Histoire de l’Affaire Dreyfus/T2/7

La Revue Blanche, 1901 (Vol.2 : Esterhazy, pp. 559–620).

CHAPITRE VII

LA COLLUSION

I. Esterhazy à Dommartin, 559. —  Henry le prévient et rappelle à Paris, 561. — II. Agitation à l’État-Major général, 562. — Sang-froid d’Henry, sa connaissance des hommes, 563. — III. Premier conciliabule entre Gonse, Henry, Du Paty et Lauth, 564. — IV. Lettre anonyme mettant Billot en demeure d’agir contre Scheurer, 567. — Gonse, Du Paty et Henry décident de prévenir Esterhazy par une lettre anonyme, 569. — Billot le défend, 570. — Irritation de Gonse, 571. — Henry et Esterhazy fabriquent la lettre Espérance, 572. — Le Père Du Lac et la dame voilée, 573. — V. Boisdeffre mande à Leclerc de garder Picquart en Tunisie, 575. — Lebrun-Renaud au ministère de la Guerre ; sa fausse déclaration, 576. — Départ de Lajoux pour le Brésil, 578. — Le dossier ultra-secret ; la fausse lettre de l’Empereur allemand et le bordereau annoté, 579. — VI. Esterhazy chez la fille Pays ; il veut se tuer, 583. — Du Paty et Boisdeffre, 585. — Gribelin chez Esterhazy, 588. — L’Alibi-office, 589. — VII. Esterhazy chez Schwarzkoppen, 591. — Entrevue de Montsouris, 594. — Nouvelle visite d’Esterhazy à Schwarzkoppen, 596. — VIII. Rappel de Schwarzkoppen, 597. — Son entretien avec Lemercier-Picard, 598. — Ses confidences à Panizzardi, 599. — IX. Du Paty engage Esterhazy à s’adresser à Billot, 600. — X. Système de défense d’Esterhazy, 602. — Il est reçu par le général Millet, 603. — Lettre d’Esterhazy à Billot, 606. — Le capitaine Brault et le combat d’Eupatoria, 609. — La marquise Du Paty, 611. — XI. Retour de Scheurer à Paris, 612. — Ses conférences avec Leblois, 613. — Leblois a tenu Picquart dans l’ignorance des révélations qu’il a faites à Scheurer, 614. — XII. Scheurer demande à Lucie Faure de lui ménager un entretien avec son père, 616. — Ranc et Paschal Grousset, 617. — Les journalistes chez Scheurer et à l’État-Major, 619. — XIII. Boisdeffre ordonne à Leclerc d’envoyer Picquart à la frontière tripolitaine, 620. — Première lettre d’Esterhazy à Félix Faure, 623. — Scheurer chez Félix Faure, 625. — XIV. Scheurer chez Billot, 626. — La trêve de quinze jours, 629. — XV. Lettre de Scheurer à Billot, 630. — Campagne de presse contre Scheurer, 631. — Articles de Clemenceau et de Cassagnac, 638. — XVI. La dame voilée et le document libérateur, 639. — Du Paty et les Comminges ; au pont Alexandre, 640. — Deuxième lettre d’Esterhazy à Félix Faure, 644. — Picquart interrogé par Leclerc, 646. — XVII. État des esprits à la Chambre et au Sénat, 647. — XVIII. Scheurer chez Méline, 649. — Tergiversations de Leblois, 651. — Nouvelle entrevue de Méline et Scheurer, 653. — Communication officieuse aux journalistes, 654. — XIX. Troisième lettre d’Esterhazy à Félix Faure, 656. — Conversation entre Du Paty et Henry, 657. — La « canaillerie » de Dreyfus, 658. — Esterhazy chez Saussier, 661. — XX. Le Conseil des ministres du 9 novembre ; note officielle, 663. — Darlan et Billot, 664. — XXI. Lettre insultante d’Esterhazy à Picquart, 667. — Les faux télégrammes Blanche et Speranza, 668. — Plainte de Picquart contre les faussaires, 671. — XXII. Difficultés que rencontre Scheurer, 672. — Lettre de Gabriel Monod, 674. — XXIII. Scheurer se décide à saisir le ministre de la Justice d’une requête en revision, 675. — Piège que me tend un agent d’Henry, 676. — XXIV. L’écriture d’Esterhazy reconnue sur un fac-similé du bordereau par le banquier Castro, 678. — Zola chez Scheurer, 680. — XXV. Lettre de Scheurer à Ranc, 681. — Le Figaro publie un article intitulé « le dossier de Scheurer-Kestner », 682. — Esterhazy répond dans la Libre Parole par un article signé « Dixi », 683. — XXVI. Esterhazy et Henry renvoient le document libérateur à Billot, 685. — XXVII. Denis de Rougemont, 691. — Mathieu Dreyfus dénonce Esterhazy à Billot, 691.



I

Depuis la fin de juin, Esterhazy s’était retiré à Dommartin[1]. Henry, tout l’été, le tint au courant. Il s’absenta plusieurs fois, se faisait adresser à Paris, au Cercle militaire, certaines lettres[2]. En septembre, il annonça son départ pour l’Italie. Déjà, plus d’une fois, il a menacé de se mettre, par la fuite, à l’abri. Du moins, il sauvera sa peau.

C’était le plus sage. Tôt ou tard, il faudra en venir là, Mais cela ne faisait l’affaire ni d’Henry, ni de Boisdeffre. En fuyant, Esterhazy avouait. Nulle démonstration plus éclatante. Scheurer aura vaincu, sans même avoir combattu.

Les nerfs dominent Esterhazy, las, usé, qui n’a plus rien à attendre de la vie. Les autres, bien lotis, dans les honneurs, ont tout à perdre. Ils ne se résignent pas si vite à la défaite. Henry, surtout, garde son sang-froid.

On l’entend qui sermonne Esterhazy, le remonte, lui promet le concours des grands chefs. L’ayant, une première fois, couvert, ils sont à sa merci. Sa perte, c’est leur perte. Ils ont partie liée avec lui, sans qu’il soit besoin d’un contrat. Et ces hommes qu’il tient, ils tiennent eux-mêmes les maîtres de l’opinion et du pouvoir, Billot par ses tares[3], Méline par Billot, Faure par Drumont[4], Drumont par ses accointances avec Esterhazy[5]. Et l’on achètera la presse[6]. L’armée, les Chambres, le peuple, suivront le mouvement.

Quels que fussent son mépris des généraux, sa haine de l’armée et de « ce peuple de femmes saoules[7] », Esterhazy restait sceptique à ces assurances. Que la France, militaire et civile, prît fait et cause pour lui, se levât pour sa défense, cela était bouffon, impossible.

Il ne connaissait pas l’histoire. Les plus nobles passions (amour de la patrie, amour de l’armée ou de la liberté), combien de fois ont-elles été soulevées par des coquins, exploitées par des scélérats !

Esterhazy promit qu’il patienterait, mais, par précaution, se pourvut d’un viatique. Il fit venir Christian à la campagne et lui extorqua une nouvelle somme de 17.000 francs pour « l’affaire Rothschild[8] ».

A-t-il, vers cette époque, dans un accès de peur, passé une première fois la frontière ? Un aubergiste de Lugano croit l’avoir vu, pendant quelques jours[9]. Il ne serait revenu que sur des assurances formelles, écrites. En tous cas, il était le 18 octobre à Dommartin.

L’avant-veille, comme je l’ai raconté, Bertin avait télégraphié au ministre le résultat de sa conférence avec Scheurer. Henry, le jour même, fut informé et avisa aussitôt Esterhazy. Celui-ci reçut la redoutable communication dans la matinée du 18[10] ; un grand frisson le secoua. Aussitôt, il saute dans le premier train, confère avec Henry au débotté. Dans la soirée, chez la fille Pays, où il s’installe, il explique son retour par une querelle avec sa femme et paraît « très soucieux[11] ».

II

À ce moment précis, qu’est-ce que Scheurer a fait savoir à Billot ? Simplement qu’il est convaincu de l’innocence de Dreyfus et qu’il est résolu de poursuivre la revision du procès. Par quels moyens, par quelles preuves ? Scheurer n’en a rien dit. Le nom d’Esterhazy, il ne l’a prononcé à personne. Mais les agents d’Henry, en juin, ont suivi Picquart chez Leblois, plus tard Leblois chez le vice-président du Sénat.

Imaginez Scheurer sur une autre piste. Trompé par de faux renseignements, c’est un autre officier, qu’il va désigner. Le ministre de la Guerre, le chef de l’État-Major en ont connaissance. Vont-ils s’émouvoir ? Ils laisseront le maladroit s’embourber ; ils ne feront pas à l’innocent l’injure de croire qu’à la première nouvelle d’un tel soupçon, le plus horrible qui soit, il prendra la fuite[12].

Si Dreyfus est l’auteur du bordereau, qu’importe que Scheurer accuse ou non Esterhazy d’être le traître ? Tant mieux au contraire ; car l’effondrement de l’accusation, ce sera la fin d’une détestable légende. Mais tous ces chefs s’émeuvent, s’effarent : pourquoi ?

La fièvre n’atteint pas, chez tous ces hommes, la même intensité. Le pouls de Billot ne bat pas aussi vite que celui de Boisdeffre. En effet, Billot, s’il croit Dreyfus coupable, ne croit pas qu’Esterhazy soit innocent ; Boisdeffre en sait davantage. Ces principaux personnages de la tragi-comédie qui va se jouer diffèrent, entre eux, autant par les responsabilités encourues que par le caractère ou le physique. Il va falloir, pour chacun d’eux, tirer sur une autre ficelle.

Henry les connaît tous, non pas comme un psychologue de salon ou d’académie, mais à la façon, plus sûre, d’un marchand de bœufs ou d’un maquignon de foire. Il a mesuré, chez chacun, les limites de l’intelligence, celles de l’honnêteté, de la candeur ou de la sottise, pesé le courage et l’énergie, la vanité et l’orgueil. Sous l’homme extérieur, solennel ou familier, sec ou souple, brodé, décoré et chamarré, c’est l’homme intérieur qui l’intéresse, « l’homme invisible »[13]. Il le cherche, le trouve et l’exploite.

Ainsi, pendant près de deux ans, il a trompé Picquart. Plus facilement encore, il joue des autres, parce qu’il vise toujours à leur faible. La terreur de ce superbe Boisdeffre est d’une éclaboussure sur sa gloire d’apparat ; il est prêt à tout pour y échapper : Henry lui demande seulement de le laisser faire. Gonse est timide : Henry le bouscule, lui fait honte de ses derniers scrupules comme d’une lâcheté. Du Paty, d’apparence insolente et rogue, est le plus crédule des hommes, très inflammable. Henry ne propose pas à Lauth, correct et gourmé, les mêmes besognes qu’à Gribelin. S’il ne cherche pas à approcher Billot[14], — car ces deux paysans madrés eussent vite fait de se reconnaître, — il sait que Boisdeffre répond du ministre, et pourquoi.

Au surplus, à toute cette affaire qui redevient menaçante, il s’intéresse seulement pour le bien du service, car il ne connaît pas Esterhazy — ou si peu[15].

III

Le jour même de l’entrevue de Bertin avec Scheurer, Gonse convoqua Du Paty à un premier conciliabule auquel assistèrent Henry et Lauth[16].

Du Paty, sous-chef du troisième bureau, n’avait avec Henry que des rapports de service, peu fréquents d’ailleurs, et, marquis de fraîche date[17], traitait de haut cet officier de fortune, mal dégrossi, qui n’était pas de son monde. Une seule fois, il l’avait invité à sa table, en garçon[18] ; la marquise ne se fût pas commise avec la fille du cabaretier de Péronne. Henry, humilié, le détestait, mais cachait sa haine ; il connaissait, par le menu, l’aventure suspecte où s’était compromis naguère ce hautain aristocrate et il avait pénétré jusqu’au tuf ce cerveau bizarre, romanesque, très cultivé et très sot. Il le savait ambitieux, dévoré de la soif de paraître, de jouer un rôle, sans scrupule et d’un dévouement illimité à Boisdeffre. C’était l’homme qu’il lui fallait.

Comme Du Paty était réputé l’auteur principal du procès de 1894, il était naturel qu’on le consultât à l’heure où la grande œuvre menaçait ruine. Henry, toujours modeste, s’est employé à lui faire attribuer cette gloire ; il se plaisait dans l’ombre, fuyait, prudemment, les premiers plans, la lumière crue de la rampe. Picquart, l’an passé, a dédaigné, sauf sur une question d’écriture, de se renseigner auprès de Du Paty. Henry, au contraire, ne demande qu’à s’effacer devant lui. Du Paty, flatté dans sa vanité, glissa au piège[19].

Il n’a pas été sans inquiétude sur la condamnation de Dreyfus ; mais Boisdeffre l’a rassuré. D’autre part, il ne connaît pas Esterhazy ; il ne s’est rencontré que deux fois avec lui, en Afrique, au cours de l’expédition de Tunisie, sans lui parler, il y a dix-sept ans[20].

Dès ce premier conciliabule (avec Gonse, Henry et Lauth)[21], il fut mis vite au fait. Ce fut Gonse lui-même qui, s’adressant directement à Du Paty, comme au futur sauveur, lui exposa l’objet de la réunion, le « lança[22] » Il révéla, partiellement, « la campagne entreprise, depuis dix-huit mois, pour substituer Esterhazy à Dreyfus[23] ». Sans doute, Esterhazy, de grande famille et solide soldat, n’est pas sans reproche ; il est endetté et libertin. — Henry, interrompant, affirme que, « malgré ces écarts de conduite », Esterhazy est « absolument digne d’intérêt » ; et que Picquart l’a accusé sans preuve. — Gonse continue : c’est à cause de ces défaillances que les Juifs ont choisi Esterhazy pour lui imputer le crime de Dreyfus. Accusation détestable « dont une longue et minutieuse enquête » a démontré la fausseté. Mais c’est un malade d’une nervosité excessive, aigri, capable de perdre la tête ; si la dénonciation de Scheurer le surprend à l’improviste, il est homme à gagner la frontière ou à se tuer : alors, tout croule ; de redoutables complications extérieures se produisent ; les plus grands malheurs vont s’abattre sur le pays et sur les chefs de l’armée. Il est donc nécessaire, conclut Gonse, de prévenir Esterhazy, de ne le laisser ni étrangler, ni s’affoler[24].

C’en était assez pour une première fois. Le cerveau de Du Paty va travailler sur cette idée que le plus brillant de ses titres de gloire est compromis, que son intérêt (donc l’intérêt de l’armée) exige de parer à un tel danger. Et les jours suivants, Henry et Gonse l’échauffèrent, accrurent ses inquiétudes[25].

IV

Henry ne confia à personne qu’il avait déjà averti Esterhazy et l’avait fait venir à Paris. Outre qu’il eût risqué d’éveiller des soupçons, il importait que les grands chefs commissent eux-mêmes l’acte irréparable, révélateur de leurs craintes : rassurer le traître.

Il usa, en conséquence, après s’être concerté avec Esterhazy, d’un de ses procédés coutumiers. Le 19 octobre, par une coïncidence qui l’eût dû surprendre. Billot reçut une lettre où il était mis en demeure d’agir contre Scheurer et Picquart qui ont comploté de substituer Esterhazy à Dreyfus. La lettre est d’une écriture dissimulée, « sensiblement la même » que celle de la fausse lettre à l’encre sympathique ; elle présente la même ornementation bizarre des caractères, ces boucles étranges qui avaient étonné Picquart[26]. Henry, apparemment, s’était adressé au même faussaire. La lettre, était anonyme. Billot la remit à Gonse, qui la porta au bureau des Renseignements, où se trouvaient Henry et Du Paty[27].

