Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période alexandrine/Chapitre 4


CHAPITRE IV
LA POÉSIE ALEXANDRINE

BIBLIOGRAPHIE

Théocrite. — Les mss. de Théocrite sont de date relativement récente. Les plus estimés appartiennent aux bibliothèques italiennes (Ambrosianus 222, xiiie s. ; deux Vaticani, 913 et 915, xiiie s. ; Mediceus 37, xive s. ; Ambrosianus 75, xve s. ; qui donne seul l’idylle XXX). Ils remontent à des recensions différentes et n’ont pas encore été classés d’une manière définitive. M. Sogrestaa a entrepris de faire ce travail, mais n’en a pas publié jusqu’ici les résultats. — Les éditions sont nombreuses. Rappelons celles de D. Heinsius, 1603 (avec trad. en vers latins) ; de Heindorf, Berlin, 1810 (comm. de Valckenaer, Brunck, Toup) ; de Gaisford, Oxford, 1821 (dans ses Poete graeci minores, t. II et IV) ; de Meineke, Berlin, 1838. Celle de Ahrens (Leipzig, 1835) est pleine de hardiesses excessives. La meilleure est celle de Fritsche. Leipzig, 180 (3° éd. revue par Hiller, 4881), avec de très savants commentaires. — Trad. allemande (en vers, avec texte grec) de Hartung, 1862. Trad. françaises de Leconte de Lisle, Paris, 1869 (avec Hésiode, etc.) ; de J. Girard, Paris, 1888 ; et beaucoup d’autres. — Bion et Moschos sont joints d’ordinaire à Théocrite dans les mss. et les éditions.

Callimaque. — Les mss. de Callimaque sont, pour les Hymnes, les mêmes que ceux des Hymnes homériques. Pour les épigrammes, ce sont ceux de l’Anthologie. Sur les fragments récemment retrouvés de l’Hécalé, cf. Th. Reinach, Revue des Études grecques, 1893, p. 258-266. — Principales éditions : Ernesti, Leyde, 1761 (2 vol., avec trad. latine, notes, etc.) ; Meineke, Berlin, 1861 (les Hymnes seulement).

Aratos. — Ms. de Venise, Marcianus 476, avec scholies. — Éditions de Buttmann, Berlin, 1826 ; Bekker, Berlin, 1828 ; Kœchly, Paris, 1851 (dans les Poetae bucolici, t. II, de la Biblioth. Didot).

Apollonios de Rhodes. — Mss. principaux : Laurentianus xxxii, 9, du xie siècle (le célèbre mss. d’Eschyle et de Sophocle), et Guelferbytanus, du xiiie s. ; types de deux familles. — Édition critique de Merkel, Leipzig, 1854. Éditions de Wellauer, Leipzig, 1828 ; Lehrs (dans l’Hésiode Didot), Paris, 1862 ; Merkel. Leipzig, 1882 (dans la bibl. Teubner, avec introd. critique). — Trad. française de De la Ville de Mirmont, Bordeaux, 1892.

Anthologie. — L’Anthologie dite de Constantin Céphalas nous a été conservée par le Palatinus 23, du xie siècle, découvert par Saumaise à Heidelberg en 1606. Celle qu’on appelle l’Anthologie Planudéenne vient d’un ms. de Venise, Venetus 481, de la main même de Planude. D’autres mss. de Paris (2720) et de Florence (lvii, 29) renferment une troisième Anthologie, dite « de Thessalos », et une quatrième (Sylloge Crameriana) se trouve dans le ms. de Paris 352 du suppl. grec. Cf. Ouvré, Méléagre de Gadara, p. 9-13. — Principales éditions : Brunck, Strasbourg, 1785 ; Jacobs, Leipzig, 1794-1814 (13 volumes, où les pièces sont classées par auteurs, dans l’ordre chronologique) ; Bibl. Tauchnitz, Leipzig, 1849 (1872), 3 vol. ; Dübner, bibl. Didot, Paris, 1864-1872, 2 vol. avec trad. latine. — La trad. latine, en vers, de Hugo Grotius, est excellente ; elle a paru dans l’éd. de Bosch (Utrecht, 1795) et dans celle de Dübner-Didot. Trad. française de Dehèque, Paris (Hachette), 1863.

Pour les autres poëtes alexandrins, voir les indications données au cours du chapitre.



Sommaire.
Introduction. — I. Les premiers maîtres de l’élégie et de l’épigramme alexandrines. Philétas. Hermésianax. Phanoclès. Alexandre d’Étolie. Asclépiade de Samos. Simias de Rhodes. Posidippe. Hédylos. Bel-esprit et érudition. — II. Les réalistes. Sotadès, Rhinton, etc. Un fragment de mime anonyme ; Hérodas. — III. Les grands artistes alexandrins. Théocrite. Léonidas de Tarente. — IV. Les poètes académiques. Callimaque. Aratos. Apollonios de Rhodes. — V. Un poète bizarre : Lycophron. — VI. Les « épigones » et imitateurs. Épopées d’Euphorion de Chalcis, de Rhianos, d’Archias. Poëmes didactiques d’Ératosthène, de Nicandre. Élégies d’Ératosthène. L’Oaristys. Idylles de Bion, de Moschos. Les épigrammes de Dioscoride, d’Alcée de Messène, d’Antipater de Sidon, de Méléagre, de Philodème, d’Archias. La Couronne et les Anthologies. Conclusion.


Si nous avons commencé l’étude des œuvres alexandrines par celle de tant d’écrits en prose où l’érudition la plus curieuse, mais parfois la plus sèche, s’exprimait en un style incolore, c’est que cette érudition laborieuse est vraiment le caractère essentiel de l’époque et que la poésie même en subit l’influence. Les poètes de ce temps ne sont plus, comme jadis en Grèce, les disciples inspirés d’une tradition ancienne et toujours vivante, chantant pour le peuple, dans des fêtes animées de l’esprit du peuple, en relation étroite avec la vie même de la nation. Il n’y a plus de nation, plus de cité proprement dite : il n’y a plus de peuple qui vive d’une vie à la fois littéraire et morale dans l’enceinte de la cité. Il n’y a que des individus, dont l’immense majorité s’absorbe dans la vie matérielle de chaque jour, traversée parfois de rêves sensuels ou mystiques, tandis qu’une petite élite relit les vieux chefs-d’œuvre. Les poètes écrivent pour cette élite, quelques-uns sont eux-mêmes des érudits ; tous sont des hommes d’étude. Ils ne s’occupent guère du peuple, qui ne parle pas la même langue, qui n’a ni la même éducation ni la même âme. Leur public est un cénacle. Leur poésie s’adresse à des lettrés, qui lisent un poème comme un traité de grammaire, à tête reposée, dans le silence de leur cabinet de travail, ou qui l’écoutent réciter dans une réunion de beaux esprits. De là une transformation profonde du fond et de la forme. Les sujets traités ne sont plus les mêmes, ni la manière de les traiter ; composition, style, versification, tout change. Les genres anciens disparaissent, ou s’altèrent si fortement qu’ils en deviennent méconnaissables ; d’autres naissent ou se développent. Un Pindare, un Eschyle, un Aristophane, transportés dans la Grèce du iiie siècle, s’y seraient trouvés étrangement dépaysés. Le fond de toute poésie, désormais, c’est l’amour. À mesure que la vie de chacun est devenue plus étroitement individuelle, le plus fort des sentiments individuels a passé au premier plan dans la littérature comme dans la vie. Cet amour est surtout sensuel et quelquefois passionné : le plus souvent, il se réduit à une galanterie assez fade. Le mal de cette génération est le trop de littérature : on pourrait lui appliquer, à plus juste titre encore qu’aux Romains du ier siècle, le mot de Sénèque sur ses contemporains : litterarum intemperantia laboramus. L’excès de littérature dessèche les sentiments les plus naturels, et les gâte par le bel esprit, par l’étalage de l’érudition, ou au contraire par une affectation de fausse naïveté. Il y a de tout cela chez les poètes alexandrins : ils chantent souvent des « iris en l’air », ou s’en donnent l’apparence ; car ils semblent moins possédés par leur passion que soucieux de montrer leur savoir mythologique ou de jouer spirituellement la simplicité. L’art de la composition faiblit, comme il arrive toujours quand la sincérité du sentiment diminue : car c’est la préoccupation sincère d’une idée dominante qui maintient d’un bout à l’autre l’unité de ton et l’harmonie ; quand le bel esprit l’emporte, il s’amuse aux détails, il s’attache au « morceau », et n’a plus la force de lier l’ensemble. Le style, au contraire, devient l’objet d’une étude raffinée : ces poètes lettrés, qui écrivent pour d’autres lettrés, ont le culte de la forme ; jamais on ne connut mieux l’art de ciseler une phrase ; jamais on ne mit plus de soin ; plus d’effort, plus de savoir dans le choix des mots ; jamais on ne fut plus artiste d’intention. Le succès ne répondit qu’en partie à tant d’efforts : si la netteté de la phrase fut incomparable, l’inconvénient d’écrire une langue déjà presque morte, ou du moins profondément artificielle, se fit trop souvent sentir chez les plus habiles. La versification, enfin, par cela seul qu’elle s’adresse surtout à des lecteurs, change profondément de caractère. Les rythmes lyriques reculent sur toute la ligne ; l’hexamètre simple ou le distique élégiaque tendent à se substituer à la variété des anciens mètres ; en revanche, la facture de ces deux mètres préférés acquiert une précision et une finesse inconnues. Dans cette transformation radicale de l’art, les genres eux-mêmes sont atteints. L’épopée devient une œuvre de cabinet ; le vieux lyrisme n’a plus l’occasion de se produire que dans quelques cérémonies traditionnelles des pays d’ancienne langue grecque ; la tragédie, déjà compromise par l’abus de la rhétorique au ive siècle, tourne de plus en plus à l’exercice d’école ; la comédie ne survit guère qu’à Athènes. D’autre part, l’élégie amoureuse et mythologique, le mime, la poésie satirique, la bucolique, l’épigramme, l’hymne officiel et mondain se développent. Tous ces genres, chose remarquable, ne comportent guère qu’une étendue restreinte ; les artistes de ce temps ont pleinement conscience, en général, que la brièveté est une loi nécessaire de leur art savant et minutieux ; les Callimaque, les Théocrite le savent et le disent, malgré l’opposition d’Apollonios de Rhodes ; en cela, ils sont vraiment artistes, car ils saisissent avec justesse les conditions essentielles de l’accord à établir entre la nature de leur inspiration et la forme extérieure de leur art.

L’histoire de cette production poétique, à la fois abondante, très diverse, et fort maltraitée par le temps, est difficile à présenter d’une manière tout à fait satisfaisante. L’ordre chronologique est souvent impossible à établir avec rigueur. La division par genres, fréquemment adoptée par les historiens, a le double inconvénient de trop négliger l’ordre des temps, et de correspondre mal à ce fait capital que beaucoup de poètes alexandrins traitent à la fois plusieurs genres. Nous essaierons de montrer avec plus de précision et de souplesse l’évolution générale de l’art dans cette période confuse. Laissant entièrement de côté la nouvelle comédie attique, dont il a été parlé plus haut et qui n’a rien de vraiment alexandrin[1], négligeant aussi les productions tardives du lyrisme proprement dit (poèmes d’Isyllos à Épidaure[2], hymnes delphiques[3]), qui ne sont qu’un pâle reflet de la littérature antérieure, nous nous attacherons exclusivement aux œuvres caractéristiques du iiie et du iie siècle, et voici à peu près ce que nous tâcherons de mettre en lumière : 1o  d’abord l’apparition du pur esprit alexandrin dans les œuvres de Philétas et de son groupe ; 2o ensuite, la veine réaliste qui se montre dans les mimes d’Hérodas, dans les vers de Sotadès et de Timon de Phlionte, dans les œuvres de Ménippe et de Rhinton ; 3o la fusion exquise de ces deux tendances dans les idylles de Théocrite, dans quelques épigrammes de Léonidas de Tarente ; 4o le triomphe de la littérature académique dans les poèmes variés de Callimaque, dans l’épopée didactique d’Aratos, dans l’épopée héroïque d’Apollonios de Rhodes ; 5o l’excès du bel esprit poussé jusqu’à la bizarrerie chez un Lycophron[4] ; 6o enfin, chez les poètes plus récents, chez les « épigones » de ces initiateurs, la continuation des tentatives diverses inaugurées par les maîtres des deux premières générations.

I

Philétas, fils de Télèphe, naquit à Cos, vers 340. Il était grammairien en même temps que poète. Sa réputation le fit choisir par Ptolémée Soter (vers 293) comme précepteur de son fils[5]. Philétas se rendit en cette qualité à Alexandrie, puis revint sans doute à Cos, où il semble qu’il ait passé les dernières années de sa vie, entouré d’un groupe de jeunes poètes amis, qui lui formaient comme une école : Hermésianax, Théocrite, Aratos furent de ce groupe, auquel il faut peut-être joindre aussi Asclépiade de Samos, nommé pourtant par Théocrite à côté de Philétas plutôt comme un contemporain déjà illustre que comme un disciple[6]. On ne sait quand il mourut[7].

La gloire de Philétas fut grande[8]. Il avait composé, outre quelques écrits érudits en prose[9], des élégies amoureuses où il chantait Biltis, un recueil de poésies légères (παίγνια) qui comprenait surtout sans doute des épigrammes, un autre recueil qu’il avait intitulé, du nom de son père, Télèphe, et deux poèmes plus étendus qui sont cités sous des noms distincts, l’un, en vers élégiaques, intitulé Déméter, et l’autre, en hexamètres, intitulé Hermès. C’est à peine s’il nous reste de toute son œuvre une cinquantaine de vers. Nous ne pouvons, sur de si faibles débris, ni juger son talent avec sécurité, ni même déterminer avec une précision suffisante la nature exacte de ses œuvres. Qu’était-ce au juste que sa Déméter ? Qu’était-ce même que cet Hermès, dont nous savons seulement qu’il y avait raconté certaines aventures romanesques d’Ulysse, et, par exemple, l’amour du héros pour Polymélé, fille du roi Éolos[10] ? Quelques-uns de ses vers nous laissent entrevoir une sensibilité discrète et délicate : lui-même, ou l’un de ses personnages, demandait, à son amante, sans doute, quand il ne serait plus, « de le pleurer du fond du cœur avec mesure, de lui adresser quelques douces paroles et de garder un souvenir à l’ami disparu[11]. » Cela est vraiment exquis. Un autre personnage disait avec une douce et sage philosophie :


Je ne te pleure pas, ô le plus cher de mes hôtes : tu as connu les joies de la vie en grand nombre, bien que les dieux t’aient donné aussi ta part des maux[12].


Le poète qui a trouvé ces choses a pu mériter d’être célébré par Théocrite comme un maître, et d’être invoqué par Properce comme un des demi-dieux de la poésie élégiaque[13]. Mais ce ne sont là que des lueurs vite évanouies. Le seul fait qui nous apparaisse encore avec clarté, c’est l’importance de son rôle, attesté par ces témoignages et par la réunion même de quelques poètes distingués ou illustres autour de sa personne. Et ce rôle considérable de Philétas, on se l’explique sans peine par la nature de son talent : il est vraiment le premier des alexandrins. C’est un grammairien et un savant en même temps qu’un poète ; il est curieux des vieilles fables : il donne des modèles définitifs de l’élégie amoureuse et mythologique, de l’épigramme finement ciselée, probablement aussi de l’épopée à demi-familière et romanesque[14]. La Lydé, d’Antimaque de Colophon, avait ouvert cette voie nouvelle dès le début du ive siècle[15] ; mais ce n’était là encore qu’une exception, qu’une tentative isolée, presque prématurée : Philétas eut le mérite de discerner avec finesse ce qui convenait au goût de son temps, et de là vint son influence durable, accompagnée d’une gloire dont nous ne saisissons plus que le lointain écho.


Hermésianax de Colophon, qui fut son ami et son disciple[16], avait composé un poème épique intitulé Les Persiques (Περσικά[17]), et trois livres d’élégies auxquels il avait donné le nom de sa maîtresse. Léontium, à l’imitation de la Lydé d’Antimaque. Des Persiques, nous ne savons à peu près rien[18]. La Léontium nous est beaucoup mieux connue, grâce à quelques indications éparses, et surtout à un long fragment du iiie livre, cité par Athénée[19]. Les indications relatives aux deux premiers livres nous montrent qu’Hermésianax y racontait, en poète érudit et bel esprit, une foule de légendes amoureuses[20]. Le fragment du iiie livre nous permet de mieux saisir encore la nature de son inspiration et la qualité de son talent. L’idée du morceau est que tous les poètes sont amoureux. Hermésianax démontre sa thèse par une longue énumération des plus célèbres amours attribuées à des poètes. C’est de fort mauvais, mais aussi fort caractéristique alexandrinisme, avec la plupart des défauts essentiels de l’époque : absence complète de composition, froideur glaciale du sentiment, puérilité romanesque du thème, érudition à la fois pédantesque et frivole, riche de mots et insoucieuse de la vérité ; le tout écrit dans une langue plus laborieuse que vraiment élégante. Il est curieux de rencontrer tout d’abord, dans l’entourage immédiat de Philétas, un exemplaire aussi accompli des défauts qui menaçaient désormais la poésie.


Phanoclès, vers le même temps[21], avait composé un poème élégiaque intitulé Les amours, ou les beaux éphèbes (Ἔρωτες ἢ καλοὶ). Il y racontait, comme Hermésianax, en vers élégiaques, d’antiques légendes. Vingt-huit vers sur la mort d’Orphée, qu’il attribue à la jalousie excitée chez les femmes thraces par l’amour du poète pour le beau Calaïs, nous ont été conservés par Stobée[22]. Le morceau ne manque pas d’une certaine grâce mélancolique : on comprend qu’il ait pu inspirer Virgile. Les deux premiers mots du fragment, ἢ ὡς… (ou comment), imités du célèbre à ἢ οἵη d’Hésiode, laissent encore entrevoir le procédé de composition, la forme d’énumération artificielle.


Alexandre d’Étolie est encore un de ces fondateurs de l’élégie alexandrine et probablement un des disciples de Philétas[23]. Comme Philétas, il était grammairien et poète. Philadelphe le fit venir à Alexandrie pour travailler à l’organisation de la bibliothèque : c’est à lui que fut confiée la révision des œuvres tragiques[24]. Ses œuvres poétiques étaient variées. Il avait composé des tragédies qui lui valurent l’honneur d’être compté parmi les poètes de la pléiade. L’un de ses drames, les Joueurs d’osselets (Ἀστραγαλισταί), mettait en scène la mort du fils d’Amphidamas, tué par Patrocle à la suite d’une querelle de jeu[25]. On lui attribuait aussi des poèmes intitulés : Phénomènes (Φαινόμενα), Crica (Κρίκα ; sujet inconnu, et authenticité douteuse[26]). Le Pécheur (Ἁλιεύς ; mythe de Glaucos[27]) ; puis deux recueils d’élégies, Apollon[28] et Les Muses[29], où il racontait, à peu près comme ses prédécesseurs et ses contemporains, des légendes amoureuses[30]. Un fragment de trente-quatre vers, tiré de l’Apollon, est une prophétie où le dieu raconte par avance les tragiques amours d’Anthée et de la femme de Phobios. Le morceau révèle un versificateur habile et curieux plutôt qu’un poète vraiment ému[31].


À côté de Philétas et au-dessus des poètes dont nous venons de parler, se place Asclépiade de Samos, leur contemporain[32]. C’est à lui que Théocrite, dans la viie Idylle, fait allusion sous le nom de Sikélidas de Samos[33]. On peut conclure de ce passage qu’Asclépiade était un peu plus âgé que Théocrite et que celui-ci le considérait comme un maître. Il avait composé des œuvres de différentes sortes, et notamment des poésies lyriques : deux mètres lyriques fréquemment employés par Horace, le grand et le petit asclépiade, lui doivent leur nom ; ce n’est pas qu’il les eût inventés, car les poètes de Lesbos les avaient déjà connus ; mais Asclépiade en avait probablement régularisé la facture[34], et il les remit à la mode. L’allusion de Théocrite semble viser également en lui le poète lyrique. Ce côté de son talent nous est aujourd’hui tout à fait inconnu, mais, quelle que fût sa réputation de poète lyrique, c’est surtout comme auteur d’épigrammes qu’il fut célèbre[35], et cette gloire était certainement méritée. Les dix-huit épigrammes qui nous ont été conservées sous son nom dans l’Anthologie Palatine, même en faisant la part des fausses attributions (deux ou trois peut-être), nous le font assez bien connaître. Or plusieurs sont vraiment exquises, et le charme de ces petits poèmes, à leur apparition, dut sembler très nouveau, sinon par le fond, du moins par la forme. Trois ou quatre seulement de ces épigrammes sont des dédicaces d’offrandes (ἀναθήματα) faites à une divinité. Quelques-unes sont des inscriptions (vraies ou fictives) destinées à des statues. La plupart sont de charmantes confidences où le poète nous dit ses souffrances amoureuses, la grâce de l’objet aimé, les mérites d’un poète lu et relu. La mythologie y tient peu de place. Les souvenirs littéraires et l’imitation proprement dite, mais ingénieuse et neuve, s’y rencontrent souvent. Ce qui en fait le grand mérite et la nouveauté, c’est la finesse spirituelle du tour, l’élégance vive de l’image, le soin délicat du style, la netteté scrupuleuse du rythme et de la versification. Les anciens épigrammatistes, et Simonide lui-même, avaient plus d’abandon, plus de négligence parfois. L’art d’Asclépiade est raffiné : entre ses mains habiles, une épigramme est comme un bronze précieux que l’artiste cisèle avec amour. Même l’auteur de la Lydé, cet Antimaque si cher aux Alexandrins, semblait lourd et flou (surtout dans ses épigrammes) en comparaison de cet art nouveau : c’est le sens des critiques que lui adresse Callimaque[36]. Asclépiade fut un véritable initiateur à cet égard : une partie de l’élégance de Théocrite dérive sans doute de ses exemples. Il est difficile de traduire avec fidélité de petits chefs-d’œuvre de cette sorte. Voici pourtant une épigramme où des souvenirs d’Alcée et de Théognis se combinent avec des impressions personnelles de la manière la plus délicate et la plus charmante :


Bois, Asclépiade. Pourquoi ces larmes ? quel malheur t’arrive ? Tu n’es pas le seul dont l’âpre Cypris ait fait sa proie ; tu n’es pas le seul qu’aient abattu les flèches du cruel Éros. Pourquoi t’enfouir vivant dans la poussière ? Buvons le vin pur de Bacchus : l’aurore commence à poindre. Si la lampe s’est éteinte, veux-tu attendre son réveil ? Buvons gaiement. Encore quelques jours, malheureux, et nous aurons la grande nuit pour nous reposer[37].

Avec Asclépiade, citons encore son contemporain Simmias de Rhodes, qui paraît avoir eu du talent[38]. Mais il est surtout célèbre comme auteur de poèmes « figurés », c’est-à-dire de vers assemblés de manière à dessiner par leurs contours un objet quelconque. Son œuf, ses ailes, sa hache nous ont été conservés[39]. Quelques épigrammes de lui ont de la vigueur et de l’élégance.


Posidippe fut surtout, comme Asclépiade, un poète d’épigrammes, et probablement un disciple de ce maître[40]. Il semble avoir connu personnellement Zénon et Cléanthe[41].

Il nous reste sous son nom une vingtaine d’épigrammes dont les sujets se partagent entre trois ou quatre thèmes traditionnels : épitaphes vraies ou fictives, inscriptions d’offrandes, épigrammes amoureuses, moqueuses, philosophiques. Le texte en est si altéré qu’il est difficile de se prononcer toujours, en pleine sécurité, sur le mérite du poète : il semble pourtant avoir eu moins d’originalité que d’application et de savoir. Il ne manque pas d’esprit[42], mais cet esprit est quelquefois contourné ou froid[43]. Comme Asclépiade, il célèbre Mimnerme et Antimaque[44]. Ses plaintes amoureuses s’expriment dans le vocabulaire consacré, sans accent bien personnel. Sa philosophie, mélancolique et pessimiste, a plutôt l’air d’un jeu d’esprit que d’une conviction sérieuse[45]. Quelques formes de langage paraissent trahir une influence curieuse de la langue parlée[46]. Au total, Posidippe n’est pas un poète fort remarquable.


Il faut en dire à peu près autant d’Hédylos, disciple aussi peut-être d’Asclépiade[47], et dont il nous reste une douzaine d’épigrammes[48].

II

Le raffinement des beaux-esprits a souvent pour contrepartie dans la littérature, aux époques qui précèdent ou qui suivent les âges d’équilibre classique, un développement soudain du burlesque, de la parodie, de la grossièreté, ou tout au moins du réalisme. C’est ce qui se produit au début de la période alexandrine : des genres nouveaux apparaissent pour répondre à ce besoin. Nous avons déjà parlé des Silles de Timon et des poèmes de Ménippe[49], qui sont, malgré leur inspiration plus ou moins philosophique, des produits de cette veine. Il y en a beaucoup d’autres, d’origines et de formes différentes : ce sont d’abord toutes les variétés de la satire personnelle, violente et obscène ; puis celles de la parodie littéraire ; enfin les représentations enjouées de la vie familière.


