Histoire naturelle des cétacées/Le Narwal microcéphale

LE NARWAL MICROCÉPHALE[1].



Cette espèce est très-différente de celle du narwal vulgaire ; nous pouvons en indiquer facilement les caractères, d’après un dessin très-exact fait dans la mer de Boston, au mois de février 1800, par M. W. Brand, et que sir Joseph Banks a eu la bonté de nous envoyer.

Pl. 9.


1. Partie de la tête et défenses d’un Narwal Microcéphale. 2. Mâchoire supérieure et autres portions de la tête d’un Cachalot svineval. 3. Physale cylindrique.

Nous nommons ce narwal, le microcéphale, parce que sa tête est en effet très-petite, relativement à celle du narwal vulgaire. Dans ce dernier cétacée, la longueur de la tête est le quart ou à peu près de la longueur totale : dans le microcéphale, elle n’en est que le dixième. La tête de ce microcéphale est d’ailleurs distincte du corps, au-dessus de la surface duquel elle s’élève un peu en bosse.

L’ensemble de ce narwal, au lieu de représenter un ovoïde, est très-alongé, et forme un cône très-long, dont une extrémité se réunit à la caudale, et dont la partie opposée est grossie irrégulièrement par le ventre.

Ce cétacée ne parvient qu’à des dimensions bien inférieures à celles du narwal vulgaire. C’est à cette espèce qu’il faut rapporter la plupart des narwals dont on n’a trouvé la longueur que de sept ou huit mètres[2]. L’individu pris auprès de Boston n’avoit pas tout-à-fait huit mètres de long ; et nous avons dit dans l’article précédent, qu’un narwal vulgaire avoit souvent plus de vingt mètres de longueur.

Malgré cette infériorité du microcéphale, ses défenses ont quelquefois une longueur presque égale au tiers de la longueur entière de l’animal, pendant que celles du narwal vulgaire n’atteignent que le quart de cette longueur totale. Cette proportion dans les dimensions des défenses rend la petitesse de la tête du microcéphale encore plus sensible, et peut contribuer à le faire reconnoître. Dans l’individu dessiné par M. Brand, et dont nous avons fait graver la figure, on ne voyoit qu’une défense : cette arme étoit placée sur le côté gauche de la mâchoire supérieure ; la spirale formée par les stries assez profondes de cette dent alloit de droite à gauche. La longueur de cette défense étoit de huit vingt-cinquièmes de la longueur du cétacée ; mais nous trouvons une défense plus grande encore à proportion dans un narwal dont Tulpius a fait mention[3], qui vraisemblablement étoit de l’espèce que nous décrivons, et dont le cadavre fut trouvé, en juin 1648, flottant sur la mer, près de l’île Maja. La longueur de ce cétacée n’étoit que de sept mètres et un tiers ; et sa défense avoit trois mètres de longueur, en y comprenant la partie renfermée dans l’alvéole, et qui avoit un demi-mètre de long. Au reste, cette défense, décrite par Tulpius, étoit dure, très-polie, très-blanche, striée profondément, et placée sur le côté droit.

Le microcéphale étant beaucoup plus délié que le narwal vulgaire, sa vîtesse doit être plus grande que celle de ce cétacée, quelqu’étonnante que soit la rapidité avec laquelle nage ce dernier narwal. Sa force seroit donc plus redoutable, si sa masse ne le cédoit à celle du narwal vulgaire, encore plus que la vivacité de ses mouvemens ne doit l’emporter sur celle des mouvemens du narwal à grande tête.

Nous venons de voir qu’on a pris un microcéphale auprès de Boston, et par conséquent vers le quarantième degré de latitude. D’un autre côté, il paroît qu’on doit rapporter à cette espèce les narwals vus dans le détroit de Davis, et desquels Anderson avoit appris par des capitaines de vaisseau, qu’ils avoient le corps très-alongé, qu’ils ressembloient par leurs formes à l’acipensère esturgeon, mais qu’ils n’avoient pas la tête aussi pointue que ce cartilagineux.

L’individu pris dans la mer qui baigne les rivages de Boston, étoit d’un blanc varié par des taches très-petites, nuageuses, bleuâtres, plus nombreuses et plus foncées sur la tête, au bout du museau, sur la partie la plus élevée du dos, sur les nageoires pectorales, et sur la nageoire de la queue.

Le museau du microcéphale est très-arrondi ; la tête, vue par-devant, ressemble à une boule. La mâchoire supérieure est un peu plus avancée que celle d’en-bas. L’ouverture de la bouche n’a qu’un petit diamètre. L’œil, très-petit, est un peu éloigné de l’angle que forme la réunion des deux mâchoires, et à peu près aussi bas que cet angle. Les pectorales sont à une distance du bout du museau, égale à trois fois ou environ la longueur de la tête. La saillie longitudinale que l’on remarque sur le dos, et qui s’étend jusqu’à la nageoire de la queue, s’élève assez vers le milieu de la longueur totale et auprès de la caudale, pour imiter dans ces deux endroits un commencement de fausse nageoire. La caudale se divise en deux lobes arrondis et recourbés vers le corps, de manière à représenter une ancre. L’ouverture des évents est un croissant dont les pointes sont tournées vers la tête.


  1. Narwalus microcephalus.
  2. Voyez l’édition de Linné donnée par le professeur Gmelin, article du Monodon monocéros ; la description des planches de l’Encyclopédie méthodique, par le professeur Bonnaterre, article du Monodon narwal ; et Artedi, genre 49, p. 78.
  3. Tulpius, Observ. medic. cap. 59.