Il fut évident, dès les premiers mots échangés, qu’il y avait urgence à avertir Esterhazy. Mais comment ? Du Paty proposa de le faire venir au ministère[28]. À l’examen, cela fut écarté ; la venue d’Esterhazy pouvait être connue. On s’arrêta à l’idée, qui avait été déjà agitée, d’une lettre anonyme[29]. Cela parut à Gonse très pratique. Henry proposa un texte très court qui se terminait par ces mots : « Attendez crânement[30]. » Du Paty rédigea une missive plus développée, la copie, presque textuelle, de la lettre anonyme que Gonse venait de leur apporter[31]. Dès que Du Paty l’eût démarquée, Henry la reprit, pour ses archives. Mais avant de la classer, il y fit ajouter (par l’un de ses faussaires) les initiales de Du Paty, P. D. C., pour qu’elle lui fût attribuée plus tard. Si la lettre, quand Du Paty l’eût sous les yeux, avait porté ses propres initiales, sa signature, il s’en fût aperçu[32].

On savait Esterhazy à la campagne, mais où ? Henry, ostensiblement, le demanda à Gribelin, qui n’en savait rien ; il envoya alors l’archiviste se renseigner chez l’agent Desvernine qui, par ordre de Gonse, n’avait pas cessé de surveiller Esterhazy et qui donna l’adresse[33]. Henry vérifia avec Du Paty l’emplacement exact de Dommartin sur la carte[34].

Gonse, qui, apparemment, avait les instructions de Boisdeffre, alla trouver Billot et lui rendit compte. Mais le ministre se fâcha, défendit d’envoyer à Esterhazy la lettre anonyme qui avait été préparée[35]. Par surcroît de précaution, Billot réitéra directement ses ordres à Boisdeffre[36].

Gonse rapporta à Henry et à Du Paty la défense de Billot : « Voilà, dit-il, où nous en sommes, vous connaissez la situation. » Et il l’exposa de nouveau[37]. Du Paty, qu’Henry avait mis au point, fit quelques objections[38] ; Gonse reprit que les ordres du ministre étaient formels, qu’il fallait s’incliner[39]. Il sortit en mâchonnant : « Voilà où nous en sommes[40]. » Henry, se tournant vers Du Paty : « Vous comprenez ce que parler veut dire[41]. » Du Paty a compris « qu’il y a une initiative à prendre[42] », mais il réfléchit.

Henry, tout de suite, avec sa tranquille audace accoutumée, passa outre. Il était indispensable à ses combinaisons qu’Esterhazy pût se dire averti par un autre que par lui des projets de Scheurer. Il rédigea en conséquence, selon la combinaison même qui venait d’être rejetée par Billot, une lettre anonyme, qui sera attribuée par la suite à Du Paty, et qu’il fit recopier — par Lemercier-Picard ou Guénée — en caractères d’imprimerie. Esterhazy la mit dans sa poche. Plus tard, quand il la produira, il attestera qu’il l’a reçue à Dommartin, sur quoi, bouleversé, furieux, il est parti aussitôt, le 20 octobre[43], pour Paris.

La lettre est signée Espérance[44]. Déjà, dans l’un de ses faux, Henry avait fait usage de la même signature en italien. Speranza, en 1896, pressait Picquart de revenir pour rétablir l’œuvre compromise par son départ ; en 1897, Espérance avertit Esterhazy que « son nom va être l’objet d’un grand scandale ». La lettre est rédigée dans le même jargon que les autres faux d’Henry, également révélatrice de son origine par le style, la précision de certains renseignements et la grossièreté des maladresses intentionnelles. Les noms de Dreyfus et de Picquart y sont mal orthographiés ; Picquart a acheté à un sous-officier, à Rouen, des spécimens de l’écriture d’Esterhazy ; il les a remis, avant de partir pour le Tonkin, à la famille du condamné, qui les publiera ; « on compte ainsi affoler le commandant, qui s’enfuira en Hongrie, chez ses parents ; cela indiquera qu’il est coupable[45] ».

L’adresse de cette lettre eût été précieuse, si la lettre avait été sincère ; Esterhazy racontera que, le jour où il la reçut à Dommartin, son courrier était abondant, « parce qu’il avait fait des annonces pour vendre des chevaux et des chiens », et qu’il jeta l’enveloppe, avec d’autres, dans la cheminée[46]. Cependant, il avait eu le temps d’observer, avant qu’elle brûlât, que l’enveloppe était rose et timbrée de la rue Daunou, que l’adresse était « assez baroque » : au lieu de Dommartin, « comme écrivent les gens du monde », le nom local : « La Planchette[47] ». — En fait, comme il avait fabriqué lui-même la lettre, à Paris, avec Henry, il n’y avait pas d’enveloppe timbrée.

« Espérance » deviendra bientôt « la dame voilée » et, plus tard, Boisdeffre et ses associés s’appliqueront à l’identifier avec une cousine de Picquart, la femme d’un ancien magistrat. Henry et Lauth la connaissaient de vue, parce qu’elle avait assisté, l’automne passé, d’une fenêtre du ministère de la Guerre, à l’entrée du Tsar[48]. Elle avait le même confesseur que Boisdeffre, le père Du Lac[49], qui avait su ses dissentiments avec son mari au sujet de Picquart, puis sa rupture avec le colonel, la promesse qu’elle avait faite à son mari de ne plus le revoir. Ainsi était descendu jusqu’à Henry, à travers d’immondes commérages, le secret de la confession trahi par un jésuite.

V

D’autres opérations encore furent engagées.

Le retour de Scheurer à Paris était annoncé pour la fin de la semaine[50] ; il n’y avait pas de temps à perdre.

Le témoignage de Picquart était ce que les protecteurs d’Esterhazy redoutaient le plus.

Boisdeffre savait, par Gonse, que Picquart allait prendre son congé annuel, venir à Paris[51]. Il manda, en conséquence, au général Leclerc, d’abord de garder Picquart à Sousse, puis de « lui faire continuer sa mission sans interruption[52] ».

Cependant l’éloignement du témoin principal n’est qu’un palliatif.

Ce même jour où Henry remit la lettre Espérance à Esterhazy et où Boisdeffre envoya ses instructions au général Leclerc, le capitaine Lebrun-Renaud fut mandé par Gonse à l’État-Major[53]. Au lendemain de la dégradation, quand il a comparu devant Casimir-Perier, l’officier de la garde républicaine ne lui a pas dit un seul mot des prétendus aveux de Dreyfus qu’un commandant inconnu avait racontés, la veille, à un rédacteur de la Libre Parole[54]. Dans son rapport de service, il n’a signalé aucun incident. Aujourd’hui, devant Gonse et Henry, Lebrun-Renault déclare « que, le 5 janvier 1895, Dreyfus lui a fait l’aveu suivant : « Je suis innocent ; dans trois ans, mon innocence sera prouvée ; le ministre sait que, si j’ai livré des documents sans importance, c’était pour en obtenir de sérieux des Allemands. »

Il y avait, en effet, près de trois ans que Dreyfus avait répondu par un hautain refus à Du Paty, quand celui-ci, par ordre de Mercier, le visita dans sa cellule et lui promit, en échange d’un aveu d’amorçage, que sa peine serait atténuée.

De la visite de Du Paty à Dreyfus et du récit que le condamné en a fait à l’officier qui le gardait[55], pas un mot dans la déclaration de Lebrun-Renaud. On espérait encore que cet incident resterait inconnu.

Lebrun-Renaud écrivit de sa main cette imposture, la data et la signa[56]. Quand il se retira, il portait sur son visage la vilenie qui lui avait été commandée[57]. Il avait vu récemment Forzinetti et lui avait déclaré, comme à bien d’autres, que Dreyfus n’avait jamais fait d’aveux[58].

Un peu plus tard, Gonse et Henry attestèrent, dans une note annexe, que cette déclaration avait été faite et écrite en leur présence[59].

Lebrun-Renaud, semble-t-il, fut seulement intimidé ; on essaya, mais en vain, d’acheter le témoignage d’une pauvre femme. Deux individus, l’apparence d’officiers en civil, allèrent trouver au village[60] une paysanne qui avait été la nourrice de la fille de Dreyfus ; ils lui proposèrent, contre argent, de déclarer qu’elle avait mis à la poste la lettre qui renfermait le bordereau. Elle refusa[61].

Précédemment, Henry s’était débarrassé de l’ancien agent Lajoux, devenu gênant depuis que, s’étant rencontré avec Cuers, il avait appris de lui la vérité[62]. Lajoux n’était plus au service depuis deux ans ; Picquart l’avait congédié, en 1895, après lui avoir fait prendre ses papiers, à Bruxelles, par un policier[63]. Mais, quelque taré que fût l’individu, dès qu’il commença à colporter les confidences de Cuers, Henry en eut peur, l’attira dans un guet-apens, le fit interner dans un asile d’aliénés[64], et, finalement, traita avec lui. Lajoux accepta de s’expatrier. Gribelin vint lui-même à Anvers surveiller son départ pour le Brésil, ne lui fit remettre qu’à bord du navire en partance le prix convenu du silence[65], et promit qu’une mensualité continuerait à lui être servie[66].

Gonse et Henry reclassèrent aussi le dossier secret du procès Dreyfus ; ils y ajoutèrent, notamment, les quelques fragments de lettres qui avaient été recueillis à l’ambassade d’Allemagne depuis 1894 et que Picquart et Boisdeffre lui-même avaient jugés sans importance, et la fausse lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen et une lettre authentique de l’attaché italien à son collègue allemand sur l’organisation des chemins de fer, du 28 mars 1895, mais qu’Henry avait datée d’avril 1894 pour l’appliquer à Dreyfus. Panizzardi écrivait à Schwarzkoppen qu’il allait recevoir des documents sur le service des chemins de fer français ; la lettre, le jour même où on l’avait interceptée, avait été copiée par Gribelin ; le bordereau, qui contenait cette copie, avait été établi le 1er avril, signé par Sandherr et mis sous scellé ; un procès-verbal du tout avait été dressé. Impossible d’authentiquer plus formellement une date. Henry, tranquillement, avait brisé les scellés… etc. (Voir Cass., V, 51 et suivantes).

Enfin, Henry sortit de l’une de ses cachettes le dossier ultra-secret que Sandherr, disait-il, avait réuni en 1894, dont la Libre Parole, immédiatement informée, avait menacé les Juifs, et qui avait été caché à Picquart.

Ce dossier comprenait, maintenant, deux jeux de faux.

Le plus ancien se composait des prétendues photographies de huit lettres, sept de Dreyfus à l’Empereur allemand, la huitième de l’Empereur au comte de Munster, qui avaient été dérobées à l’ambassade, et dont il avait fallu, sur une sommation menaçante de Berlin, restituer les originaux. L’Empereur, dans sa lettre, nommait Dreyfus et, comme par hasard, le terme allemand (Schurke), dont il le qualifiait, correspond à l’expression française (canaille), qui avait rendu fameuse une autre pièce secrète[67].

Le second lot contenait le même nombre de pièces, sept ou huit photographies d’un faux qui apparaît comme une variante perfectionnée de la lettre de l’Empereur allemand à son ambassadeur. Le vrai bordereau avait été écrit sur papier fort ; en outre, le Juif avait inscrit, en regard de chacune des pièces qu’il offrait, des prix qui parurent excessifs à Schwarzkoppen ; l’attaché allemand envoya la missive de l’espion à l’Empereur ; l’Empereur la retourna avec une annotation de sa propre main. Il s’y servait encore du même terme que dans sa lettre à Munster : « Cette canaille (Dieser Schurke) de Dreyfus devient bien exigeante ; toutefois, il faut hâter la livraison des documents annoncés. » C’était signé de l’initiale impériale : W. Puis, ce bordereau annoté tomba aux mains d’Henry. Mercier l’a rendu lui-même à Munster pour éviter la guerre, mais il l’a fait photographier au préalable. Et Sandherr l’a fait copier (moins l’annotation) par Esterhazy, employé secrètement à des besognes mystérieuses[68]. Il avait, sous ses ordres, dix officiers et secrétaires ; cependant, il s’est adressé à Esterhazy qui, par hasard, s’est servi de son papier pelure ordinaire et dont l’écriture, par un autre hasard, ressemble si singulièrement à celle de Dreyfus que tout l’État-Major, trois experts et sept juges s’y sont trompés… Mais Sandherr était mort depuis plusieurs mois.

La coexistence de ces deux jeux de faux, dont il sera, par la suite, fait un usage alterné, s’explique par un repentir d’artiste d’Henry. La lettre de l’Empereur Guillaume à Munster fut une première ébauche, grossière ; ayant creusé l’idée, il fabriqua le bordereau annoté. Il lui avait suffi de faire écrire par Lemercier-Picard sur un fac-similé du bordereau la note marginale de l’Empereur, et de faire photographier cette photographie ainsi complétée.

L’extrême impudence de ces faux n’a arrêté aucun des grands chefs, dupes volontaires ou complices. Boisdeffre, familier des empereurs et des rois, trouve vraisemblable que le César allemand discute, règle lui-même les comptes d’un espion !

Supposez-leur une imbécile crédulité : rien n’eût été plus simple que de s’informer de ces étonnantes histoires, sinon auprès de Mercier, terriblement inquiet depuis qu’il a eu vent des événements qui se préparent, du moins auprès de Casimir-Perier et de ses ministres d’alors, Hanotaux et Dupuy.

Mais Boisdeffre et Gonse n’en firent rien, ni Billot. Ils ne produiront pas publiquement ces pièces, par trop honteuses, mais ils les garderont pour forcer, dans l’intimité, les convictions récalcitrantes. Et Henry en parla gaîment à Esterhazy : que pèseront les preuves graphologiques de Scheurer devant ces lettres de l’Empereur allemand (qu’il appelait « le cul couronné ») ? Mais Esterhazy haussait les épaules ; c’était « idiot », « cela dépassait les limites permises de la bêtise[69] ».

Le bruit se répandra bientôt qu’il y a, quelque part, dans les arcanes les plus secrets de l’État-Major, un dépôt de preuves décisives, une réserve qui n’apparaîtra sur le champ de bataille qu’à la dernière heure, la « garde impériale ».

VI

Henry, jusqu’à présent, n’avait pas réussi à rassurer Esterhazy ; au contraire, la défense faite par Billot de le prévenir, fût-ce par une lettre anonyme, l’obligation où ils se sont trouvés, Henry et lui, de la fabriquer eux-mêmes, la nouvelle que Scheurer va rentrer à Paris, ont porté à l’extrême l’agitation du misérable. Dès qu’Henry n’était plus là pour le secouer, il s’effondrait et ne pensait plus seulement à la fuite, mais au suicide.

Il jugeait les promesses d’Henry fallacieuses, ses combinaisons ridicules, ses faux parfaitement ineptes. Au premier choc s’effondrera tout cet échafaudage de niaiseries. Et las de tout, écœuré de lui-même, il abandonnait la partie, renonçait à la lutte.

Il a gardé l’orgueil de son nom ; il ne le verra pas souillé. Il a eu l’étoffe d’un homme ; il l’a gâchée. Mieux vaut s’en aller tout à fait, ne pas achever la comédie en farce, l’achever en tragédie. Ce sera l’aveu, — une bonne action et une belle vengeance.

Il passait ses journées chez la fille Pays, « affaissé dans un fauteuil, anéanti[70] », perdu dans de noires pensées. Bien qu’elle eût d’autres amants[71] (un jeune homme, un vieux sénateur), elle lui restait attachée, parce qu’il l’avait tirée de la rue et qu’il conservait, dans son abjection, un attrait singulier, cet air fatal qui plaît à beaucoup de femmes. Il lui fit, dans un besoin d’épanchement irrésistible, quelques confidences. Il lui montra la lettre signée « Espérance », raconta qu’il l’avait reçue à la campagne, qu’il allait être dénoncé comme l’auteur du bordereau. Elle observa qu’il s’alarmait beaucoup pour une lettre anonyme[72]. Il lui dit qu’il avait décidé de se tuer.