La satire grossière et obscène a pour représentant principal Sotadès, né à Maronée, en Crète, et qui vécut sous les premiers Ptolémées[50]. Ce genre de poésie avait son origine en Ionie, où deux poètes, d’ailleurs inconnus, Simos et Lysis, avaient déjà donné l’exemple de certaines compositions lyriques, très licencieuses, qui lui servirent de modèle[51]. Sotadès garda le rythme de ses prédécesseurs, le rythme ionique, étroitement lié à d’anciennes danses ioniennes d’un caractère voluptueux. Il garda aussi leur dialecte ionien et leur goût de l’obscénité[52]. Mais il se sépara d’eux sur deux points. D’abord il écrivit ses vers pour la simple lecture, et non plus pour le chant[53] : la période alexandrine est un âge de déclin pour le lyrisme proprement dit. Ensuite, il y introduisit des attaques personnelles et méchantes qui paraissent avoir fait sa principale originalité : les rois de Macédoine et d’Égypte furent successivement l’objet de ses sarcasmes, aussi violents qu’intraduisibles[54]. Ce genre d’esprit était dangereux : Philadelphe le fit saisir par un de ses amiraux, au moment où il fuyait Alexandrie, et jeter à la mer cousu dans un sac. Sotadès eut la gloire, si c’en est une, de donner son nom à la forme de vers ionique dont il s’était servi habituellement. Nous ne possédons plus de lui que quelques titres d’ouvrages et quelques rares fragments[55] : les titres, Descente aux enfers, Priape, Bélestiché (nom d’une maitresse de Philadelphe), laissent deviner l’inspiration générale du poète, parodique, satirique et ordurière ; les fragments donnent l’idée d’un écrivain qui ne manquait cependant pas de talent.


La parodie littéraire avait aussi des origines anciennes : la Batrachomyomachie en est un exemple illustre, et la comédie d’Aristophane en est remplie. Mais, au début de la période alexandrine, elle se constitue en un genre nouveau, sous une forme assez différente de celles qui avaient procédé. L’initiateur de cette forme nouvelle est Rhinton, de Syracuse ou de Tarente, qui vécut, comme Sotadès, sous les deux premiers Ptolémées[56]. Suidas lui attribue trente-huit « drames comiques » (κωμικὰ δράματα), du genre qu’on appelait proprement hilarotragédies, c’est-à-dire « tragédies plaisantes ». Un très important passage d’Athénée, fondé sur l’autorité considérable d’Aristoxène, nous fait bien voir les sources populaires de ce genre[57]. La Grande-Grèce de ce temps, comme l’Italie méridionale des époques postérieures, était un pays d’imagination vive et gaie, de mimique expressive, de lazzi toujours jaillissants, la patrie authentique de Polichinelle. Sous une foule de noms divers, on y cultivait la comédie vraiment populaire, improvisée et bon enfant, plein de gausseries joyeuses (φλύακες), de gestes plaisants et plastiques. Les auteurs de ces compositions éphémères s’appelaient γελωτοποιοί, θαυματοποιοί, ἠθολόγοι, μαγῳδοί, ἱλαρῳδοί, etc. L’originalité de Rhinton fut de faire entrer dans la littérature ce qui n’avait eu jusque là aucune prétention littéraire. Il écrivit des pièces qui s’appelaient Héraclès, Amphitryon, Iphigénie, etc., et où les héros de la tragédie figuraient d’une manière plaisante : c’était le Scarron de ce temps-là. Un certain nombre de vases peints reproduisent certainement des scènes empruntées à ce genre de littérature[58]. Rhinton, selon Suidas, était fils d’un potier : c’est peut-être dans l’atelier de son père qu’il avait pris l’idée de cultiver ce genre populaire. Nous ne pouvons d’ailleurs apprécier son talent, car les fragments de ses œuvres, conservés par des glossographes, sont courts et insignifiants. — Il eut des imitateurs : bornons-nous à mentionner Skiras de Tarente, Blaesos de Caprée et Sopatros de Paphos, qui nous sont à peu près inconnus[59].

Ce qui est plus important, c’est l’influence évidente que cette littérature a dû avoir sur certaines formes dramatiques italiennes et romaines, comme l’atellane et le mime : la Grande-Grèce et la Campanie étaient trop près de l’Italie centrale pour que leur action n’ait pas été considérable ; mais ce n’est pas ici le lieu de s’y arrêter.


La représentation simplement vraie de la vie familière, sans caricature outrée, trouve en même temps son expression dans le genre du mime, renouvelé de Sophron et de Xénocrate[60].


C’est peut-être à ce genre qu’il faut rattacher un très curieux fragment retrouvé récemment, sur un papyrus, et qui a été publié pour la première fois par M. Grenfell[61]. Il se compose d’une cinquantaine de lignes écrites sur deux colonnes. La seconde colonne est très mutilée. Les vingt-sept premières lignes au contraire (celles de la première colonne), sont assez bien conservées, sauf quelques mots. Ce ne sont pas des vers proprement dits, mais on y rencontre des séries de dochmiaques qui se suivent, et tout le morceau a l’air d’être rythmé : il était peut-être chanté. Il fait songer surtout à cette sorte de prose rythmique dont Sophron avait donné l’exemple. Par le fond, en effet, il ressemble à un mime. C’est le monologue d’une amante délaissée : mais, à la différence d’un monologue purement lyrique, il comporte un peu d’action : on voit, par les derniers vers intelligibles, que l’amante est arrivée peu à peu devant la maison de l’infidèle et qu’elle le supplie ; elle va peut-être le ramener à elle. Il y a donc, dans ce simple monologue, tout un petit drame ; ce n’est pas un morceau simplement lyrique : c’est un véritable mime. Le nom de l’auteur est inconnu, ainsi que la date où il écrivait : la copie que nous avons sous les yeux a été faite probablement vers le milieu du second siècle[62] ; le morceau peut être du troisième aussi bien que du second. Le mérite littéraire n’en est pas méprisable. Sauf une trace ou deux de bel-esprit, ces plaintes entrecoupées, d’un mouvement rapide et haletant, sont vraiment pathétiques. L’amour qu’elles expriment est purement physique, mais il est touchant par sa sincérité, par sa profondeur, par son humilité, car il a plus de douceur suppliante que de fureur. L’amante délaissée est jalouse de sa rivale, mais elle est surtout éprise de son amant : un peu de pitié la soulagerait[63] ; elle s’efforce de parler raison[64]. À côté de la Médée d’Apollonius et de la Magicienne de Théocrite, il y a là une fine esquisse, originale et vivante. — Le dialecte est la κοινή, mélangée de quelques ionismes.


Les mimes d’Hérodas, récemment retrouvés aussi, sont un monument littéraire beaucoup plus important. Jusqu’à ces derniers temps, Hérodas n’était plus guère qu’un nom : quelques fragments insignifiants ne pouvaient donner aucune idée de son mérite. En 1891, M. Kenyon a publié, d’après un papyrus du Musée Britannique, sept mimes de ce poète, quelques-uns en médiocre état de conservation, mais plusieurs assez complets pour que la physionomie littéraire de l’auteur nous apparût avec clarté[65].

La biographie d’Hérodas ne nous est pas connue. Son nom même prête au doute : on l’appelle Hérodas ou Hérondas[66] ; le papyrus ne porte pas de nom d’auteur. Quelque forme qu’on préfère, le nom est dorien. Xénophon mentionne dans les Helléniques un Hérodas, de Syracuse[67]. Le poète fut peut-être Syracusain, comme Sophron et comme Théocrite ; mais il semble avoir habité surtout à Cos, où se place la scène de plusieurs de ses mimes. Le temps où il vécut est déterminé d’une manière approximative par la manière dont Pline le cite à côté de Callimaque, et surtout par quelques allusions contenues dans ses vers : l’Égypte décrite dans le premier mime est celle de Ptolémée Philadelphe ; la mention d’Apelle et des fils de Praxitèle, dans le mime IV, nous reporte au même temps[68]. Hérodas fut donc un contemporain de Théocrite. Il serait intéressant de savoir s’il le précéda ou s’il le suivit. J’inclinerais à croire qu’il fut plutôt son modèle que son imitateur : outre que l’emploi du mètre choliambique se comprend mieux avant Théocrite qu’après lui, les passages où l’on peut saisir entre les deux poètes certaines analogies semblent conduire à la même conclusion[69]. Mais la chose, en somme, est douteuse[70].

Les mimes d’Hérodas sont de petites scènes dramatiques, à deux ou trois personnages le plus souvent ; un seul est un monologue. Ces personnages sont tirés de la vie réelle ; ce sont de petites bourgeoises, une entremetteuse, un marchand d’esclaves, un maître d’école, un cordonnier à la mode, etc. Le poète nous les montre dans le train journalier de leur existence. Point de grandes passions exceptionnelles, point d’intrigues compliquées et romanesques : c’est une heure de leur journée habituelle qui se déroule sous nos yeux, avec ses soucis vulgaires, ses amusements, ses petites passions, son caquetage familier. La vieille Gyllis vient faire à Métriché des propositions déshonnêtes de la part de Gryllos. Le marchand d’esclaves raconte au tribunal des mésaventures dont il demande justice. Métrotimé prie le maître d’école Lampiscos de châtier son garnement de fils, dont elle dit les mauvais tours. Deux femmes de Cos, venues faire une offrande au temple d’Asclépios, en admirent naïvement les richesses. Bitinna, jalouse d’un de ses esclaves, le querelle et le fait battre. Coritto et Métro se content à portes closes les ingénieuses trouvailles du cordonnier Kerdon. Ce même cordonnier, dans une autre pièce, fait à Métro les honneurs de son étalage. Il n’y a, dans tout cela, ni études profondes de caractères ni analyses morales minutieuses : ce sont de rapides peintures de mœurs, de vifs et légers croquis, des silhouettes amusantes. Point d’action complexe non plus : la brièveté du poème s’y oppose ; mais on y trouve pourtant une ébauche d’action, un mouvement scénique sensible ; il y a un point de départ et un but, avec une marche un peu capricieuse parfois et de jolis détours. Ces petites pièces sont trop courtes pour le théâtre proprement dit : c’est un véritable « spectacle dans un fauteuil », fait pour la lecture solitaire, ou, tout au plus, pour la récitation devant un auditoire peu nombreux.

Les traits que nous venons d’esquisser appartiennent plutôt d’ailleurs au genre même du mime qu’au talent personnel d’Hérodas ; car on les retrouve tout semblables dans les pièces du même genre que nous lisons chez Théocrite. Nous les retrouverions sans doute aussi chez Sophron et chez Xénarque, si nous pouvions encore lire ces écrivains. Ce qui est vraiment personnel, au contraire, et propre à Hérodas, c’est d’abord la nature de son observation, franchement réaliste, presque sans mélange d’idéal et de poésie ; c’est ensuite son style et sa versification.

Le réalisme d’Hérodas prend pour champ d’observation toute la vie moyenne, dont il met en scène les divers sentiments, depuis la liberté vive et crue de certaines conversations hardiment obscènes, jusqu’à l’honnêteté spirituelle d’une femme charmante, en passant par l’impudence comique d’un marchand d’esclaves, la naïveté bavarde de deux commères, les ruses d’un commerçant beau parleur, la vanité coquette et frivole des élégantes : c’est toute la gamme de ces sentiments moyens et ordinaires dont est faite la vie du plus grand nombre. Le poète ne met d’ailleurs dans ses peintures ni âpreté satirique ni complaisance : il est sobre et impersonnel ; il est vrai. Il ne recherche ni ne fuit la grossièreté ; il la rencontre parfois sur sa route, et il la note d’un trait rapide, sans appuyer. Il ne grandit pas non plus ses personnages sympathiques ; il les dessine d’un trait juste et fin. Son réalisme n’est pas amer : il ne va pas jusqu’au pessimisme. Ses personnages sont quelquefois vicieux ou cruels, mais leurs mauvaises passions, le plus souvent, s’arrêtent à mi-chemin, soit par l’effet d’un obstacle extérieur[71], soit faute d’une force intime suffisante[72]. Et cela même est une ressemblance de plus avec la vie ordinaire, où les grands scélérats sont aussi rares que les saints. Ajoutons que cette humanité, moyenne par ses vertus et ses vices aussi bien que par sa condition, est en même temps l’humanité d’un certain milieu ; elle est très nettement caractérisée par la physionomie particulière que prennent chez elle les sentiments fondamentaux de l’espèce humaine. L’impudence du marchand d’esclaves, la jalousie de Bitinna, le Libertinage de Coritto et de Métro appartiennent à un état de société spécial. De sorte que l’observation d’Hérodas, outre son mérite de vérité générale, a encore celui d’une vérité historique et locale.

L’artiste et l’écrivain, chez Hérodas, ne sont pas indignes de l’observateur. — Il écrit en vers choliambiques, c’est-à-dire en vers iambiques « boiteux », dont le dernier pied, par une irrégularité voulue, est un spondée au lieu d’un iambe. Ce vers, cultivé jadis par Hipponax d’Éphèse, était tombé en désuétude. Hérodas le remit en honneur. Il faisait en cela œuvre d’érudit et de curieux, de véritable alexandrin par conséquent, mais aussi d’artiste, car il avait finement senti la convenance qui existait entre ce mètre volontairement inélégant et la nature de son inspiration réaliste. — Le choix du mètre entraînait le choix du dialecte : Hipponax était un ionien ; la forme de vers qu’il avait rendue célèbre appelait l’emploi du dialecte ionien. Hérodas, Dorien sans doute d’origine et de relations, écrivit dans le dialecte d’Hipponax, mais fortement mélangé de dorismes et d’atticismes[73]. Le vocabulaire et la phrase doivent beaucoup évidemment au langage parlé : les mots usuels, les proverbes populaires y abondent. De là, pour le lecteur moderne, une obscurité qu’épaissit parfois encore le mauvais état du texte ; mais il est probable que, pour les contemporains d’Hérodas, l’impression dominante était celle d’une trivialité vivante et savoureuse. — Ce que nous pouvons apprécier, aujourd’hui encore, avec plus de sûreté, c’est l’habileté de l’auteur à faire vivre ses personnages, à les peindre par leur langage. Le discours du marchand d’esclaves devant le tribunal, avec ses appels aux grands principes, ses roueries, ses accents de fausse bonhomie et l’air de canaillerie à demi consciente partout répandu, est fort amusant. Il y a cependant peut-être quelque chose de plus fin encore dans le mime premier, où le long, tortueux, cauteleux discours de l’entremetteuse Gyllis à l’honnête Métriché, puis la courte et souriante réponse de celle-ci, enfin la platitude confuse et reconnaissante de l’entremetteuse, à la fois repoussée et abreuvée, forment un tableau charmant. La colère de la mère qui veut faire punir son fils, dans le mime III, semble un peu excessive ; en revanche, dans le mime IV, celle de la maîtresse jalouse de son esclave, mais qui, malgré sa fureur, saisit pourtant le premier prétexte pour pardonner sans trop avoir l’air de céder à sa propre faiblesse, est d’une observation très délicate. Et quant au simple caquetage des commères dans les autres mimes, sans avoir la saveur exquise de celui des Syracusaines, il est encore très joli et très vrai.

En somme, Hérodas est un fort agréable écrivain, très peu poète quoiqu’il ait écrit en vers, mais spirituellement observateur et vrai.

III

La pure poésie entre dans le réalisme grâce à deux hommes qui, par des voies différentes et avec des mérites inégaux, vont cependant au même but : deux artistes exquis, Théocrite et Léonidas de Tarente.


Théocrite, fils de Praxagoras, naquit probablement à Syracuse[74]. Quelques-uns, selon Suidas, disaient qu’il était de Cos, ce qui s’explique par le long séjour qu’il fit dans cette île. Mais les meilleures autorités l’appellent « Syracusain »[75], et c’est évidemment par son origine sicilienne que s’explique l’inspiration générale de ses Bucoliques. La date de sa naissance est inconnue : on la place tantôt vers 315, tantôt vers 300 ; peut-être faut-il la rapprocher plutôt de cette dernière date[76]. Vers vingt ou vingt-cinq ans sans doute, il se rendit à Cos, où il vécut dans l’entourage de Philétas. Il y connut Asclépiade de Samos, Aratos, le médecin Nicias de Milet, d’autres encore, dont les noms se rencontrent dans ses œuvres. Des relations de famille le rattachaient peut-être à cette île[77]. Il y fit un long séjour. Un peu avant 270, il adresse à Hiéron sa XVIe Idylle, où il lui demande sans détours sa protection ; à cette date, il semble encore habiter Cos[78]. N’ayant pas réussi du côté de Hiéron, il se tourna vers Philadelphe, qui lui fut sans doute plus favorable ; car, peu d’années après, il compose un hymne en son honneur et semble établi dès lors en Égypte[79] : la XIVe et la XVe Idylle ont été, en effet, visiblement écrites à Alexandrie. La date de sa mort n’est pas mieux connue que celle de sa naissance[80]. On voit l’incertitude de cette chronologie[81] : la seule chose tout à fait incontestable, c’est que sa vie se partagea entre la Sicile, la Grande-Grèce, Cos et Alexandrie ; or l’influence de ces divers séjours se reconnaît dans son œuvre[82].

Suidas, énumérant les ouvrages de Théocrite, cite d’abord les Bucoliques, puis, avec doute, un certain nombre d’autres écrits qui lui étaient attribués[83]. Le recueil arrivé jusqu’à nous contient en effet d’autres pièces que des Bucoliques ; mais, si l’on peut, avec certitude ou avec vraisemblance, reconnaitre dans ces pièces diverses quelques débris des huit ou dix recueils signalés par Suidas, il n’en est pas moins vrai que ce sont là de simples débris, des échantillons épars ; le reste est perdu, et de telle sorte que nous ne pouvons en dire quoi que ce soit. Ce qui nous reste comprend, outre quelques morceaux insignifiants, trente « idylles » et à peu près le même nombre d’épigrammes. J’appelle morceaux insignifiants : 1o  un fragment très court d’un poème intitulé Bérénice ; 2o  une sorte de chanson Sur la mort d’Adonis, très plate, et de basse époque évidemment ; 3o  enfin la Syrinx, simple jeu d’esprit sans intérêt[84]. Parmi les épigrammes, il y a un choix à faire : quelques-unes sont manifestement apocryphes, d’autres probablement ; nous y reviendrons. Quant aux Idylles, il faut d’abord remarquer que ce nom, devenu si célèbre, ne figure pas dans l’énumération de Suidas et qu’il ne remonte pas à Théocrite ; il signifie simplement, dans la langue des érudits alexandrins, « petites pièces », et il appartient sans aucun doute au grammairien qui forma le premier recueil de « petites pièces », de pièces détachées ou « pièces choisies » (ἐκλογαί) de Théocrite. Comme les pièces « bucoliques » dominaient dans ce recueil et y tenaient la première place, les mots « idylle » et « églogue » ont dû à cette circonstance l’acception particulière et limitée qu’ils ont gardée chez les modernes[85]. Nous ne savons pas exactement l’histoire des œuvres de Théocrite dans l’âge alexandrin, mais on l’entrevoit. Il y a eu des recueils factices de différentes sortes : tantôt on réunissait ensemble les poèmes bucoliques du seul Théocrite, à l’exclusion des œuvres analogues de ses imitateurs[86] ; tantôt, au contraire, on faisait une sorte de corpus des poètes bucoliques[87] ; ou bien encore on formait des collections de pièces choisies appartenant à divers genres, mais composées par le seul Théocrite ; ou enfin des recueils tout à fait hétérogènes, du genre de l’Anthologie. L’ensemble que nous ont conservé nos manuscrits sous le nom de Théocrite est sorti de ce long travail antérieur. On y lit encore, dans la IXe Idylle (v.  28-36), des vers qui ont dû servir d’épilogue à un recueil exclusivement bucolique[88]. De là vient que cet ensemble comprend d’une part des pièces qui ne sont pas de Théocrite, et d’autre part des pièces de Théocrite qui ne sont pas des bucoliques.

Les pièces apocryphes sont celles qui portent les numéros 19, 20, 24, 23 et 27 (Le voleur de miel. Le jeune bouvier. Les pécheurs. L’amant. L’Oaristys). Quelques-uns rejettent encore les idylles 25 et 30 (Héraclès tueur du lion. L’enfant aimé) et en soupçonnent deux ou trois autres. Nous ne partageons pas ces scrupules ; on verra pourquoi par la suite[89]. Quant aux cinq pièces qu’il faut écarter, nous n’avons que peu de mots à en dire : une seule, L’Oaristys, est une œuvre de grand talent : il en sera question à propos des imitateurs de Théocrite ; les autres, dont le caractère apocryphe se trahit à certains signes manifestes, n’ont en outre qu’une valeur littéraire médiocre ; de sorte que, même si elles étaient de Théocrite, elles ne mériteraient pas de retenir l’attention[90].

Revenons aux ouvrages authentiques. Ils forment plusieurs groupes distincts, soit par leur forme, suit par la nature de leur inspiration. Nous avons déjà mis à part les épigrammes. Voici maintenant des chansons amoureuses en différents mètres (12, 29, 30) ; des mimes dialogues qui font songer à ceux d’Hérodas (14 et 15) ; — d’autres, en forme de monologues, qui tiennent plus ou moins de la chanson amoureuse (2 et 3) ; des poèmes rustiques, tantôt en dialogues, tantôt en récits, tantôt en monodies, tantôt mixtes, qui tiennent encore du mime (1, 4-11) ; un épithalame mythique (18) ; des récits qui font songer davantage à l’épopée (13, 22, 21, 25, 26) ; deux hymnes (16-17), qui d’ailleurs diffèrent beaucoup l’un de l’autre par le ton ; enfin une sorte d’épître (28). On voit quelle est la variété de ces poèmes : il est indispensable de les étudier par genres, car Théocrite n’est pas exactement le même dans tous. Si la chronologie de ces œuvres était connue, il faudrait en tenir compte aussi ; mais elle ne l’est pas en général. On peut supposer que Théocrite, comme beaucoup de poètes, a dû commencer par imiter ses prédécesseurs et ses maîtres. Dans cette hypothèse, on attribuerait volontiers à la période de ses débuts ses chansons amoureuses, imitées sans doute de celles d’Asclépiade de Samos[91], et peut-être ses idylles épiques. Mais ce n’est là qu’une hypothèse. D’autre part, il y a, dans ses bucoliques, tant de fraîcheur d’imagination qu’on ne peut en reculer trop tard la composition. Le plus simple, et en même temps le plus sûr, est donc d’étudier ses œuvres surtout par genres, en reléguant la chronologie au second plan. Mais il faut d’abord dire quelques mots de son génie, qui relie entre eux tous ces genres divers et les rapproche quelquefois d’une manière inattendue.

L’originalité de Théocrite, parmi tant de beaux esprits ses contemporains, est d’avoir eu, plus que personne alors, deux qualités : une sensibilité forte et vibrante, et le don tout dramatique de créer des personnages vivants.

Cette sensibilité vient moins du cœur que des sens ; mais, dans ces limites, elle est sincère et profonde. Théocrite ne voit pas seulement le monde extérieur (et personne d’ailleurs n’en a plus que lui la vue nette, plastique, colorée) ; il en jouit par tous ses sens ; il l’entend, le touche, le flaire, le goûte, le respire : pour lui, la coupe nouvellement façonnée sent encore l’argile[92] ; la toison de Lycidas sent la présure[93] ; les parfums de l’automne flottent sur la fête des Thalysies[94]. La douceur fraîche de l’ombre et de l’eau, le moelleux d’une couche épaisse d’herbes sèches sont vivement sentis et décrits. Il entend le murmure de la source et le chant des cigales : tous les doux bruits de la campagne emplissent son oreille. Il est capable de passion vraie, d’amour violent : amour tout sensuel, mais sincère, emporté, douloureux parfois, très différent des amours de tête que provoquent des « Iris en l’air » et qui s’exhalent en énumérations mythologiques à la façon d’Hermésianax. Dans Théocrite, on sent l’homme, comme dirait Martial : hominem pagina nostra sapit ; la culture savante, chez lui, n’a pas étouffé la sensation ; l’homme naturel survit dans le lettré.

Il a d’ailleurs le don dramatique. Cet homme si ardent sait sortir de lui-même. Il sait entrer dans l’esprit des autres, penser ce qu’ils pensent, sentir ce qu’ils sentent. Les personnages qu’il rencontre ou qu’il imagine ne sont pas seulement pour lui de vains fantômes, ou des silhouettes, ou des taches de couleur : ce sont des êtres vivants, qu’il voit vivre, c’est-à-dire penser et sentir, dans un certain milieu avec lequel ils sont en harmonie. De sorte que ce sensitif est en même temps très objectif.

Au service de cette riche nature, il a d’ailleurs les dons d’expression qui font l’artiste : une imagination vive qui réveille pour lui les sensations et recrée les personnages ; un art de versification et de style qui lui permet de traduire, par la musique des mots, toutes les nuances de sa pensée, toutes les vibrations de son âme, et qui se prête à rendre le bavardage de deux commères aussi vivement que les plaintes ardentes d’un amoureux. Par ce rare mélange de qualités diverses, Théocrite est à la fois le plus lyrique et le plus dramatique des alexandrins, et cela dans une fusion exquise autant que neuve des deux éléments essentiels de sa nature.

Le côté purement subjectif et lyrique de son génie se montre à nous isolé et distinct dans quelques pièces où il vaut la peine de l’examiner d’abord : ce sont les chansons amoureuses proprement dites (XII, XXVIII, XXIX, XXX), quelques idylles qui ne sont guère encore que des chants d’amour placés dans la bouche de personnages fictifs (la magicienne, II ; l’amant d’Amaryllis, III ; le Cyclope, XI) ; et enfin l’Épithalame d’Hélène (XVII). L’Épithalame est le plus impersonnel de ces chants ; on pouvait s’y attendre : un épithalame est une ode d’apparat, par conséquent une peinture plus générale que personnelle de l’amour légitime, et d’un amour à son aurore. On trouve dans celui-ci de la grâce, une fraîcheur délicieuse, plutôt que de la passion proprement dite ; l’imitation littéraire, d’ailleurs, et en particulier l’imitation de Sappho, semble avoir été pour beaucoup dans l’inspiration du poète. La XIIe idylle, « au bien-aimé » (Ἀΐτης), est la chant da l’amour heureux : quelques vers y peignent avec force, ou avec grâce encore, l’élan tendre de la passion (« j’ai couru vers toi comme le voyageur brûlé par la soleil court vers l’ombre d’un chêne ») ; mais l’amour heureux a plus de loisirs et de liberté d’esprit que l’amour contrarié : on s’en aperçoit ici à quelques traits qui ne sont qu’ingénieux ou délicats, à quelques allusions érudites ou mythologiques qui trahissant l’alexandrin. On peut en dire à peu près autant da la XXIXe idylle, et même de la IIIe (Le chevrier, ou Amaryllis). C’est surtout dans la XXXe, sous son propre nom, ou encore dans la IIe et la XIIe, sous le nom de la magicienne at du cyclope, qua Théocrite a exprimé toute la force de l’amour, exaspéré par la dédain, devenu douloureux et terrible.

