Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVI/Chapitre 12

XII. État du Canada à la paix d’Utrecht.

Cette vaſte contrée s’étoit trouvée, à l’époque de la pacification d’Utrecht, dans un état de foibleſſe & de misère inconcevable. C’étoit la faute des premiers François qu’on avoit vu s’y jeter plutôt que s’y établir. La plupart s’étoient contentés de courir les bois. Les plus raiſonnables avoient eſſayé quelques cultures ; mais ſans choix & ſans ſuite. Un terrein où l’on avoit bâti & ſemé à la hâte, étoit auſſi légèrement abandonné que défriché. Cependant les dépenſes que faiſoit la métropole dans cet établiſſement, & le commerce des pelleteries, donnèrent, par intervalle, quelque aiſance aux habitans. Mais ils la perdirent bientôt dans une ſuite de guerres malheureuſes. En 1714, les exportations du Canada ne paſſoient pas cent mille écus. Cette ſomme, jointe à celle de trois cens cinquante mille livres, que le gouvernement y verſoir chaque année, étoit toute la reſſource de la colonie pour payer les marchandiſes qui lui venoient d’Europe. Auſſi en recevoit-elle ſi peu, qu’on étoit aſſez généralement réduit à ſe couvrir de peaux, à la manière des ſauvages. Telle étoit la déplorable ſituation du plus grand nombre des vingt mille François, qu’on comptoit dans ces régions immenſes.