L’appartement commun était au nom d’Esterhazy ; il écrivit au gérant de la maison que, « pour des raisons majeures, il ne pouvait rester son locataire » ; il le priait de faire annuler son bail ; sa maîtresse en prendrait la suite[73]. Comme la réponse tardait, la jeune femme alla trouver le gérant (l’architecte Autant), le pressa de conclure, dans les vingt-quatre heures, car l’affaire était urgente, ne souffrait nul retard. Et, très émue, elle en donna la raison : parce que son amant, dont la situation est très grave, va se brûler la cervelle ; il y est fermement résolu. Or, tous les meubles sont à elle, bien que le loyer ne soit pas à son nom. « S’il se tue dans ma chambre, bien qu’il m’ait promis de ne pas se suicider chez moi, la famille posera des scellés, et cela créera des ennuis pour mon mobilier[74]. »

En fait, Esterhazy était trop lâche pour se tuer, même en rêvant de terribles funérailles. D’ailleurs, nul esprit plus mobile. Pendant toute cette crise, il passe, incessamment, du désespoir à la confiance, s’abandonne et s’exalte, se résigne, à la façon d’un fataliste d’Orient, et met fiévreusement la main à la pâte, se désole et s’agite, et, dans la même minute, rumine vingt projets, mort, fuite et bataille.

Henry travaille avec une autre méthode. D’un calme imperturbable, comme s’il n’avait rien à craindre pour lui-même, il est partout à la fois, ranimant les courages qui défaillent et les énergies trop vite lassées, retenant Esterhazy par la promesse du secours de l’État-Major, et effrayant l’État-Major par la menace de la désertion ou du suicide d’Esterhazy. Il s’applique surtout à mettre Du Paty en mouvement, à l’enfoncer dans l’affaire jusqu’au cou. Et il ne l’attaque pas directement, sauf pour lui affirmer qu’Esterhazy est un brave soldat[75]. Mais il pousse Gonse sur Boisdeffre, qui, d’une phrase insidieuse, d’une allusion équivoque, d’un désir à peine formulé, peut faire de Du Paty ce qu’il veut. Ce n’est pas un Picquart qui ne cherche pas à comprendre la secrète pensée des chefs, qui réclame des ordres formels, écrits. Ce vrai soldat devine à mi-mot, à un geste, à une inflexion de voix[76]. Pour exciter son amour-propre, il suffira que Boisdeffre regrette, devant lui, l’obstination de Billot à laisser aller à vau-l’eau le vaisseau où ils sont embarqués ; « le ministre laisse sacrifier Esterhazy, innocent, au Juif coupable, cent fois coupable[77]. »

Les ministres passent ; combien de ministres ont déjà passé ! Mais Boisdeffre, inamovible, survit à tous ; il est l’avenir. Du Paty se dévouera.

S’il renâcle, se dérobe, à quoi bon ? Qu’Esterhazy l’emporte, il aura manqué de courage à l’heure difficile, celle où les services comptent double[78]. Et si c’est Dreyfus, il est ruiné ; sa carrière, si brillante, est à jamais compromise, finie.

Boisdeffre, avec sa réserve habituelle (mais ses moindres indications n’en ont que plus de poids), donna à entendre qu’il conviendrait d’entrer en relations avec Esterhazy, soit par son beau-frère, le marquis de Nettancourt, soit par le capitaine Bergougnioux[79]. Gonse, chauffé par Henry, insista avec plus de verbosité et d’abandon. Aussi bien le ministre n’a-t-il défendu que de prévenir Esterhazy par une lettre anonyme ; il n’a point interdit de le faire mettre sur ses gardes par un ami sûr, ou directement, mais en secret, avec les précautions nécessaires. Distinction subtile. Mais il ne faut jamais oublier que le directeur de Boisdeffre est un jésuite ; je tiens de ce jésuite lui-même que Boisdeffre lui a annoncé le complot contre Esterhazy, ancien zouave pontifical, allié aux plus nobles familles, aux mieux pensantes.

Au surplus, pour décider Boisdeffre, qui décidera Du Paty, Henry lui fait envoyer, dans la même matinée, une lettre et une carte-télégramme, nécessairement anonymes[80], mais de plus en plus inquiétantes : «  Esterhazy ne tiendra pas le coup ; à peine désigné, il commettra quelque irréparable folie. »

Ce même jour, Henry, probablement en présence de Gonse, explique de nouveau à Du Paty combien les soupçons contre Esterhazy sont injustes, et quelles hautes considérations militent en sa faveur[81]. Leur devoir de soldats est d’aller à son secours.

Gonse s’étant retiré, Henry et Du Paty convinrent de donner rendez-vous à Esterhazy pour le lendemain[82]. Ils iront tous deux, bravement, avec Gribelin. Car Henry ne recule pas devant le danger. Pourtant, c’est Du Paty qui parlera à Esterhazy. En effet, « bien qu’Henry, depuis sa promotion au grade de capitaine, n’ait pas vu Esterhazy, celui-ci, très sûrement, le reconnaîtrait ; il saurait alors de qui lui vient l’avis[83] ». C’est ce qu’il faut éviter ; l’État-Major est une hermine qui mourrait d’une tache. Au contraire, Du Paty est inconnu d’Esterhazy et pourra, d’ailleurs, se déguiser.

Tout cela plut beaucoup à Du Paty.

Henry, alors, rédigea une lettre (toujours anonyme) pour inviter Esterhazy au rendez-vous, le samedi 28 octobre, à cinq heures, au parc Montsouris. Puis, ayant appelé Gribelin, il lui commanda de porter et de remettre lui-même, afin d’éviter toute indiscrétion, ce billet à Esterhazy.

Cette mission de planton n’agréait pas au personnage que se croyait l’archiviste. N’ayant pas rencontré Esterhazy au Cercle militaire, où il se rendit d’abord, il ne consentit à aller chez la fille Pays que sur un ordre catégorique d’Henry et de Du Paty. Il tenait à ne pas compromettre sa dignité. « Prenez des lunettes, lui dit Henry, et une fausse barbe. » Cela sauvegardait l’honneur de l’armée. Gribelin se cacha les yeux sous de vastes conserves bleues. Mais le commandant était absent. Henry lui enjoignit d’y retourner, le lendemain, à la première heure[84].

Esterhazy, en effet, avait opéré de son côté. Il existait à Paris, au passage de l’Opéra, un singulier bureau dont le tenancier se chargeait de faire envoyer, de province ou de l’étranger, les lettres qui lui étaient remises à cet effet par ses clients parisiens. Ainsi, les destinataires de ces missives croyaient que leur correspondant avait écrit de l’endroit d’où la lettre était timbrée[85]. Les maris volages et les amants infidèles usaient de cette agence qu’on appelait l’Alibi Office. Esterhazy y porta une lettre à l’adresse du beau-père de Dreyfus et demanda qu’elle fût expédiée de Lyon. Il ne se nomma pas, mais sa mine étrange (une tête volumineuse, avec un mufle léonin et de grosses moustaches) frappa le directeur de l’agence[86]. Un autre inconnu (Guénée ?) l’accompagnait. Esterhazy parti, l’industriel remarqua la suscription ; et comme, pour être autorisé à faire son trafic, il était tenu à des complaisances envers la police, il ouvrit le pli (ou ce fut l’un de ses employés) et envoya à la Préfecture copie de la lettre[87]. Elle était anonyme, écrite, comme les autres lettres d’Henry, en caractères d’imprimerie, et contenait, contre Hadamard et Mathieu Dreyfus, de violentes menaces : « Un pas de plus et la mort est sur vous deux. » L’original, réexpédié de Lyon, parvint le surlendemain au marchand de diamants[88]. Il comprit que le mystérieux traître savait l’imminence du danger.

Esterhazy, quand il rentra chez sa maîtresse, apprit la visite de l’homme aux lunettes bleues. Il fut ou feignit d’être intrigué, alla, s’il faut l’en croire, s’enquérir à son domicile personnel, attendit toute la soirée. Henry, ou l’un de ses agents, l’avisa que tout allait à souhait. Le lendemain matin, à sept heures, Gribelin revint avec sa lettre. Il prétend qu’il se contenta d’une réponse affirmative transmise par la concierge ; Esterhazy raconte qu’ils allèrent dans un square voisin où l’archiviste lui dit de ne pas se préoccuper et lui indiqua, sur un plan, le lieu du rendez-vous, à l’angle du réservoir des eaux de la Vanne, en face de Montsouris[89].

Gribelin se croyait quitte ; mais Henry lui demanda, comme un service, de venir, lui aussi, à l’entrevue. Il prit l’archiviste par son faible : « Le procès de 1894 nous a causé assez d’ennuis ; il a désorganisé le service ; il faut empêcher une nouvelle affaire. » Il lui exposa ensuite, comme il avait fait la veille à Du Paty, que, connu d’Esterhazy, il devra lui-même se tenir à l’écart ; il fera le guet ; d’autre part, il ne faut pas que Du Paty aille seul : « Il cause trop ; s’il s’emballe, secouez-lui le pardessus. » Gribelin s’inclina ; il dit, pourtant, qu’il aurait préféré aller au feu[90].

VII

Esterhazy, avant de se rendre à Montsouris, se fit conduire, en voiture, chez Schwarzkoppen[91]. L’agent Desvernine le suivit. De la maison d’en face, une surveillance continuelle était exercée sur l’ambassade. Esterhazy dit qu’il le savait fort bien[92]. Il payait d’audace.

Il y avait près d’un an que l’attaché allemand, enfin édifié, l’avait chassé en le traitant de canaille. Esterhazy ne s’arrêtait pas longtemps à ces bagatelles.

Schwarzkoppen fut surpris de le revoir. Esterhazy, sans nul embarras, lui dit l’objet de sa visite : tout est découvert ; en conséquence de quoi, il est menacé d’aller remplacer le Juif à l’île du Diable ; mais l’attaché militaire n’est pas moins compromis que lui ; il sombrera, lui aussi, dans un immense scandale. Il n’y a qu’un moyen, un seul, d’empêcher le désastre ; il faut que Schwarzkoppen aille déclarer à Mme Dreyfus que son mari est coupable et que tous ses efforts pour le réhabiliter sont vains[93].

Il exposa son idée comme l’affaire la plus simple du monde. Schwarzkoppen, à la nouvelle que son espion va être dénoncé, a pâli ; maintenant, il s’est ressaisi. Dans un grand dégoût : « Vous êtes fou, dit-il, Monsieur le commandant ! »

Esterhazy reprit qu’il était, au contraire, très sensé, que l’Allemand fermait les yeux au danger ; ne sont-ils pas complices ? Avec quelque hauteur, l’attaché militaire rappela ses immunités diplomatiques ; l’employeur d’un espion n’est pas son complice.

Alors Esterhazy eut un accès effroyable de désespoir, qui, peut-être, n’était pas entièrement feint, car il est de ces comédiens qui ne savent plus quand ils jouent la comédie ou quand ils ne la jouent pas. Il se roula sur un divan, poussant des cris, d’affreux jurons, et sanglotant. Puis, tout à coup, tirant un pistolet de sa poche, il le braqua sur l’attaché allemand, hurlant qu’il allait le tuer et qu’il se ferait ensuite lui-même sauter la cervelle. Schwarzkoppen, très tranquille, alla à la sonnette.

Cela calma Esterhazy, et quelques grandes rasades d’eau-de-vie qu’il se fit verser lui rendirent sa raison. La conversation continua sur un ton plus rassis. De menaçant, il devint suppliant : « Je vous aurais couvert, lui dit Schwarzkoppen (soldat prussien chez qui sommeille un Souabe sentimental), si l’autre n’était pas là-bas. » Esterhazy lui confie alors qu’il pourra peut-être se débrouiller d’une autre façon ; exhibant la lettre anonyme qui lui a été remise par Gribelin, il raconte qu’il va avoir, tout à l’heure, un rendez-vous[94] avec des officiers qui lui sont envoyés par l’État-Major. Et, comme il lui est impossible d’ouvrir la bouche sans mentir, il exprime une vague crainte que ce ne soit un guet-apens. Peut-être va-t-il être empoigné, coffré. Si on ne l’a pas attiré dans un piège, il reviendra dans la soirée[95].

Il reprit son fiacre qui l’avait attendu devant l’ambassade (il était en vêtements civils, l’entretien avait duré près d’une heure) ; et, toujours suivi par Desvernine, il alla dans un établissement de crédit, puis au journal la Patrie, dont le rédacteur était des amis d’Henry. C’était ce Millevoye qui avait porté à la tribune de la Chambre les faux du mulâtre Norton et qui s’était effondré sous les huées. Il se rendit ensuite au jardin du Luxembourg, où Desvernine le perdit[96].

Arrivé au parc de Montsouris, il vit descendre d’une voiture son visiteur du matin, les yeux toujours cachés sous des conserves bleues, et un autre personnage, grand, élancé, rigide comme un officier prussien, orné d’une fausse barbe noire[97]. Leur compagnon, Henry, resta dans la voiture[98], mais observant la scène par la lucarne de derrière[99]. Du Paty aborda brusquement Esterhazy : « Commandant, vous savez de quoi il s’agit[100] ? » Puis, d’une voix précipitée[101], et verbeux à son ordinaire, il raconta les machinations de Scheurer et des Juifs ; mais leur complot est connu des chefs de l’armée ; la culpabilité de Dreyfus est certaine, confirmée par des preuves postérieures[102] ; Esterhazy, injustement accusé, aura des défenseurs résolus ; son nom même ne sera pas prononcé, mais à la condition qu’il obéisse aux instructions qui lui seront données[103]. À cet effet, il devra se rendre tous les soirs dans le salon d’attente du Cercle militaire, où l’homme aux lunettes bleues lui transmettra les ordres[104].

Esterhazy s’échauffa contre ses dénonciateurs ; son ton parut sincère à Du Paty[105]. Il montra la lettre « Espérance[106] », entra, à l’étonnement de ses interlocuteurs, dans des détails assez précis, parla de Sandherr comme s’il l’avait connu, ce qui amena une rectification de Gribelin[107]. S’emportant, il dit que des faux avaient été préparés contre lui, et qu’il s’adressera au besoin à l’Empereur d’Allemagne[108]. Du Paty chercha à calmer l’impudent comédien ; il eut l’impression que quelqu’un l’avait déjà prévenu[109] ; mais, se laissant aller, il renouvela avec plus de force l’assurance que des protecteurs puissants et français ne lui manqueraient pas[110]. Enfin, il lui posa diverses questions relatives à sa vie privée et aux manœuvres, celles que vise le bordereau[111]. Tout le temps, Esterhazy feignit d’ignorer que ses interlocuteurs étaient des officiers. Gribelin lui ayant recommandé beaucoup de prudence, à cause de la police : « Vous en êtes donc ? » interrompit Esterhazy, en goguenardant[112].

Du Paty, au bout d’une demi-heure, alla rejoindre Henry et revint avec lui en voiture, jusqu’à la place Saint-François-Xavier, où le fourbe dit qu’il avait rendez-vous avec la Bastian[113]. Gribelin partit de son côté ; pour ce qu’on avait dit à Esterhazy, il eût été plus simple, pensait-il, de le faire venir au ministère[114]. Et, tranquillement, Esterhazy retourna à l’ambassade d’Allemagne[115], après avoir passé chez une fleuriste.

Schwarzkoppen l’avait attendu, fort troublé. Esterhazy, tout à fait ragaillardi, une rose à la boutonnière, lui conta son entrevue avec deux officiers, « délégués du ministère de la Guerre ». Ces officiers lui ont promis le concours du gouvernement, « qui ne laissera pas faire les amis de Dreyfus ». L’un d’eux est un major. Ils lui ont remis un document qui lui permettra de se défendre contre toute accusation.