La « magicienne » est une jeune fille qui cherche dans la magie un moyen de ramener son amant : un regard a suffi pour la livrer au délire ; depuis, elle se consume et se dessèche, elle a recours à tous les sortilèges. Dans un monologue entrecoupé de refrains, elle poursuit d’abord, avec l’aide de sa servante, sa conjuration magique, puis, restée seule sous la lumière de la lune, elle raconte la naissance de son amour et ses mortels tourments. Toute la pièce est brûlante de passion : Théocrite qui s’est souvenu de Sappho[95], inspirera à son tour la Médée d’Apollonios et la Didon de Virgile :

Voici que se tait la mer et sa taisent les vents : mais au-dedans de ma poitrine ne se tait pas la douleur. Car je brûle toute pour cet homme qui a fait de moi, malheureuse, au lieu d’une épouse, une femme coupable et perdue.

Polyphème aussi, le Cyclope, se meurt d’amour : assis au bord de la mer, sur un rocher, ses yeux cherchant Galatée qui se dérobe, il exhale sa plainte en une longue suite de couplets passionnés et désolés. L’art savant du poète alexandrin se trahit, sans doute, dans ces chants, tantôt par la naïveté voulue du langage, tantôt par des souvenirs mythologiques, tantôt par la grâce piquante de certaines peintures. Mais le fond du sentiment est sincère. L’amour de Polyphème, comme celui de la magicienne, est un amour simple, surtout physique. C’est un délire qui envahit l’âme brusquement, et qui consume le corps, comme dans l’ode de Sappho. Ce n’est pas une de ces amourettes qui s’amusent à des présents « de pommes, de roses, de boucles de cheveux[96]. » C’est une « fureur », près de laquelle tout languit[97]. C’est une maladie, qu’il faut soigner comme les autres, par des remèdes appropries : mais nul remède n’est efficace, sauf un, qui est de chanter son amour :

Contre l’amour, ô Nicias, il n’est point d’autre remède, ni onguent ni poudre, que les Muses : celui-là est doux et salutaire, mais il n’est pas facile de l’employer[98].

Théocrite, avant Goethe, avait trouvé ce remède souverain de l`amour, la création poétique : véritable « purgation de la passion », comme eût dit Aristote. Ajoutons que cet amour ardent et sensuel s’exprime toujours chastement : la passion peut être furieuse, mais les mots en général sont honnêtes[99].

À côté de ces passions brûlantes, voici le don dramatique et objectif dans toute sa netteté impersonnelle. L’idylle des « Pâtres » (Battos et Corydon, IV), celle de « Thyonichos ou l’amour de Cynisca » (XIV), sont des mimes aussi vivants et réels que ceux d’Hérodas, avec le mérite de la grâce en plus. L’amour, il est vrai, n’en est pas absent, et c’est là le trait propre de Théocrite : mais il ne s’y exprime pas avec la fougue ardente et lyrique des pièces précédentes. Ni Battos ni Corydon ne sont amoureux pour leur propre compte ; ou du moins ils ne parlent de leurs amours qu’en passant, ils n’en font pas le sujet essentiel de leur entretien. La causerie est capricieuse, se posant tour à tour sur divers sujets qu’elle effleure : le départ de Milon, le bon bouvier, que regrettent ses génisses ; l’aspect lamentable du troupeau abandonné ; les occupations musicales des deux pâtres ; un souvenir ému à la mort d’Amaryllis ; les menus accidents de la vie pastorale, une chèvre qui s’enfuit, un pied blessé par une épine ; puis, en finissant, quelques propos salés sur les fantaisies amoureuses du prochain. Le tout est d’une vivacité gracieuse et charmante. Eschine, l’un des interlocuteurs de la XIVe idylle, est un amoureux éconduit, mais le poète a moins pour objet de nous attendrir sur ses maux que de nous peindre son caractère vif et emporté : Eschine, dans une narration charmante et dramatique, raconte à Thyonichos comment il a découvert son malheur ; celui-ci cherche à le calmer, il lui propose un remède ; c’est de s’expatrier, de se faire soldat : au service de Ptolémée, il oubliera l’infidèle.

Les plus belles idylles de Théocrite sont celles où il a trouvé le secret de fondre en un tout harmonieux ces qualités lyriques et dramatiques qui vivaient côte à côte dans son esprit. Ce sont des pièces dont la scène, comme dans les précédentes, est tantôt aux champs et tantôt à la ville, et dont le cadre peut être soit dramatique comme celui d’un mime, soit purement narratif, soit mixte.

Pour les idylles rustiques de cette catégorie, le centre lyrique de la pièce est formé par un « bucoliasme » (βουκολιασμός), c’est-à-dire par une lutte musicale et poétique entre deux pasteurs. Cette sorte de chants lyriques alternés était en usage parmi les pâtres de la Sicile et de la Grande-Grèce. Ils charmaient leurs loisirs en jouant de la syrinx, formée de dix roseaux assemblés, et en chantant des airs populaires ou des airs de leur façon. Quand le hasard les réunissait, ils aimaient à se défier, et un voisin décidait quel était le vainqueur. On trouverait encore, dans les pâturages de la Sicile ou de la Corse, des vestiges de ce vieux et poétique usage[100]. Théocrite, fidèle en cela à la vieille tradition des poètes de la Grèce, n’a rien inventé : il n’a fait que recueillir un genre populaire, et l’élever, par la perfection de son art, à la dignité d’un genre littéraire. Cette lutte poétique se pratique de diverses façons : quelquefois, les deux chanteurs font entendre tour à tour une chanson complète, une sorte de petite ode ; d’autres fois, ils improvisent des chants alternés ou « amébées » (ἀμοιβαῖα μέλη), c’est-à-dire que, tour à tour, ils improvisent deux vers sur un thème semblable ou sur deux thèmes qui se font contraste : les thèmes parallèles ou contrastés, qui fournissent ainsi chacun quatre vers, se poursuivent d’ailleurs indéfiniment, au gré des chanteurs. Cette lutte lyrique est donc le centre du poème. Autour de ce chant, le mime rustique se développe à peu près de la même façon que dans l’idylle XIV : avant d’engager la lutte, les pâtres causent et se provoquent. Ou bien c’est le poète qui se met en scène, et un récit amène la lutte poétique. Ou bien encore ce récit n’est qu’un prélude ou une conclusion, et la lutte poétique est encadrée dans un dialogue. Toutes ces formes différentes se ramènent malgré tout à un type essentiel, celui d’un chant lyrique amené et préparé par une mise en scène variable. Telle est aussi la structure des Syracusaines (XV), dont la scène se passe à Alexandrie, et dont les personnages principaux sont des commères de la ville : leur causerie, leur promenade dans Alexandrie, les divers épisodes qui l’animent, tout aboutit à un chant lyrique qu’elles vont écouter, celui qu’une Argienne fait entendre en l’honneur d’Adonis, et la pièce se termine par quelques mots de dialogue qui nous ramènent au point de départ.

Dans ce cadre souple et ferme, Théocrite fait entrer une admirable poésie et toute une conception particulière de la vie.

L’idée dominante est un beau rêve de vie rustique. Ce rêve est fréquent aux époques très civilisées : il naît alors dans quelques âmes où subsiste, sous le raffinement de la culture générale, un arrière-fond de naturel, et de celles-là s’étend à d’autres. Théocrite, nous l’avons vu, était une riche nature. Il avait assez vu la vie des champs pour la bien connaitre ; il avait assez pratiqué les lettres et les cénacles pour rêver au moins d’autre chose, et pour concevoir une sorte de nostalgie poétique des champs et de la montagne. Il évoqua les visions de la vie rustique et en composa son idéal.

Cet idéal, dérivé d’une série d’impressions sincères et formé dans une intelligence qui avait le don de voir les choses avec netteté, renferme une grande part de réalité. Comme tout idéal, pourtant, il est fait d’une réalité transformée : le poète en choisit les traits ; il élimine certains caractères du réel, il en modifie d’autres ; et cela, justement, en vue d’une opposition plus tranchée avec la vie artificielle et complexe de la civilisation contemporaine. Dans ce travail, d’ailleurs, il suit l’instinct de sa nature d’artiste ; il se conforme in son propre génie. — De la une image personnelle et neuve de la nature, des hommes qui y vivent, de leurs pensées, de leurs sentiments, de leurs occupations.

La nature, chez Théocrite, n’est point la dure marâtre décrite par Hésiode ; elle ne présente pas non plus les grands aspects mélancoliques ou tragiques où se complaît parfois le génie de Virgile. Elle est riante et lumineuse. Théocrite ne nous la montre guère que par un éternel beau jour de la saison clémente, dans la montagne ou paissent les troupeaux, dans le champ moissonné, dans l’enclos embaume par tous les fruits de la récolte, sous le grand soleil de la Sicile, avec la ligne bleue de la mer à l’horizon[101]. C’est ainsi sans doute qu’il l’a vue le plus souvent, dans ce pays admirable, lui qui n’était pas un véritable paysan ; mais c’est ainsi surtout qu’il a voulu la voir et qu’il l’a aimée. Les tempêtes et les frimas se sont effacés de son souvenir optimiste. Il n’a retenu d’elle que ses aspects heureux, ceux qui convenaient à son idéal. Dans ces limites, d’ailleurs, il est sincère et vrai. Ses descriptions ont la grâce pittoresque du détail, le trait juste et fin, la couleur et la chaleur de la réalité, parfois même la grandeur qui résulte d’un dessin aussi large que précis. On n’a jamais donné une sensation plus juste et plus forte des richesses de l’automne que dans cette peinture qui termine les Thalysies :

Lycidas, avec son gracieux sourire, me donna son bâton, comme un gage d’amitié, au nom des Muses. Puis il prit sur la gauche et suivit la route de Pyxa. Eucritos et moi, avec le bel Amyntas, nous gagnâmes la demeure de Phrasidamos, ou nous nous couchâmes en des lits épais de lentisque odorant et de pampres fraîchement coupés. Un grand nombre de peupliers et d’ormes balançaient leur feuillage au-dessus de nos têtes, non loin de l’onde sacrée qui s’écoulait en murmurant de l’antre des Nymphes. Et dans les rameaux touffus, les cigales, brulées par le soleil, chantaient a se fatiguer ; et la verte grenouille criait au loin, sous les épais buissons épineux. Les alouettes et les chardonnerets chantaient ; la tourterelle gémissait ; et les abeilles fauves bourdonnaient auteur des fontaines. De toutes parts flottait 1’odeur d’un riche été, l’odeur de l’automne. À nos pieds et à nos côtés roulaient en foule les poires et les pommes ; et les branches, chargées de prunes, se courbaient jusqu'à terre. Un enduit de quatre ans fut détaché du col et de la tête des amphores. Ô nymphes Castalides, qui habitez le faite du Parnasse, le vieux Chiron offrit-il une telle coupe à Héraklès, dans l’antre pierreux de Pholos ? Le nectar qui enivra le berger de l’Anapos, le fort Polyphème, celui qui jetait des montagnes aux vaisseaux, ce nectar qui le fit trépigner à travers les étables, valait-il, ô nymphes, celui que vous nous versâtes auprès de l’autel de Déméter, protectrice des moissons ? Puissé-je enfoncer encore le van dans le grain, tandis qu’elle-même rira, les deux mains pleines de gerbes et de pavots[102].

Dans cette belle et clémente nature, Théocrite nous montre plutôt des pâtres que des moissonneurs, que des paysans proprement dits. Le berger est devenu le personnage traditionnel de l’églogue, non le laboureur. C’est encore par la même raison. La vie du pâtre est plus solitaire, plus voisine des grandes scènes de la nature, plus riche de loisirs aussi et plus libre d’accueillir soit le rêve, soit la poésie : elle est plus apte à se transformer en idéal. Le pâtre, d’ailleurs, vit au milieu des animaux, qui sont à la fois une partie de la nature et comme une sorte d’humanité inférieure, plongée dans cette vie simple de l’instinct qui est la plus contraire à celle des civilisés. Théocrite aime les animaux et les peint volontiers, d’une touche légère et sobre. Ses pâtres connaissent leurs taureaux, leurs vaches et leurs chèvres par leur nom, comme de vrais pâtres : ils savent la nature de chacun, les brusques fureurs de celui-ci, la maladie de celle-là, les caprices de cette autre. Ils apostrophent leur chien et lui parlent comme à un ami, comme à un confident. Tout cela est bien vu : Théocrite n’est pas, comme tant d’autres après lui, un idylliste de salon ; il sait les choses dont il parle, et s’il n’en dit que ce qu’il veut, il choisit en connaissance de cause[103].


Ce qu’il aime avant tout dans le caractère de ses pâtres, c’est la naïveté, la simplicité des idées et des sentiments, si différente de ce qu’il voit autour de lui à Cos ou à Alexandrie. De là, non sans quelque parti-pris, une raison de plus d’être vrai pourtant dans l’ensemble. Car ce qu’il veut voir surtout chez ses héros, c’est justement leur caractère propre, ce par quoi ils diffèrent des autres, ce qui fait qu’ils sont eux-mêmes. Ce ne sont point des bergers musqués et enrubannés : ils sont vêtus de peaux mal préparées et de vieilles étoffes retenues à la taille par une tresse de joncs[104]. Ils ont le nez camard et les cheveux en broussaille[105]. Ils sentent la présure et le bouc[106]. Leur sagesse est faite d’expérience héréditaire et s'exprime par des proverbes. Ils sont superstitieux. ils savent que Pan est irritable à midi, que la vue des loups fait perdre la parole, que le mensonge fait pousser un bouton sur le nez du menteur. Ils consultent les sorciers et les vieilles femmes qui ont des remèdes pour tous les maux, des secrets utiles pour toutes les occurrences. Ils sont attentifs aux présages : un tremblement dans l’œil est signe qu’on va voir quelque chose[107]. Il faut quelquefois cracher par dessus son épaule pour conjurer le mauvais sort. Quelques-uns sont des esprits prosaïques et terre à terre, contents de leur tâche de chaque jour ; ceux-là sont surtout des moissonneurs[108]. Même les pâtres se plaisent à bavarder sur des riens[109]. Le plus souvent, ils sont amoureux : ils aiment Amaryllis, la noire et maigre Bombyca, ou de beaux éphèbes. En outre ils sont poètes et musiciens. Ici encore, nous l’avons vu, la réalité sert de point de départ à Théocrite, mais elle est aussitôt dépassée. Il refait les chants de ses bergers, et il les refait en grand poète. Parmi ces chants, les uns sont consacrés à leurs amours : l’un les plus jolis est la chanson que Battos fait entendre en l’honneur de Bombyca :

Muses de Piérie, chantez avec moi la délicate enfant. Car tout ce que vous touchez, ô déesses, vous le rendez beau.

Gracieuse Bombyca, tous t’appellent Syrienne, maigre et brulée du soleil : moi seul je te dis blonde comme le miel.

La violette aussi est noire, et l’hyacinthe gravée : cependant, pour les couronnes, on les cueille d’abord.

La chèvre court après le cytise, le loup après la brebis, la grue après la charrue ; et moi je suis fou de toi.

Je voudrais être aussi riche que l’était Crésus, dit-on ; nos statues, toutes en or, se dresseraient pour Aphrodite ;

Toi avec tes flûtes et une rose ou une pomme ; moi en costume neuf avec des chaussures d’Amyclées.

Gracieuse Bombyca, tes pieds sont des osselets, ta voix, une morelle ; ton air, je ne le peux dire[110].

D’autres chants de bergers sont consacrés à des légendes populaires de la Sicile, en particulier à celle du beau Daphnis, aimé de la Nymphe Naïs, mort à la fleur de l’âge et pleuré de toutes les divinités champêtres[111]. Alors le ton s’élève et le grand poète qu’est Théocrite peut se donner libre carrière.

Par là, en outre, il est conduit naturellement à faire entrer le mythe d’une façon plus directe dans l’idylle, selon l’instinct de la poésie grecque. Daphnis devient à son tour un personnage des mimes rustiques : ce n’est plus le berger réel et contemporain, c’est une sorte de berger mythique et idéal[112]. Il en est de même de Polyphème, le Cyclope, qui n’est, dans la VIe Idylle, que le sujet d’une chanson rustique, mais qui devient, dans la XIe, le chanteur lui-même. L’idéal ainsi et la poésie pure, sous leur forme traditionnelle du mythe, entrent de plain pied dans le mime rustique.

Ajoutons enfin qu’une fois, dans la première Idylle, un autre motif cher aux Alexandrins, la description des œuvres d’art, est accueilli par Théocrite : le chevrier offre à Thyrsis une coupe « profonde, enduite de cire parfumée, à deux anses, toute neuve, et qui sent encore le travail de l’artiste. » Sur cette coupe, des scènes rustiques ont été ciselées. Le poète s’amuse à les décrire. Il fait là, à sa façon bucolique, son « bouclier d’Achille. »

À côté de ces idylles franchement rustiques, les Syracusaines forment à beaucoup d’égards un genre à part[113]. La scène se passe à Alexandrie, un jour de fête en l’honneur d’Adonis. Les héroïnes sont deux commères, Gorgo et Praxinoa, que leurs affaires, sans doute, ont amenées de Syracuse à Alexandrie, el qui vont voir la fête. Nous sommes loin des bergers de Sicile. Ce mime délicieux pourtant appartient aussi au groupe des œuvres parfaites qui sont le plus nettement caractéristiques du génie de Théocrite. L’idéal de la vie rurale y manque, il est vrai. Mais certains détails encore et la structure générale du poème procèdent de la même inspiration. Les deux commères, comme les bergers de Sicile, sont vraies, simples, naïves. Elles ont le caquet de la ville, et la riposte vive ; mais elles sont abondantes en proverbes ; elles s’ébahissent de tout ce qu’elles voient ; elles ont peur du grand cheval bai ; elles se plaignent de leurs maris et sont pourtant de braves créatures. Elles ne chantent pas elles-mêmes, mais elles vont entendre un chant, et ce thrène gracieux en l’honneur d’Adonis, qui couronne le mime, y répand un parfum de poésie qui achève la beauté de cette peinture amusante et gaie d’un coin de la grande ville.


Les autres œuvres de Théocrite sont moins caractéristiques et moins complètes : plusieurs sont très belles encore.

Cinq idylles sont des récits d’aventures héroïques plus ou moins inspirés de l’épopée. — La treizième, Hylas, est le récit de la mort du jeune ami d’Héraclès, enlevé par les Nymphes des eaux au moment où il plonge un vase dans le bassin de la source. La narration proprement dite est courte et peu circonstanciée. La pièce, adressée à Nicias, s’ouvre et se termine par des réflexions sur l’amour qui lui donnent un caractère intermédiaire entre l’épopée et l’élégie : c’est plutôt une élégie épique qu’une épopée. Elle est d’ailleurs gracieuse. — Il en est à peu près de même de la vingt-sixième, les Bacchantes, où Théocrite raconte avec une élégance un peu brève la mort de Penthée déchiré par sa mère Autonoé. Les derniers vers de la pièce, remplis de réflexions religieuses sur le respect dû à Dionysos, la rapprocheraient plutôt d’un hymne. Elle fut peut-être composée pour quelque fête célébrée par Ptolémée. — L’Idylle des Dioscures (XXII) présente un caractère encore plus singulier : c’est bien un récit épique consacré à la gloire de Castor et de Pollux ; mais la première partie, relative à la lutte de Pollux contre le géant Amycos, contient une partie dialoguée qui fait songer à une sorte de mime épique. L’appel aux rois divins, vers la fin du poème, semble indiquer que Théocrite était alors à la cour du roi d’Égypte et qu’il sollicite discrètement ses largesses. Les deux récits du combat de Pollux contre Amycos et du combat de Castor contre Lyncée sont vivants et pittoresques ; les discours échangés ont tantôt une précision spirituelle et tantôt une élégance agréable. Quelques traits de bel-esprit s’y mêlent. En somme, l’œuvre est d’un art franchement alexandrin et ne révèle pas, malgré ses mérites, le poète supérieur des belles idylles rustiques. — Héraclès tueur du lion (XXV) est plus semblable à un fragment d’épopée proprement dite. C’est l’histoire d’Héraclès arrivant le soir chez Augias, domptant un taureau dangereux, et racontant à ses hôtes sa victoire sur le lion de Némée. Le récit est d’une ampleur facile et harmonieuse. Ce qu’il renferme peut-être de plus caractéristique, c’est d’abord la très belle description du retour des troupeaux d’Augias, innombrables comme les nuées chassées par les vents[114], morceau digne du poète de la vie pastorale ; puis la courte description de la lutte contre le taureau, d’un sentiment plastique et sculptural intense[115] ; enfin le récit plus long de la lutte contre le lion, où l’on retrouve les mêmes qualités, avec une vive peinture de la terreur générale inspirée par le monstre[116]. — La vingt-quatrième idylle, Héraclès enfant (Ἡρακλίσκος) a pour sujet l’histoire du premier exploit d’Héraclès, sa lutte victorieuse contre les deux serpents envoyés par Héra. On a dit souvent que c’était une épopée en miniature ; le mot est très juste, dans tous les sens : cette épopée n’est pas seulement courte, elle remplace la grandeur de l’émotion par le fini spirituel des détails, avec un art d’ailleurs achevé. Pindare avait touché une fois à ce sujet : en quelques traits rapides et forts, il avait donné l’impression d’une destinée surnaturelle, d’une grandeur héroïque et franchement miraculeuse. Théocrite décrit avec une grâce infinie et tout humaine le sommeil des enfants ; il raconte avec une précision pittoresque l’arrivée des serpents, l’attitude d’Iphiclès et celle d’Héraclès, la lutte rapide, le réveil éperdu d’Alcmène, et la scène qui suit. Chaque détail pris à part est délicieux et le récit court au but sans longueurs. Mais la grandeur religieuse en a disparu, malgré la lumière divine qui éclaire la chambre : le miracle est rapetissé ; Héraclès enfant ressemble ici à ces Amours que les sculpteurs de ce temps aimaient à vêtir d’une peau de lion : on ne le prend pas au sérieux ; on sent bien que c’est un enfant comme un autre et qu’il se déguise en héros. Le malheur est que personne alors ne croyait plus aux héros, pas même Théocrite.

Voici maintenant deux pièces qui sont des hymnes. — L’une (XVII), adressée à Ptolémée, n’est qu’une œuvre académique, officielle, par conséquent froide, où l’on sent que Théocrite a mis fort peu de lui-même : il a traité consciencieusement, avec son habileté ordinaire, les divers motifs fournis par le sujet. — L’autre (XVI), adressée à Hiéron, est beaucoup plus intéressante. C’est moins un hymne proprement dit qu’une sorte d’épître, dont le ton parfois s’élève, mais qui sait aussi sourire. Au début, il se plaint que les Grâces, ses déesses inspiratrices, soient souvent mal reçues des gens riches : elles s’irritent et le querellent. Tout ce début est d’une fantaisie fort ingénieuse. Suivent des réflexions générales sur les devoirs des puissants à l’égard des poètes, puis un éloge senti de Hiéron, une délicieuse image (parfois bucolique) des bienfaits de la paix ramenée par ses victoires sur les Carthaginois, enfin de nouveau, en terminant, un gracieux appel aux Grâces d’Orchomène, étroitement mêlé à l’invitation fort claire adressée à Hiéron d’être généreux.

C’est encore une sorte d’épître, et tout à fait exquise, que la Quenouille (XXVIII), écrite en vers asclépiades. Théocrite envoie à son ami Nicias, pour sa femme, la belle Theugénis, une quenouille d’ivoire. En quelques vers délicats, il fait l’éloge de Theugénis et de Nicias.

Restent enfin des épigrammes. Nous en avons vingt-six sous le nom de Théocrite, mais quelques-unes sont certainement apocryphes[117]. Beaucoup sont fort jolies. On aimerait à y voir la main de Théocrite. On se demande pourtant si plusieurs au moins de celles-ci ne sont pas l’œuvre de lettrés spirituels ayant bien lu les Idylles : ce qui met en défiance, c’est justement le soin que prend le poète d’y tant parler de Daphnis et de Thyrsis.

La versification et le style, chez Théocrite, n’ont pas moins de nouveauté que son inspiration : en tout, c’est un rare artiste.

