Léon Tolstoï, vie et œuvre/Conclusion du tome 2

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Mercvre de France (Tome 2p. 281-283).


CONCLUSION



Devant nous, dans un court aperçu, a passé presque la moitié de la vie de L.-N. Tolstoï.

Craignant de déformer d’une main inhabile les pensées originales et les témoignages, nous avons tâché, partout où c’était possible, de laisser la parole à Léon Nikolaievitch lui-même ou à ses amis et parents, bornant notre rôle à coordonner cette série intéressante de tableaux.

Malgré que ces matériaux soient bruts, nous pensons que la caractéristique de la personne de Tolstoï, pendant cette moitié de sa vie, doit apparaître clairement au lecteur et nous avons l’intention de montrer ici, en guise de conclusion, quelques traits saillants de ce caractère, que nous avons remarqués, et qui, selon nous, ont agi sur son développement moral ultérieur.

Un de ces traits, c’est son enthousiasme extraordinairement passionné pour tout ce qu’il entreprenait : la chasse, les cartes, la musique, la lecture, les écoles, l’agriculture ; il épuisait jusqu’au bout toute nouvelle impression ; il l’élaborait dans son laboratoire artistique et le donnait au monde sous une belle forme, pénétré d’un sens moral et philosophique élevé. Avec la même passion il marchait à la recherche de la vérité, du sens de la vie humaine, et avec la même force de son génie, il a donné au monde, sous une forme admirable, les résultats qu’il a obtenus.

Un autre trait saillant de son caractère c’était la véracité ; la franchise, qui ne craignait rien, qui souvent lui valait des désagréments, mais l’amenait insensiblement et définitivement à ce Dieu de vérité qu’il servit toujours, souvent même sans le savoir, se le masquant par divers écarts temporaires.

Enfin un troisième trait de son caractère c’était l’amour du bien, la jouissance de ce bien, et le travail incessant sur soi, afin d’élargir le domaine du bien et d’y entraîner les autres, et le désir d’en montrer aux hommes la beauté.

Ces trois traits seuls que nous venons d’indiquer sont suffisants pour acquérir l’influence universelle qui lui appartient maintenant.

Mais en parcourant la première moitié de sa vie, nous apercevons encore un trait remarquable : le mécontentement de soi, de ses œuvres, de ses travaux littéraires. Ce mécontentement se produisait en lui par l’analyse perpétuelle du moi, qui ne lui permettait aucune illusion. Et ce mécontentement n’était pas une plainte maladive et sans cause, il avait une cause profonde, réelle. Ses puissants moyens de développement spirituel manquaient d’une base solide : la synthèse de toutes les idées qui l’émouvaient.

Souvent il s’approchait très près de la solution du grand problème, mais, ne pouvant pas la saisir, il passait devant et, de nouveau, souffrait profondément.

C’est cette hésitation devant la seule décision possible, nécessaire et suffisante (comme disent les mathématiciens) qui explique toutes les contradictions apparentes de ses raisonnements.

Dans le volume suivant, nous nous proposons d’exposer la marche des événements de la vie de L.-N. Tolstoï, qui le conduisirent à ce moment, quand la soif de la vérité et les souffrances dues à l’impossibilité de la trouver atteignant le plus haut degré l’amenèrent à prendre pour seule base de la vie, pour seul guide moral, la religion.