Esterhazy recommanda à l’attaché de dire, à l’occasion, qu’ils s’étaient connus à Carlsbad. Puis tous deux sortirent ensemble ; l’Allemand le mit en voiture[116].

Boisdeffre et Gonse ont-ils connu l’entrevue de Montsouris ? Gribelin, familier d’Henry, le crut ; Du Paty l’affirme ; les grands chefs le nient[117]. L’évidence, c’est qu’ils ne donnèrent nul ordre, laissèrent faire, surent et approuvèrent.

Desvernine fit son rapport à Gonse : comme quoi il avait suivi Esterhazy à l’ambassade d’Allemagne[118]. Ni Gonse ni Boisdeffre n’en référèrent à Billot. Imaginez Dreyfus ayant dîné, une seule fois, par hasard, avec Schwarzkoppen !

Pourtant, on fit sermonner l’imprudent. Henry lui dit « qu’un ami de Dreyfus aurait pu le voir entrer chez Schwarzkoppen » ; Du Paty, « que c’était très crâne, mais qu’il ne fallait pas recommencer[119] ».

VIII

Le jour même où il reçut la visite d’Esterhazy, Schwarzkoppen se confessa au comte de Munster. C’était la première fois qu’il lui parlait d’Esterhazy ; jusqu’alors, il s’était borné à protester qu’il n’avait jamais connu Dreyfus[120]. En même temps, il adressa un rapport détaillé au général de Schlieffen, à Berlin. Il rapporta également l’incident à Panizzardi, et, cette fois, enfin, lui nomma Esterhazy ; il lui annonça les prochains scandales, ainsi que son propre départ, désormais imminent.

Il existe, en effet, un protocole de l’espionnage diplomatique. Quand le complice d’un attaché militaire se laisse prendre, cet attaché est aussitôt rappelé par son gouvernement. C’est l’aveu public, officiel. Schwarzkoppen avait été maintenu à Paris, après la condamnation de Dreyfus, afin qu’il fût bien établi qu’il n’avait jamais entretenu de relations avec l’infortuné. Dès que le rapport de l’attaché sur Esterhazy parvint à Berlin, l’Empereur ordonna son rappel immédiat, qui fut signifié, selon les règles, au gouvernement français, huit jours après la visite du traître à l’ambassade. En même temps, le Moniteur militaire annonça la nomination de Schwarzkoppen au commandement du 2e régiment de grenadiers de la garde[121].

Pendant les quelques jours qu’il passa encore à Paris, Schwarzkoppen fut accablé de lettres anonymes. Il n’eut aucun doute sur leur provenance. Les scribes ordinaires d’Henry l’avertissaient qu’il sera terriblement compromis, que Scheurer possède un redoutable dossier, qu’il doit se hâter d’intervenir s’il veut écarter l’orage ; sinon, surtout s’il se fait le complice des Juifs, on saura tirer vengeance de lui ; il sera frappé dans son honneur, dans ses affections[122]. Une angoisse cruelle s’ajouta à ses remords.

Il reçut un jour la visite de l’un des agents d’Henry, qu’il avait déjà vu rôder autour de l’ambassade, Lemercier-Picard. L’individu, après un bref préambule, lui montra quelques lettres où Schwarzkoppen reconnut avec effroi son écriture[123]. Il s’écria que c’était des faux. Son visiteur en convint ; imiter les écritures n’est pour lui qu’un jeu ; il a fabriqué, notamment, une fausse lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen où Dreyfus est nommé. Puis, ayant salué, il se retira[124].

Schwarzkoppen raconta cette autre aventure à Panizzardi ; l’Italien rapporta tout à son ambassadeur ; le comte Tornielli informa son gouvernement[125]. Panizzardi avait fait photographier plusieurs lettres d’Esterhazy à Schwarzkoppen qui servirent à des comparaisons d’écriture.

À Paris, dans toutes les ambassades et légations, le brusque rappel de l’attaché allemand fut considéré comme l’indice certain de graves événements.

IX

Maintenant Du Paty est tout entier à sa nouvelle mission. Il a quitté son service régulier et Gonse l’a pris, explique le général, « comme auxiliaire », « parce qu’il a été mêlé déjà à l’affaire Dreyfus », pour profiter de son expérience et « pour copier les pièces dont le ministre veut avoir le double[126] ». (Quelles pièces ? Le dossier judiciaire de 1894 est sous scellés, et la copie du dossier secret, ce serait la besogne d’une heure, incombant d’ailleurs à Gribelin.)

En fait, si Du Paty, trois mois durant[127], a été détaché du bureau des opérations militaires[128] au bureau de Gonse, c’est pour cette autre opération : surveiller, diriger Esterhazy. Et il s’y employa de son mieux, d’une sottise extrême, pensant parfois que son client relevait « du conseil de santé », s’effrayant de ses propos, — quand ce forcené racontait que « la bande voulait tout faire sauter, surtout Boisdeffre », ou quand il menaçait de certains documents, « gênants et ennuyeux » pour des personnalités militaires[129] ; — puis, fier de « l’avoir remonté[130] » et s’imaginant le conduire par la main, alors qu’il n’était que le paravent d’Henry.

Le lendemain de l’entrevue de Montsouris, Du Paty se rencontra deux fois avec Esterhazy, d’abord, dès le matin, au cimetière Montmartre[131], et sans se nommer encore[132], car, prudent dans ses extravagances, il tremblait d’être suivi par quelque policier et il eût voulu rester un inconnu pour l’homme dont il s’était institué le sauveur. Mais Esterhazy savait à qui il avait affaire.

Comme Esterhazy parlait toujours d’appeler l’Empereur d’Allemagne à son secours, Du Paty l’invita à s’adresser plutôt au ministre de la Guerre, au chef suprême de l’armée, qui, « gardien de l’honneur de ses officiers », leur doit aide et protection[133]. L’autre, qui n’avait brandi sa menace que pour en arriver là, résista un peu, puis céda. Tout en se promenant parmi les tombes, Du Paty lui dicta une demande d’audience, en style noble. Esterhazy la porta lui-même au ministère.

Billot, quand il eut la lettre, en fut à la fois irrité et alarmé. Il ne savait rien des pourparlers entamés avec Esterhazy[134]. Violemment, il se refusa à le voir, mais ne serait-ce pas folie de l’exaspérer ? Il prit un de ces moyens termes habituels et décida de le faire recevoir par le général Millet, directeur de l’infanterie, l’ancien protecteur de Picquart.

Esterhazy en fut aussitôt informé, d’abord par lettre officielle[135] ; puis par Gribelin, au Cercle militaire ; l’archiviste l’emmena en voiture et lui renouvela la promesse que les plus hautes protections ne lui feraient pas défaut[136]. Il revit ensuite Du Paty et se plaignit vivement de n’avoir pas audience du ministre lui-même, ou, à son défaut, du chef de son cabinet, Torcy, ou de Boisdeffre. Du Paty lui expliqua que, tout au contraire, c’était fort bien ainsi, qu’évidemment le chef de l’État-Major se réservait[137]. Esterhazy s’amusa à l’appeler par son nom. Du Paty cessa de dissimuler ; il crut à quelque indiscrétion policière[138], ne soupçonnant pas Henry de l’avoir livré. Pourtant, il sut, peu après, d’Esterhazy lui-même, qu’Henry lui adressait des communications chiffrées[139].

Plus tard encore, au soir, Esterhazy conféra de l’audience du lendemain avec Henry, qui l’attendait à sa porte, dissimulé dans une voiture[140]. Henry lui fit répéter son rôle.

X

C’était, depuis longtemps, la préoccupation de Gonse et de Boisdeffre : comment défendre Esterhazy quand il sera publiquement accusé, quand il suffira de rapprocher du bordereau l’écriture de leur protégé pour que l’évidence du crime apparaisse aux yeux non prévenus ?

Le système auquel on s’arrêta est peut-être le résultat d’une collaboration ; il est, plus vraisemblablement, l’œuvre d’Henry. On y reconnaît ses grosses malices, rudimentaires, et la vulgarité puérile de ses inventions. Il est peuple ; il sait avec quelle facilité le peuple se prend aux gros mensonges. Grand lecteur du Petit Journal, que dirige son ami Judet, il est imbu de la même littérature que les deux à trois millions de lecteurs de ces feuilletons romanesques qui, avec les comptes rendus détaillés des grands procès criminels, ont fait autant que l’alcool pour gâter l’esprit français. Il leur servira une tranche de leur pâture habituelle. Ils l’avaleront et la digéreront comme le reste. Que comptent les quelques centaines de délicats qui répugnent à cette grossière nourriture ?

Esterhazy a prétendu que son plan de défense lui fut, jusque dans les plus minutieux détails, imposé par Du Paty, au nom de Boisdeffre, qu’il le trouva absurde, proposa de raconter que le bordereau lui avait été dicté par Sandherr, « comme une lettre de change tirée sur l’ensemble des preuves qui établissaient la culpabilité de Dreyfus », mais que, rabroué par le porte-parole de L’État-Major et soldat avant tout, il s’inclina, obéit[141].

Il est manifeste, au contraire, qu’Henry se concerta avec lui, obtint de lui des indications que nul autre n’eût pu fournir. Il connaît, d’ailleurs, par le menu, l’enquête de 1894 ; il y a trouvé le germe de quelques-unes de ses inventions.

Du Paty, évidemment, fut informé des arguments qu’Esterhazy allait faire valoir. Et il y souscrivit, les trouvant ou de bonne guerre ou plausibles, et sans apercevoir les perfides maladresses qui, plus tard, quand elles seront relevées par des esprits critiques, mais insuffisamment informés, les égareront sur sa propre piste[142].

Esterhazy (le 25 octobre) débita au général Millet ces bourdes[143]. La lettre (il la montra) d’une amie inconnue, « fée bienfaitrice » ou maîtresse qui se venge d’un infidèle, l’a surpris dans le calme des champs : il a appris ainsi le complot tramé contre lui par Picquart[144], jusqu’au nom de cet homme[145]. « Son premier mouvement a été de le rechercher, de le tuer ; mais Picquart n était pas à Paris ». Il s’est reporté alors au fac-similé du bordereau publié, l’an passé, par un journal. Si l’ensemble de cette écriture diffère de la sienne, certains mots sont d’une ressemblance si frappante qu’on les dirait calqués. Précisément, « dans l’un des documents publiés à ce propos, il a lu que le bordereau a été écrit sur papier calque ». Or, « malheureusement pour lui, son écriture traîne depuis longtemps chez les banquiers, les prêteurs d’argent, les marchands bijoutiers et autres gens avec lesquels Dreyfus pourrait avoir des accointances ». « Au moment des duels Morès, Crémieu, Mayer, il a reçu de nombreuses lettres d’officiers israélites ; il leur a répondu par un mot de remerciements ; Dreyfus était peut-être du nombre. » Mais surtout, et ses souvenirs sont, à cet égard, très nets, il a reçu, au commencement de 1894, l’année du bordereau, une lettre signée d’un officier du ministère, le capitaine Brô[146], « qui avait un travail à faire sur le combat d’Eupatoria » ; Brô « pour avoir des renseignements circonstanciés », s’adressait, naturellement, au fils du héros de cette rencontre. Esterhazy écrivit, en conséquence, « une notice assez volumineuse sur Eupatoria », bourrée de mots techniques, et l’envoya à son correspondant, non pas au ministère, mais à une adresse particulière qu’il ne saurait plus préciser[147]. Cette notice serait-elle tombée sous les yeux, entre les mains de Dreyfus ? Alors tout s’explique. Muni de cette pièce, le Juif a décalqué l’écriture d’Esterhazy pour fabriquer le bordereau. En fait, Esterhazy avait bien écrit autrefois « une étude de sept ou huit pages » sur le combat d’Eupatoria, mais en 1893, et l’avait à cette époque, en mars, montrée à plusieurs officiers, notamment au capitaine Bergouignan[148]. Il s’est souvenu de l’incident et, là-dessus, a bâti son roman avec Henry.

Au surplus, Esterhazy n’est « qu’un simple officier de troupe, aussi peu répandu que possible dans le monde militaire » ; comment aurait-il connu les documents énumérés au bordereau ? « Un seul a été entre ses mains, le projet de manuel de tir, ou le manuel définitif. » Un officier juif le lui a prêté ; — Bernheim, au contraire, refusa de le lui prêter ; — mais c’est « à une époque bien postérieure aux seules manœuvres pour lesquelles il ait été désigné[149] ». (Manœuvres de cadres, en mai ; Esterhazy sait, par Henry, que la fausse date d’avril a été attribuée au bordereau.) À une époque où l’expédition de Madagascar n’était pas décidée, il n’en pouvait rien savoir. Autre argument : « Un homme de l’éducation d’Esterhazy et élevé dans son milieu, s’adressant à l’attaché militaire, ne l’aurait pas appelé « Monsieur » ; il lui eût donné son grade ou son titre. » Aussi bien, il n’était pas seulement désigné par son écriture et sa situation gênée « pour être la victime de cette affreuse machination » ; mais les Juifs connaissaient aussi « ses rapports, peu fréquents, mais très ouverts, avec Schwarzkoppen, qui a rencontré ses parents à Carlsbad » ; « il se cachait si peu de cette relation qu’il alla, en plein jour, à plusieurs reprises, en uniforme, à l’ambassade d’Allemagne, pour rendre service à son colonel »,

Millet écouta, « sans souffler mot », ce bizarre récit ; il dit seulement à Esterhazy d’écrire en détail au ministre ce qu’il venait de lui conter[150]. C’est ce que fit le soir même Esterhazy[151], d’accord avec ses amis et de l’assentiment formel de Boisdeffre. Il termina sa lettre par ces phrases, qui sont bien de son style, matamore qui retrousse ses moustaches et regarde vers la porte de sortie :

Parler plus longtemps sur ce sujet semblerait un plaidoyer, ce qui est loin de ma pensée. Il me reste à vous demander si, dans le cas où une allusion serait faite publiquement à ma personnalité, vous prendriez la défense de mon honneur, ou si je ne dois compter que sur moi-même. Ma vie est beaucoup moins que rien, mais j’ai un héritage de gloire à défendre. Au besoin, je m’adresserai à l’Empereur d’Allemagne. Quoique ennemi, c’est un soldat, lisait ce que représente le nom que je porte, et je ne doute pas qu’il autorise officiellement son aide de camp à protester contre l’infamie dont je suis victime[152].

Les patrons d’Esterhazy comptaient que Billot remettrait aussitôt cette lettre à Boisdeffre ; dès lors, le chef de l’État-Major général sera, lui aussi, régulièrement saisi de l’affaire ; on marchera[153].

Mais Billot, au rapport du lendemain, n’en dit rien à Boisdeffre, ce dont celui-ci s’inquiéta ; et, selon l’habituelle filière, Boisdeffre en informa Gonse, qui avertit Henry et Du Paty, qui, tous deux, avisèrent Esterhazy[154].

Il fut décidé qu’Esterhazy brusquerait les choses. Il demandera directement à Boisdeffre d’ouvrir une enquête sur la lettre du capitaine Brault. Si Brault n’a pas écrit à Esterhazy pour lui demander des renseignements au sujet du combat d’Eupatoria, on en déduira que la lettre était l’œuvre d’un faussaire et que ce faussaire était Dreyfus.

Dans le premier interrogatoire que Du Paty avait fait subir à Dreyfus, au Cherche-Midi, il lui avait montré la photographie de cinq mots du bordereau[155] : « Il me semble vaguement, avait dit le malheureux, — mais il se rétracta aussitôt, — que cette écriture ressemble à celle du capitaine Brault[156]. » Récemment, un rapport de Guénée a signalé à Henry que dans la maison habitée par le beau-père de Dreyfus a demeuré un nommé Braut[157]. Or, « c’était cette exclamation de Dreyfus, cette homonymie et cette demeure qui avaient suggéré le roman d’Eupatoria[158] ».

