L’Écossaise/Édition Garnier/Avertissement Beuchot

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 5 - Théâtre (4) (p. 402-404).
AVERTISSEMENT

DE BEUCHOT.

Fréron n’a pas toujours dit du mal de Voltaire, et prétendait même que personne n’avait loué plus que lui M.  de Voltaire[1]. Il est très-vrai que l’éloge de l’auteur de la Henriade se trouve dans plusieurs volumes de l’Année littéraire ; mais c’est dans les premiers volumes de cette collection[2]. Les hostilités commencèrent à la fin de 1758[3], et Fréron ne publiait pas un volume sans y faire quelque sortie contre Voltaire, que le plus souvent il nommait, mais qu’il désignait tantôt sous le titre de philosophiste du jour[4], de Hobbes, Spinosa, Collins, Vannini moderne[5], tantôt sous celui de sophiste de nos jours[6]. Voltaire, harcelé sans cesse, perdit patience, et composa l’Écossaise. Une aventure arrivée à Mlle  de Livry qui, après avoir été sa maîtresse, devint marquise de Gouvernet, et à laquelle il adressa l’épître connue sous le nom des Tu et des Vous, lui fournit les rôles de Lindane, de Freeport, et de Fabrice. La pièce imprimée arriva à Paris vers la fin de mai 1760. L’auteur ne la destinait pas à la représentation, et ne l’avait faite que pour faire donner Fréron au diable[7]. La première édition, Londres (Genève), en xii et 204 pages in-12, ne contenait que la Préface et la pièce. L’auteur faisait, pour la seconde édition, graver une estampe où l’on voit un âne qui se met à braire en regardant une lyre suspendue à un arbre. Au bas de l’estampe on lisait :


Que veut dire
Cette lyre ?
C’est Melpomène ou Clairon.
Et ce monsieur qui soupire,
Et fait rire,
N’est-ce pas Martin F… ?

On m’a raconté que Fréron, ayant appris l’usage que Voltaire devait faire de cette estampe, annonça que Voltaire préparait une nouvelle édition de l’Écossaise, qui serait ornée du portrait de l’auteur[8]. Cette plaisanterie empêcha Voltaire de faire ce qu’il aurait voulu ; la nouvelle édition de l’Écossaise parut sans estampe. Mais Voltaire se contenta d’en différer la publication, et la fit distribuer avec Tancrède[9].

Il y avait près de deux mois que l’Écossaise était imprimée, lorsqu’on la représenta sur le Théâtre-Français, le 26 juillet[10]. À la représentation on substitua le nom de Wasp qui, en anglais, signifie guêpe, à celui de Frélon. Le 23 juillet avait été distribuée la requête de Jérôme Carré À Messieurs les Parisiens, qu’on trouvera page 413. L’Écossaise eut seize représentations[11] ; mais pendant qu’on cessait de la jouer sur le Théâtre-Français, on se disposait à la faire paraître sur le théâtre des Italiens, où, le 20 septembre, on donna l’Écossaise mise en vers par M.  de La Grange. Deux parodies furent jouées sur le théâtre de l’Opéra-Comique ou de la Foire : l’Écosseuse, par Poinsinet jeune et d’Avesne ; les Nouveaux Calotins, par Harnv. Ces deux pièces sont imprimées ; la seconde est moins une parodie qu’une pièce faite à l’occasion de la comédie de Voltaire. La Petite Écosseuse, parodie de l’Écossaise, par Taconnet, a été imprimée, mais non représentée.

La Relation d’une grande bataille, imprimée dans l’Année littéraire tome V de 1760, page 209, est un compte rendu de la première représentation.

La Lettre sur la comédie de l’Écossaise, 1760, in-12 de 12 pages, avec cette épigraphe : Usquequo tandem ? est une satire très-violente d’ont l’auteur m’est inconnu.

Le Discours sur la satire contre les philosophes comédie de Palissot, 1760, in-12, est de l’abbé Coyer, qui parle à la fin du succès brillant de l’Écossaise.

Les Avis, petite pièce en prose de 16 pages in-8o, contient des réflexions critiques sur la comédie des Philosophes et sur celle de l’Écossaise.

L’Épître à un ami dans sa retraite à l’occasion des Philosophes et de l’Écossaise, 1760, in-12 de 12 pages, est en vers libres.

Duverger de Saint-Étienne ayant adressé à Voltaire une Épître (en vers) sur la comédie de l’Écossaise, épître imprimée dans le Mercure, deuxième volume d’octobre 1760, pages 41-45, Voltaire l’en remercia par une lettre qu’on trouvera dans la Correspondance, en décembre 1760.

