Histoire naturelle des cétacées/Le Dauphin orque

LE DAUPHIN ORQUE[1].



Ce nom d’orque nous rappelle plusieurs de ces fictions enchanteresses que nous devons au génie de la poésie. Il retrace aux imaginations vives, il réveille dans les cœurs sensibles, les noms fameux et les aventures touchantes, et d’Andromède et de Persée, et d’Angélique et de Roland ; il porte notre pensée vers l’immortel Arioste couronné au milieu des grands poètes de l’antiquité. Ne repoussons jamais ces heureux souvenirs : ne rejetons pas les fleurs du jeune âge des peuples ; elles peuvent embellir l’autel de la Nature, sans voiler son image

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1. Dauphin Orque. 2. Dauphin Nésarnack. 3. Dauphin Ventru.
auguste. Disons cependant, pour ne rien dérober à la vérité, que l’orque des naturalistes modernes n’est pas le tyran des mers qui a pu servir de type pour les tableaux de l’ancienne mythologie, ou de la féerie qui l’a remplacée. Nous avons vu en écrivant l’histoire du physétère microps, que ce cétacée auroit pu être ce modèle.

L’orque néanmoins jouit d’une grande puissance ; elle exerce un empire redoutable sur plusieurs habitans de l’océan. Sa longueur est souvent de plus de huit mètres, et quelquefois de plus de dix ; sa circonférence, dans l’endroit le plus gros de son corps, peut aller jusqu’à cinq mètres ; et même, suivant quelques auteurs, sa largeur égale plus de la moitié de sa longueur.

On la trouve dans l’Océan atlantique, où on l’a vue, auprès du pôle boréal, dans le détroit de Davis, vers l’embouchure de la Tamise, ainsi qu’aux environs du pôle antarctique ; et elle a été observée par le capitaine Colnett dans le grand Océan, auprès du golfe de Panama[2]. Le voisinage de l’équateur et celui des cercles polaires peuvent donc lui convenir ; elle peut donc appartenir à tous les climats.

La couleur générale de ce cétacée est noirâtre ; la gorge, la poitrine, le ventre, et une partie du dessous de la queue, sont blancs ; et l’on voit souvent derrière l’œil une grande tache blanche.

La nageoire de la queue se divise en deux lobes dont chacun est échancré par-derrière ; la dorsale, placée de manière à correspondre au milieu du ventre, a quelquefois près d’un mètre et demi de hauteur. La tête se termine par un museau très-court et arrondi : elle est d’ailleurs très-peu bombée ; et même, lorsqu’on l’a dépouillée de ses tégumens, le crâne paroît non seulement très-aplati, mais encore un peu concave dans sa partie supérieure[3].

La mâchoire d’en-haut est un peu plus longue que celle d’en-bas : mais cette dernière est beaucoup plus

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1. Crâne et Mâchoire supérieure du Dauphin Orque. 2. Mâchoire inférieure du Dauphin Orque.

large que la supérieure ; elle présente de plus, dans sa partie inférieure, une sorte de renflement.

Les dents sont inégales, coniques, mousses et recourbées à leur sommet ; leur nombre doit beaucoup varier sur-tout avec l’âge, puisqu’Artédi dit qu’il y en a quarante à la mâchoire d’en-bas, et que dans la tête osseuse d’une jeune orque, qui fait partie de la collection du Muséum, on n’en compte que vingt-deux à chaque mâchoire.

L’œil est situé très-près de la commissure des lèvres, mais un peu plus haut. Les pectorales, larges et presque ovales, sont deux rames assez puissantes. La verge du mâle a fréquemment plus d’un mètre de longueur.

Les orques n’ont pas d’intestin cœcum.

Elles se nourrissent de poissons, particulièrement de pleuronectes ; mais elles dévorent aussi les phoques : elles sont même si voraces, si hardies et si féroces, que lorsqu’elles sont réunies en troupes, elles osent attaquer un grand cétacée, se jettent sur une baleine, la déchirent avec leurs dents recourbées, opposent l’agilité à la masse, le nombre au volume, l’adresse à la puissance, l’audace à la force, agitent, tourmentent, couvrent de blessures et de sang leur monstrueux ennemi, qui, pour éviter la mort ou des douleurs cruelles, est quelquefois obligé de se dérober par la fuite à leurs attaques meurtrières, et qui, troublé par leurs mouvemens rapides et par leurs manœuvres multipliées, se précipite vers les rivages, où il trouve dans les harpons des pêcheurs, des armes bien plus funestes.


  1. Delphinus orca.
    Épaulard.
    Oudre.
    Dorque, dans plusieurs départemens méridionaux de France.
    Grampus, en Angleterre (voyez, au sujet de ce nom grampus, l’ouvrage du savant Schneider sur la Synonymie d’Artédi, page 155).
    Fann-fiskar-hnydengen, en Islande.
    Spekhugger, en Norvége.
    Hval-hund, ibid.
    Springer, ibid.
    Orc-svin, en Danemarck.
    Tandthoye, ibid.
    Opare, en Suède.
    Kosatky, en Russie.
    Delphinus orca. Linné, édition de Gmelin.
    Épaulard ou oudre. Bloch, édition de Castel.
    Le dauphin épaulard. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.
    Delphinus rostro sursum repando, etc. Mantissa, M. 2, p. 523.
    id. Artedi, gen. 76, syn. 106.
    Faun. Suecic. 52.
    Gunn. Act. Nidros. 4, p. 110.
    Balæna minor, utrâque maxillâ dentatâ, Sibbaldi. Raj. p. 15.
    Delphinus (orca) pinnâ in dorso unâ, dentibus obtusis. Briss, Regn. anim. p. 373, n. 4.
    Orca. Bellon, Aquat. p. 16, fig. p. 18.
    Espaular. Rondelet, première partie, liv. 16, chap. 9.
    Muller, Zoolog. Dan. Prodrom. p. 8, n. 57.
    Oth. Fabric. Faun. Groenland. 46.
    Hunier, Transact, philos. année 1787.
  2. A Voyage to the south Atlantic sur the purpose of extending the sperma ceti whale fisheries, etc. ; by captain James Colnett. London, 1798.
  3. On peut s’en assurer en examinant le crâne d’une orque, qui est conservé dans les galeries d’anatomie comparée du Muséum national d’histoire naturelle.