Il y avait bien des objections à faire à cette défense graphologique d’Esterhazy bâtie sur un propos furtif de Dreyfus. Pourquoi Dreyfus aurait-il choisi Esterhazy pour lui emprunter son écriture ? La ressemblance entre l’écriture d’Esterhazy et la sienne ne suffisait-elle pas à motiver un autre choix ? Si l’auteur du bordereau, quel qu’il soit, a eu l’intention de dissimuler son écriture, pourquoi ne s’est-il pas servi simplement de la machine à écrire ? Si Dreyfus, cependant, a décalqué l’écriture d’Esterhazy, pourquoi n’a-t-il pas, à la première interrogation de Du Paty, dénoncé Esterhazy comme l’auteur du bordereau ? Pourquoi s’est-il laissé condamner, dégrader, enfermer, depuis trois ans, sur un rocher, sans nommer Esterhazy ? Pourquoi, au lieu de nommer Esterhazy à Du Paty, lui parle-t-il de Brault, le dernier nom qu’il devrait prononcer, puisqu’il livrerait ainsi le secret de sa machination ?

Nul ne fit ces réflexions si simples. Le génie d’Henry, c’est sa confiance illimitée dans la sottise des hommes qui, sans réfléchir, sans discuter, acceptent les histoires les plus niaises quand elles servent leurs passions. Et sa force, c’est de bien connaître les chefs : ils couvriront ses inventions de leur nom et de leur prestige, quand ils croiront en pouvoir tirer profit, un répit d’un jour.

Esterhazy paraît avoir trouvé que cette histoire était par trop bête, donc dangereuse. Il hésita à réclamer une enquête. Mais Boisdeffre ayant dit à Gonse (27 octobre) qu’il n’avait rien reçu d’Esterhazy, Henry et Du Paty le chapitrèrent. « Le général, lui écrit Du Paty, attend la lettre convenue pour Brô ; il marchera aussitôt ». Et Henry : « Du Paty a dû vous dire d’envoyer de suite au général B. la lettre Brô ; il ne peut rien faire sans cela ; au trot ! Urgent. Il attend[159]. »

Esterhazy obéit. Ce même jour, enfin, Billot saisit Boisdeffre de la lettre qu’il avait reçue d’Esterhazy[160].

Cependant, on poussa, jusqu’au bout, la comédie jugée bonne. Il fut convenu qu’Esterhazy demanderait à Brault s’il ne se souvenait pas d’avoir prêté la notice sur Eupatoria « à un officier du ministère de la guerre », et de la lui avoir envoyée à son domicile[161]. Henry écrivit à Esterhazy d’adresser sa lettre à Toulouse : « Brô est à Paris, mais vous l’ignorez. » Il lui annonce que « le général va faire interroger cet officier et qu’on en établira un procès-verbal[162] ».

Brault, absent de Toulouse, ayant tardé à répondre, Esterhazy lui adressa une dépêche comminatoire : « Votre silence plus prolongé me confirmera que vous avez communiqué ma notice à un tiers de votre grade. » Sur quoi, Brault répondit à Esterhazy qu’il entendait son nom pour la première fois, ne s’était jamais occupé d’Eupatoria, ne lui avait point demandé de notice sur ce combat et ne connaissait personne à l’adresse indiquée[163]. Esterhazy fit part de cette lettre à Billot et à Boisdeffre. Puis, Gonse fit régulièrement interroger le capitaine, qui confirma ses dénégations ; un commissaire aux délégations[164] fut chargé de rechercher l’autre Braut, qui avait bien habité dans la même maison que le beau-père de Dreyfus, mais qui (Henry s’en était assuré) avait déménagé et disparu[165].

Ainsi, tout était soigné jusqu’aux moindres détails. On prenait d’ailleurs toutes les précautions. Henry et Du Paty remirent, chacun, une grille à Esterhazy pour leur correspondance[166]. Et, comme Gonse craignait qu’Esterhazy fût surpris, un jour, par quelque ami de Dreyfus, en compagnie d’un officier de l’État-Major, il le fit prier par Henry de désigner un intermédiaire[167]. Il eût voulu le marquis de Nettancourt, à qui Boisdeffre avait déjà pensé et qui faisait partie du même cercle que Du Paty, ou quelque officier de troupe. Esterhazy proposa sa maîtresse, qui fut acceptée. Du Paty la reçut chez lui, en présence de sa femme. La marquise elle-même porta des lettres à Esterhazy, rapporta les réponses[168]. Elle l’attendait, au rendez-vous fixé la veille, dans un fiacre, jouant, elle aussi, à la dame voilée. Elle écrivait elle-même les notes qu’elle lui remettait, afin, dit Du Paty à Esterhazy, « qu’il pût jurer devant Dieu de ne lui avoir jamais écrit[169] ».

XI

Pendant que cette collusion se poursuivait avec activité et méthode, Scheurer s’apprêtait à offrir au gouvernement l’honneur de faire la revision.

Dès son retour à Paris[170], une première déception l’atteignit. À Fribourg, lors de leur dernier entretien, Leblois l’avait autorisé à se réclamer du témoignage de Picquart et du sien. Maintenant, cette licence qu’il a donnée, après tant de résistance, l’avocat la retire à nouveau, brusquement. Pour l’heure, il ne lui permet plus que de nommer Esterhazy au Président de la République et aux ministres ; il pourra réclamer de Billot une enquête « loyale » ; en cas de refus, il saisira l’opinion. Mais le nom de Picquart ne doit même pas être prononcé. Ainsi lié, comment Scheurer pourra-t-il justifier que le traître, c’est Esterhazy ? « En vérité, observe-t-il doucement, ce n’est pas facile[171]. »

Leblois, lui aussi, n’était pas à l’aise et sa situation n’était pas commode ; surtout, il l’a lui-même empirée.

Déjà, lors de ses premières conversations avec Leblois, puis, pendant les longs mois de son séjour en Alsace, quand il correspondait avec lui, Scheurer s’était impatienté de l’éternel « donner et retenir » de l’avocat. Le plus droit et le plus résolu des hommes, une fois qu’il avait pris une décision, il ne s’expliquait pas ces variations agaçantes. Tantôt Leblois semble séduit par la perspective de jouer son rôle, au côté de Scheurer, bien qu’il ne se dissimule aucun des dangers de l’entreprise, mais parce qu’il en a certainement aperçu la beauté. Tantôt, au contraire, il veut être seulement l’avocat de Picquart, il n’a d’autre mission que de le défendre, et « c’est méconnaître ses intentions et les faits » que le croire animé du seul désir de substituer le traître à l’innocent[172]. Ainsi, tour à tour plein d’ardeur et plein d’incertitude, combatif et ergoteur, voulant et ne voulant pas, il n’a pas plutôt poussé Scheurer en avant qu’il le rappelle et l’arrête.

Scheurer ignorait, en effet, que Leblois n’avait rien dit à Picquart de leurs projets[173].

Au début de l’été, l’avocat avait écrit deux ou trois fois à Picquart, pour lui faire préciser quelques détails[174] et l’aviser qu’il s’était ménagé un sûr accès auprès du gouvernement, grâce à des amis influents, que, d’ailleurs, il ne nomma pas. Mais Picquart avait repris son service sous un chef et parmi des camarades qui l’estimaient. Les autres, ceux qui veulent que Dreyfus soit et reste coupable, il les oubliait avec ces vrais soldats, dans le paisible accomplissement de son devoir militaire. Le nuage avait passé. Il répondit en conséquence à Leblois « de ne plus le mêler à cette affaire et de ne pas continuer à s’en occuper » ; il lui renouvela seulement « la consigne d’agir si jamais il était à nouveau menacé[175] ». Au surplus, quand il viendra en congé, à Paris, il verra par lui-même ce qu’il convient de faire.

Leblois comprit aussitôt qu’il était allé trop loin ; mais il n’osa pas avouer à Picquart combien il l’avait déjà engagé, et se tut. Il craignait les reproches du colonel, et, pis encore, quelque désaveu qui eût tout compromis. Deux mois durant, il ne lui écrivit pas un mot[176]. Son propre frère, officier d’artillerie, se rendit à Tunis ; il ne lui confia aucun message. — Ce voyage fut connu d’Henry et d’Esterhazy, qui le rattachèrent au complot de la « bande[177] ». — Pour le congé de Picquart, Boisdeffre avait pris ses précautions.

Picquart, exactement informé, n’eût-il pas ratifié, dès lors, les démarches de Leblois ? Il l’a fait plus tard. N’eût-il pas délié Scheurer d’un secret trop étroit s’il avait connu le nom de l’homme, de son compatriote alsacien qui avait pris en main la cause de l’innocent ? Il s’y refusera par la suite. En tous cas, Leblois eût dû lui rendre compte.

Silence invraisemblable, désastreux et combien inutile, puisque Boisdeffre et ses collaborateurs sont persuadés que Picquart, par Leblois, a tout divulgué à Scheurer, et que cette conviction centuple leurs haines !

Ainsi pris entre sa conscience et son amitié, Leblois se désolait, appelait le hasard au secours. En attendant, il s’efforçait de tout concilier, car il eût voulu à la fois sauver Dreyfus et ne pas compromettre Picquart, et il aggravait le mal. Il s’en rendait compte, en souffrait cruellement. Il cherchait parfois des chemins de traverse pour sortir de cette impasse ; alors il s’embourbait davantage, et Scheurer avec lui.

Cette loyauté impeccable de Scheurer, ces variations perpétuelles de Leblois, c’est, en effet, la défaite assurée dans une telle bataille et contre de tels adversaires. Leblois, avocat, renouvelle l’erreur de Picquart, soldat. Le professionnel a parlé trop, l’homme trop peu. Et cependant, bribe par bribe, lambeau par lambeau, il va falloir, l’un et l’autre, qu’ils disent tout, qu’ils se laissent tout arracher. Mais trop tard. La bombe, éclatant tout à coup, eût tout emporté. Ils tirèrent à chevrotines.

XII

Cet entretien entre Scheurer et Leblois eut lieu à l’heure même où Esterhazy se rencontrait à Montsouris avec Du Paty. Le justicier avait déjà perdu l’offensive.

D’une grande bonté, il n’en voulut pas à l’avocat, s’avouant que, presque tout ce qu’il avait appris de lui, il le lui avait extorqué[178]. Et il continuait à avoir confiance dans l’autorité de sa propre parole, dès qu’il aura révélé la vérité aux républicains qui sont au pouvoir.

Il écrivit donc à Lucie Faure, la priant de lui ménager un entretien avec son père : « Le plus tôt sera le mieux, car la maison commence à brûler ».

Le lendemain[179], il chassa avec le Président, qui ne lui dit rien du billet qu’avait reçu sa fille. D’autre part, Billot s’impatientait. Déjà, il avait fait prier Scheurer de venir le voir, était passé chez lui. Le soir, il eut la lettre d’Esterhazy demandant audience, mais rien de Scheurer. Il le pria à déjeuner pour le jour suivant[180]. Il signa : « Ton vieil ami, Dumanet ». Scheurer déclina l’invitation, car il voulait, d’abord, entretenir le Président de la République ; il répondit : « Je te préviendrai dès que cela sera possible ; mais il ne faudra pas faire le malin avec moi. »

Deux jours se passèrent sans que Scheurer reçût de Félix Faure la lettre d’audience qu’il attendait. Ses amis le savaient à Paris, s’inquiétaient de sa réserve à leur égard. Ranc alla le voir[181], le questionna. Engagé d’honneur avec Leblois, Scheurer refuse toute explication ; il déclare toutefois que sa conviction, loin de faiblir, s’est fortifiée, qu’il est résolu à poursuivre la revision du procès de Dreyfus et que ses amis, comme il les en a déjà priés, lui rendront service en répandant la nouvelle.

Cet honnête savant n’avait mesuré ni l’étendue de sa tâche, ni la force des résistances qui lui, seront opposées. À l’idée qu’un soldat innocent a payé pour un traître, cette nation généreuse va s’émouvoir ; et qui soupçonnera Scheurer d’agir perfidement ou à la légère ? Les propos de ses amis reviendront au gouvernement et auront raison du sot amour-propre qui hésite à reconnaître une erreur. Il escomptait une pression favorable à ses desseins : ce fut une tempête qui éclata.

Ranc, en quittant Scheurer, rencontra Paschal Grousset. C’était un vieux compagnon de luttes sous l’Empire. L’ancien délégué de la Commune aux relations extérieures, évadé de la Nouvelle-Calédonie avec Rochefort, avait étudié en Angleterre les mœurs d’un pays libre. Après l’amnistie, loin de la politique, il avait préconisé, dans d’agréables écrits, la renaissance des exercices physiques qui font des corps sains pour des esprits robustes. Puis, le goût de la bataille lui étant revenu, il fut élu député à Paris ; mais ses rares interventions à la Chambre ne furent pas heureuses. C’était lui qui, par ses attaques virulentes contre Galliffet, avait préparé à Mercier un éclatant triomphe. Il avait conçu, de longue date, des doutes sur la culpabilité de Dreyfus et, l’an passé, au cours de l’interpellation de Castelin, il eût voulu intervenir.

Dès que Grousset sut de Ranc quels étaient les projets de Scheurer, il alla les raconter à quelques députés et aux journalistes qui, à la Chambre, dans la salle des Pas-Perdus, guettent les nouvelles. Le bruit s’en répandit aussitôt. On m’interroge ; je confirme que Scheurer est, en effet, convaincu de l’innocence de Dreyfus, mais je n’en sais pas davantage.

Il y eut, ce jour-là, parmi les députés, plus de curiosité que d’émotion. Mais la meute des chiens courants de la presse, hardis, adroits à saisir les pistes, à forcer les secrets au gîte, à faire débucher les scandales, donna aussitôt de la voix et se mit en chasse. La chasse dura trois ans.

Ces nouvellistes « aux pieds agiles » avaient pris un nom anglais, reporter, d’un mot français déformé (rapporteur). Dès le lendemain, ils se précipitèrent chez Scheurer. Il n’aimait pas la presse, détestait les habitudes qu’avait créées le besoin d’informations, en était resté aux journalistes d’autrefois, les Nefftzer et les Peyrat. Surpris par cette invasion de questionneurs indiscrets, il ne les reçut point comme des ambassadeurs du quatrième Pouvoir, le plus redoutable de tous parce qu’il fait l’opinion. Il confirma seulement, avec quelque brusquerie, les propos de ses amis, mais dit que son devoir était de s’adresser au gouvernement. Ils lui firent sentir que c’était à eux, d’abord, qu’il devait ses confidences, les pièces de son dossier. S’il refuse de leur rien dire, c’est qu’il n’a rien à dire. Un collaborateur de Drumont[182] lui reprocha ses lenteurs. Il consigna sa porte, pour avoir, au moins « la tranquillité matérielle », et se résigna à « avoir une mauvaise presse ».

Les journalistes, en effet, le traitèrent comme ils avaient été reçus par lui, avec mauvaise humeur ; et, comme ils furent accueillis, au contraire, avec empressement dans les bureaux de l’État-Major, ils répétèrent tout ce que voulaient Boisdeffre et ses acolytes. Il est convenu que les parlementaires sont des menteurs et les militaires, par profession, les plus véridiques des hommes. Ces guerriers, incapables de farder la vérité, étaient indignés de l’injure faite à leurs camarades, aux sept officiers qui, à l’unanimité, la mort dans l’âme, ont condamné Dreyfus. Ils firent aussitôt leurs confidences aux braves journalistes, aux bons Français, qui venaient au secours de l’armée insultée.