Bien qu’il ait composé quelques pièces en vers asclépiades et introduit une fois, dans une idylle en hexamètres, des chansons élégiaques[118], on peut dire que le trait qui frappe d’abord, dans sa versification, c’est la prépondérance de l’hexamètre : les petites épopées, le dialogue rustique, les chansons même des pâtres, tout s’exprime, chez lui, en hexamètres. Rien de moins conforme à la vieille tradition grecque, qui avait une forme de vers spéciale pour chaque genre, hexamètre pour le récit épique, iambe pour le dialogue, vers lyrique pour la chanson. Cet emploi nouveau et paradoxal du vers épique trahit une révolution profonde en littérature : on n’écrit plus pour la récitation publique ou pour le chant, mais pour les yeux ; le poète n’a désormais que des lecteurs ; le choix du mètre devient presque indifférent[119]. Théocrite a senti d’instinct la profondeur du changement et s’y est accommodé sans hésitation. Il est par là, comme nous le disions précédemment, plus novateur qu’Hérodas, et semble plus récent. Cette réforme ne s’est d’ailleurs pas faite brusquement : la transformation graduelle de l’épopée, devenue plus familière depuis Antimaque, avait peu à peu assoupli l’hexamètre. Théocrite, à son tour, reprend cette tradition nouvelle et la continue. Son hexamètre, pour se plier à des besoins nouveaux, va s’assouplir encore : il sera, selon les circonstances, tantôt coulant et facile, dans les récits ou les descriptions, tantôt vibrant comme un chant lyrique, tantôt léger, vif, coupé, comme il convient au dialogue familier. Il se déroulera en périodes, se formera en strophes plus ou moins longues, se répétera en refrains, se divisera en membres courts au gré des interlocuteurs. Il y a, chez Théocrite, des vers qui ont l’ampleur d’un vers homérique ; d’autres ont une vivacité toute nouvelle. Cette vivacité légère vient surtout des coupes. La coupe dite « bucolique », qui suspend la phrase sur un dactyle après le quatrième pied, est particulièrement caractéristique ; Théocrite ne l’a pas inventée, mais il en a fait un usage plus fréquent que personne, parce qu’elle répond à merveille à l’allure de sa phrase, comme nous le verrons tout à l’heure. De même, il s’amuse sans cesse à briser l’harmonie solennelle du vers épique par des accumulations de petits mots, par des césures inattendues. Ses fins de vers surtout sont souvent très amusantes[120]. L’hexamètre ainsi manié devient un vers tout nouveau, une création d’artiste supérieur, merveilleusement adaptée à son objet.


Le style n’est pas moins habile ni moins neuf.

Théocrite écrit d’habitude en dialecte dorien. Seules, la pièce des Dioscures et celle d’Héraclès tueur du lion sont en ionien, plus ou moins pur. Les raisons de ce choix sont faciles à voir : elles tiennent à la nature des sujets. Quelques autres, imitées des poètes de Lesbos, sont en éolien : mais la plupart sont en dorien, pour deux motifs : c’est d’abord que le mime, pastoral ou non, est dorien d’origine, et ensuite que Théocrite est dorien lui-même. Ce dorien est d’ailleurs plus ou moins populaire. Dans l’Épithalame d’Hélène, dans les deux hymnes, dans les idylles, le dialecte est plus relevé, plus mêlé d’ionismes, plus semblable à celui des lyriques classiques ; la raison en est évidente. Dans les mimes, au contraire, Théocrite parle, autant que possible, le langage de ses héros, les pâtres de Sicile, les petites gens de Syracuse. On se tromperait pourtant si l’on y cherchait une fidélité absolue à l’usage populaire : il paraît certain que, là encore, son dialecte est une langue littéraire, où des formes de la langue commune, des souvenirs de la tradition poétique, des fantaisies parfois, et peut-être des inexactitudes d’érudition, mêlent assez arbitrairement des formes quelque peu hétéroclites[121]. Le trésor de la langue grecque était alors si prodigieusement riche, que ces mélanges, conformes d’ailleurs à la tradition, étaient inévitables même pour un poète qui eût voulu les éviter : or rien ne prouve que Théocrite se soit refusé le droit de faire comme ses prédécesseurs.


Quel que soit d’ailleurs, chez un poète grec, l’intérêt du dialecte, c’est surtout dans le choix des mots et dans la structure de la phrase que réside le secret de son style.

Les mots de Théocrite ont une rare saveur. Même dans ses récits épiques, par exemple dans Héraclès enfant ou dans Héraclès tueur du lion, la qualité plastique et sensible de son vocabulaire, la simplicité hardie et colorée avec laquelle il met les choses sous nos yeux, éclate sans cesse. Mais c’est surtout dans les idylles proprement dites, dans la peinture de la : vie rurale, que son originalité est frappante. Il appelle les choses par leur nom : il désigne avec précision les plantes, les arbres, les animaux ; il sait quels sont les fruits dont les parfums se confondent dans la senteur de l’été ; il nomme les arbres qui se penchent sur la fontaine de Bourina ; il désigne avec précision le taureau qui menace, le bouc entier, la vache amaigrie et malade, l’odeur de la présure ; il n’a pas de vains scrupules de noblesse et de fausse élégance. Il imite le sifflement des bergers rappelant leur troupeau (σίττα), et le cri moqueur de la jeune fille qui s’enfuit (ποππυλιάζει[122]). S’il parle d’amour, il montre les bras jetés autour du cou (ἀγκὰς ἔχων τύ[123]) ; il a des expressions d’une tendresse naïve et profonde (τὸ καλὸν πεφιλημένε[124]). Avec cela, le mot simple et large qui, d’un seul trait, évoque la grandeur de la montagne ou de la mer, la douceur du ciel, la fraîcheur de l’ombre, l’abri du rocher. Les épithètes sont relativement rares : il n’use guère des composés dithyrambiques qui détonneraient dans le langage de ses paysans ; mais il a des adjectifs expressifs, qui traduisent l’intensité de la sensation, des métaphores vives, des mots qui font image. Il n’y a rien d’inutile dans cette sobriété pleine et douce, rien d’inutile et rien de trop : chaque trait est juste et fort. Polyphème dit à Galatée :

Ô blanche Galatée ! Pourquoi repousser celui qui t’aime ? Tu es plus blanche que la neige, plus délicate qu’un agneau, plus vive qu’une génisse, plus âcre que la grappe encore verte[125].

Autour des bords de la coupe que le chevrier offre à Thyrsis, s’enroule une branche de lierre.

Un lierre saupoudré de fleurs d’hélichryse, et sur la branche souplement enlacée brillent les baies de safran[126].

Sa phrase est souple comme ce lierre, vive aussi et légère comme Galatée. Dans le dialogue, elle est étonnamment libre et coupée ; nous avons dit qu’elle brisait le vers suivant ses caprices ; c’est pour cela qu’elle le suspend sans cesse au quatrième pied. Dans les descriptions, toujours courtes et sobres, le poète commence d’ordinaire par quelques traits pittoresques, précis, colorés ; puis, d’un dernier trait large et simple, il achève le tableau en y mettant l’effet d’ensemble, souvent même la grandeur :

Sa race remonte à Clytie et à Chalcon lui-même, qui, de son pied, fit jaillir la source Bourina, le genou bien appuyé sur la pierre : et, autour de la fontaine, les peupliers et les tilleuls tressaient leur bocage ombreux, inclinant vers ses eaux leur verte chevelure[127].

Ménalque dit à Daphnis :

Les trésors de Pélops et tout l’or de Crésus n’excitent point mon envie ; je ne me soucie pas de devancer les vents à la course : sous cette roche, je chanterai, t’enlaçant dans mes bras, surveillant du regard nos troupeaux confondus, je chanterai vers la mer de Sicile[128].

Et, dans la belle description des Thalysies, citée plus haut, qu’on se rappelle, après l’énumération détaillée des sensations diverses qui s’ajoutent les unes aux autres, le trait final, l’image qui couronne le tableau : cette Déméter rustique, qui se dresse souriante, avec des gerbes et des pavots dans les deux mains.

Mais c’est surtout peut-être dans les parties lyriques des idylles que se montre le mieux la qualité suprême de la phrase de Théocrite, le rythme haletant, pour ainsi dire, qui est sa marque propre, et qui révèle le poète ne pour traduire l’amour. Sa phrase est une musique admirable. Dans le mouvement régulier et pressé des petits groupes de mots, plus juxtaposés que liés, on sent le frisson de la passion et en quelque sorte les battements du cœur. Nous avons cité plus haut la chanson de Bombyca : c’est un exemple entre beaucoup. Le thrène sur la mort de Daphnis, dans la première idylle, les plaintes de la magicienne, dans la seconde, avec leurs refrains incessamment répétés, sont des échantillons plus amples, mais non plus expressifs, de ce rythme passionné. On peut dire que c’est le rythme fondamental de Théocrite. Même dans la brisure savamment naïve du dialogue, on entend encore vibrer la passion. Dans le récit, dans la description, le mouvement général est encore analogue. Qu’on relise, pour s’en convaincre, les Thalysies, où se rencontrent tous les tons et toutes les formes de l’idylle : on verra sans peine que d’un bout à l’autre, sous les différences extérieures, ne cesse de vibrer la même imagination facilement émue, le même lyrisme incoercible. Par là, Théocrite est vraiment unique : ni dans la poésie antérieure (sauf peut-être quelques pièces de Sappho), ni parmi ses contemporains et ses successeurs, on ne trouve rien qui approche de ce don incomparable de sentir avec force l’émotion des choses et de la communiquer par le mouvement de la phrase[129].


On voit quelle alliance de rares qualités fait à Théocrite une place à part dans la littérature alexandrine ; il est réaliste et idéaliste, dramatique et lyrique, poète toujours par l’émotion, par le rythme, par le style. Son influence fut proportionnée à son originalité. Tout un genre est sorti de lui, le genre bucolique, d’abord par d’autres alexandrins que nous retrouverons tout à l’heure, ensuite par Virgile et par tous les imitateurs de Virgile, enfin par André Chénier, qui se rattache directement à Théocrite. Cette rare fortune de créer un genre, de faire entrer définitivement dans la littérature une forme de poésie jusque là instinctive et populaire, rapproche Théocrite des créateurs de l’âge classique. Il s’en rapproche aussi par son mérite propre, puisqu’il a su retrouver, dans un âge d’érudition et d’imitation, la sincérité du sentiment, la sobriété vigoureuse et harmonieuse de la forme.


Léonidas de Tarente, auteur d’épigrammes, est loin d’égaler Théocrite : il faut pourtant le ranger à côté de lui si l’on veut se rendre compte du mouvement général de l’art dans cette période : car il a tenté, lui aussi, de combiner un certain réalisme avec la pure poésie[130]. C’est un contemporain de Théocrite, un peu plus jeune peut-être. Dans une de ses épigrammes, il célèbre Pyrrhus, roi d’Épire[131]. Le nom de Théocrite se rencontre deux fois dans ses vers[132], mais sans qu’on puisse dire au juste si c’est du poète qu’il s’agit où d’un homonyme. Il paraît cependant l’avoir connu et goûté, car il s’est certainement inspiré plusieurs fois des idylles[133]. Sa vie semble avoir été errante et pauvre[134]. Il mourut loin de sa patrie, sans avoir acquis la richesse, mais confiant dans sa renommée future[135]. — Sa confiance n’était pas téméraire : les Muses en effet, comme il le dit lui-même, l’avaient aimé. Nous possédons sous son nom cent épigrammes qui appartiennent à tous les genres alors pratiqués : épitaphes, inscriptions d’offrandes, inscriptions de statues, portraits de poètes ou d’artistes, poèmes de réflexion philosophique ou morale. Beaucoup de ces pièces sont composées pour de petites gens, des pécheurs, des fileuses, qui offrent à quelque divinité les instruments de leur travail ou qui sont morts à la peine. De la une part de réalisme très considérable : les termes techniques et précis, les mots de métier abondent dans son œuvre. Mais un peu d’émotion s’y ajoute, et le poète véritable apparaît. Sa langue et sa versification, sans être d’une pureté classique, sont généralement élégantes. Il a su dire avec charme la douceur d’une existence pauvre et laborieuse[136], la grâce du printemps[137], la fraîcheur d’une fontaine[138], et, une fois même, en s’inspirant de Simonide, le peu qu’est la vie de l’homme, ce point fugitif de la durée entre deux infinis :

Un temps immense, ô homme, s’est écoulé avant que tu vinsses au jour ; un temps immense s’écoulera après que tu seras descendu chez Adès. Qu’est-ce que l’instant de ta vie ? Un point, ou moins encore. Et cette vie est dure ; car ce moment même, loin d’être agréable, est plus pénible que la mort odieuse. Dérobe-toi donc à la vie et fuis vers le port, comme j’ai fait, moi Phidon fils de Critos, — je veux dire vers l’Adès[139].

Mentionnons encore l’ami de Théocrite, le médecin Nicias de Milet, dont il nous reste quelques épigrammes, et qui montre, dans sa douceur élégante, comme un léger reflet du rayon de poésie qui se dégage des Idylles[140].

IV

Cette sincérité d’émotion, qui fait la beauté des Idylles, est certainement ce qui manque le plus à un groupe de poètes contemporains, fort célèbres aussi, fort habiles, mais que nous caractériserons d’un mot en les appelant des poètes académiques. Ceux-là sont, dans toute la force du terme, des Alexandrins : ils personnifient au suprême degré les qualités et les défauts de leur temps ; quels que soient d’ailleurs les genres divers ou ils se soient exercés, ils ont tous ce trait commun, d’être plus savants qu’inspirés, plus capables d’analyse que de création, plus descriptifs que passionnés, plus versificateurs en somme que poètes. Tels sont le polygraphe Callimaque, le poète didactique Aratos, les poètes épiques Pthianos et Apollonios.


Callimaque, fils de Battos, est incontestablement le « maître du chœur ». Par le nombre de ses ouvrages, par leur diversité, par leurs qualités et par leurs défauts, il est comme le type même du poète alexandrin[141].


Il naquit à Cyrène vers la fin du ive siècle (entre 310 et 305 probablement)[142]. Sa famille, s’il faut l’en croire, se rattachait au héros Battos, le fondateur de la cité, l’ancêtre des rois de Cyrène chantés par Pindare[143]. Il vint étudier la philosophie à Athènes sous la direction du péripatéticien Praxiphane[144]. Puis il se rendit à Alexandrie, où il ouvrit une école de grammaire[145]. Sa réputation le mit en honneur auprès de Ptolémée Philadelphe, monté sur le trône en 285, et qui paraît l’avoir distingué quelques années plus tard : l’hymne à Zeus, composé vers 273, est une pièce évidemment officielle et commandée. Dès lors, sa faveur se soutient sans défaillance. Après la mort de Zénodote, il devient bibliothécaire[146]. Tout en continuant d’écrire des poèmes, il s’occupe de bibliographie et d’histoire littéraire. Ses dernières années furent marquées par une violente querelle littéraire avec son disciple Apollonios de Rhodes : celui-ci voulait faire renaître l’épopée héroïque : Callimaque considérait l’entreprise comme déraisonnable ; la dispute, purement littéraire à l’origine, finit par des injures grossières qui jettent un jour singulier sur la vivacité des amours-propres dans cette société de beaux-esprits. Apollonios déclara dans une épigramme[147] que le mot « Callimaque » signifiait « ordure, jouet frivole, tête de bois » ; et Calimaque écrivit l’Ibis, où il semble avoir comparé son adversaire à cet oiseau, que l’imagination populaire accusait de pratiques répugnantes, et qui, en outre, était consacré à Hermès, le dieu des voleurs[148]. Ceci se passait tout à fait à la fin de la vie de Callimaque, qui mourut sous Évergète[149], vers 235 probablement ; il avait alors environ soixante-dix ans.

Callimaque fut aussi célèbre comme érudit que comme poète. Ses écrits en prose, selon Suidas, s’élevaient à plusieurs centaines. Nous avons déjà mentionné, dans un autre chapitre, les plus considérables d’entre eux : ses fameux Tableaux bibliographiques (Πίνακες), ses recherches historiques et curieuses en tout genre. Nous n’avons pas à y revenir, sinon pour rappeler ce trait essentiel de sa physionomie, l’érudition laborieuse et infiniment variée : ce trait se retrouve en effet dans ses poèmes et on ne peut les bien comprendre si l’on ne songe d’abord qu’ils sont l’œuvre du plus savant homme de ce temps.

Ces poèmes eux-mêmes étaient nombreux et variés. Il avait écrit « dans tous les mètres, » dit naïvement Suidas, qui énumère avec admiration la liste interminable des genres divers auxquels appartenaient ses poèmes, ou leurs titres spéciaux. Il y avait des tragédies, des comédies, des drames satyriques, des chants lyriques proprement dits, des hymnes héroïques, des poèmes iambiques, des choliambes imités d’Hipponax, surtout des poèmes élégiaques en grand nombre, des épigrammes, et même une épopée (d’un genre spécial, il est vrai), l’Hécalé. Les plus célèbres de ces poèmes, les plus lus du moins, paraissent avoir été, avec l’Hécalé, les hymnes, certains poèmes élégiaques, et les épigrammes. Des œuvres dramatiques, il n’est resté aucune trace. Des chants lyriques, il ne subsiste que peu de vers, recueillis par l’Anthologie parmi les épigrammes. Six hymnes, dont un en vers élégiaques, sont arrivés jusqu’à nous, avec soixante-treize épigrammes, et quelques fragments de l’Hécalé[150]. Le plus considérable des poèmes élégiaques de Callimaque était un ouvrage en quatre livres (Αἴτια) c’est-à-dire les causes, ou, si l’on veut, les origines ; sorte de corpus érudit et poétique, recueil de vieilles légendes grecques se rattachant à l’origine de certaines villes, de certaines familles, parfois peut-être de certains usages. Il nous en reste fort peu de fragments textuels. Essayons de regarder d’un peu plus près les débris de la gloire poétique de Callimaque.


Chez un poète aussi savant, on ne sera pas surpris de trouver une théorie littéraire très arrêtée. Callimaque est un chef d’école : il sait parfaitement ce qu’il veut faire et ce qu’il veut éviter. La querelle avec Apollonios, survenue dans ses dernières années, n’est que l’explosion dernière et violente d’une lutte poursuivie pendant toute sa vie contre des tendances littéraires qu’il condamne. Après tant de siècles de littérature, la force de la tradition était immense : beaucoup d’esprits devaient se contenter de marcher sur les traces des maîtres, et de refaire, après Homère, des Iliades, après Antimaque, des Lydés. Callimaque n’est pas de ces imitateurs dociles ; il a le mérite de sentir qu’en art on ne fait rien qui vaille, si l’on ne sait donner une note originale et neuve. « Ne suivons pas, disait-il, les traces d’autrui[151]. » Et encore, dans une épigramme[152] : « Je hais le poème cyclique[153], la route banale où tout le monde passe ; je ne bois pas à la fontaine publique ; les choses populaires me dégoûtent. » Cette idée juste l’entraînait à des applications particulières qui n’étaient pas toutes incontestables. Les auteurs trop admirés le mettaient en défiance. Il semble avoir préféré Hésiode à Homère[154]. Il traitait dédaigneusement Archiloque[155]. Il raillait les poètes dithyrambiques[156]. La Lydé d’Antimaque, si vantée, lui semblait, non sans raison peut-être, lourde et sans finesse[157]. Il allait jusqu’à prescrire en général les longs ouvrages : il disait qu’un gros livre était un grand mal[158]. Et encore : « Je n’aime pas le chanteur dont les chants sont plus vastes que la mer[159]. » Il aurait signé ces vers de Théocrite : « Je déteste ces oiseaux des Muses dont le vain babillage s’épuise à lutter contre le chantre de Chios[160]. » Son idéal est donc aisé à déterminer : il veut des poèmes courts, franchement modernes, ciselés avec art, où un goût difficile et une curiosité savante trouvent une complète satisfaction. Comment l’a-t-il réalisé ? Avec beaucoup d’art en effet, mais un art qui exclut trop souvent, sinon toujours, la sincérité et la grandeur de l’inspiration.


Les six Hymnes qui nous restent de Callimaque ont été composés à des époques et dans des circonstances différentes[161]. De là des diversités de ton et de facture qui nous permettent de voir le talent de Callimaque sous des aspects multiples, sans en dérober d’ailleurs l’unité essentielle. L’Hymne à Zeus (I) fut sans doute écrit, vers 275, pour une de ces fêtes religieuses que la politique de Philadelphe favorisait à Alexandrie, et dont nous trouvons un exemple dans la fin de l’idylle des Syracusaines. L’Hymne à Délos (IV) est manifestement destiné à une fête de l’île, probablement à l’occasion de l’envoi d’une théorie de Philadelphe, vers 272. L’Hymne d’Artémis (III), plus épique que lyrique, semble avoir été fait pour un concours poétique à Éphèse, postérieurement à l’année 258. L’Hymne à Déméter (VI), écrit en dorien, ne peut convenir qu’à une fête dorienne ; il accompagnait sans doute une théorie de Philadelphe à Cnide, à peu près vers le même temps que le précédent. L’Hymne sur les bains de Pallas (V) est également en dorien ; il présente en outre ce caractère unique d’être écrit en vers élégiaques. Il fut certainement composé pour une fête argienne, mais la date en reste inconnue. Quant à l’emploi du mètre élégiaque, je serais tenté de l’expliquer par le souvenir, naturel chez un érudit comme Callimaque, des vieux nomes élégiaques attribués à Sacadas, lequel était justement d’Argos. L’Hymne à Apollon (II), enfin, composé pour une fête d’Apollon Carnéen à Cyrène, semble appartenir à la dernière année du règne de Philadelphe (248-247), après l’annexion définitive de Cyrène à l’Égypte. — On voit que ces poèmes, confondus sous le nom générique d’hymnes, sont séparés les uns des autres à la fois par leurs dates et par les occasions qui les ont fait naître. La différence des dates, à vrai dire, a peu d’importance littéraire dans ce cas particulier : l’art très savant de Callimaque est toujours le même ; il est aussi sûr de son instrument à trente ans qu’à cinquante, et aucune trace d’affaiblissement n’apparaît. La nature des occasions a plus d’importance. Certains de ces poèmes, comme l’hymne élégiaque à Pallas, semblent destinés à former la pièce centrale, pour ainsi dire, d’une fête religieuse, et évoquent le souvenir des « nomes ». D’autres sont plutôt peut-être des « proèmes », des morceaux d’ouverture pour une fête religieuse, comme beaucoup d’hymnes homériques. D’autres enfin semblent destinés à ces concours poétiques et musicaux qui accompagnaient les fêtes. De là, très probablement, le tour un peu plus lyrique de quelques-uns, le ton plus épique et narratif de quelques autres. De là, peut-être, dans l’Hymne à Pallas et dans un ou deux autres, les traces qu’on croit apercevoir de la vieille composition nomique[162]. Ces différences sont pourtant secondaires. Si la composition nomique (au point de vue littéraire, et non musical) est réellement quelque chose, elle est si semblable à la composition de tout poème lyrique grec en général que les critiques qui s’adonnent à sa recherche n’arrivent jamais à s’entendre entre eux sur sa nature propre. Et quant au plus ou moins de lyrisme dans le style, ce n’est jamais qu’une différence de degré. Les traits communs, au contraire, sont essentiels et caractéristiques.

Ce qui remplit tous ces hymnes, c’est la religion, c’est-à-dire l’éloge des dieux et le récit de leurs légendes. Mais combien cette religion est différente de celle d’un Eschyle ou même d’un Pindare ! Callimaque est un poète officiel, une sorte d’ambassadeur très solennel, qu’un roi politiquement dévot envoie auprès des dieux pour être son interprète. Il a conscience de son rôle et s’applique à y faire honneur. S’il chante la puissance des dieux, il le fait en termes nobles, et se ressouvient avec à-propos des formules ou des images consacrées par la tradition. Il s’efforce même de paraître ému. La rhétorique du lyrisme lui est familière. Il s’évertue à crier ἰὴ Παιάν en l’honneur d’Apollon. La corbeille de Déméter le jette en des transports sacrés. Il repousse bien loin les profanes : on dirait parfois un initié, un mystique. Il s’évertue à délirer. Il essaie aussi de se faire peuple, de simuler la naïveté : dans l’Hymne à Pallas, il s’écrie : « N’allez pas au fleuve aujourd’hui, femmes qui puisez l’eau ! Aujourd’hui, Argos boit l’eau des fontaines, non celle de la rivière[163] ; » car la rivière est réservée au bain de Pallas. Mais comme on sent qu’au fond tout cela le laisse froid ! Ce qui le préoccupe, c’est de faire sa cour au prince, non aux dieux. Dans les légendes divines, il cherche des allusions à Ptolémée. S’il chante Délos, patrie d’Apollon, il pense à Cos, patrie de Philadelphe. S’il chante Zeus, c’est surtout pour arriver à dire que Zeus est le protecteur des rois, et en particulier du plus grand de tous, Ptolémée, roi d’Égypte : S’il oublie Ptolémée, c’est pour revenir à sa vraie passion, la curiosité érudite et spirituelle qui s’amuse aux légendes rares, aux accumulations de faits mythologiques, historiques, géographiques, qu’il raconte ou qu’il interprète. L’Hymne à Zeus, l’Hymne à Délos sont, en certaines parties, de vraies débauches d’érudition : il y accumule les noms propres[164], les allusions à des rites bizarres[165]. Ce qu’il aime le mieux dans les légendes divines, ce sont les étrangetés, les miracles romanesques, les métamorphoses ; il y a de l’Ovide à chaque page dans ces hymnes, c’est-à-dire de l’esprit, sans aucun mélange de piété. Il y fait même une place à ses querelles littéraires : l’Hymne à Apollon se termine d’une façon singulière par une allusion mordante à son ennemi Apollonios de Rhodes. Les interprètes s’en sont étonnés ; on a quelquefois supposé que Callimaque avait dû écrire ces vers après coup, dans une révision de son poème ; mais l’hypothèse est inutile : Callimaque se souciait plus de sa grande querelle que du dieu de Cyrène, et il a trouvé l’occasion bonne pour en dire un mot.