Voici comment les rôles de l’Écossaise étaient distribués : Fabrice, Armand ; Lindane, mademoiselle Gaussin ; lord Monrose, Brizard ; lord Murray, Bellemain ; Polly, mademoiselle Dangeville ; Freeport, Préville ; Frélon, Dubois ; lady Alton, madame Préville ; André, Durancy ; un messager d’État, 'd’Auberval. Les quatre interlocuteurs (dans la scène iii du premier acte) étaient Lekain, Bonneval, Paulin, Blainville.

C’est à cause des noms de Mlle  Gaussin et de Lekain que j’ai donné cette liste, au risque d’encourir quelques reproches. Car je n’ai point oublié que Voltaire avait une aversion invincible pour la coutume nouvellement introduite de donner les noms des acteurs[12].

La substitution de Wasp à Frélon ne fut pas le seul changement que Voltaire fit à sa pièce pour la représentation. Les additions et corrections se retrouvent dans une édition d’Amsterdam (Paris) 1760, in-12 de xii et 108 pages. Je ne sais comment il se fait qu’un assez grand nombre de ces corrections n’est pas dans les éditions suivantes, malgré l’importance ou la justesse de la plupart. Mais je les ai toutes introduites ou rétablies. Les éditions de 1760, Londres (Genève) ; et Amsterdam (Paris), ainsi que leurs réimpressions ou contrefaçons, n’ont d’autre préliminaire que la Préface.

Dans la réimpression qui fait partie du volume publié en 1761, sous le titre de Seconde suite des Mélanges de littérature, etc. Voltaire a rétabli le nom de Frélon, et a mis en tête de la comédie : 1o l’Épitre dédicatoire ; 2o la requête de Jérôme Carré À Messieurs les Parisiens ; 3o un Avertissement ; 4o la Préface (de 1760). J’ai laissé la dédicace à la première place. Immédiatement après elle j’ai mis la Préface (de Voltaire), non-seulement parce que cette préface a précédé la Requête et l’Avertissement, mais surtout parce qu’elle est citée dans la Requête.

En prenant le texte de l’édition d’Amsterdam (Paris), 1760, j’ai conservé cependant les passages ajoutés postérieurement.

  1. Année littéraire, 1769, tome VIII, page 39.
  2. Voyez 1756, tome VIII, page 335 ; 1757, II, 55 ; IV, 192 ; VI, 46 ; 1758, II, 31 ; III, 283 ; IV, 146.
  3. Voyez Année littéraire, 1758, tome VIII, pages 312, 356 ; 1759, II, 203-210 ; III, 242-255 ; IV, 81 et suiv. ; V, 71, 133 ; VI, 137 ; VIII, 9, 23.
  4. idem, 1759, tome I, page 290.
  5. Idem, ibid., page 304.
  6. Idem, 1754, tome IV, page 214.
  7. Lettre à d’Argental, du 27 juin 1760.
  8. J’ai eu beau feuilleter l’Année littéraire, je n’ai pu y trouver cette annonce. Mais je dois dire aussi que j’ai aperçu un carton à la fin du compte rendu de l’Êcossaise (1760, IV, 115-116), et l’existence de ce carton permet de croire à l’existence de la plaisanterie faite par Fréron.
  9. Voyez, dans le présent volume, l’Avertissement de Beuchot sur cette tragédie.
  10. Les Spectacles de Paris, 1761, page 134 ; Année littéraire 1760 V, 209 ; Mémoires de Collé, II. 369 ; le Mercure (août) dit le 27, et d’après lui une note des éditeurs de la Correspondance de Grimm donne la même date. Mais en 1760, le 27 juillet était un dimanche, qui n’est guère le jour des premières représentations. La date du 10 auguste, donnée par quelques personnes à la première représentation de l’Écossaise, est démentie par la lettre de d’Alembert du 3 auguste, qui dit que la quatrième représentation avait eu lieu le 2.
  11. Lettre de d’Alembert, du 2 septembre 1760. Collé, dans ses Mémoires (II, 374), ne parle que de treize représentations.
  12. Lettre à d’Argental, du 16 décembre au soir, de l’année 1760. — La coutume a prévalu tellement, malgré l’aversion de Voltaire, que l’indication des premiers interprètes, dans les pièces tant anciennes que nouvelles, est à présent jugée presque indispensable (1877).