Il fut donc établi, dès la première heure, que Scheurer était la dupe d’une intrigue. Il n’a rien dans son fameux dossier. Il s’est trouvé un misérable qui a accepté, contre une forte somme d’argent, d’endosser les crimes de Dreyfus, mais qui est à l’abri, en Suisse. On le connaît « en haut lieu ». Bien plus : Billot a offert à Scheurer de lui montrer les preuves formelles, irréfutables, qui ont décidé, en 1894, l’unanime verdict et « les documents qui sont venus s’y ajouter par la suite ». Mais l’obstiné sénateur n’a rien voulu entendre. On signale, en outre, que, tout l’été, il a été en correspondance suivie avec moi[183] ; ne suis-je pas l’homme de tous les mauvais coups ?

Pour comble, Drumont feint de s’apitoyer sur Dreyfus. Si Scheurer possède les preuves de l’innocence du condamné, son retard à les produire est criminel[184]. « Qu’il parle, et tout de suite, sous peine de passer, lui aussi, pour un scélérat ! »

  1. Cass., II, 228, Esterhazy (Enq. Bertulus).
  2. Il dit à Bertulus qu’il ne s’absenta qu’en juillet, pour acheter des chevaux à Paris, et, trois fois, pour aller à Châlons. C’est un mensonge. On a vu que Scheurer n’avait pas été satisfait des premiers spécimens de l’écriture d’Esterhazy que lui avait procurés l’agent Jaume ; celui-ci, s’étant remis en chasse, fit adresser, de Marseille, à Esterhazy, une lettre dont le signataire demandait un rendez-vous pour causer d’affaires. Esterhazy répondit, d’Épernay, le 11 septembre ; il priait son correspondant de préciser : « Je compte partir pour l’Italie d’ici peu de jours. Si vous avez quelque chose de sérieux à me dire, je pourrai vous voir en passant à Marseille. Adressez votre réponse au Cercle militaire à Paris. » Donc, il se faisait adresser certaines lettres au Cercle militaire, où il allait les prendre lui-même. — Il vint certainement à Paris, le 1er octobre. (Voir p. 561, note 1.)
  3. C’est la version constante d’Henry : « Le soir, dit Esterhazy, je reçus un mot d’Henry me disant d’aller voir Guénée, qui demeurait au diable, rue Marie-Louise, derrière le canal il devait me donner des renseignements complémentaires sur les tripotages financiers de Billot, que l’État-Major visait toujours. » (Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 94.) — Il précise, dans sa déposition du 4 mars 1900 : « Les dettes de Billot, l’affaire de la banque de la rue Turbigo, les billets en souffrance chez les marchands de fer de la rue de la Roquette, ceux en pension chez un homme d’affaires de la rue de Londres, les sommes qu’il s’est fait remettre sur les fonds secrets. »
  4. Voir p. 199.
  5. Voir p. 385.
  6. C’est le propos de Bertin à Fernand Scheurer. (Voir p. 558.)
  7. Lettre à Mme de Boulancy. (Voir p. 36.)
  8. « Reçu de M. le comte Esterhazy, demeurant à Beautiran-sur-Gironde, et à titre de dépôt, la somme de 17.000 francs, qu’il a versée au crédit de mon compte, 50233, au Crédit lyonnais, et dont le présent reçu lui assure la légitime et complète propriété. — Paris, le 1er octobre 1897.
  9. Mémoires de Scheurer.
  10. Il fixe lui-même à cette date son départ pour Paris (Cass., I, 577) cela a été vérifié à Dommartin.
  11. Cass., I, 802, Pays.
  12. Rennes, I, 325 : « Demange : Pourquoi un homme innocent comme Esterhazy avait-il besoin que l’on vînt à son secours ? — Il est certain, répond Roget, que je ne l’aurais pas fait. »
  13. Taine, Littér. angl., I, 9.
  14. Cass., I, 551, Billot : « Je n’ai pas vu Henry plus de deux ou trois fois. »
  15. Billot, Boisdeffre et Gonse savaient qu’Henry avait travaillé avec Esterhazy, en 1877, au bureau des Renseignements. D’autres l’ignoraient (ou ce sont de faux témoins). Ainsi Roget : « D’après tout ce que je sais, je suis porté à croire, d’une façon très ferme, qu’Henry et Esterhazy ne se connaissaient pas… Henry n’a eu aucun rapport avec Esterhazy pendant la durée du procès ; il n’a été en rapport avec lui que postérieurement au procès Zola. » (Cass., I, 99.) — « Gonse, écrit Esterhazy, a essayé de dire qu’Henry m’avait à peine connu ; Roget, croyant que sa déposition ne serait jamais rendue publique, a été jusqu’à dire qu’Henry ne me connaissait pas. Or, j’ai vécu dans le même bureau qu’Henry… etc. » (Dép. à Londres, 1er mars 1900). De même, Cass., I, 580.
  16. Cass., I, 558, Boisdeffre ; H, 197, Gonse ; I, 423, Lauth ; I, 444 ; II, 190, 200 ; Instr. Tavernier, 6 juin 1899, Du Paty : « Le général Gonse me fit chercher au bureau des opérations militaires. » Du Paty fixe cette première réunion au 16 octobre ; il avait précédemment donné la date du 23, mais il explique qu’il y eut plusieurs réunions du même genre, d’où son erreur. Depuis, il a consulté les notes qu’il a prises pendant toute cette période et qu’il a mises en lieu sûr. Il se réserve de les produire devant ses juges, Instr. Tavernier, 7 juin.) — Gonse dit à Rennes (II, 158) qu’il prévint Du Paty, « le 15, le 16 ou le 17 » : « Je lui dis qu’il allait venir avec moi, et je le pris quelques jours après. »
  17. Il était, comme on l’a vu (tome Ier, 211), l’arrière-petit-fils du président Dupaty de Bordeaux. Le président Dupaty eut neuf enfants, dont Charles Dupaty, le statuaire, l’auteur du Louis XIII de la place des Vosges, et Emmanuel Dupaty, de l’Académie française, l’auteur des Délateurs. Le frère du président, mousquetaire à cheval, auteur d’un traité d’équitation, affilié aux illuminés, prit le nom de Clam, d’un manoir qu’il possédait à Saint-Georges-de-Cubillac, dans le Poitou. (Rainguet, Bibliographie Saintongeoise, à Saintes, 1844.) Son fils servit en Espagne sous Thiébaud. (Mémoires, III, 225.) Le général Dupaty, petit-fils du président, prit à son tour le nom de De Clam, écrivit son nom de famille en deux mots et devint marquis du Pape. Prisonnier de guerre en Allemagne, en 1870, il adressa à la Gazette de Cologne une lettre où il traitait le gouvernement de la Défense Nationale de « gouvernement d’aventuriers). C’est le père du lieutenant-colonel.
  18. Cass., I, 344, Cuignet : « Du Paty connaissait le petit bleu, et c’est même à partir de ce moment qu’on le vit fréquenter Henry, l’introduire peu à peu dans son intimité. » Ces assertions sont démenties par Du Paty : « Pendant l’été, à l’époque d’une absence de Mme Henry, j’ai invité une fois Henry à déjeuner (en 1895). Il n’est presque jamais venu chez moi, en dehors de cette invitation, sauf pour affaire de service. Mme Henry est venue plusieurs fois voir ma femme au moment de la naissance d’un de mes enfants ; nous ne l’avons jamais invitée à notre table. » (Cass., I, 456 ; Rennes, III, 504.) Cela est confirmé par Lauth à l’instruction Tavernier (3 juillet 1899). Lauth dépose qu’il tient l’information d’Henry lui-même.
  19. Cass., II, 178, Du Paty : « J’étais un des plus intéressés à la manifestation de la vérité. »
  20. Cass., I, 444, 416 ; Instr. Tavernier (6 juin 1899), Du Paty. — De même Esterhazy (Cass., I, 579).
  21. Lauth (Cass., I, 423) dit « qu’il n’y eut jamais de réunion au sens propre du mot » : Affirmation qui est démentie par Du Paty (Cass., II, 190 ; Instr. Tavernier) et par Gonse lui-même (Cass., II, 197 ; note du 10 septembre 1898 a l’enquête Renouard). — Lauth n’assista pas à la réunion du 22 octobre, la plus importante, celle où furent écrites les lettres anonymes.
  22. Cass., II, 31, 190 ; Instr. Tavernier, 6 juin 1898, Du Paty.
  23. Instr. Tavernier, Du Paty. — Il dit qu’il n’avait rien su jusqu’alors des événements de l’année précédente.
  24. Cass., I, 444 ; II, 31, 177, 205 ; Instr. Tavernier, Du Paty. Rennes, II, 159, Gonse.
  25. Rennes, II, 165, Gonse : « Je suis persuadé que Du Paty s’est entendu avec Henry. » Du Paty dit qu’il vit Gonse presque toujours en présence d’Henry (Instr. Tavernier).
  26. « Cette carte est écrite avec une écriture dissimulée qui est sensiblement la même que celle du faux Weyler, avec cette différence que, dans l’un des documents, les boucles qui altèrent la physionomie des lettres sont en haut, et que, dans l’autre, je précise, les susdites boucles sont en bas. » (Esterhazy, Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 91.) — Cuignet (Cass., I, 343) donne de cette lettre la même description, moins le détail sur la disposition des « boucles ». — Il en résulte qu’Henry montra la lettre à Esterhazy avant de l’envoyer à Billot.
  27. Du Paty place ce conciliabule le 19 ou le 20 octobre (Instr. Tavernier). La lettre reçue par Billot est du 19 ; donc le conciliabule est du 20. — Gonse, à Rennes, dit qu’il s’agissait de la lettre anonyme qui fut reçue, le 21, par Boisdeffre ; que Boisdeffre en reçut une seconde le 26 ou le 27 ; et que la réunion serait postérieure au 27. Or, l’entrevue de Montsouris est du 23. Gonse dit d’ailleurs que « tout cela se passait après l’entrevue de Montsouris » (II, 159), ce qui est absurde. Il confond la lettre P. D. C. avec celles que Boisdeffre reçut plus tard.
  28. Cass., II, 177, Du Paty.
  29. Roget dit que ce fut Du Paty qui en eut l’idée (Rennes, I, 325) ; Du Paty dit qu’il lui serait impossible de préciser si ce fut Gonse ou Henry (Instr. Tavernier, 7 juin), et que l’idée préexistait à cet entretien. Gonse dit (Rennes, II, 159) que la proposition fut faite par Henry. « J’avoue que le moyen n’était pas fameux ».
  30. Gonse avait conservé ce brouillon, qui fut produit, le 7 Juin 1899, à l’instruction Tavernier, et reconnu par Du Paty.
  31. Cass., I, 445 ; II, 31, Instr. Tavernier, Du Paty. — Lauth dit qu’il ne se souvient pas de l’incident dont conviennent formellement Gonse (II, 197) et Boisdeffre (I, 558). « Ou bien, dit Lauth, j’ai quitté seul la chambre, en laissant les trois autres interlocuteurs. » (Cass., I, 423.) J’ai montré (p. 566, note 3) que Lauth assista seulement à la première réunion préparatoire du 16 octobre. De là, sa divergence avec Boisdeffre, Gonse et Du Paty sur ce point. D’ailleurs, vers cette époque, il quitta l’État-Major pour un régiment.
  32. La lettre, qui a été versée au dossier des diverses instructions, porte ces initiales. À la Cour de cassation, le président Lœw interroge Du Paty « sur la lettre P. D. C. » : « J’ignore, répond Du Paty, à quel document il peut être fait allusion. C’est la première fois que j’en entends parler. Je ne sais donc pas à quelle époque il faut l’attribuer. » Puis il raconte la réunion où « l’on a agité les moyens de prévenir Esterhazy » et dit qu’il proposa un texte, « la copie, presque textuelle, d’une lettre anonyme que le ministre venait de recevoir » (I, 445). Or, cette lettre, c’est la lettre P. D. C.
  33. Cass., I, 434 ; Rennes, I, 599, Gribelin. — Cette déposition de Gribelin réduit à néant l’allégation de Roget (Cass., I, 102) et celle de Cuignet (I, 346) que Du Paty serait allé demander l’adresse d’Esterhazy au bureau des Renseignements, le 16 octobre, le jour même où arriva la dépêche de Bertin. Du Paty, dès qu’il connut l’accusation, la démentit. (Instr. Tavernier, 6 juin 1899.)
  34. Instr. Tavernier, Du Paty.
  35. Cass., I, 547, Billot ; I, 558, Boisdeffre ; Rennes, II, 159 et 168, Gonse. « J’écrivis de ma main sur la pièce : À conserver ; à ne pas envoyer ; ordre du Ministre ».
  36. Cass., I, 547, Billot.
  37. Ibid., II, 32, Du Paty.
  38. Ibid., 197, Gonse.
  39. Ibid., I, 558, Boisdeffre ; II, 191, Du Paty. — Gonse, à Rennes (II, 159), dépose qu’il dit à Henry et à Du Paty : « Il est indispensable que vous n’ayez aucune espèce de relations ni directes ni indirectes avec Esterhazy, il va être l’objet de plaintes, de dénonciations… » Et il ajoute cette phrase, qui suffit à le convaincre de mensonge : « Je ne sais pas si à ce moment la plainte de Mathieu Dreyfus était arrivée, mais c’était dans les environs et cela se sentait. »
  40. Cass., II, 32, Du Paty.
  41. Ibid., 201 : « Je n’appartenais pas au service des Renseignements ; on me fait venir, on me fait faire un acte blâmable en écrivant une lettre anonyme ; j’en conclus qu’on voulait se servir de moi pour prévenir Esterhazy. » Et encore : « Il n’y a pas à se défendre d’être allé au secours d’Esterhazy, du moment où, comme le général Gonse me l’a affirmé, à plusieurs reprises, on avait de nouvelles preuves de la culpabilité de Dreyfus et où on était convaincu de l’innocence d’Esterhazy. » (Rennes, III, 505, commission rogatoire.) — Gonse, à Rennes (II, 165), finit par dire : « Du Paty a agi de sa propre initiative, mais, en définitive, il entendait ce que je disais et je ne lui ai pas caché que je trouvais cette campagne singulière, bizarre et même tout à fait fâcheuse, et que, si Esterhazy était innocent, c’était un piège qu’on lui tendait. » Et encore : « J’explique Du Paty qui est un homme très emballé par les conversations que je tenais devant lui. « — De même Boisdeffre : « J’ai dit à cette époque ma conviction absolue de la culpabilité de Dreyfus ; j’ai dit et j’ai répété très haut qu’il était abominable de vouloir lui substituer un homme de paille, si taré qu’il fût. » (II, 528.)
  42. Cass., II, 201, Du Paty.
  43. Ibid., I, 577, Esterhazy. Il dit qu’il quitta Dommartin le 18, ce qui a été vérifié, « mais qu’on (Henry) lui avait prescrit de dire que c’était le 20 ».
  44. À la première audience de son procès (123), Esterhazy dit que la lettre était signée Speranza ; à la Cour de cassation (I, 577), il dit qu’elle était signée Espérance, ce qui est exact. Roget, qui répète la version d’Henry, affirme que la lettre fut écrite, le 20 octobre, par Du Paty (Cass., I, 103) ; il en donne pour preuve la prétendue démarche de Du Paty, le 16 octobre, au bureau des Renseignements. De même Cuignet (I, 346). Or, l’adresse d’Esterhazy fut demandée par Henry. — Du Paty (Instr. Tavernier) dit qu’il vit la lettre, pour la première fois, quand Esterhazy la lui montra.