L’art de l’écrivain traduit fidèlement son inspiration. — Dans la composition de ses hymnes, il cherche surtout le moyen de dérouler en bon ordre des morceaux où paraîtront son enthousiasme de commande, sa merveilleuse érudition, son habileté à raconter ; et il s’en tire avec beaucoup d’adresse. Il commence d’ordinaire par l’enthousiasme. Viennent ensuite, au hasard apparent des évocations, en réalité dans un ordre chronologique exact, les allusions rapides aux légendes qu’il ne tient pas à développer ; enfin la légende principale, celle où il mettra tout son art, toutes ses politesses à Ptolémée, toutes ses inventions de mythographe érudit et spirituel. La pièce se termine en général par des vœux et des allusions. Il ne faut pas chercher dans cet art de composition l’unité supérieure d’impression qui fait la beauté d’une ode de Pindare : aucun sentiment profond ne domine Callimaque ; il fait une œuvre d’habileté savante, une mosaïque patiente et ingénieuse. — Son style présente le même caractère. Le dialecte des hymnes est d’ordinaire un ionien plus ou moins composite : deux fois seulement, des circonstances particulières l’ont amené à se servir du dorien. Peu lui importe : il est savant, il connaît et manie tous les dialectes littéraires de la Grèce. Son vocabulaire est puisé à toutes les sources : il est riche, amusant, composite ; il manque de pureté, et parfois de clarté. À côté d’un terme archaïque, rare et obscur, on trouve un mot de la langue commune : cela fait une bigarrure qui trahit à la fois beaucoup de savoir et un certain manque de cette qualité plus précieuse qui produit dans les œuvres d’art l’harmonie. Il a du moins le mérite de n’être ni vague ni banal ; ses mots, quelle qu’en soit l’origine, ont un sens précis ; l’idée est nettement rendue : avec plus de netteté, il est vrai, que de poésie : sa précision a quelque chose de dur ; on y voudrait plus de grâce, plus de mollesse, un peu plus d’images et de rêve. Sa phrase est vive, brève en général, toujours nette et bien découpée. Il sait à la fois la dérouler avec élégance et la briser en petits membres courts pour simuler une émotion qu’il ne ressent pas. À ne regarder que l’extérieur, on dirait presque du Théocrite : c’est la même rapidité légère et forte, la même musique tour à tour caressante et haletante. Seulement, ce n’est là qu’une apparence : si l’on écoute les paroles de la chanson, on les trouve sèches et prosaïques[166]. — Sa versification aussi rappelle celle de Théocrite, par l’abondance des dactyles, par l’usage fréquent de la césure bucolique, par l’habileté à mettre en bonne place un grand mot, par l’emploi discret de la fin de vers spondaïque, par la coupe heureuse de la phrase poétique et l’allure dégagée de l’ensemble[167]. Mais, ici encore, cette ressemblance est superficielle : tout ce qui est du métier, Callimaque le possède en perfection. Ce qui lui manque, c’est le don inné d’accommoder cette forme impeccable à des sentiments qui l’exigent et la justifient ; c’est, en un mot, cette petite chose mystérieuse qui distingue le très habile versificateur du véritable poète.


Les autres œuvres de Callimaque, que nous connaissons mal, devaient cependant ressembler beaucoup à ses Hymnes par leurs côtés les plus importants.

Parmi ses poèmes élégiaques, les plus célèbres étaient, outre l’Hymne à Pallas, son grand ouvrage des Causes (Αἴτια) et le poème sur La chevelure de Bérénice. — Celui-ci avait inspiré à Catulle tant d’admiration qu’il l’avait traduit littéralement[168]. L’original grec est perdu, mais la traduction de Catulle nous en donne une fidèle image. C’est un jeu d’esprit par le fond et par la forme. La reine Bérénice, au moment où son mari allait partir pour une expédition militaire, avait promis de consacrer une boucle de ses cheveux à Aphrodite, afin d’assurer au roi un heureux retour. Le vœu accompli, la boucle de cheveux disparut du temple. L’astronome Conon, bon courtisan, déclara qu’elle avait été transformée en une constellation qu’il venait de découvrir dans le ciel. Callimaque fait parler la chevelure : elle raconte comment elle est devenue constellation, et elle regrette galamment son premier séjour. Sur ce canevas léger, le poète brode tour à tour des vers astronomiques, puis des descriptions spirituelles et un peu libertines de l’amour conjugal, enfin des maximes assez inattendus sur la sainteté du mariage. Tout cela forme un badinage assez agréable, mais fait trop songer aux petits poètes du xviiie siècle. — Le poème des Causes était une œuvre beaucoup plus considérable[169]. Il comprenait quatre livres, ainsi qu’on le voit par les citations des grammairiens. Ces citations, malheureusement, sont trop peu nombreuses (une quinzaine en tout), et en outre trop courtes, pour que l’on puisse aujourd’hui restituer même le plan de l’ouvrage. Les tentatives faites en ce sens par O. Schneider, l’éditeur de Callimaque, n’ont prouvé que sa propre fertilité d’invention. Tout ce qu’on peut dire des Αἴτια se réduit donc à fort peu de chose. Ce qui est certain, c’est que l’ouvrage, dans son ensemble, était une suite de récits élégiaques, consacrés à des légendes rares et curieuses, savamment compilées et mises en œuvre. Callimaque était encore à Cyrène, semble-t-il, lorsque les Muses de l’Hélicon lui avaient donné l’idée première de son œuvre, évidemment continuée ensuite pendant de longues années. Le poète, dans un prologue, racontait que les Muses lui avaient envoyé un songe : il avait écrit sous leur dictée[170]. Les légendes qu’il mettait en œuvre étaient censées donner l’explication d’une foule de faits historiques, géographiques ou autres. Elles étaient obscures, à cause des mots rares, des allusions à des choses mal connues : elles faisaient la joie des grammairiens et des érudits[171]. Quelques-unes pourtant avaient un autre caractère, bien alexandrin aussi : c’étaient des histoires d’amour. La plus célèbre était celle d’Acontios et de Cydippé, racontée au IIIe livre. Comme le sujet a été repris, après Callimaque, par l’épistolographe Aristénète[172], qui semble avoir suivi très exactement les traces de son modèle[173], nous pouvons en distinguer les principaux traits. Deux beaux enfants s’aiment avec passion : un message écrit sur une pomme (c’est peut-être ce détail qui était le prétexte du récit) informe Cydippé de l’amour d’Acontios ; vainement les parents de Cydippé veulent le marier avec d’autres, elle mourrait d`amour, si l’oracle de Delphes, en révélant son secret à ses parents, n’assurait enfin son bonheur. Autant qu’il est permis d’en juger par l’œuvre d’Aristénète, il semble que le principal mérite de Callimaque, dans ce petit roman d’amour, fut d’avoir analysé avec une finesse et une précision toutes nouvelles les diverses phases de l’agitation morale traversée par ses héros : en ce sens, il serait le véritable maître d’Apollonios de Rhodes, le créateur de Médée, le premier des grands analystes en fait de psychologie amoureuse. Nul doute d’ailleurs que l’ouvrage, dans son ensemble, ne fût une œuvre de beaucoup plus de savoir et d’habileté que d’émotion, et, même dans cet épisode célèbre, rien ne prouve que Callimaque ait poussé son analyse au delà des signes extérieurs de la passion, ni qu’il ait entendu le moins du monde dans son propre cœur l’écho de leurs craintes et de leurs espérances.

L’Hécalé fut un de ses derniers ouvrages. Comme Apollonios, dans leur grande querelle, l’accusait de ne décrier l’épopée que par impuissance d’en faire une lui-même, il voulut répondre à son ennemi en montrant par un exemple ce que devait être l’épopée moderne, l’épopée vraiment originale, et il fit l’Hécalé, c’est-à-dire un poème d’environ cinq cents vers, ou la fausse conception d’une sublimité artificielle et convenue fait place à la simplicité pittoresque de la vie familière et à de jolies curiosités. « Hécalé » est le nom d’une vieille femme de la campagne attique qui avait donné l’hospitalité à Thésée la veille de sa lutte contre le taureau de Marathon. Dans l’épopée ainsi comprise, la lutte contre le taureau passe à l’arrière-plan ; la première place est occupée par Hécalé elle-même, par la peinture de sa demeure, par ses entretiens avec le héros, peut-être par des récits de légendes curieuses (comme celle d’Érichthonios) introduites dans les entretiens mêmes et formant épisodes. Ce poème nous était fort mal connu, lorsque, en 1893, le déchiffrement d’une tablette en bois nous en a rendu cinquante vers nouveaux, accompagnés d’indications qui ont permis d’évaluer avec vraisemblance la longueur approximative de l’ouvrage[174].

Les premiers vers des nouveaux fragments semblent contenir une conversation entre Hécalé et la corneille qui avait trahi le mystère de la naissance d’Érichthonios. On voit, à la fin de ce passage, pourquoi les corbeaux aujourd’hui sont noirs, tandis qu’ils étaient blancs à l’origine. L’auteur des (Αἰτία) se trahit ici d’une manière frappante. Les vers qui suivent sont les plus jolis de ceux qu’on a retrouvés ; un voisin, tout glacé par le froid du matin, vient réveiller Hécalé, qui s’est endormie en causant :

Allons, les mains des voleurs ne sont plus en chasse ; voici que brillent les lampes matinales ; le porteur d’eau chante son refrain ; la maison voisine de la route s’éveille au bruit de l’essieu qui crie sous le chariot, et les forgerons nous assomment en s’assourdissant eux-mêmes.

Tout cela est fort joli, mais combien éloigné de l’épopée proprement dite ! On comprend qu’Apollonios et Callimaque ne pussent pas s’entendre. Le poème se terminait par le retour triomphal de Thésée, retour dont le poète nous décrit encore avec une précision érudite certains détails qui devaient avoir une valeur rituelle, et par la mort d’Hécalé[175], qui n’a d’ailleurs laissé aucune trace dans le fragment nouveau. Une épigramme de Crinagoras, dans l’Anthologie[176], montre l’estime que les connaisseurs faisaient de l’Hécalé : il est probable que c’était en effet du meilleur Callimaque.


On peut en dire autant des épigrammes qui nous restent sous son nom. Elles n’ont pas seulement l’élégance ordinaire à ce genre de composition ; elles ont du tour et du trait, elles sont vives et spirituelles. Les qualités de Callimaque, si elles n’étaient pas de celles qu’on est en droit d’attendre de qui aborde les grands sujets, convenaient au contraire merveilleusement à de petites pièces de circonstance, où la poésie proprement dite n’est pas indispensable.


La gloire de Callimaque, quoique fort grande de son vivant, eut des adversaires, nous l’avons vu[177]. Au total, c’est l’admiration qui domine. Catulle a traduit un de ses poèmes ; Ovide l’a beaucoup imité ; Properce l’invoque avec Philétas[178]. Quintilien le met encore au premier rang des élégiaques[179]. Cependant l’opinion contraire avait aussi des défenseurs. Un poète de date inconnue, Antiphane, a écrit sur lui et sur son école, sur cette race maudite de grammairiens qui rongent les grandes œuvres et ne goûtent qu’Érinna, une épigramme mordante qui n’est pas sans vérité[180]. Martial lui reproche de n’être qu’un érudit, à qui manque la saveur de la pure humanité[181]. La juste mesure se trouve peut-être dans le Traité du Sublime, dont l’auteur le range parmi ces poètes « impeccables », ces « calligraphes parfaits », qui ne tombent jamais très bas, mais ne s’élèvent pas non plus jusqu’aux cimes[182].


Le terme logique de tant d’érudition était le poème didactique, qui eut, en effet, dans la période alexandrine, une sorte de renaissance. L’initiateur de cette résurrection fut Aratos[183]. Aratos, fils d’Athénodore, naquit à Soles, en Cilicie[184]. Il était plus âgé que Callimaque[185] ; il dut naître par conséquent vers 315. Il étudia successivement à Éphèse, selon Suidas, puis à Athènes, où il fut l’élève du péripatéticien Praxiphane (avant Callimaque, sans doute), et aussi de Zénon, le fondateur du stoïcisme. On le trouve ensuite à Cos, dans l’entourage de Philétas[186]. Il y fit notamment la connaissance de Théocrite, qui l’a plusieurs fois nommé dans ses vers[187]. Le roi de Macédoine Antigone Gonatas, condisciple du stoïcien Persée, entendit sans doute parler d’Aratos par celui-ci, et les fit venir tous deux à sa cour, à l’occasion de son mariage[188]. C’est là dorénavant qu’Aratos semble avoir séjourné le plus habituellement. Il fit pourtant un séjour aussi auprès d’Antiochus, fils de Séleucus, et se rendit à Alexandrie, où il se lia avec Callimaque déjà vieux. Mais il revint auprès d’Antigone, à Pella, où il mourut. Sa mort fut probablement antérieure à 240, date de la mort d’Antigone ; mais antérieure de peu de temps, puisque Callimaque, moins âgé qu’Aratos, était pourtant déjà vieux quand ils se connurent.

Aratos était philosophe, mathématicien, érudit, poète. Il donna une édition de l’Odyssée[189]. Il composa de nombreux ouvrages en vers et en prose, aujourd’hui perdus[190]. Parmi ses poèmes, on citait en particulier un Hymne à Pan qui avait été fort admiré d’Antigone[191]. Mais il est surtout, pour nous comme déjà pour ses contemporains, l’auteur du poème didactique intitulé Les Phénomènes (Φαινόμενα), en deux livres. Dans le premier livre (732 vers), il fait un exposé des notions astronomiques alors régnantes ; le second (422 vers), cité quelquefois sous un titre distinct comme un ouvrage à part (Διοσημεῖαι, les signes du temps ou les pronostics), est un cours de météorologie populaire.

La poésie didactique, en Grèce, remontait jusqu’aux origines de la littérature, puisqu’elle avait eu pour initiateur Hésiode ; et depuis, au vie et au ve siècle, elle avait été cultivée par un Xénophane, un Parménide, un Empédocle. Mais l’ouvrage d’Aratos, tout en se reliant à cette tradition, s’en sépare sur plus d’un point. Chez Hésiode, la poésie didactique avait été surtout l’interprète grave et religieuse d’une tradition impersonnelle. Chez les philosophes du vie et du ve siècle, elle était la voix raisonneuse et passionnée de la raison individuelle marchant à la conquête du vrai. Chez Aratos, elle n’est ni l’une ni l’autre : elle est la vulgarisation élégante d’une science continuée en dehors d’elle et en dehors de la tradition. Aratos, quoique fort instruit, n’est pas un savant proprement dit, un de ceux qui créent la science ou qui lui font faire des progrès. Son ambition scientifique se borne à traduire en vers exacts et précis l’ouvrage en prose d’un vrai savant, Eudoxos de Cnide[192]. Ses visées sont essentiellement littéraires : la gloire qu’il recherche est celle d’un poète élégant, qui a su triompher des difficultés d’un pareil sujet par des miracles de style et de versification. On voit les dangers d’un pareil système : il risque d’engendrer la froideur, le prosaïsme, l’ennui. Ce qui peut sauver un ouvrage de ce genre, c’est d’abord un talent de style qui donne à certaines vérités scientifiques un caractère d’éternité, par la netteté définitive de la formule, par la toute-puissance du vers bien frappé : tel est souvent, dans un autre genre, le mérite des vers gnomiques, ou celui des vers de Boileau. C’est aussi l’émotion du poète, une imagination vive et sensible, qui lui permette, comme à un Lucrèce ou à un Virgile, de mettre toute son âme dans sa science, de vivifier et d’humaniser ses axiomes ou ses préceptes par un accent qui nous fasse tressaillir ou rêver.

Aratos n’est ni un Lucrèce ni un Virgile. C’est un Alexandrin de beaucoup de talent, et rien de plus. Il a quelques-unes des qualités d’un Boileau, avec moins de conviction et plus d’élégance. C’est, si l’on veut, un Saint-Lambert : comme le poète des Saisons, si fort admiré de La Harpe, il est bon écrivain, bon versificateur, précis, élégant et froid. Son style est d’une clarté limpide, sans images vives ni émotion. Ses descriptions sont exactes et nettes. Ses vers, toujours faciles, se gravent aisément dans le souvenir. S’il ajoute çà et là quelque chose à la leçon qu’il a apprise chez Eudoxos, c’est tout au plus, dans son exorde, une gravité religieuse qui révèle le stoïcien, et, dans le reste du poème, quelques discrets souvenirs des vieilles légendes, quelques traces de la douceur homérique, quelques timides essais d’harmonie imitative. Ce serait une étude intéressante, mais trop longue pour être faite ici, que d’examiner de près les nombreux passages où il a servi de guide à Virgile. On saisirait aussitôt la différence profonde qui sépare l’habile versificateur du grand poète : là où le premier n’a vu qu’un thème à développer en vers précis et corrects, le second s’émeut, sent la vie des choses, tour à tour grandiose, ou douloureuse, ou aimable, et par la magie de ses peintures, nous fait entrer aussi en communion avec la divine et vivante nature[193].

Tel qu’il était cependant, avec ses qualités et ses imperfections, Aratos eut une réputation considérable. Ses qualités devaient charmer sa génération, qui ne sentait pas ses défauts ; et le monde romain à son tour subit l’influence de son grand nom. Théocrite et Callimaque, qui le connurent personnellement, l’aimèrent et l’admirèrent. Son livre devint classique. Dans un âge de culture générale étendue, beaucoup de lecteurs étaient charmés d’apprendre si vite et si agréablement tant de choses considérées comme difficiles. Même de vrais savants, comme Hipparque et Denys, le commentèrent. À Rome, Varron et Cicéron le traduisirent ; Virgile s’en inspira, mais pour le dépasser. En somme, Callimaque ne l’avait pas mal caractérisé, lorsqu’après avoir rappelé le souvenir d’Hésiode, il ajoutait : « Salut, délicates et subtiles paroles, compagnes des veilles d’Aratos[194]. »

En face de ces délicats, Apollonios de Rhodes est, à certains égards, un réfractaire, puisqu’il osa, en dépit d’eux, revenir à l’épopée : ce n’est pourtant là qu’une demi-révolte, car il reste encore leur contemporain et leur disciple plus qu’il ne le croit peut-être[195].

Apollonios, dit « de Rhodes », était né réellement à Alexandrie[196] : Rhodes devint seulement sa seconde patrie, quand sa querelle avec Callimaque l’eut forcé de quitter l’Égypte. La date de sa naissance ne peut être fixée avec précision : on la détermine d’après la date de la querelle ; mais comme celle-ci à son tour dépend de la date qu’on attribue à l’Hymne à Apollon, et que cet Hymne, enfin, est tantôt avancé, tantôt reculé d’une quinzaine d’années, il en résulte que la naissance d’Apollonios, probablement comprise entre 280 et 260, ne saurait être placée avec certitude dans une année plutôt que dans une autre[197]. Ce qui est certain, c’est qu’il fut l’élève de Callimaque, qu’il composa tout jeune ses Argonautiques, en opposition complète avec les leçons et les exemples de son maître, qu’il accentua sa révolte par des récitations publiques de son œuvre, qu’il chercha des applaudissements et recueillit des sifflets, qu’une lutte ardente s’engagea entre les deux adversaires, et que, malgré un petit groupe peut-être de chauds partisans, composé des ennemis de Callimaque, il dut fuir devant l’orage[198]. Il se retira à Rhodes, qui lui fit fête, et y passa le reste de sa vie. Il est douteux que son poème fût entièrement composé à son départ d’Alexandrie : dans sa nouvelle retraite, il l’acheva, en publia deux éditions successives, et prit soin de s’y désigner lui-même comme Rhodien, au dire du biographe.

Le poème des Argonautiques comprend quatre livres et près de six mille vers. C’est à peu près la moitié de l’Iliade ou de l’Odyssée ; c’est la mesure demandée par Aristote[199]. Les aventures des Argonautes avaient sans cesse inspiré les poètes ; Homère disait déjà : Ἀργὼ πᾶσι μέλουσα, « Argo qui occupe tous les hommes[200]. » Mais personne n’avait raconté en vers, dans un récit suivi, tout le voyage du navire. Apollonios se donna cette tâche. Dans les deux premiers livres, il dit la réunion des Argonautes, leur départ, leur voyage jusqu’en Colchide ; dans les deux derniers, la conquête de la toison grâce à l’aide de Médée, et leur retour en Grèce. Une foule d’épisodes, de descriptions, de combats s’enchâssent dans l’action et l’enrichissent.

La prétention évidente d’Apollonios était d’être l’Homère de son temps, de donner à la Grèce, en un seul poème, une sorte d’Iliade et d’Odyssée mise au goût du jour. En fait, il marque le terme d’une longue évolution de l’épopée. Au temps des premiers aèdes, l’épopée naïve et passionnée avait été l’histoire merveilleuse de la vie héroïque, saisie dans quelques épisodes dramatiques et vivants. Les poètes cycliques, déjà voisins des premiers logographes, mais encore naïfs et sincères, avaient essayé de relier ces épisodes, de donner un tableau d’ensemble des âges légendaires. Puis étaient venus les premiers poètes savants, un Panyasis, un Antimaque, plus tard un Chœrilos, qui avaient été franchement des imitateurs, peintres d’une antiquité imaginaire qu’ils savaient fort différente de leur temps, poètes s’adressant à des lecteurs plus qu’à des auditeurs, déjà plus curieux qu’inspirés, mais trop dévots à la tradition pour s’en écarter de parti-pris, cherchant plus à la maintenir qu’à la renouveler, et ne la modifiant, pour ainsi dire, qu’à leur insu, par l’intrusion involontaire des manières de penser contemporaines. Apollonios diffère des uns et des autres. Il n’est ni naïf ni inconscient. Il essaie de concilier, par une habileté savante, tout ce que la tradition peut offrir d’acceptable encore à ses contemporains, avec les sujets, les idées, les formes d’art que réclame le goût alexandrin. Ce qu’il retient de l’ancienne épopée, c’est le merveilleux, les combats, les aventures héroïques, les catalogues. Ce qu’il y ajoute, c’est d’abord l’érudition curieuse : géographie, mythes nouveaux, étymologies, coutumes populaires et naïves, rites exotiques ou surannés ; — c’est ensuite la peinture de l’amour. De là, dans son poème, des parties qu’on peut appeler mortes, et des parties vivantes. Les parties mortes, ce sont d’abord toutes celles où il traite les motifs traditionnels, parce qu’il n’a pas les qualités que ces sujets eussent exigées ; ce sont ensuite les parties remplies par l’érudition, naturellement réfractaire à la poésie, et surtout à ce genre de poésie. Il a fait, au contraire, œuvre vivante et durable dans la peinture de l’amour : là, il a pu déployer tout son talent, qui était considérable, et se montrer plus novateur, plus original, plus grand poète même qu’on ne le dit peut-être communément. Il faut revenir sur ces différents points et les étudier avec plus de précision.

Les règles des genres littéraires, ou, si l’on veut, leur physionomie propre, leur caractère nécessaire, sont établis une fois pour toutes, quoi qu’on fasse, par les premiers chefs-d’œuvre qui les ont fixés : il est plus facile de créer un genre nouveau que de prêter à un genre traditionnel des qualités absolument opposées à celles qu’il a d’abord présentées et dont le souvenir est ainsi devenu inséparable de l’idée même qu’on s’en fait. Pour traiter d’une manière épique les sujets traditionnels de l’épopée, il faut que le génie du poète ait de la naïveté et de la grandeur. Des dieux auxquels on ne croit pas, dont la peinture n’est que spirituelle et jolie, des combats sans ivresse furieuse, des miracles qui n’inspirent aucune terreur sacrée, ne sont pas épiques. Pour la même raison, rien n’est plus contraire au génie de l’épopée qu’une érudition sèche et pédantesque : car rien n’est plus éloigné de la grandeur et de la naïveté. Quel que soit le talent d’Apollonios, il a l’irrémédiable défaut de ne pas croire à ses dieux, de ne pas s’intéresser aux grands coups d’épée, de ne pas s’épouvanter des miracles, de vouloir à toute force étaler son savoir de géographe et de mythographe. Il remplace, en ces matières, l’émotion par l’esprit, le grand par le joli et la poésie par la prose. On peut lire, dans les Argonautiques, les deux premiers chants tout entiers, le commencement du troisième et la fin du quatrième, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas l’épisode de Médée, sans y trouver quoi que ce soit de vraiment grand. Les épisodes agréables n’y sont pas rares, mais on attendait autre chose d’une épopée. Il y a discordance entre le cadre traditionnel de l’épopée et ces détails spirituels, parfois prosaïques, que le poète y enferme laborieusement. Au début, après une invocation académique et froide, Apollonios énumère les Argonautes : c’est un catalogue érudit, précis, sec et ennuyeux. On lance le navire Argo[201] : les vers sont ingénieux, mais si il on veut mesurer la distance qui sépare cette versification habile de la vraie grandeur, on n’a qu’à relire, dans la quatrième Pythique de Pindare, le récit du départ de Jason[202]. Une fois le navire en marche, Orphée fait entendre un chant[203] : le poète, ici, se souvient d’Empédocle et arrive presque à la grandeur ; Virgile, dans son Silène (Églogue VI), André Chénier, dans son Hermès, ont fait à l’auteur des Argonautiques l’honneur de s’inspirer de ce passage, dont le mouvement général est beau, malgré un peu de sécheresse encore dans le détail. Quand le navire passe en vue de la Thessalie, les dieux le regardent du haut de l’Olympe, et les Nymphes Péliades sortent de leurs retraites pour l’admirer[204] ; jolis vers, d’un pittoresque aimable. À Lemnos, la rencontre de Jason et d’Hypsipyle, la reine des Amazones, est assez froidement racontée. Plus loin, les Argonautes combattent des géants et les tuent : une belle comparaison, pittoresque et neuve, nous montre les géants morts étendus sur la grève, pareils à des poutres immenses que les bûcherons couchent au bord d’une rivière, les faisant baigner dans l’eau pour les durcir[205]. Au milieu de tout cela, force présages et apparitions, prophéties de Mopsos, d’Apollon, de Glaucos, de Phinée, etc. ; force érudition surtout et explications géographiques, mythologiques, étymologiques. Puis, un autre gracieux épisode, celui de la mort d’Hylas, très probablement imité de Théocrite, avec plus de pittoresque et moins de sentiment vrai[206]. Tout le second chant est formé de la même manière. Au début du troisième, les héros sont en Colchide. Héré et Athéné, protectrices de Jason, s’occupent alors de lui assurer la complicité de Médée : elles vont trouver Cypris, pour lui demander d’envoyer Éros à la jeune fille. Les déesses n’ont rien de surhumain : ce sont de belles dames d’Alexandrie, élégantes et spirituelles. Cypris est à sa toilette quand les deux autres arrivent. Éros est un enfant gâté, dont sa mère parle avec un gentil mécontentement. On le trouve en train de jouer aux osselets avec Ganymède : Cypris, pour le décider, lui promet un jouet, une sorte de ballon métallique construit jadis par Adrastée pour Zeus enfant. Éros, enchante, range ses osselets, les compte, les jette dans la tunique de sa mère et s’équipe pour sa nouvelle expédition. On voit le ton léger, le badinage spirituel, fort gracieux parfois, mais fort peu épique. Nous sommes beaucoup plus près d’Ovide que d’Homère ou même de Virgile.

