne dépassait pas 680 millions. En 1891, il était de 3 milliards 655 millions : ce résultat s’expliquait tant par la méfiance causée par les désastres financiers que par les facilités accordées aux déposants : fondation en 1881 de la caisse postale, fixation à 2,000 au lieu de 1,000 francs du dépôt maximum, etc. Au lieu d’un séjour provisoire, les petits capitalistes trouvaient dans la caisse d’épargne un placement définitif, l’intérêt étant élevé. M. Siegfried proposa, dans un amendement qui porte son nom, d’autoriser la Caisse des dépôts à employer les ressources provenant des caisses d’épargne en prêts directs aux communes.
  31. M. Develle passa aux affaires étrangères ; le général Loizillon et l’amiral Rieunier remplaçèrent MM. de Freycinet et Burdeau.
  32. M. Casimir-Périer fut remplacé, comme vice-président de la Chambre, par M. Félix Faure.
  33. M. Challemel-Lacour lui succéda à la présidence du Sénat.
  34. Les ordonnances de non-lieu rendues, le procès s’engagea le 8 mars à la cour d’appel de Paris : MM. Charles de Lesseps, Baïhaut, ancien ministre, et Blondin furent sévèrement condamnés, les autres acquittés. En vain au cour du procès, d’un incident soulevé par la déposition de Mme Cottu, avait-on tenté de faire un argument contre le ministre de la justice, M. Léon Bourgeois : celui-ci, démissionnant aussitôt, se défendit en termes qui ne laissèrent aucun doute sur sa sincérité.
  35. Les douzièmes provisoires votés à la fin de 1892 étant épuisés, il avait fallu en voter de nouveaux : un conflit financier éclata entre les deux Chambres, et le cabinet fut renversé. Après une tentative infructueuse de M. Méline, M. Charles Dupuy forma le nouveau cabinet. MM, Develle, Viger, Viette, le général Loizillon et l’amiral Rieunier conservèrent leurs portefeuilles. M. Poincaré prit l’instruction publique, M. Peytral les finances, M. Guérin la justice, et M. Terrier le commerce.
  36. Le parti avait pour chef nominal son fondateur, M. Jacques Piou.
  37. À la suite d’une condamnation prononcée contre quelques étudiants coupables d’avoir exhibé au « Bal des Quatre-z-Arts » des costumes indécents, une certaine effervescence s’était manifestée au quartier latin. La police intervint avec brutalité : pendant une charge dirigée contre le café d’Harcourt, un jeune homme inoffensif, M. Nuger, fut tué accidentellement par un objet que lançait un agent ; ce fut le signal de véritables émeutes qui se renouvelèrent pendant plusieurs jours et furent réprimées d’une manière violente. L’association générale des étudiants dégagea sa responsabilité par un manifeste. À la suite de ces événements, M. Lozé, préfet de police, fut pourvu d’un poste diplomatique et remplacé par M. Lépine.
  38. L’amiral Humann força les passes du Ménam et vint mouiller devant Bangkok : un ultimatum fut signifié au roi de Siam et accepté par lui.
  39. « Le suffrage universel est l’honneur des multitudes, la vie légale pour tous, avait dit Jules Ferry en 1863 ; c’est en lui qu’il faut désormais vivre, espérer et croire : même ennemi il faut l’aimer. On a dit des gouvernements qu’ils n’étaient pas des tentes pour le repos ; il faut penser de la liberté qu’elle n’est pas seulement un portique pour la victoire. » Jules Ferry, La lutte électorale en 1863.
  40. M. Casimir-Périer prit les affaires étrangères. MM. Raynal, Burdeau, Spuller, Antonin Dubost, Viger, Marty, Jonnart, le général Mercier et l’amiral Lefèvre furent ses collaborateurs. M. Maurice Lebon occupa le poste de secrétaire d’État aux colonies. Plus tard un ministère des colonies fut créé, qui eut pour premier titulaire M. Boulanger, sénateur.
  41. Le plus grièvement atteint fut M. l’abbé Lemire, député du Nord.
  42. La plupart des parlements étrangers adressèrent à la Chambre française et à son président l’expression de leur sympathie et de leur admiration.