  45. Voici le texte complet de cette lettre : « Votre nom va être l’objet d’un grand scandale. La famille Dreffus va vous accuser publiquement comme étant l’auteur de l’écrit qui servit de base au procès Dreffus. Cette famille possède de nombreux modèles de votre écriture pour servir de points d’examen. C’est un colonel qui était au ministère l’année dernière, M. Picart, qui a remis les papiers à la famille Dreffus. Ce monsieur est maintenant parti pour le Tonkin, je crois. La famille Dreffus compte vous affoler en publiant votre écriture dans les journaux, et que vous vous enfuirez en Hongrie chez vos parents. Cela indiquera que vous êtes le coupable ; et alors on demandera la revision du procès pour proclamer l’innocence de Dreffus. C’est M. Picart qui a donné les renseignements à la famille. Ce M. Picart a acheté votre écriture à des sous-officiers de Rouen l’année dernière. Je tiens tout cela d’un sergent de votre régiment, auquel on a donné de l’argent pour avoir de votre écriture. Vous voilà bien averti de ce que ces scélérats veulent faire pour vous perdre. C’est à vous maintenant de défendre votre nom et l’honneur de vos enfants. Hâtez-vous, car la famille va faire agir pour vous perdre. Amie dévouée, Espérance. Ne montrez jamais cette lettre à personne. C’est pour vous seul et pour vous sauver des grands dangers qui vous menacent. « (Cote 102 du dossier Bertulus ; Cass., III, 58.)
  46. Cass., II, 91, Enq. Pellieux.
  47. Ibid., 223, 257, Enq. Bertulus.
  48. Le 6 octobre 1896. — Rennes, III, 467, Lauth. — Esterhazy, dans ses lettres au Président de la République et dans ses dépositions aux enquêtes, ne parle que d’une seule « inconnue » qui le protège. À son procès, il distingue, mais sans y insister, en réponse à une objection du général de Luxer, entre «  Espérance » et la « dame voilée ».
  49. Le père Du Lac m’a dit, à moi-même, le 10 juin 1899, qu’il avait supposé que la dame voilée était son ancienne pénitente, qu’il convenait de s’être trompé, mais qu’il n’avait point violé le secret de la confession à son égard. Il me priait d’obtenir de Mme Monnier qu’elle rétractât la déclaration qu’elle avait faite, d’abord verbalement, puis, par écrit, au juge Bertulus. Celui-ci en avait déposé devant la Cour de cassation en ces termes : « Mme Monnier me dit qu’elle était l’objet d’une machination et que les éléments nécessaires à cette machination n’avaient pu être fournis que par quelqu’un très au courant de ses dissentiments avec son mari au sujet de Picquart, et ensuite de sa réconciliation avec son mari obtenue grâce à une lettre d’elle promettant de ne plus revoir Picquart. Elle disait enfin que la seule personne qui ait pu donner les renseignements permettant d’insinuer qu’elle était la dame voilée, parce que, seule, elle présentait les conditions requises, la grande affection et la rupture, ce ne pouvait être que le père Du Lac, son directeur, celui aussi de son mari, qui avait pris la part la plus active à son retour au foyer conjugal. » Deux fois, par lettre, au cours du procès Zola, le jésuite l’avait mandée auprès de lui, mais elle avait refusé de s’y rendre, « ne voulant pas lui dire en face le soupçon qu’elle avait contre lui » (Cass., I, 235, Bertulus ; dossier, lettre de Mme Monnier relatant ces incidents). — Au cours du procès Zola, Mme Monnier avait été dénoncée à Bertulus, comme étant la dame voilée, par les généraux Gonse et de Pellieux (Cass., I, 284). Cela est avoué par Gonse (I, 570). Esterhazy la désigna également à Bertulus (II, 226). Il dit que « son nom lui avait été révélé par le général de Pellieux, qui pensait que ce pouvait être la dame voilée » (II, 278). Le P. Du Lac renouvela son démenti par une lettre à l’abbé Gayraud, qui en donna lecture à la Chambre (23 mars 1903).
  50. Il y rentra le samedi 22 octobre. On put savoir par son concierge la date de son retour ; Boisdeffre put savoir également que le bureau du Sénat était invité à chasser, le dimanche 23, chez le Président de la République, à Rambouillet.
  51. Cass., I, 197, Picquart : « Gonse s’en était assuré auprès d’un de mes amis, en prétextant qu’il avait des papiers à me remettre, ce qui était absolument inexact. »
  52. Cass., I, 197 ; Rennes, I, 461, Picquart. — Cass., I, 254, Gonse : « On donna l’ordre au général Leclerc d’envoyer Picquart à Bizerte, où l’on faisait de nombreux travaux, afin d’y organiser la surveillance des étrangers. »
  53. Gonse dépose que Billot lui avait prescrit « de réunir tout ce qui avait trait aux aveux de Dreyfus et de faire faire, notamment, une déclaration écrite au capitaine Lebrun-Renaud, ce qui fut fait vers la fin d’octobre 1897 » (Cass., I, 246). Billot n’en dit rien. Gonse dit qu’il sortit de l’armoire de fer la lettre qu’il prétend avoir écrite, le 6 janvier 1895, à Boisdeffre au sujet du récit que Lebrun-Renaud lui aurait fait ce jour-là. — Pourquoi n’en avait-il pas parlé à Picquart pour lui démontrer la culpabilité de Dreyfus ? — J’ai établi précédemment (tome Ier, 631) que cette lettre a été fabriquée par Gonse en 1898. — Lebrun-Renaud dépose : « En octobre 1897, quand la campagne en faveur de la revision du procès Dreyfus commença, — elle n’avait pas encore commencé, — le général Gonse me fit appeler et me demanda de lui donner par écrit la déclaration que je lui avais faite verbalement, le 6 janvier 1895. » (Cass., I, 276.) — Gonse, à Rennes (I, 550), dit qu’il fut étonné d’apprendre, de Lebrun-Renaud, ce silence à l’égard du chef de l’État : l’officier lui expliqua alors qu’il avait été « interloqué, décontenancé », parce que, dans le salon d’attente, il avait entendu « une conversation où on le traitait fort mal ». Lebrun-Renaud confirme ce récit (III, 81), dont il n’avait pas soufflé mot devant la Cour de cassation.
  54. Voir t. Ier, 514 et suiv.
  55. Voir t. Ier, 496.
  56. Cass., II, 132 : « Paris, le 20 octobre 1897. Signé : Ch. Lebrun-Renaud. »
  57. Récit d’un témoin.
  58. Cass., I, 323, Forzinetti ; I, 481, Mme Marie Lapeyre : « Lebrun-Renaud me répondit : « Tout ce que les journaux ont raconté, c’est de la fantaisie ; Dreyfus ne m’a rien dit. Du reste, j’ai fait mon rapport. »
  59. « Le capitaine Lebrun-Renaud, de la garde républicaine, a fait la déclaration ci-dessus en présence du général Gonse et du lieutenant-colonel Henry et l’a écrite de sa main. Paris, le 20 octobre 1897. Signé : A. Gonse, Henry. » Cette date du 20 octobre, exacte en ce qui concerne la déclaration de Lebrun-Renaud, constitue, sur le document signé d’Henry et de Gonse, un véritable faux. En effet, le 20 octobre 1897, Henry n’était encore que chef de bataillon ; il ne fut promu lieutenant-colonel que le 10 novembre suivant : « Hors cadre ; détaché au service géographique » (Journal officiel du 12 novembre 1897, n° 307, p. 6320, col. 3). Il n’aurait pas commis, le 20 octobre, sous les yeux de Gonse, une usurpation de titre. Quand, plus tard, il rédigea la note, il oublia, en mettant la date, que sa promotion était postérieure à la déclaration de Lebrun-Renaud.
  60. Aux Sarreix, près de Thiers.
  61. Cette brave femme, Mme Doyoul-Martinet, fit ce récit à M. Fleury-Bonnard, dessinateur à Lyon, qui en informa Mme Dreyfus (9 février 1898). Les deux tentateurs lui avaient défendu, sous menaces, ainsi qu’à son mari, de rapporter leur démarche à son ancienne maîtresse.
  62. Rennes, II, 16, lettre de Lajoux (du 11 juin 1899) au ministre de la Guerre. Lajoux s’était rencontré à Luxembourg avec Cuers qui lui aurait tenu ce langage : « Il y a actuellement au ministère de Guerre un monsieur qui voit tout, qui sait tout, qui envoie au Thiergarten rapports sur rapports et qui a expédié, à Berlin, une longue note sur le nouveau matériel d’artillerie. Il est décoré, va en plein jour voir Schwarzkoppen ; on dirait qu’il sait tout ce qui se passe au ministère. » — Il raconta les confidences de Cuers au Dr Delanne, qui les rapporta plus tard à Ph. Dubois, rédacteur à l’Aurore. (2, 12 mai 1899.)
  63. La perquisition fut ordonnée, à la requête du bureau des Renseignements, par le directeur de la Sûreté générale (Poirson) ; un policier enivra la femme de Lajoux et, pendant qu’elle dormait, fractura son secrétaire et s’empara des papiers. (Rennes, I, 615, Lauth.) Picquart dépose : « Je n’ai pas eu à entrer dans les détails ; j’ai averti la Sûreté. » (Rennes, I, 637.)
  64. Lajoux, dans sa lettre au ministre de la Guerre, raconte qu’il demanda une audience à Boisdeffre ; sur quoi, il aurait été interné, arbitrairement, à Saint-Anne, avec les fous. Lecture de cette lettre fut donnée à Rennes, le 22 août 1899, devant Boisdeffre, Gonse et Gribelin, qui ne firent entendre aucune protestation.
  65. Cela est formellement reconnu par Gribelin : « Je me rendis à Anvers ; je négociai le passage de Lajoux. » Il déclare lui avoir remis 500 francs. (Rennes, I, 592, 598.) La somme fut beaucoup plus forte, ainsi qu’il résulte du dossier de Rennes (I, 332, Demange). Lajoux s’embarqua le 24 septembre 1897. — Dans une lettre du 10 mars 1898, adressée à Hanotaux, Billot déclare que « cette somme a été remise à Lajoux dans un but humanitaire et nullement pour éviter des révélations ». (Rennes, II, 12.) Alors pourquoi le voyage de Gribelin à Anvers ?
  66. Il n’est pas établi que cette mensualité ait été régulièrement servie à Lajoux. En tout cas, elle fut rétablie par Freycinet, ministre de la Guerre dans le cabinet Dupuy, au mois de mars 1899. Elle fut fixée à 200 francs sur la proposition du commandant Rollin, qui en dépose (Rennes, II, 11, 21). Un officier se déplaça pour porter à Lajoux, alors en Italie, une somme importante, à condition qu’il retournerait au Brésil. (Rennes, I, 332, Demange, d’après des pièces du dossier.)
  67. Sur les lettres de l’Empereur allemand, voir t. Ier, 347, etc. — Henry en parla (exactement à cette époque) à Paléologue, le 2 ou le 3 novembre 1897 (Cass., I, 393 ; voir p. 636) ; j’appris, le 5 ou le 6, que Boisdeffre, amené par d’Ocagne, avait fait la même confidence à la princesse Mathilde.
  68. Dès le 4 novembre 1897, la Libre Parole raconte « que la pièce accusatrice dont il a été tant parlé (le bordereau) » n’a pas été produite en original devant le conseil de guerre ; elle constituait « une preuve si accablante de la culpabilité de Dreyfus » que Munster vint, trouver Mercier et le somma de la restituer… Si le ministre refusait, c’était la guerre ; le général Mercier céda. Mais il fit photographier la pièce ; l’original fut rendu, et c’est la photographie qui fut mise sous les yeux des juges ». Drumont tient ce récit « d’un officier général ». Son article fut reproduit, le lendemain, dans l’Intransigeant. — Cette version, comme je l’établirai ultérieurement, fut répandue par Mercier à Rennes, pendant le procès de 1899, avec quelques variantes ; elle détermina le verdict de plusieurs juges à qui furent communiquées les prétendues photographies du faux. — Pour l’« histoire » du bordereau annoté, je suis, de préférence aux versions de 1897, celle qui parut, le 14 août 1899, dans le Gaulois. L’article, inspiré, dicté par Mercier, est intitulé : « Lettre ouverte au général Mercier. » En voici la conclusion : « Vous possédez un des exemplaires de cette photographie et vous l’avez emporté avec vous à Rennes. Ces faits expliquent le quiproquo Esterhazy : il a pu dire avec vérité que le bordereau avait été écrit par lui, et vous avez pu soutenir avec vérité qu’il était l’œuvre de Dreyfus. » Cette lettre fut reproduite par l’Intransigeant et la Libre Parole au 15 ; ces journaux furent envoyés aux juges. Le 14 août, le jour même où la lettre parut, dans le Gaulois, mais avant que ce journal pût parvenir à Rennes, l’un des membres du conseil de guerre posa au général Mercier la question suivante : « N’a-t-on jamais fait l’hypothèse que le bordereau sur papier calque pouvait être la copie d’un bordereau original ? » (I, 149.) Le 16, le lieutenant-colonel Brongniart et le capitaine Beauvais posèrent à Mme Henry une question qui tendait au même but : « Ce papier (du bordereau) que votre mari dépouillait le soir, vous rappelez-vous si c’était un papier épais ? » ; (I, 263.) L’expert Belhomme a, lui aussi, entendu dire qu’il y avait deux bordereaux, mais il ne le croit pas. (II, 569.) — Le 6 septembre 1899, la Libre Parole publia un article intitulé : Les deux bordereaux.
  69. Dép. à Londres, 26 février 1900. Esterhazy ajoute qu’on a fait disparaître ces faux avec le dossier ultra-secret.
  70. Procès Esterhazy, 155, Autant père : « Mme Pays me dit que le commandant… etc. »
  71. Cass., I, 789, Gérard.
  72. Cass., I, 802, Marguerite Pays.
  73. Ibid., II, 173, conseil d’enquête Esterhazy, rapport du colonel de Kerdrain : « Nous laisserons au conseil le soin d’apprécier les causes de cette substitution de nom sur les rôles des contributions. » — J’ai sous les yeux le fac-similé de la lettre qui fut versée au procès Esterhazy ; elle est datée du 20 octobre.
  74. Esterhazy, à son procès, nie qu’il ait annoncé à sa maîtresse son intention de se tuer ; même dénégation de la fille Pays. « N’ayant pas réussi, explique Esterhazy, dans une demande que j’avais faite, j’ai attribué l’insuccès de ma démarche à l’irrégularité de ma vie. Lorsque j’ai voulu demander au ministre de la Guerre de faire une enquête sur moi, j’ai voulu qu’on ne trouvât pas que j’avais continué à avoir cet appartement à mon nom ; c’est très simple (132, 157). » Sa maîtresse répète la même version (156, 159), quitte à convenir plus tard qu’elle a menti aux juges (Cass., I, 788, Gérard). Autant père, le gérant, est formel dans sa déposition (156, 160) ; son fils la confirme (158). — Au procès Zola (II, 157), il la renouvelle. — Le 26 octobre, Esterhazy écrivit une seconde lettre, sur papier du Cercle militaire, donnant congé à son propriétaire ; l’acte, transférant le bail à la fille Pays, fut signé par les contractants chez Me Agnellet, notaire, le 8 novembre. Le propriétaire ayant écrit, au dernier moment, qu’il demandait encore à réfléchir, Esterhazy menaça le principal clerc d’aller, le soir même, trouver son client et de lui « tirer les oreilles ». (Procès Esterhazy, 157, Autant.)
  75. Cass., II, 196, 200, Du Paty.