Avec l’amour de Médée, tout va changer. Ce n’est pas qu’ici encore le bel-esprit alexandrin ne reparaisse en maint passage, tantôt sous la forme érudite, tantôt sous la forme du « joli » ; mais ces gentillesses passent au second plan et s’effacent ; ce qui domine, c’est un sentiment sincère et fort, une vraie passion, et le caractère du poème s’en trouve modifié profondément. Mais est-ce là, dira-t-on, un sentiment épique, au sens propre du mot ? Non, sans doute, si l’on s’en tient à Homère ; oui, si l’on doit admettre que Virgile aussi, à sa façon, est un grand poète épique : quelle que soit la force des traditions originelles, il est certain que les genres se modifient, et que ces modifications sont légitimes quand elles sont belles. Or Apollonios, en créant sa Médée, a créé une très belle chose. Il a élargi, mais non brisé, le cadre de l’épopée. Il y a fait entrer l’amour, et il a su poindre cet amour avec assez de puissance à la fois pour le rendre digne des grands noms de la légende, et assez de nouveauté pour laisser une trace impérissable[207].

La nouveauté de la peinture d’Apollonios consiste d’abord dans une subtilité d’analyse dont il n’y avait avant lui aucun exemple. On n’a peut-être pas assez dit combien c’était une chose neuve, à cette date, que d’étudier heure par heure, pour ainsi dire, l’éclosion d’un sentiment dans une âme, d’en suivre les progrès minutieusement, d’en dire les incertitudes, les combats douloureux, et d’arriver peu à peu, sans défaillance, jusqu’à l’explosion finale, décrite avec une vigueur et un pathétique admirables. Euripide, certes, avait été un grand peintre de l’amour. Sa Médée, sa Phèdre surtout, sont des amoureuses d’une grandeur tragique, mais elles ne nous font pas assister à l’évolution de leur passion : nous n’en voyons que les derniers combats. Ici, l’analyse psychologique est poussée aussi loin que dans un roman moderne. À partir du moment où Médée a été blessée par Éros[208], nous la suivons pas à pas jusqu’au terme inévitable. Après l’audience accordée par Éètès à Jason, le souvenir du héros l’obsède sans relâche[209]. Un songe achève de la troubler[210]. Sa sœur Chalcippe, comme la sœur de Didon dans l’Énéide, se fait sans le savoir, et de la manière la plus naturelle, la complice d’Éros[211].

La joie, la honte, le désir de mourir déchirent l’âme de Médée[212]. Enfin l’amour est le plus fort ; elle mettra au service des Argonautes le secours de sa puissance magique. Elle se rend au temple d’Hécate où Jason doit la rejoindre : après une attente solitaire et pleine d’angoisses, elle voit venir le héros[213]. L’entretien s’engage, admirablement dramatique par le pathétique de la situation et le mouvement : il y a un progrès, un rythme soutenu, dans l’évolution des sentiments, d’un bout à l’autre de la scène ; peu à peu, Médée donne toute son âme[214]. Elle n’a plus maintenant qu’à s’enfuir avec celui qu’elle aime. Un dernier adieu à sa chambre de jeune fille, et elle se dirige, à travers la ville endormie, jusqu’au navire Argo[215]. — On voit l’incomparable minutie de cette analyse : c’est déjà l’art d’un Virgile, d’un Racine, d’un romancier moderne. L’art classique n’offrait à Apollonios aucun modèle de ce genre. Cette psychologie délicate doit beaucoup sans doute aux leçons d’un Aristote, d’un Théophraste, d’un Ménandre ; mais pour en faire une œuvre vivante et dramatique, une part de génie était nécessaire, et Apollonios a eu ce génie.

Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est la nature des éléments qui entrent dans cette peinture si subtile. L’amour de Médée, malgré tous les traits qui le rapprochent des sentiments exprimés par Sappho, par les héroïnes de la tragédie, par la magicienne de Théocrite, est cependant, à bien des égards, d’une autre essence, plus fine et plus rare. Médée est une jeune fille ; sa vie a toujours été chaste, son imagination est pure. Elle lutte contre elle-même avec angoisse et épouvante. Elle a des troubles exquis et des remords douloureux. Tout conspire contre sa volonté. La démarche de sa sœur a un air rassurant. Des sophismes spécieux l’enveloppent de toutes parts. L’empire que Jason prend sur son âme ne s’exerce qu’à l’aide du langage le plus insinuant, le plus réservé, et en même temps le plus persuasif. Même quand elle a pris son parti d’être criminelle, elle garde des délicatesses de langage et une dignité d’attitude qui lui donnent une physionomie à part. — C’est une grande nouveauté, dans la littérature alexandrine, qu’un amour si pudique et si douloureux. La Médée d’Apollonios laisse pressentir la Phèdre de Racine, et ce n’est pas là pour elle un médiocre honneur.

Une objection qui se présente à l’esprit tout d’abord, et qu’on a faite plus d’une fois, c’est que peut-être une passion si noble se concilie mal avec tant d’autres traits du personnage de Médée, et que l’unité du caractère en souffre. Comment unir en une même image cette jeune fille tremblante et la femme cruelle qui fait périr Absyrte[216], ou la magicienne qui force la nature et les monstres à lui obéir ? L’objection, à vrai dire, sous une forme ou sous une autre, s’adresse à toutes les œuvres d’un art composite ou des traces d’époques différentes se combinent, à l’art d’un Virgile ou d’un Racine comme à celui d’Apollonios. Et, en un sens, elle est irréfutable. Mais ce qu’on peut dire en faveur d’Apollonios, c’est qu’il a eu, comme tous les grands artistes, l’habileté de fondre ces éléments disparates en un tout suffisamment harmonieux pour que le goût ne soit pas choqué. En somme, la magicienne disparaît presque dans sa Médée : ce qui surnage, c’est le caractère de la jeune fille passionnée, ardente malgré ses troubles, et capable de tout sous l’impulsion d’un amour irrésistible. La magie n’intervient qu’à titre de donnée traditionnelle et de ressort consacré ; c’est un accessoire, cher d’ailleurs aux alexandrins, mais que le goût de tous les temps n’a pas trop de peine à accepter comme un postulat nécessaire en pareille matière.

À côté de Médée, les autres caractères pâlissent singulièrement. Jason, qui n’est, dans l’ensemble du poème, qu’une « utilité », a du moins le mérite, dans les scènes d’amour, de parler avec habileté et convenance : il y est certainement plus sympathique et plus vivant qu’Énée. Chalcippe, la sœur de Médée, est une confidente agréable. Les autres personnages ne sont que de légères esquisses ou des comparses.

Le poème finit comme il a commencé, par des récits d’aventures et de voyages, où un pittoresque assez élégant se mêle à des inventions laborieuses et à une érudition qui manque de poésie.

La versification d’Apollonios est habile et savante : on connaît en lui l’élève de Callimaque. Son hexamètre aux coupes variées, aux nombreux dactyles, se plie avec souplesse aux divers mouvements de la pensée.

Son style est inégal, comme son inspiration elle-même. Quand l’inspiration est poétique, le style traduit d’ordinaire cette poésie avec bonheur. Quand le fond des choses est prosaïque ou froid, le style trahit aussitôt le défaut de l’inspiration par la sécheresse et l’abstraction. Laissons de côté les morceaux manqués. À ne considérer que les belles pages des Argonautiques, Apollonios est un écrivain d’un talent original. Cette originalité, sans doute, est fort savante : il a toute l’érudition de ses contemporains et puise son vocabulaire dans le trésor de la poésie antérieure plutôt que dans l’usage vivant. Il a beau combiner tous ses matériaux avec choix et avec goût, il est difficile que cette marquetterie ne semble pas parfois un peu composite, qu’un substantif abstrait, des formes de langage trop compliquées, comme l’emploi du style indirect, ou trop personnelles, comme l’emploi fréquent des locutions nous savons que, à ce qu’on raconte, ne produisent pas une sorte de contraste déplaisant, au milieu de tant de vestiges confondus du style homérique et du style lyrique. La pureté du style est devenue une qualité impossible à atteindre dans l’école de Callimaque. Mais Apollonios a, malgré tout, de grandes qualités d’écrivain. Il a le mot précis et vigoureux, sinon toujours pur et poétique. Il a une imagination forte, ingénieusement réaliste ; il voit les lignes, les attitudes, et les fait voir ; il trouve des comparaisons pittoresques en abondance ; Virgile lui en doit de célèbres[217]. Il sait d’ailleurs décomposer une idée, en montrer finement toutes les parties, puis recomposer un tableau d’ensemble où chaque détail a sa juste place. Sa phrase est ferme et souple. Elle a du mouvement et du rythme. Son récit est net, facile, un peu prosaïque parfois. Ses descriptions sont vives et pittoresques. Ses discours surtout sont très habiles, exprimant avec vérité, avec force, avec éloquence, les agitations qui troublent la pensée de ses personnages. Quelques-uns des monologues de Médée sont d’une beauté dramatique achevée. Voici, dans ses grandes lignes, la scène où Médée prend sa résolution définitive ; les souvenirs des poètes antérieurs, les modèles aussi qui ont inspiré Virgile et Racine, s’y enchaînent en une trame vraiment puissante[218] :

Cependant la nuit étendait ses ombres sur la terre : en mer, les matelots s’endormaient, en contemplant de leur navire Héliké et les astres d’Orion. Le moment du sommeil était souhaité du voyageur en route et du gardien qui veille aux portes. La mère elle-même, qui vient de voir mourir ses enfants, était enveloppée dans la torpeur d’un assoupissement profond ; l’aboiement des chiens ne s’entendait plus dans la ville ; plus de rumeur sonore ; le silence possédait les ténèbres de la nuit.

Mais Médée n’était pas envahie par le doux sommeil. Mille soucis, nés de son amour, la tenaient éveillée… Sans cesse son cœur bondissait dans sa poitrine. Tel, dans une chambre, un rayon de soleil bondit, reflété par l’eau qui vient d’être versée dans un chaudron ou une terrine : agité par un rapide tournoiement, il saute çà et là ; de même le cœur de la jeune fille tournoyait dans sa poitrine…

Elle se disait tantôt qu’elle donnerait la substance pour calmer les taureaux, tantôt qu’elle ne la donnerait pas ; elle pensait à périr elle-même, puis à ne pas mourir, à ne pas donner la substance, à supporter son mal sans rien faire. Puis, s’étant assise, elle réfléchit et dit :

Infortunée que je suis ! Entourée de malheurs, où me tourner ? Partout des incertitudes pour mon âme ; aucun remède à ma souffrance, qui ne cesse de me bruler. Oh !… si Artémis avait pu me tuer de ses flèches rapides avant qu’il me fût apparu ! Comment pourrai-je, à l’insu de mes parents, préparer les substances magiques ? Quelle parole dire ? Quelle ruse inventer pour dissimuler mon aide ? Lui parlerai-je en secret loin de ses compagnons ? Malheureuse, quand même il mourrait, je n’espère pas être soulagée de mes maux : lui mort, alors encore le mal m’étreindrait. Adieu pudeur ! Adieu l’éclat de ma vie ! qu’il soit sauvé par moi, et que, sans blessures, il s’en aille loin d’ici, au gré de son cœur !… »

Quintilien dit d’Apollonios que son poème mérite l’estime par une certaine égalité de qualités moyennes[219]. Ce jugement serait équitable s’il n’avait en vue que le début et la fin du poème ; appliqué au IIIe livre, il est certainement inexact : le créateur du personnage de Médée, Alexandrin et académique par tant de côtés, a eu aussi son heure d’inspiration et son éclair de génie ; c’est ce qu’il ne faut pas oublier.

V

La virtuosité verbale mise en honneur par Callimaque devait aboutir à d’étranges abus. Quand le culte du mot et de « l’écriture artiste » se détache de plus en plus du sérieux de la pensée et de la sincérité du sentiment, il se trouve toujours quelques excentriques pour chercher, dans des combinaisons bizarres de vocables obscurs, un plaisir qui tient peut-être de la musique ou du rève, mais qui n’a certainement plus rien de commun avec le bon sens. Cela se voit de tout temps et en tout pays. À Alexandrie, l’initiateur de cette extravagance fut Lycophron, surnommé « l’obscur. »

Lycophron était né à Chalcis, en Eubée, vers la fin du ive siècle[220]. Il vint à Alexandrie comme tant d’autres, attiré par l’éclat de la cour de Philadelphe, et y conquit une grande réputation comme poète tragique et comme érudit. Il composa en prose un écrit étendu Sur la comédie[221]. Nous connaissons les titres et quelques fragments d’une vingtaine de ses tragédies et d’un drame satyrique intitulé Ménédème[222]. Il fut compté parmi les écrivains de la « Pléiade » tragique alexandrine.

Mais il doit surtout sa célébrité à l’étrange poème intitulé Alexandra. C’est une sorte de prodigieux couplet tragique, de 1474 vers, où une esclave, semble-t-il, rapporte à un interlocuteur inconnu, après quelques vers d’introduction, des prophéties d’Alexandra, c’est-à-dire de Cassandre, fille de Priam. Ces prophéties s’étendent jusqu’à la période alexandrine, ce qui a permis au dernier éditeur de placer la composition de l’ouvrage en 274 ; mais cette date, à quelques années près, est sujette à discussion[223]. La célébrité de l’ouvrage vient surtout de son obscurité. Dès l’antiquité, il faisait à la fois le tourment et le bonheur des exégètes[224]. Aujourd’hui, il n’est à peu près aucun savant qui ne recule épouvanté devant cette avalanche de phrases interminables et inintelligibles. Nous n’avons aucune intention d’essayer ici de percer ce mystère ; mais il n’est peut-être pas sans intérêt de marquer en peu de mots la nature exacte de cette obscurité, les motifs en partie spécieux qui ont pu déterminer Lycophron à entreprendre cette gageure, et même la part de talent qui s’y dérobe sous les nuages.

L’entreprise de Lycophron est, au fond, une réaction assez naturelle contre l’affaiblissement du style tragique, devenu de plus en plus semblable à celui de la comédie. Rien ne ressemble parfois à un fragment de Ménandre autant qu’un fragment d’Euripide. Lycophron, d’un seul bond, remonte, par delà Euripide, jusqu’à Eschyle et jusqu’à Pindare, c’est-à-dire jusqu’aux maitres incontestés du style lyrique et tragique ; mais il le fait avec frénésie, sans mesure et sans goût. Pindare, au lieu de dire « les taureaux aux larges flancs », disait quelquefois : « la nature largement flanquée des taureaux ». Eschyle, au lieu de dire « la mer aux mille flots souriants », disait : « le sourire innombrable de la mer. » Et ce mélange d’abstraction hardie, discrètement employé, donnait à leur style une poésie surprenante. Lycophron a bien saisi le procédé, mais il en abuse sans choix ; ce que ces grands poètes faisaient parfois, il le fait toujours, à jet continu. Et il ajoute à cette première cause d’obscurité celle qui vient des allusions amphigouriques à des mythes mal connus, une érudition laborieuse au possible, toute l’obscurité proverbiale des oracles, compliquée de pédantisme alexandrin. Si l’on détache de l’ensemble quelques vers isolés et qu’on les commente avec soin, on y sent du souffle, une sorte de couleur eschyléenne ou pindarique ; l’auteur n’est pas sans talent. Mais si l’on essaie de lire l’ouvrage dans sa teneur suivie, on perd pied au bout de peu d’instants, et l’on ne voit plus, dans ce grand effort, qu’une monstruosité. Par ce qu’il a voulu faire et même par ce qu’il a fait, Lycophron mérite une courte mention dans une histoire de l’Alexandrinisme, mais il ne mérite pas davantage.

VI

Les poètes dont nous venons de parler ont ouvert des voies en tous sens et fixé les traits essentiels de la poésie alexandrine. Après eux, pendant deux siècles encore, on les imite, on les recommence avec plus ou moins de succès, mais sans qu’aucun nom désormais s’élève décidément au dessus de la foule. Une revue rapide de ces « épigones » justifiera cette observation générale.


L’épopée est représentée par deux noms surtout, ceux d’Euphorion et de Rhianos.

Euphorion naquit à Chalcis, en Eubée, en 276, d’après le témoignage de Suidas[225]. Il étudia la philosophie à Athènes, s’enrichit, dit-on, par un amour peu honorable, et finit sa vie comme bibliothécaire d’Antiochus le Grand (224-187). Il avait composé, outre un certain nombre d’écrits en prose sur des sujets historiques (Ἄτακτα, Ὑπομνήματα ἱστορικά, etc.), divers poèmes narratifs et des épigrammes. Ces poèmes narratifs, qui portent comme titres, en général, des noms propres (Διόνυσος, Ὑάκινθος, Ἱππομέδων, Ἀρτεμίδωρος, Δημοσθένης, etc.), se rattachent au genre épique, mais conçu plutôt selon l’esprit de Callimaque, semble-t-il, qu’à la façon des Argonautiques. C’étaient des poèmes probablement assez courts, où les légendes amoureuses, les métamorphoses, les explications mythiques des faits actuels, le romanesque et le rare, tenaient la première place[226]. Les fragments qui nous en restent ont peu d’intérêt et font peu regretter la perte de l’ensemble. Euphorion, comme Callimaque et Lycophron, appartenait au groupe des stylistes savants et obscurs. Virgile, cependant, paraît l’avoir goûté[227], peut-être par respect pour les enseignements de l’école ; car Euphorion, ainsi que les autres écrivains du même genre, était fort étudié par les grammairiens. Les deux épigrammes que nous avons de lui sont conformes à sa réputation.


Rhianos, né en Crète, fut contemporain d’Ératosthène[228], c’est-à-dire qu’il écrivit dans la seconde moitié du iiie siècle. Il vint à Alexandrie, où il conquit une certaine réputation de philologue : son édition de l’Iliade et de l’Odyssée, la première après celle de Zénodote, est quelquefois citée par les exégètes postérieurs. Il composa aussi des épigrammes, mais il fut surtout poète épique. Il donna une Héracléide, et des poèmes intitulés Ἀχαικά, Ἠλιακά, Θεσσαλικά, Μεσσηνιακά, où il mettait en œuvre les légendes héroïques relatives à l’histoire de ces divers peuples. Les Messéniaques ou Messéniennes sont le seul de ces poèmes dont nous puissions savoir quelque chose de précis. Les fragments qui en subsistent sont insignifiants, mais Pausanias, dans son chapitre sur la Messénie, déclare qu’il y a puisé des informations[229]. C’est donc de Rhianos que vient l’histoire du héros Aristomène et de ses aventures merveilleuses. On voit, par le récit de Pausanias, que l’amour n’était pas oublié dans le poème : c’est une aventure amoureuse qui amène la chute d’Ira, la citadelle messénienne[230]. Par là, comme par son érudition curieuse, Rhianos est un véritable Alexandrin. Quant à son mérite d’écrivain, il nous échappe à peu près complètement : ses rares fragments épiques semblent s’inspirer de la simplicité d’Homère plus que de l’obscurité d’Euphorion ; ses épigrammes sont d’un tour agréable, sans rien de saillant.


Il faut enfin ajouter à cette liste le nom d’Archias, auteur d’un poème Sur la guerre de Mithridate, que Plutarque a peut-être suivi dans son récit[231]. Archias, né à Antioche, fut un improvisateur facile et intarissable. Nous possédons de lui un certain nombre d’épigrammes. Mais le plus clair de sa gloire lui vint certainement de la chance heureuse qui fit de lui, un jour, le client de Cicéron.


La poésie didactique n’a guère produit, dans cette période, qu’une œuvre marquante, l’Hermès, d’Ératosthène, si tant est que ce soit à proprement parler un poème didactique[232]. Le seul fragment de quelque étendue qui en subsiste a bien le caractère didactique : c’est une description des cinq zones, écrite avec une élégance un peu sèche[233], dans le goût d’Aratos, et imitée par Virgile. Mais nous savons d’autre part que le poète y racontait l’enfance d’Hermès, comment il fit jaillir la voie lactée dans le ciel en mordant le sein d’Héré, ses larcins, ses voyages, la découverte de la lyre[234]. De sorte qu’on peut se demander si l’œuvre, dans son ensemble, n’était pas surtout une petite épopée de genre, selon la poétique de Callimaque, avec certains épisodes d’un caractère descriptif et didactique.


Nicandre, au contraire, né à Colophon vers la fin du iiie siècle, est un poète franchement didactique, mais franchement médiocre[235]. Il nous reste de lui deux poèmes, les Θηριακά (958 vers), sur les morsures des bêtes et leurs remèdes, et les Ἀλεξιφάρμακα (630 vers), c’est-à-dire les « contre-poisons[236]. » Ce sont de plates compilations, dont la conservation n’est nullement due à leur mérite littéraire. Nicandre avait en outre composé un certain nombre d’autres ouvrages, les uns en prose, les autres en vers, sur des sujets d’histoire et de géographie (Κολοφωνιακά, Θηβαικά, etc.), et sur des sujets d’histoire naturelle (Γεωργικά, Μελισσουργικά, etc.). Les fragments fort courts qui en restent montrent seulement son goût, bien alexandrin, pour les aventures romanesques et les métamorphoses[237].


L’élégie, si cultivée par la première génération alexandrine, inspira encore à Ératosthène un poème assez célèbre, son Érigone, dont il nous reste quelques vers à peine[238]. On sait qu’Érigone était la fille de cet Icarios à qui Dionysos avait enseigné l’art de cultiver la vigne. Érigone, selon la légende, fut changée en constellation avec son chien[239]. Il est aisé de voir que le poème d’Ératosthène devait ressembler, par l’inspiration, aux Αἴτια de Callimaque : c’était une élégie mythologique et savante, où le grand astronome introduisait encore, par un détour, sa science préférée. L’œuvre était d’ailleurs élégante, sans faiblesses, mais sans beautés de premier ordre[240].


Après Ératosthène, il faut descendre jusqu’au ier siècle pour rencontrer de nouveau un poète qui se soit fait un nom comme élégiaque : c’est Parthénios de Nicée, l’ami de Gallus[241]. Il vint à Rome en 73, comme prisonnier, après la prise de sa patrie par un lieutenant de Lucullus. Son talent lui valut la liberté, selon Suidas. Il fut lié avec Cornelius Gallus et connut probablement Virgile[242], qui traduisit un de ses vers dans les Géorgiques[243]. Nous avons de lui un ouvrage en prose, Les souffrances d’amour (Περὶ ἐρωτικῶν παθημάτων), qu’il avait composé pour Gallus[244] : c’est un recueil de légendes relatives à des aventures d’amour qui aboutissent d’ordinaire à des catastrophes et à des métamorphoses[245]. Ce n’est d’ailleurs qu’une compilation sans prétention littéraire, un recueil de sujets à mettre en élégies ; Parthénios préparait des matériaux à son ami et ne visait à rien de plus qu’à être utile. Comme poète, il avait composé des élégies mythologiques dont nous ne savons guère que les titres (Ἀφροδίτη, Δῆλος, Κριναγόρας[246]), des chants de deuil en vers élégiaques (ἐπικήδεια), une sorte d’épître à un inconnu (ὕμνος προπεμπτικός) et de petits poèmes en hexamètres (Μεταμορφώσεις, Ἡρακλῆς), où l’on peut voir, si l’on veut, des épopées, mais qui devaient ressembler beaucoup, par leur inspiration générale, à ses élégies proprement dites : c’étaient toujours sans doute des histoires d’amour et des légendes romanesques ou bizarres. Il les racontait longuement, selon Lucien[247] : comme Euphorion, comme Callimaque, il avait à sa disposition un riche trésor de mots, et il en abusait. L’influence des premiers alexandrins était donc encore toute sensible et présente dans ses œuvres, d’où elle allait se transmettre, presque sans intervalle, à Ovide.

Théocrite aussi eut ses fidèles. La poésie bucolique devint, après lui, un genre littéraire consacré : on mit en scène les bergers, on chanta leurs amours, on célébra les divinités rustiques. Par l’auteur de l’Oaristys, par Bion et Moschos, la tradition se continue presque jusqu’à Virgile.

L’auteur de la pièce intitulée Oaristys (causerie, conversation amoureuse) est inconnu. Bien que ce poème se rencontre dans le recueil des œuvres de Théocrite (XXVII), il n’est pas de Théocrite : car on y trouve un vers, le quatrième, qui n’est que la reproduction littérale d’un vers de la IIIe Idylle (v. 20) ; Théocrite ne pouvait se copier ainsi lui-même, tandis qu’un disciple pouvait lui emprunter un vers devenu rapidement proverbial parmi les lettrés[248]. Il y a d’ailleurs d’autres différences qui séparent cette œuvre de celles de Théocrite[249]. L’une des plus remarquables, bien qu’on l’ait peu signalée, est que les deux personnages, d’un bout à l’autre de leur entretien, enferment leur pensée en un seul vers, comme dans une stichomythie tragique : cette sorte de gageure est soutenue jusqu’à la fin avec autant de rigueur que de verve brillante. Le poète inconnu à qui nous devons cette pièce était un écrivain de grand talent. Personne, en dehors de Théocrite, n’a eu au même degré, dans la poésie bucolique, le don du mouvement et de la vie. Les deux personnages, un berger et une bergère, sont d’une vérité pittoresque et spirituelle. Leurs sentiments, leurs attitudes, les diverses phases de l’entretien sont indiqués d’un trait aussi fin et aussi sûr que dans les Syracusaines. C’est un véritable mime qui se joue sous nos yeux. Tout ce dialogue, parmi ses sinuosités agréables, court au dénouement, qui est d’un réalisme un peu libre, mais discrètement voilé par l’art du poète et relevé par l’idée de l’hymen. On sait qu’André Chénier a traduit l’Oaristys : sa poétique traduction conserve bien la grâce de l’original, mais n’en rend pas toute la précision mordante et toute la finesse.


Bion et Moschos sont plus célèbres que bien connus. L’ordre même où il faut les ranger est sujet à controverse. Selon les uns, Bion est un contemporain de Théocrite, un disciple immédiat du maître[250]. Selon les autres, il a vécu après Moschos, qui fut lui-même, au dire de Suidas, disciple d’Aristarque, et qui vivait par conséquent à la fin du second siècle : de sorte que Bion aurait vécu vers le commencement du premier siècle, trente ou quarante ans seulement avant Virgile[251]. Cette dernière opinion s’appuie sur des textes peu autorisés[252]. Elle a contre elle la pièce intitulée Chant funèbre en l’honneur de Bion (Ἐπιτάφιος Βίωνος), attribuée par les manuscrits à Moschos. Si cette attribution est exacte, il est clair que Moschos a survécu à Bion. Mais, fût-elle fausse (ce qui n’est pas démontré[253]), il n’en reste pas moins certain qu’aux yeux du poète inconnu qui composa cette pièce, Bion était un contemporain des personnages qui figurent dans les Thalysies, Philétas, Lycidas, Théocrite lui-même[254]. Il est donc impossible d’admettre, avec Susemihl, que cet anonyme, contemporain lui-même de Sylla, chantait un poète mort depuis peu, et le plus sûr est de s’en tenir à l’opinion traditionnelle, qui place Bion peu après Théocrite, cent cinquante ans avant Moschos. Cette question chronologique étant ainsi réglée, arrivons à dire le peu qu’on sait sur la vie et les œuvres de l’un et de l’autre.

Bion était de Smyrne[255]. Il est rangé unanimement parmi les poètes bucoliques. Lui-même parle de ses bucoliasmes[256], et le Chant funèbre attribué à Moschos l’appelle Βώκολος[257]. Les dix-sept morceaux qui nous restent sous son nom, et dont plusieurs sont des fragments, nous permettent seulement d’entrevoir le vrai caractère de sa poésie. Le plus long de ces morceaux est un Chant funèbre en l’honneur d’Adonis (Ἐπιτάφιος Ἀδώνιδος), évidemment inspiré par le tableau qui termine les Syracusaines. Le poème de Bion est censé destiné à une fête d’Adonis[258]. C’est une longue plainte entrecoupée de refrains, à peu près comme le chant funèbre de Théocrite en l’honneur de Daphnis dans la Ire Idylle. Le sentiment en est aussi sincère qu’il pouvait l’être dans un poème de ce genre, la langue pure, le style d’une simplicité étudiée qui n’est pas sans grâce. Il y a, chez Bion, des qualités d’émotion et d’harmonie qui sont d’un véritable poète. Les fragments VI et XV mettent en scène des bergers qui dialoguent entre eux. Les autres morceaux, qui n’ont guère le caractère bucolique, nous montrent en lui surtout un homme d’esprit et un poète de l’amour. Le fragment II est une jolie fable, d’un tour tout alexandrin, où un enfant, prenant un Éros ailé pour un oiseau, cherche à s’en emparer ; un vieillard, qui l’aperçoit, lui dit en souriant :

Laisse là ta chasse, ne poursuis pas cet oiseau, fuis plutôt : c’est une bête redoutable. Plaise au ciel que tu ne l’attrapes pas, quand tu seras homme ! Cet Éros, qui te fuit aujourd’hui et saute loin de ta main, de lui-même alors venant soudain vers toi, se posera sur ta tête.

Le fragment III est du même ton. Le poète raconte que Cypris l’a chargé de faire l’éducation d’Éros enfant : naïf bouvier, il a enseigné à l’Amour les inventions de Pan, d’Athéné, d’Hermès ; mais l’Amour lui a enseigné à son tour les tendres soucis des hommes et des dieux, si bien qu’il a lui-même oublié ses propres enseignements et retenu seulement ceux de son élève.


Moschos, né à Syracuse, fut l’élève d’Aristarque[259]. Il composa probablement quelques écrits en prose sur des sujets de philologie[260]. Les huit poèmes ou fragments que nous avons sous son nom sont des imitations de Théocrite et de Bion, mais non des « bucoliques » proprement dites. Nous avons dit plus haut qu’il pouvait être l’auteur du Chant funèbre en l’honneur de Bion : c’est un nouveau rajeunissement des thrènes antérieurs sur Daphnis et sur Adonis, avec plus d’esprit d’ailleurs que d’émotion ; le poète n’a vu là qu’un joli thème littéraire à développer. Lui-même s’y présente à nous comme un poète bucolique[261]. La petite pièce sur l’Amour fugitif est spirituelle, dans le goût des Alexandrins et de Bion[262]. D’autres fragments, plus courts, n’ont rien qui mérite une attention particulière. Restent deux poèmes analogues aux petites épopées de Théocrite, Europe (162 vers) et Mégara (125 vers). Ce dernier, à vrai dire, paraît extrait d’un poème plus long : c’est une conversation verbeuse, mais assez touchante parfois, entre Mégara, la femme d’Héraclès, et Alcmène ; Mégara se lamente sur la folie d’Héraclès, et Alcmène fait écho à ses plaintes, non sans noblesse. La plupart des derniers éditeurs considèrent ce morceau comme n’étant pas de Moschos[263]. Le poème d’Europe raconte l’enlèvement de la jeune fille par Zeus, métamorphosé en taureau. Le récit est facile et agréable. L’arrivée du taureau dans la prairie, ses caresses à Europe, l’enjouement de celle-ci quand elle s’asseoit sur son dos puissant, son étonnement (plus spirituel qu’effrayé) quand le ravisseur l’emporte au milieu des flots de la mer, forment un tableau gracieux et pittoresque : le style est d’une simplicité aimable qui s’accorde bien avec l’emploi du dialecte ionien. Nous avons ici sous les yeux l’un de ces modèles de jolie poésie alexandrine que Catulle aimait tant, et dont il devait s’inspirer dans son Épithalame de Thétis et de Pélée.


À côté de ces genres divers, nous trouvons enfin, dans cette période, le genre alexandrin par excellence, l’épigramme, que tous les poètes ont traité à l’occasion, mais qui a fait plus spécialement l’occupation de quelques-uns et leur a donné la célébrité, comme autrefois à Asclépiade de Samos et à Léonidas de Tarente. Ces poetae minores sont légion : nous en connaissons plus de quarante[264]. L’art de tourner élégamment quelques distiques était devenu, à cette époque, familier à tous les hommes cultivés : historiens, savants, érudits, hommes d’état, hommes du monde s’en mêlent à l’occasion, et ne s’en tirent pas mal. Faire une épigramme est un jeu pour ces beaux-esprits. Les modèles sont si nombreux et si connus qu’il est facile de les imiter. Dans cette foule de poètes, artistes ou simples amateurs, le talent est monnaie courante. Ce qui est rare, c’est l’originalité. Rien ne ressemble à une épigramme de l’un comme une épigramme de l’autre. Ce sont toujours les mêmes thèmes, les mêmes formules, le même tour d’esprit. En dehors de ces ressemblances générales, il y a de certains sujets particuliers que chacun reprend à satiété ; par exemple l’histoire du prêtre de Cybèle qui entre dans la grotte d’un lion et qui, surpris par le retour de l’animal, le fait fuir en jouant du tambour ; — ou le désaveu de Cypris refusant des armes en offrande. Quelques pièces choisies et lues à part semblent jolies, ou même exquises ; quand on en lit beaucoup, on est surtout frappé de leur monotonie, de la pauvreté des idées el des sentiments, de ce qu’il y a d’artificiel et de convenu dans ces distiques ingénieux sur une offrande votive, sur une œuvre d’art, sur une mort prématurée, sur les flèches d’Éros et les regards de Cypris. Nous n’avons pas à suivre dans le détail toute cette production, trop abondante et trop peu variée. Il suffira d’en détacher cinq ou six noms qui, pour des motifs divers, ont quelques droits à une courte attention.

Il suffit de nommer, en passant, dans la seconde moitié du iiie siècle, Dioscoride, dont il nous reste une quarantaine d’épigrammes, mais dont le mérite est tout entier dans une élégance assez banale[265] ; — puis Alcée, de Messène, contemporain du roi de Macédoine Philippe III (220-178), et dont nous avons une vingtaine de morceaux[266]. Alcée de Messène traite avec une élégance de bon goût les sujets ordinaires de l’épigramme. Une de ses pièces, plus intéressante, raille Philippe sur sa défaite à Cynoscéphales (197). Le roi lui répondit par un distique où il essaya de mettre de la méchanceté[267].

Antipater de Sidon est le premier en date de ces Grecs de Syrie qui portèrent dans la poésie l’habitude sophistique de l’improvisation[268]. Il vécut vers le milieu du second siècle : deux de ses épigrammes font allusion à la ruine récente de Corinthe[269]. Nous avons de lui une centaine de pièces ; c’est un des poètes les plus largement représentés dans l’Anthologie. Son mérite n’est pourtant pas de premier ordre. C’est un imitateur de Léonidas de Tarente, de Callimaque, de tous les maîtres alexandrins. Il écrit avec une élégance un peu cherchée, laborieuse d’apparence (malgré sa facilité d’improvisateur), sur des sujets qui n’ont rien de personnel.


Méléagre est beaucoup plus intéressant[270]. Il était né, vers le milieu du second siècle, d’un père grec, à Gadara, en Syrie, de sorte qu’il s’appelle lui-même quelque part un « Syrien[271]. » Gadara était la patrie du philosophe cynique Ménippe et paraît avoir été un centre littéraire assez vivant. Méléagre suivit d’abord la doctrine de son compatriote, puis il se rendit à Tyr, où il mena une vie de plaisir ; lui-même fait plusieurs fois allusion à cet oubli de la philosophie et de la sagesse. La plupart de ses poésies amoureuses appartiennent à cette période. Quand l’âge l’eut un peu calmé, il se retira à Cos, où il s’occupa surtout, semble-t-il, de philosophie et d’érudition, mais sans renoncer encore à l’amour. Il y mourut dans un âge avancé.

Comme poète, Méléagre se distingue de la plupart de ses contemporains par la place considérable qu’il donne dans ses œuvres aux passions qui ont rempli sa vie. Ces passions ne sont pas, en général, d’un ordre très relevé. Les éphèbes et les courtisanes qu’il chante dans ses vers n’étaient pas de nature à lui inspirer des accents sublimes. Quelques-uns de ces vers sont obscènes ; d’autres sont gâtés par le bel-esprit. Beaucoup ont un mérite de sincérité dans l’émotion, d’ardeur naïvement sensuelle, d’admiration pour la beauté, d’esprit et de verve ingénieuse, qui suffit à les mettre fort au-dessus de la plupart des œuvres du même temps. Quelquefois, il s’élève plus haut encore : il a des accents d’une mélancolie et d’une tendresse touchantes. Quand la mort lui eut ravi Héliodora, qu’il avait souvent chantée pour sa beauté et pour son esprit, il sut dire sa tristesse en des vers vraiment beaux[272] :

Que mes larmes, jusque sous la terre, Héliodora, aillent vers toi comme un présent, comme une relique de mon amour dans l’Adès, larmes cruelles à verser. Sur ta tombe tant pleurée, je répands la libation de mes regrets, souvenir de mon amour. Moi, Méléagre, je gémis sur toi, ô chère morte, douloureusement, bien douloureusement, vaine offrande à l’Achéron. Hélas, hélas ! où est mon rameau verdoyant si aimé ! Adès me l’a ravi. Il me l’a ravi, et cette fleur épanouie a été souillée de poussière. Ah ! du moins, je t’en prie à genoux, terre nourricière, que cette enfant si regrettée soit par toi, ô mère, reçue avec douceur sur ton sein et dans tes bras !

La tristesse des choses humaines, même sans retour direct sur lui-même, l’émeut, et il retrouve quelque chose de cette mélancolie pénétrante pour chanter une jeune mariée morte le jour de ses noces[273]. Il a parfois des expressions d’une douceur exquise[274]. Ailleurs, il dit avec une grâce infinie les frayeurs douloureuses de l’amour inquiet[275]. Si l’on ajoute à cela que Méléagre est un versificateur habile, un écrivain de savoir et de goût, on comprendra les raisons de sa supériorité incontestable[276].

Il avait aussi composé un ouvrage philosophique imitée de ceux de Ménippe, et intitulé Les Grâces[277]. C’était probablement un écrit ou les vers et la prose étaient mêlés, mais nous n’en connaissons à peu près rien, sinon qu’il cherchait, comme Ménippe, à enseigner sous un masque plaisant la vraie sagesse, c’est-à-dire celle du cynisme : Strabon aurait pu l’appeler, comme Ménippe, σπουδογέλοιος[278].

Il eut enfin un autre mérite qui a contribué probablement plus que tout le reste à nous le faire connaître : ce fut de concevoir et de réaliser le projet d’une anthologie lyrique, où il réunit à ses propres œuvres celles d’une quarantaine de poètes grecs, auteurs de chansons, d’élégies et d’épigrammes, depuis les classiques du viie et du vie siècle, jusqu’à ses contemporains. Cette anthologie s’appelait « La couronne » ou « Le bouquet » (Στέφανος). Il l’avait fait précéder d’une longue dédicace en vers à son ami Dioclès, où il comparait à quelque fleur chacun des poètes de son « bouquet ». Cette dédicace nous a été conservée et nous permet de nous faire une idée très nette de l’œuvre. D’autres, à vrai dire, avaient déjà formé des anthologies : Artémidore d’Éphèse, par exemple, avait réuni un choix de poésies bucoliques. Mais la Couronne de Méléagre paraît avoir été le plus considérable de ces recueils. Il eut beaucoup de succès et devint ainsi le fond de toutes les anthologies postérieures, remaniements de celle-ci, allégées malheureusement d’un certain nombre des pièces les plus anciennes et mises au goût du jour par l’addition incessante de pièces nouvelles. Ce travail de remaniement, commencé dès le premier siècle de l’ère chrétienne, se continue encore, à Byzance, au xe siècle, avec Constantin Céphalas, et au xive siècle avec Planude. Nous y reviendrons plus loin, pour l’embrasser dans son ensemble. Toute cette bibliothèque anthologique a pour origine la Couronne de Méléagre, et il est juste de lui en savoir gré.

Mentionnons encore, sans y insister, deux poètes un peu plus jeunes, Philodème et Archias, qui ne figuraient pas dans la Couronne primitive, mais que Philippe de Thessalonique introduisit dans la nouvelle édition qu’il en donna sous les premiers empereurs : on le voit par la préface en vers qu’il y avait mise, à l’exemple de Méléagre[279]. — Philodème, né à Gadara comme Méléagre, est un philosophe épicurien que nous retrouverons plus loin[280]. Nous avons de lui une trentaine d’épigrammes qui ne sont ni meilleures ni pires que beaucoup d’autres[281]. — Archias est le poète épique, client de Cicéron, dont il a été parlé plus haut.


Avec Philodème et Archias, nous sommes arrivés aux confins de la période romaine. Malgré quelques chefs-d’œuvre et quelques pièces au moins agréables rencontrés chemin faisant, il est clair que nous avons descendu une pente. La grande inspiration nationale des âges classiques a disparu. La grande inspiration individualiste n’est pas née encore : elle s’essaie à la peinture de l’amour chez Théocrite, chez Apollonios, chez Méléagre. Mais cette veine est courte et rare. Le plus souvent, la poésie, à mi-chemin des deux sources profondes ou elle pourrait se désaltérer, languit et se fane ; elle en est réduite au bel-esprit, aux tours de force du savoir et de la versification, à une certaine noblesse académique ou à une élégance bientôt devenue banale. — Il nous faut maintenant revenir de quelques pas en arrière pour reprendre, avec Polybe, l’histoire des écrits en prose.
  1. Cf. t. III.
  2. Texte publié, d’après une inscription sur marbre, par Kavvadias. Ἐφημερὶς ἀρκαιολ., 1885, p. 66 et suiv. ; cf. Wilamowitz-Mœllendorf, Isyllos von Epidauros. Berlin, 1886 (t. IX des Philol. Untersuch.) — Isyllos vivait au début du iiie siècle.
  3. Fouilles de Delphes. Cf. Bulletin de corresp. hellén., 1894 et 1895, articles de H. Weil et Th. Reinach. — Ces hymnes sont de la fin du iiie siècle : le grand intérêt de cette découverte est dans les notes musicales qui accompagnent le texte.
  4. Je mentionne simplement ici, sans y insister davantage, une autre forme de bizarrerie qui n’a plus rien de commun avec la littérature, l’invention de ces poèmes « figurés » (ἐσχηματισμένα) qui reproduisent, par la disposition de leurs vers d’inégale longueur, le dessin d’un œuf, d’une syrinx, ou d’une amphore. Ce sont là des gageures plus que des œuvres d’art. L’œuf de Simmias, la syrinx de Théocrite sont des échantillons de ce genre. On voit que même des gens d’esprit, à cette date, pouvaient trouver quelque amusement à ce jeu. Mais il ne faudrait pas le prendre plus au sérieux qu’il ne convient.
  5. Suidas, v. Φιλητᾶς. Cf. Couat, Poésie alexandrine, p. 69 et suiv. ; Susemihl, I, p. 174 et suiv.Fragm. dans N. Bach, Philelae Coi, Hermesianactis Coloph. atque Phanoclis relig., Halle, 1829. Cf. aussi Anthol. Jacobs, t. I, p. 121 et suiv.
  6. Théocrite, VII, 40. Susemihl, après d’autres, croit que cette société de poètes formait une sorte de confrérie bucolique où chacun portait un nom de berger. Ce n’est pas impossible, mais il me paraît vraiment excessif de prétendre trouver tout cela dans la VIIe Idylle.
  7. Philétas était de complexion faible (Plutarque, An seni gerenda sit resp., c. 45, p. 791, E). Il mourut épuisé de travail (épigr. citée par Athénée, p. 404, E).
  8. Ses compatriotes lui élevèrent une statue aussitôt après sa mort, suivant Hermésianax (Athénée, XIII, p. 598, F).
  9. Un scholiaste (Apollon. Rh., IV, 989) cite ses Ἄτακτα, ou Ἄτακτοι γλῶσσαι.
  10. Parthénios, Περὶ ἐρωτικῶν παθημάτων, c. 2.
  11. Ἐκ θυμοῦ κλαῦσαί με τὰ μέτρια, καὶ τι προσηνὲς — εἰπεῖν, μεμνῆσθαί τ’ οὐκ ἔτ’ ἐόντος ὅμως.. (Anthol. Jacobs, t. I, p. 122).
  12. Ibid.
  13. Properce, I, 4 : Callimachi manes et Coi sacra Philetae.
  14. Cf. Rohde, Der griech. Roman, p. 73.
  15. Cf. t. III, p. 663 (674, 2e édition).
  16. Schol. Nicandre, Thériaques, 3. Cf. la manière dont Hermésianax parle de Philétas dans le fragment cité par Athénée (598, F).
  17. Schol. Nicandre, ibid.
  18. V. dans Couat, p. 80-84, quelques conjectures intéressantes.
  19. Athénée, XIII, p. 597, A, et suiv.
  20. Cf. Couat, p. 81-85.
  21. Clément d’Alex., Strom. VI, p. 750. Cf. Couat, p. 99.
  22. Stobée, Florileg., LXIV, 14. Cf. Anthol. de Jacobs, t. I, p. 204.
  23. Suidas, Ἀλέξανδρος Αἰτωλός. Cf. Couat, p. 105-110. — Susemihl (I, p. 181), après Meineke, croit le reconnaître dans le Tityros dont parle un personnage de Théocrite (VII, 12).
  24. Anonyme De Comædia, dans les Anecdota de Cramer, I, p. 6.
  25. Cf. Nauck, Tragic. græcor. fragm. (2e éd.), p. 817.
  26. Athénée, VII, p. 283, A.
  27. id., p. 296, E.
  28. Parthénios, Erotica, c. 44.
  29. Macrobe, Saturn. V, 22.
  30. Cf. Anthol. de Jacobs, I, p. 207-209.
  31. Il avait aussi, après Sotadés, composé quelques poésies du genre grossier mis à la mode par celui-ci (Strabon, p. 648).
  32. Cf. Susemihl, II, p. 524-526. — Cf. Anthol. de Jacobs, I, p. 144-153.
  33. Théocrite, VII, 40, et le scholiaste. — On suppose en général que son père s’appelait Σικελός ; d’autres explications de ce pseudonyme ont été proposées : cf. Susemihl. — Méléagre, dans sa préface (v. 46), l’appelle aussi de ce nom Σικελίδεω τ’ἀνέμοις ἄνθεα φυόμενα.
  34. En rendant le spondée obligatoire au début du vers.
  35. Le scholiaste de Théocrite, VII, 40, l’appelle : Ἀσκληπιάδην τὸν ἐπιγραμματοποιόν.
  36. Callimaque, frag. 746. Asclépiade pourtant loue fort la Lydé Anth. Jacobs, I, p. 452). Cf. t. III, p. 666 (676, 2e éd.)
  37. Anth. Jacobs, I, p. 445.
  38. Cf. Susemihl, I, p. 179-182. Anth. de Jacobs, I, p. 136-443.
  39. Anth. de Jacobs, I, p. 439 et suiv.
  40. Cf. Susemihl, II, p. 530-532, et Ouvré, op. cit.Fragm. dans Anthol. Jacobs, t. ii, p. 46-52. — Méléagre le nomme dans sa préface (v. 45-46) à côté d’Asclépiade.
  41. XI, 3 (Anthol. Jacobs, t. ii, p. 49).
  42. Cf. épig. IV.
  43. Cf. dans l’épig. VI, l’antithèse : ἄνθρακας ὡνὴρ ξηροὺς ἐκ νοτερῆς παιδὸς ἀπεσπάσατο.
  44. Cf. épig. X.
  45. Cf. épig. XVI.
  46. Εἰχοσαν, VI, 6.
  47. Méléagre le nomme à côté de Posidippe dans le vers signalé plus haut.
  48. Dans Jacobs, t. i, p. 233-236. Cf. Ouvré, op. cit.
  49. Cf. ch. ii, p. 48.
  50. Suidas, Σωτάδης ; Athénée, XIV, p. 620, F.
  51. Strabon, p. 648.
  52. Le nom même qu’on donne à ces poètes, κιναιδολόγοι, exprime assez qu’ils se font les interprètes de la plus basse débauche.
  53. Strabon, ibid.
  54. Cf. Athénée, XIV, p. 621, A.
  55. Titres donnés par Suidas ; fragments (dans Athénée et dans Héphestion) recueillis par G. Hermann, Elem. rei metricae, p. 445-448.
  56. Suidas le fait naître à Tarente, Nossis (dans Anth. palat., VII, 414), à Syracuse ; ἐπὶ τοῦ πρώτου Πτολεμαίου, dit Suidas. Cf. Völker, Rhintonis fragmenta, Halle, 1887, et Crusius, Woch. für kl. Philol., 1889, p. 287-289.
  57. Athénée, XIV, p. 620. D, et suiv.
  58. Cf. Heydemann, Die Phlyakendarstellungen auf bemalten Vasen, dans les Jahrb. des Archæol. Instit., 1886, p. 260-313.
  59. Cf. Susemihl, I, p. 241-243.
  60. Sur Sophron et Xénocrate, cf. t. III, p. 448 (456, 2e éd.).
  61. Grenfell, An Alexandrian erotic fragment and other greek papyri chiefly ptolemaic, Oxford, 1896. — Article de H. Weil, dans la Revue des Études grecques, 1896, p. 169 (texte et traduction).
  62. Le recto du papyrus porte un contrat de l’année 173 ; nos vers grecs sont écrits au verso (un peu plus tard évidemment).
  63. Vers 14-15.
  64. Vers 25-27.
  65. Kenyon, Classical texts from papyri in the British museum, including the newly discovered poems of Herodas. Londres, 1891 (sept mimes et un morceau d’un huitième). — Outre de nombreux articles critiques dans les revues savantes (cf. l’introd. de Crusius. p. XIV-XVII), de nouvelles éditions furent bientôt publiées ; les principales sont celles de Rutherford (Londres, 1891), Crusius (Bibl. Teubner, 1892) et Bücheler (avec trad. latine : Bonn, 1892). Dans cette dernière, les restitutions conjecturales sont moins hardies que dans celle de Crusius. Édition avec commentaire de R. Meister, 1895. — Deux trad. françaises ont été données en 1893 par MM. Dalmeyda (Hachette ; élégante et fidèle, avec une bonne introduction), et Ristelhueber (Delagrave ; introduction érudite). M. l’abbé Ragon vient de publier (chez Poussielgue, 1898) le texte et la trad. française des mimes III et IV. À consulter : O. Crusius, Untersuchungen zu den Mimiamben des Herondas, Teubner, 1592, et sa traduction allemande d’Hérondas : Olschewsky, La langue et la métrique d’Hérondas, Leyde et Bruxelles, 1897.
  66. Athénée, III, p. 86, B ; Pline, Lettres, IV, 33 ; Stobée, Floril., en six endroits.
  67. Hellén., II, 4, 1.
  68. Cf. Ristelhueber, Introd., p. VIII-XIV.
  69. Le début du mime VI rappelle le début des Syracusaines de Théocrite ; mais il semble que la vivacité rapide de Théocrite soit une forme revue et corrigée du motif développé par Hérodas avec plus d’insistance.
  70. S’il était vrai que le βασιλεὺς χρηστὸς du mime I, v. 30, fût Évergète, comme le croient certains interprètes, il faudrait placer Hérodas un peu plus tard ; mais ce roi parait être plutôt Philadelphe. Cf. Ristelhueber, p. IX.
  71. Mime I.
  72. Mime V.
  73. Cf. Crusius, Praef., p. iv-v. Il est d’ailleurs très difficile, en ces matières, d’être sûr du texte.
  74. Suidas, Θεόκριτος ; Vie anonyme. — Sur les mss. et les éditions de Théocrite, v. la Bibliographie en tête du chapitre. — Sur l’ensemble de sa vie et de son œuvre, voir Couat, Poésie Alexandrine ; J. Girard, Études sur la poésie grecque ; Susemihl, I, p. 190 et suiv., et surtout E. Legrand, Étude sur Théocrite, Paris, 1898 (vaste ensemble de recherches consciencieuses et pénétrantes). Bel article de Sainte-Beuve, Portraits Littéraires, t. II.
  75. Athénée, VII, p. 284, A, et surtout l’épigramme 22 (14, dans Ahrens, ed. minor), qui n’est pas de lui, mais qui est certainement d’un de ses premiers éditeurs alexandrins (εἶς ἀπὸ τῶν πολλῶν εἰμὶ Συρακοσίων, — υἱὸς Πραξαγόραο περικλείτης). Dans Idyll. XI, 7, il appelle Polyphème son « compatriote » (ὁ Κύκλωψ ὁ παρ’ἁμίν).
  76. La date de 315-310 est la plus généralement adoptée (cf. Couat, p. 38, et Susemihl, I, 197) : 300 est celle de Hauler (De Theocr. vita et carminibus, Frib. en Brisgau, 1885). Si Philétas revint à Cos après l’éducation de Philadelphe ; rien ne s’oppose à ce que Théocrite l’ait connu vers 285. L’épître à Hiéron, écrite entre 274 et 270, trahit un poète qui n’est pas encore arrivé à la gloire et à la fortune.
  77. Son invocation aux Grâces, les divinités d’Orchomène, dans l’épître à Hiéron, s’expliquerait bien s’il était vrai qu’il eût des liens de parenté avec les colons d’Orchomène qui s’étaient établis à Cos en 364, après la destruction de cette ville par Thèbes (cf. id. XVI, 404-405, et les scholies sur VII, 21). Le nom de Simichidas, qu’il se donne à lui-même dans les Thalyries, semble avoir été le nom d’un de ces Orchoméniens de Cos, peut-être de son aïeul. Cf. Susemihl, p. 198, n. 6.
  78. L’épître à Hiéron, antérieure à l’avénement de celui-ci à la tyrannie, mais postérieure à son élection comme stratège (Vahlen, Acad. de Berlin, 1884, p. 823-849), ne peut avoir été composée qu’entre 274 et 270. Or, au v. 409, il laisse entendre qu’il n’est pas à Syracuse. Il doit être encore à Cos, puisqu’il invoque expressément, dans les vers qui précèdent, les Grâces d’Orchomène, c’est-à-dire les divinités propres aux colons d’Orchomène fixés à Cos. — C’est peut-être d’ailleurs dans cette période de sa vie qu’il séjourna aussi dans l’Italie méridionale, où il place le scène de deux de ses Idylles (iv et v).
  79. L’hymne à Ptolémée est placé par Susemihl (I, p. 206, n. 29), en 267 au plus tard, par des raisons qui semblent plausibles.
  80. Cf. Couat, p. 40, sur l’erreur qui le fait vivre jusque sous le règne de Philopator (en 222).
  81. Sur quelques détails, cf. Legrand, R. des Études grecques, 1894, p. 276-283.
  82. Une question accessoire, dont il faut encore dire un mot, est celle des relations qu’il put avoir avec Callimaque et avec Apollonios de Rhodes. Il connut certainement l’un et l’autre à Alexandrie ; mais prit-il part à leur célèbre querelle sur le poème épique ? On l’affirme généralement, en se fondant sur quelques vers des Thalysies (43-48), où l’on croit trouver une allusion dénigrante à Apollonios. Mais ces vers semblent avoir un sens plus général (cf. Legrand, p. 406). Quant à l’idylle d’Hylas, elle me paraît antérieure à l’épisode correspondant des Argonautiques (I, 1207-1272), où je verrais plutôt, chez Apollonios, le désir de faire autrement et mieux que Théocrite n’avait fait avant lui.
  83. Προιτίδας, ἐλπίδας, ὕμνους, ἐπικήδεια μέλη, ἐλεγείας, ἰαμβούς, ἐπιγράμματα. Il est possible que ces titres se rapportent en partie à d’autres ouvrages que ceux de Théocrite, à des recueils factices composés de poèmes du même genre, mais d’auteurs différents, tels qu’étaient certains recueils de « poèmes bucoliques ». Cf. Couat, p. 396.
  84. Cf. plus haut, p. 461, n. 1.
  85. L’étymologie de ἐκλογή saute aux yeux. Quant à εἰδύλλιον, c’est le diminutif de εἶδος, qui, dans la langue de l’érudition ancienne, désigne une pièce de poésie : les odes de Pindare sont souvent appelées de ce nom par les scholiastes, On voit donc que jamais Théocrite n’a songé à exprimer par le choix de ce titre cette idée qu’il composait de « petits tableaux », comme on le répète sans cesse.
  86. L’épigramme 22, où Théocrite est censé parler, servait de prologue à un recueil de ce genre ; il y disait : Μοῦσαν δ’ ὀθυείην οὔτιν’ ἐφειλκυσάμην.
  87. Ainsi Artémidore d’Éphèse, qui disait dans une épigramme préface analogue (22 des Theocritea) : Βουκολικαὶ Μοῖσαι, σποράδες ποκα, νῦν δ’ ἄμα μᾶσαι — ἐντὶ μιᾶς μάνδρας, ἐντὶ μιᾶς ἀγέλας (n’ont plus qu’un râtelier, ne forment plus qu’un troupeau).
  88. Ces vers contiennent, comme l’épigramme d’Artémidore, l’expression Βουκολικαὶ Μοῖσαι, qui n’est pas de la langue de Théocrite.
  89. Nous admettons cependant des remaniements et des interpolations dans l’Idylle IX, où se trouve l’épilogue cité plus haut.
  90. Pour le détail des raisons qui font condamner ces pièces, je me borne a renvoyer aux argumenta de l’édition de Fritzche, dont la critique est presque toujours à la fois ferme et prudente.
  91. Elles sont écrites dans le mètre dit asclépiade.
  92. Idylles, I, 27.
  93. id., VII, 16.
  94. id., VII, 142 : π'αντ’ ὦσδεν θέρεος μάλα πίονος, ὦσδε δ’ ὀπώρας.
  95. Vers 82-90.
  96. Vers 38-41.
  97. Ibid., 11 : … ἀλλ’ ὀρθαῖς μανίαις, ἁγεῖτο δὲ πάντα πάρεργα.
  98. XI, 1-4.
  99. L’Idylle V, ou quelques mots sont grossiers, offre plutôt dans ces passages la peinture d’une querelle entre gens du peuple qu’une image de la passion.
  100. Cf. Hartung, préface de la trad. de Théocrite, p. XXXV. — O. Bayet, dans son Mémoire sur l’île de Cos (Archives des missions scientifiques, 3e série, t. III), mentionne un usage analogue chez les bergers de l’île (cité par Couat, p. 400). Cf. Legrand, p. 159 et suiv.
  101. Idyll. VIII, 55-56.
  102. Idyll. VII, 128-157. Voir encore, dans la même pièce, la courte description de la source Bourina (6-9), ou l’admirable peinture de la mer calmant ses flots à l’approche des alcyons (57-62).
  103. Voir dans Cartault, Étude sur les Bucoliques de Virgile, le chapitre XIII (sur les « réalités rustiques » dans Théocrite et dans Virgile).
  104. Idyll. VII, 15-18.
  105. Idyll. III, 8 ; XIV, 3.
  106. Idyll. V, 50 ; VII, 16.
  107. Idyll. III, 37.
  108. Cf. Idyll. X (la chanson de Lityersès).
  109. Cf. Idyll. IV.
  110. Idyll. X, 24·37.
  111. Idyll. I.
  112. Idylles VI et VIII.
  113. Idylle XV.
  114. XXV, 85-99.
  115. Ibid., 138-152.
  116. Ibid., 244-271.
  117. Par exemple, l’épigr. 22, citée plus haut.
  118. Idylle VIII.
  119. Cf. Legrand (p. 413 et suiv.), qui montre avec finesse et précision l’impossibilité de représenter sur une scène les plus dramatiques des mimes de Théocrite, et le « caractère livresque » de son lyrisme.
  120. Voir, par exemple, XV, 38-43.
  121. Cf. les notes des éditeurs, en particulier celles de Ziegler. V. aussi La langue de Théocrite dans les Syracusaines, p. Quillard et Gollière (Paris, Croville-Morant, 1888). Ouvrages d’ensemble sur la question : Schultz, Die Mischung der Dialecte bei Theokrit, Culm, 1872 ; Morsbach, De dialecto Theocritea, Bonn., 1814. Cf. aussi Legrand, p. 234-254.
  122. Idylle V, 89.
  123. Idylle VIII, 55.
  124. Idylle III, 3. Cf., à ce propos, la jolie page d’Aulu-Gelle, IX, sur Virgile comparé à Théocrite.
  125. Idylle XI, 20-24.
  126. Idylle I, 30-31.
  127. Idylle VII, 5-9.
  128. Idylle VIII, 53-56.
  129. Pour trouver un équivalent français, il faudrait arriver à Alfred de Musset, et se rappeler, par exemple, dans la Nuit de Mai, le début :

    Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;

    et tout ce qui suit.

  130. Anthologie de Jacobs, t. I, p. 153, 181 ; Delectus poetarum Anthologiae graecae, de Meineke, p. 24-52. Cf. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XII.
  131. Anthol. Pal., IX, 25 (Jacobs, t. I, p. 159, ép. 2).
  132. Épigr. 26 et 71 (dans Jacobs).
  133. Épigr. 27 et 98.
  134. Épigr. 13.
  135. Épigr. 400. Cette épigramme, en forme d’épitaphe, semble avoir été composée d’avance par Léonidas lui-même.
  136. Épigr. 55, 78, 91.
  137. Épigr. 57.
  138. Épigr. 58.
  139. Anthol. Pal., VII, 472 (épigr. 70 de Jacobs). Cf. Simonide, fr. 196. — Le texte de cette pièce n’est pas bien établi pour un ou deux détails, sans importance d’ailleurs au point de vue de la pensée générale.
  140. Anthologie de Jacobs, t. I, p. 181-183.
  141. Notice de Suidas. Cf. Couat, Poésie Alexandrine ; Knaack, Callimachea, Stettin, 1886 ; Susemihl, t. I, p. 341-373 ; Bruno Ehrlich, De Callimachi hymnis quaestiones chronologicae (dans les Philol. Abhandlungen de Breslau), 1894, et l’article de « MY » dans la Revue critique, 1898, I, p. 126.
  142. Couat, p. 44. Les dates de la vie de Callimaque sont matière à discussions inextricables. Je ne vois pas que les conclusions de M. Couat, très prudentes, aient été sérieusement ébranlées dans leur ensemble. Je le suivrai donc en gros, me bornant à renvoyer, pour le détail des preuves, à sa discussion très complète.
  143. Strabon, XVII, p. 837.
  144. C’est du moins ce qui paraît résulter d’une Vie d’Aratos, en latin, très ingénieusement mise en lumière par Rohde, Griech. Roman. p. 99, note 3.
  145. Dans un faubourg du nom d’Éleusis, selon Suidas.
  146. Date exacte inconnue. Cf. Couat, p. 34.
  147. Anthol. Palat., XI, 275 : Καλλίμαχος, τὸ κάθαρμα, τὸ παίγνιον, ὁ ξυλινὸς νοῦς — Αἴτιος ὁ γράψας « Αἴτια Καλλιμάχου ». Cette épigramme ne me paraît pas, en général, avoir été interprétée avec précision : je crois que Καλλίμαχος dans le premier vers, doit être pris comme une sorte de nom commun dont la définition suit, ainsi que dans un lexique ; c’est une plaisanterie de philologue. Noter aussi le jeu de mots qui résulte du rapprochement de Αἴτιος et Αἴτια.
  148. Cf. Couat, p. 491-520. V. surtout p. 541.
  149. Suidas.
  150. Ceux-ci récemment découverts sur des tablettes en bois. V. plus bas.
  151. Fragm. 293.
  152. Anthol. Pal., XII, 43.
  153. C’est-à-dire le poème banal ; κυκλικός et κυκλικῶς, dans la langue des grammairiens alexandrins et des scoliastes, veulent dire : d’une manière convenue, banale. Cf. Couat, p. 503.
  154. Anthol. Pal., IX, 507.
  155. Fragm. 223.
  156. Fragm. 279.
  157. Fragm. 74, 6.
  158. Fragm. 359 (μέγα βιβλίον ἶσον — τῷ μεγάλῳ κακῷ). Tous ces textes sont cités dans Couat, p. 495-496.
  159. Hymnes, II, 106.
  160. Théocrite, VII, 47-48.
  161. Pour les dates des Hymnes, v. Couat, p. 191-237, dont les conclusions, longuement motivées, me paraissent généralement vraisemblables. Toutes ces dates, établies d’après les allusions faites par le poète aux événements contemporains, sont nécessairement approximatives. — V. aussi Susemihl. p. 358-362, ou l’on trouvera quelques divergences, et Legrand, Revue des Etudes grecques, 1894, p. 276-283.
  162. Bergk, Gr. liter., II, p. 212 et 218. Cf. Kaisebier, De Callimacho νόμων poeta (prog.), Brandebourg, 1873.
  163. Callimaque, V, 45-46.
  164. II, 10-29 ; IV, 41-49.
  165. IV, 316-323.
  166. Voir, par exemple, dans l’Hymne à Zeus, les vers 38-41.
  167. Cf. Couat, p. 256.
  168. V. Couat, p. 113-120.
  169. V. Couat, p. 422-169.
  170. Cf. Anthol. Pal. VII, 42. Pour la discussion du sens de cette épigramme, v. Couat, p. 130-131.
  171. Clément d’Alexandrie, Strom., V, p. 574.
  172. Aristénète, I, 40, dans les Epistologr. graeci (Didot).
  173. Cf. Dilthey, De Callimachi Cydippa, Leipzig, 1863 ; Couat, p. 43 et suiv.
  174. Voy. l’article de Th. Reinach, Revue des Études grecques, 1893, p. 258-266, où les fragments de l’Hécalé sont donnés et traduits. — Sur l’ensemble de l’Hécalé, l’étude de M. Couat (p. 358-381), bien qu’antérieure aux dernières découvertes, est toujours à lire.
  175. Cf. Couat, p. 387.
  176. IX, 545.
  177. V. plus haut, p. 211.
  178. V. plus haut, p. 163. Ailleurs, il est vrai, il l’appelle inflatus III, 34, 32 : inflati somnia Callimachi).
  179. Quintilien, X, 4, 58.
  180. Anthol. Pal. XI, 322. Cf. ibid., 321 (épigr. de Philippe) et 29 (épigr. d’Antipater de Thessalonique).
  181. Martial, X, 4, 9-12.
  182. Sublime, c. 33, 5.
  183. Ménécrate d’Éphèse, son maître (selon Suidas), est quelquefois cité aussi comme l’auteur d’un poème intitulé Ἔργα, qui a pu servir d’exemple aux Géorgiques de Virgile. Il ne nous en reste rien. Cf. Susemihl, I, p. 284.
  184. Notice de Suidas ; biographies dans Westermann, Vitarum scripture : graeci minores, p. 52 et suiv. Cf. Couat, p. 46-48 ; Susemihl, I, p. 284 et suiv. — Bibliographie, en tête du chapitre.
  185. C’est Callimaque lui-même qui le disait dans une épigramme, suivant un biographe (Vita I).
  186. Susemihl le fait aller d’abord à Cos, ensuite à Athènes. Mais l’ordre inverse me semble plus facile à concilier avec tous les autres faits connus, à la condition qu’on admette que Philétas revint à Cos après l’éducation de Philadelphe.
  187. VI, 2 ; VII, 98 ; etc.
  188. En 272, selon les uns ; en 276, selon les autres. Cf. Susemihl, p. 289, n. 19.
  189. Vita III, p. 58.
  190. Vita III, p. 55.
  191. Vita III, p. 58.
  192. Vita III, p. 58.
  193. Comparer, par exemple, les signes précurseurs de La tempête, dans Aratos, v. 909-933, et dans Virgile, Géorg., I, v. 356-360.
  194. Callimaque, Épigr. 29 (Χαίρετε, λεπταὶ — ῥήσεις, Ἀράτου σύγγονοι ἀγρυπνίης).
  195. On cite encore le nom d’un poète épique qui paraît avoir été son prédécesseur, Antagoras de Rhodes, auteur d’une Thébaïde. Cf. Laërce, IV, 26 et suiv., et la IIIe Vie d’Aratos. Mais cet Antagoras n’obtint jamais qu’une réputation de second ordre. Sur les autres noms oubliés de cette période, cf. SusemihlI, p. 380.
  196. Strabon, XIV, p. 655. À Alexandrie, ou à Naucratis, suivant Athénée, VII, p. 283, D}}. — Notice de Suidas ; biographies anonymes en tête des œuvres. — Cf. Couat, p. 294-326 ; SusemihlI, p. 383-393. V. aussi Hémardinquer, De Apollonii Rh. Argonauticis, Paris, 1872 ; et De la Ville de Mirmont, Les dieux dans Apollonios, Paris, 1889.
  197. Je m’en tiens ici à une opinion moyenne et vraisemblable. D’autres savants vont plus haut ou plus bas.
  198. Cf. les biographies grecques.
  199. Poét., c. 24.
  200. Odyssée, XII, 70.
  201. Vers 382 et suiv.
  202. Pindare, Pyth. IV, 224-238.
  203. Vers 494-515.
  204. Vers 540-580.
  205. Vers 1011.
  206. Vers 122 et suiv.
  207. Sur la Médée d’Apollonios, cf., outre les études, déjà citées, de Couat et de M. J. Girard, l’article de Sainte-Beuve, dans les Portraits contemporains, t. V.
  208. III, 275-298.
  209. III, 451-470.
  210. III, 616-673.
  211. III, 673-723.
  212. III, 724-801.
  213. III, 946-960.
  214. III, 961-1144.
  215. IV, 11-98.
  216. IV, 338·481.
  217. Par exemple, celle des agitations d’une âme avec les reflets voltigeants que fait la lumière en tombant sur l’eau d’un bassin (Argonaut., III, 754-759 ; cf. Énéide, VIII, 20-23, et IV, 285). On a vu plus haut celle des géants morts avec des arbres tombés au bord de l’eau.
  218. III, 743-800. La traduction de ce morceau est empruntée à M. De la Ville de Mirmont, sauf quelques légers changements.
  219. Quintilien, X, i, 54 (non contemnendum opus æquali quadam mediocritate).
  220. Notice de Suidas ; Vie anonyme, dans Westermann, Βιογράφοι, p. 48. Cf. SusemihlI, p. 272-279, et surtout l’Introduction de Holsinger, en tête de son édition et traduction de l’Alexandra, Leipzig, 1895. Cf. aussi P. Couvreur, Revue critique, 1896, I, p. 227. M. Bates, dans les Harvard Studies in classical Philology, Boston, t. VI, (The date of Lycophron), place la naissance du poète en 320, et sa mort vers 250.
  221. Cf. Athénée, XI, p. 483, D.
  222. Cf. Suidas. Fragments dans Nauck. Tragic. graecorum fragm., p. 817-819 (2e  éd.).
  223. Cf. Holzinger, p. 64. Sur les contradictions et interpolations supposées du poème, cf. ibid., p. 68. Bates place la composition du poème en 295.
  224. Clément d’Alex., Strom., V, p. 511, C.
  225. Suidas, Εὐφορίων. Cf. Meineke, De Euphorionis vita et scriptis, Dantzig, 1823 ; Susemihl, I, 393-399. Fragments historiques dans C. Müller (Didot, Fragm. Hist. gr., t. III. Fragments épiques dans Meineke, Analecta Alexandrina, Berlin, 1843. Deux épigrammes dans Anthol. Pal. VI, 219, et VII, 651. (Jacobs, I, p. 189).
  226. Cf. Rohde, Griech. Roman, p. 90.
  227. Bucol., X, 50.
  228. Suidas, Ῥιανός. Cf. Couat, p. 331-353, et Susemihl, I, p. 399-403. — Fragments dans l’Anthologie de Jacobs, I, p. 229-233.
  229. Pausanias, IV, 6, 1 et suiv.
  230. id., IV, 19 et 20.
  231. Cf. Théod. Reinach, De Archia poeta, Paris, 1899 (avec les fragments en appendice).
  232. Sur Ératosthène en général, cf. plus haut, ch. II, p. 120 et suiv.
  233. Anthol. de Jacobs, I, p. 227-229.
  234. Cf. Couat, p. 465-469. — Fragments dans Hiller, Eratosthenis carminum reliquiae, Leipzig, 1872.
  235. Suidas, Νίκανδρος ; Vie anonyme, dans Westermann, p. 64 et suiv. Cf. Susemihl, I, p. 302-307.
  236. Publiés en dernier lieu par Otto Schneider, Nicandrea, Leipzig 1856, et dans les Poetae bucolici de la bibl. Didot.
  237. Rohde, Griech. Roman, p. 92-93.
  238. Anthol. de Jacobs, I, p. 221.
  239. Cf. Ovide, Métam., VI, 195.
  240. Longin, Sublime, 33, 5.
  241. Notice de Suidas. Cf. Susemihl, I, p. 191-195. — Fragments dans Meineke, Analecta Alexandrina, p. 253-338.
  242. Un texte de Macrobe (Sat. V, 11, 18) fait même de Parthénius le maître de grec de Virgile.
  243. Géorg. I, 437. Cf. Aulu-Gelle, XIII, 27, 4.
  244. Publié dans les Scriptores erotici de Hercher, t. I, (Berlin, 1858), et dans les Mythographi graeci de la bibl. Teubner, t. II, fasc. I, 1896.
  245. Cf. Rohde, Griech. Roman, p. 93-95.
  246. Ce Crinagoras est probablement le poète de l’Anthologie.
  247. Manière d’écrire l’hist., 57.
  248. Ἔστι καὶ ἐν κενοῖσι φιλάμασιν ἁδέα τέψις.
  249. Cf. Fritzsche (dans son édition), p. 213.
  250. C’est l’opinion traditionnelle, recueillie en dernier lieu par Christ, Griech. Liter., p. 398.
  251. Théorie de Bücheler, Rhein. Mus., XXX, p. 40 ; adoptée par Susemihl, I, p. 233.
  252. Schol. Anthol. Pal., IX, 440, et Suidas, Θεόκριτος.
  253. La principale raison alléguée contre cette attribution se tire des vers 100-101, où l’auteur se donne comme Ausonien (Αὐσονικᾶς ὀδύνας), c’est-à-dire, prétend-on, comme Italien, ce que n’était pas Moschos, né à Syracuse. On oublie que, dans Apollonios de Rhodes (IV, 826), le mot Αὐσονίη est appliqué à Scylla, qui était Sicilienne, et non Italienne.
  254. Ἐπιτάφιος, v. 94-100.
  255. Suidas, Θεόκριτος (… Σμυρναῖος, ἔκ τινος χωριδίου καλουμένου Φλώσσης). Il mourut empoisonné par un ennemi, s’il faut en croire l’Ἐπιτάφιος, v. 116 et suiv.
  256. 11, 4-5.
  257. Vers 11.
  258. Cela résulte des derniers vers.
  259. Suidas, Μόσχος.
  260. Cf. Athénée, XI, p. 485, E (ἐξηγήσεις Ῥοδιακῶν λέξεων).
  261. v. 101-102.
  262. La XIXe Idylle du recueil de Théocrite est du même genre ; on l’attribue souvent à Moschos.
  263. Cf. Susemihl, I, p. 232.
  264. Cf. Susemihl, II, p. 541-565. Cf. aussi Ouvré, Méléagre de Gadara, Paris, 1894, p. 81.
  265. Anthol. Jacobs, I, p. 244-255. Cf. Susemihl, I, p. 543.
  266. Anthol. Jacobs, I, p. 237-243. Susemihl, II, p. 544.
  267. Anthol. Jacobs, I, p. 243. (Plut., Flamin. 9).
  268. Cic. De Orat., III, 50.
  269. Épigr. 50 et 54 (dans Anthol. de Jacobs, t. II, p. 1-38). Susemihl, II, p. 551.
  270. Ses œuvres ouvrent le t. I de l’Anthologie de Jacobs. — Sur sa vie et ses œuvres, v. l’excellente étude d’Henri Ouvré, Méléagre de Gadara, Paris, 1894. Cf. aussi Radinger, Meleagros von Gadara, Berlin, 1897 (article dans Berliner Philol. Wochenschr., 1897, no 40). Article de Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. V. — Méléagre a été traduit en français par M. Pierre Louys.
  271. Épigr. 121 (Jacobs).
  272. Épigr. 109 (Jacobs).
  273. Épigr. 125.
  274. Épigr. 96 (ψυχὴ τῆς ψυχῆς).
  275. Épigr. 41.
  276. La jolie pièce du Printemps, si goûtée de Sainte-Beuve, n’est probablement pas de Méléagre. Cf. Ouvré, p. 241. Sur certaines autres attributions, cf. ibid., p. 19-20.
  277. Athénée, IV, 157, B. Cf. Ouvré, p. 59 et suiv.
  278. Strabon, XVI, 29 (p. 759).
  279. Anthol. Pal., IV, 2.
  280. V. ch. VI.
  281. Anthol. Pal., II, p. 70-79.