  76. Cass., II, 32, Du Paty : « J’ai marché droit au but, énergiquement, de bonne foi, sur des incitations qui, pour des officiers, sont des ordres. » Et encore : « J’ai compris ce que parler veut dire. On m’a dit : « On veut que nous le prévenions, je ne puis le faire. Qui se dévouera ? » C’est alors que je me suis sacrifié. » (191.) Ailleurs : « J’ai compris le jeu des physionomies. » (196.) — Ces incitations, qui sont des ordres, on a vu que Picquart les dénonce comme une des hontes de l’État-Major.
  77. Instr. Tavernier, 13 juillet 1899, Du Paty : « M. le général de Boisdeffre reconnaît qu’en ma présence il a affirmé hautement, à l’automne de 1897, l’innocence d’Esterhazy, son inébranlable conviction de la culpabilité de Dreyfus et son indignation de voir qu’on voulait substituer Esterhazy à ce dernier. »
  78. Cass., II, 201, Du Paty : « Je sentais que l’on serait content que j’agisse. »
  79. Cass., II, 191, Du Paty (Enq. Renouard). — Cass., I, 559, Boisdeffre : « Je me rappelle que le colonel Du Paty me fit part des inquiétudes de M. de Nettancourt et j’ai dû certainement lui répondre qu’il pouvait être parfaitement tranquille. » — De même. Gonse ; Du Paty lui ayant demandé l’autorisation de parler à Nettancourt : « Est-ce un homme honorable ? — Oui, il est membre du Cercle. — Alors, on peut lui dire tout naturellement que, si son beau-frère n’a rien à se reprocher, il n’a rien à craindre. » (Rennes, II, 160.) « À quelques jours de là, Du Paty me déclara que M. de Nettancourt, ne voulant plus s’occuper de l’affaire, était parti pour la campagne. » (Cass., II, 197.) Gonse dit encore « qu’il avait formellement défendu à Du Paty toute démarche auprès d’Esterhazy » (Cass., I, 566). — Ces deux dépositions, qui semblent concertées, se heurtent à cette objection : par qui et comment M. de Nettancourt aurait-il su qu’il était question de « substituer », comme dit Boisdeffre, « Esterhazy à Dreyfus » ? Bertulus (Cass., II,. 258) posa la question à Esterhazy qui répondit que son beau-frère n’avait « jamais » été prévenu de la campagne qui allait s’ouvrir contre lui. — La version de Du Paty est bien plus vraisemblable ; elle est confirmée par ce fait que Boisdeffre, plus tard, lui interdit de revoir Esterhazy.
  80. Cass., I, 558, Boisdeffre ; II, 197, et Rennes, II, 158, Gonse. — Roget attribue ces missives à Du Paty (Cass., I, 102). — D’ailleurs, dit-il, « toutes ces histoires n’ont absolument aucun rapport avec l’affaire Dreyfus ; il y a simplement conflit entre Picquart et Du Paty ».
  81. Cass., I, 448, 455 ; II, 200, Du Paty. — Gonse, en réponse, dit que Du Paty « s’est laissé emporter par son zèle », que « sa conduite ne peut être attribuée qu’à une véritable aberration ». (Cass., I, 566, 568.) Et Roget : « Je m’explique très mal l’intervention de M. Du Paty. » (Rennes, I, 324.)
  82. Cass., I, 448, Du Paty : « La première entrevue que j’ai eue avec Esterhazy a été organisée par Henry, au service des Renseignements ».
  83. Cass., I, 435 ; Rennes, I, 600, Gribelin.
  84. Cass., I, 434 ; Rennes, I, 600, Gribelin ; Cass., I, 577, Esterhazy. Cuignet (Cass., I, 347) confirme ce récit, sauf sur un point : il dit que Gribelin rentra chez lui, répugnant à la mission qu’il avait acceptée, mais qu’il l’accomplit le lendemain, « pris de remords ».
  85. Procès Esterhazy, 136, Esterhazy.
  86. Ibid., 164, Féret-Pochon, directeur de l’agence postale. — Il dit que ce fut lui-même qui reçut la lettre d’Esterhazy ; selon Mathieu Dreyfus (142), ce fut l’un des employés de l’agence, Geiger.
  87. Instr. Ravary, 20 déc. 1897 ; Procès Esterhazy, 142, Mathieu Dreyfus. — Le directeur de l’agence nie que cette indiscrétion ait été commise, soit par lui, soit par son employé ; on comprend l’intérêt « professionnel » de ce démenti. « Ayant pour habitude de ne jamais recevoir de lettre adressée à des personnages en vue », Féret aurait voulu rendre celle-ci ; mais l’inconnu était déjà parti. « D’ailleurs la lettre pouvait être innocente, etc. » (Procès Esterhazy, 164.) Or, c’était Geiger qui avait raconté l’incident à l’un de ses parents, le colonel Croissandeau, qui en informa Mathieu Dreyfus (142). — Selon Croissandeau, « Esterhazy était un client habituel du bureau ».
  88. Procès Esterhazy, 142, Mathieu Dreyfus. — Esterhazy, aux enquêtes et à son interrogatoire, dit que toute cette histoire est mensongère : « Je ne me sers jamais d’une lettre anonyme… etc. » (137.)
  89. Cass., I, 577 ; II, 181, Esterhazy ; Cass., I, 434 ; Rennes, I, 600, Gribelin. — Gribelin donna 5 francs à la concierge (Cass., l, 804, Choinet).
  90. Cass., I, 434, 435 ; Rennes, I, 600, Gribelin. — Selon Cuignet (Cass., I, 347), Henry aurait dit à Gribelin que l’entrevue était voulue par Du Paty et qu’elle était nécessaire pour prévenir un acte désespéré d’Esterhazy, fuite ou suicide.
  91. Cass., I, 733, Desvernine : « Esterhazy s’est fait conduire en fiacre, à l’ambassade, à trois heures de l’après-midi. »
  92. Dép. à Londres, 5 mars 1900.
  93. Esterhazy dit qu’il pria seulement Schwarzkoppen « de répéter ce que l’attaché lui avait confié, sinon de Dreyfus, du moins de son fameux capitaine d’artillerie, et du rôle des Juifs dans une armée. Comme je ne peux pas prouver cette conversation, je n’insiste pas ». (Dép. à Londres, 5 mars.)
  94. Il dit, ou Schwarzkoppen comprit : « Au parc Monceau » pour « Montsouris ».
  95. Récit de Schwarzkoppen à Panizzardi.
  96. Cass., II, 734, Desvernine.
  97. Cass., I, 435, Gribelin ; I, 448, Du Paty ; Esterhazy a fait deux récits presque identiques de l’entrevue de Montsouris (Cass., I, 578 ; II, 181, Cons. d’enquête).
  98. Cass., I, 448, Du Paty. — Esterhazy dit, plaisamment, « qu’il ne put voir la figure de cette personne » (Cass., I, 579).
  99. Instr. Tavernier, 23 juillet, Du Paty : « Ce mystère dont Henry a entouré ses relations avec Esterhazy rend d’autant plus étrange sa présence à l’entrevue de Montsouris, à distance, dans un fiacre d’où… etc. »
  100. L’entrevue de Montsouris est du 23 octobre. « Je suis à peu près certain, dépose Roget, que la première entrevue entre Du Paty et Esterhazy doit être du 31 octobre. » (Cass., I, 99.) C’est la date de la seconde lettre d’Esterhazy à Félix Faure.
  101. Cass., I, 578, Esterhazy.
  102. Ibid., 455, Du Paty : « Je lui ai dit qu’on savait après une longue et minutieuse enquête… etc. »
  103. Cass., I, 610, lettre d’Esterhazy au président Lœw : « À partir de ce moment, je n’ai cessé d’être en relations constantes, directes ou indirectes, avec mes supérieurs, dont je recevais des instructions auxquelles je me suis strictement conformé… Tous mes écrits, depuis le mois de septembre 1897, m’ont été ordonnés ou dictés par mes chefs. »
  104. Cass., I, 579, Esterhazy.
  105. Cass., I, 448, Du Paty.
  106. Ibid., 435, Gribelin ; 448, Du Paty.
  107. Ibid., 448 ; II, 35, Du Paty.
  108. Ibid., I, 450 ; II, 177, etc., Du Paty.
  109. Ibid., II, 194, 200, Du Paty. — « C’est un fait, dit Gonse, que j’ignore complètement. » (II, 198.)
  110. Ibid., I, 450, Du Paty.
  111. Ibid., 435, Gribelin.
  112. Ibid. — Esterhazy dit qu’il savait que c’étaient des officiers (I, 578).
  113. Instr. Tavernier, 23 juillet. Du Paty.
  114. Cass., I, 435 ; Rennes, I, 600, Gribelin.
  115. Cass., II, 192, Du Paty.
  116. Esterhazy (Dép. à Londres, 5 mars). — Cette seconde visite a été également racontée par Schwarzkoppen à Panizzardi.
  117. Boisdeffre, sous serment, dépose qu’il ne connut la démarche de Du Paty (il ne parle pas d’Henry) auprès d’Esterhazy « que bien après le procès Zola ». (Cass., I, 558.) Il ne les apprit, dit-il, « qu’imparfaitement, par suite d’absence ou de maladie ». Et, chose extraordinaire, il n’en aurait pas informé Gonse, qui atteste n’avoir connu l’entrevue de Montsouris qu’au mois de juillet 1898, par Henry, quand Du Paty en avait déjà parlé à Cavaignac. Celui-ci voulut interroger aussi Gribelin, qui, avant de se rendre chez le ministre, dit à Henry : « Du reste, le général Gonse doit le savoir. » Sur quoi, Henry aurait détrompé Gribelin et rendu compte à Gonse (I, 566). À Rennes (II, 157), Gonse fait un récit un peu différent ; il aurait assisté à la conversation entre Gribelin et Henry, Du Paty dit et répète formellement « que ses relations avec Esterhazy ont été provoquées, connues, utilisées par les chefs, notamment par le général Gonse » (Cass., I, 444» 449 ; II, 32, 35) ; « Moi vivant, m’a dit ce général, vous ne serez jamais sacrifié. » (II, 179.) Au conseil d’enquête d’Esterhazy, en réponse à cette question « Est-ce sur votre initiative que vous l’avez aidé ? — Je ne veux pas le dire devant lui. » (II, 191, 192.) « Je n’ai pas reçu d’ordre, mais j’ai cru comprendre qu’il fallait y aller. » (Instr. Tavernier, 7 juin, etc.) — Gonse et Boisdeffre se taisent sur les rapports d’Henry et d’Esterhazy. Du Paty en fait la remarque (Cass., II, 34).
  118. Roget (Rennes, I, 325) trouve la démarche « singulière » et « ne sait à quel mobile obéissait Esterhazy ». — Dans sa déposition à Londres (5 mars), Esterhazy mentionne le rapport de Desvernine.
  119. Esterhazy, Dép. à Londres ; Cass., II, 192, Du Paty.
  120. Renseignements inédits.
  121. 2 novembre 1897.
  122. Renseignements inédits.
  123. Cass., I, 467, Trarieux : « L’attaché allemand, m’a dit le comte Tornielli, sait qu’il a existé un agent qui imitait avec beaucoup d’habileté son écriture ; c’était Lemercier-Picard. » À Rennes (I, 283), Roget nie audacieusement que Lemercier ait jamais été au service de l’État-Major.
  124. Renseignements inédits. — Cette histoire fut contée, dès le 16 avril 1898, à Mathieu Dreyfus par un Italien, N… R…, qui fréquentait à l’ambassade d’Italie.
  125. Le comte Tornielli raconta la visite d’Esterhazy chez Schwarzkoppen à Scheurer, à Trarieux (Cass., I, 466), à moi-même ; Panizzardi la raconta à Casella (Procès Zola, II, 520.
  126. Cass., I, 559, Boisdeffre ; I, 567 ; Rennes, II, 158, Gonse.
  127. Cass., I, 567, Gonse : « Du Paty a travaillé avec moi depuis fin octobre 1897 jusqu’au mois de janvier 1898. »
  128. Ibid., 444, Du Paty : « J’y étais chargé d’un travail secret, urgent et important. »
  129. Ibid., II, 178, 185, conseil d’enquête Esterhazy, Du Paty.
  130. C’est ce qu’il dit à Gribelin (Cass., I, 435).
  131. Cass., I, 579 ; II, 182, Esterhazy. Du Paty ne précise pas le lieu du rendez-vous.
  132. Ibid., II, 192, Du Paty.
  133. Cass., I, 450, Du Paty ; I, 679, Esterhazy.
  134. Il l’affirme (Cass., I, 547), et cela paraît probable.
  135. Cass., I, 580, Esterhazy.
  136. Ibid., et II, 181. Gribelin ne fait pas mention de cette promenade ; il dit, en terminant son récit de l’entrevue de Montsouris, « qu’il n’a plus revu Esterhazy qu’au conseil de guerre ». (Cass., I, 435.)
  137. Cass., I, 580, Esterhazy.
  138. Ibid., II, 193, Du Paty.
  139. Cass., II, 35, Du Paty.
  140. Ibid., I, 580, Esterhazy.
  141. Récit d’Esterhazy dans le Matin du 18 juillet 1899 et Cass., I, 587.
  142. Instr. Tavernier, 28 juillet, Du Paty : « Esterhazy a intérêt à me compromettre. Henry a le même intérêt pour écarter l’orage qui plane sur lui. Tous deux se concertent. »
  143. Lettre du 25 octobre 1897 au ministre de la Guerre : « Suivant les instructions de M. le Directeur de l’Infanterie, j’ai l’honneur de vous adresser le récit de ce que j’ai dit à cet officier général. » (Procès Esterhazy, 124.)
  144. Le nom, dans la lettre d’Esterhazy à Billot, est orthographié : « Picard. « On en déduira qu’Esterhazy n’est pas au courant des choses ni des hommes du ministère. Il savait, au contraire, que cette orthographe irritait particulièrement Picquart. — (Voir p. 209.)
  145. Assertion qui n’empêchera pas Esterhazy de dire plus tard qu’il faisait partie du contre-espionnage. Étrange agent qui ne connaît pas le nom du successeur de Sandherr !
  146. Pour Brault, autre faute intentionnelle.
  147. Ce manque simulé de mémoire est bien dans la manière d’Henry. « Je devais, d’après ma consigne, explique Esterhazy, ne plus me rappeler si c’était rue de Châteaudun ou rue Lafayette. » (Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 56). Hadamard, le beau-père de Dreyfus, demeurait rue de Châteaudun.
  148. Rennes, II, 494, lettre de Bergouignan à l’expert Varinard (de Tarbes, le 21 août 1899).
  149. Ainsi, c’est bien Esterhazy qui raconte le premier que Bernheim lui a prêté le manuel. Cela n’empêchera pas Pellieux de dire, au procès Zola : « On a voulu prouver que le commandant Esterhazy avait eu cette pièce entre les mains, et on a appelé au témoignage d’un lieutenant Bernheim qui, par hasard, s’est trouvé être israélite, et qui est venu déposer. Cet officier a été obligé de reconnaître qu’il n’avait pas communiqué à Esterhazy le manuel, mais un règlement d’artillerie sur les pièces de siège… etc. » (II, 12). C’est cette version qu’Esterhazy adoptera, dès qu’il sera informé des déclarations de Bernheim ; il dira alors qu’il n’a eu que ce règlement, « qui vaut 80 centimes et qu’on peut trouver dans toutes les librairies » (Cass., II, 99, Enq. Pellieux ; Procès Esterhazy, 131.)
  150. Cass., I, 581, Esterhazy.
  151. Lettre du 25 octobre 1895. (Dossier de la Cour de cassation, liasse n° 2, annexes au n° 74.) — Même récit, plus tard, avec de légères variantes, aux enquêtes et à son procès.
  152. Esterhazy dit tantôt (Cass., I, 581) que tout le texte de son épître à Billot lui fut dicté mot à mot par Du Paty ; tantôt (Dép. à Londres, 1er mars) qu’« on » lui a remis — on, c’est Henry — le brouillon « écrit, lui a-t-on dit, de la main ou, sous la dictée de Gonse pour qu’il l’apprenne » ; et, encore (Dessous de l’affaire Dreyfus, 179), que le brouillon, de l’écriture contrefaite de Du Paty, porte, in fine, cette note autographe de Du Paty, de son écriture naturelle : « Copiez votre lettre et sachez-la bien ; réclamez le manuscrit de la plaquette. » On ne voit pas la corrélation entre cette note, d’ailleurs authentique, et la lettre d’Esterhazy à Billot, Au surplus, la lettre à Billot est datée du 25 octobre, et la plaquette (voir p. 682) ne fut remise à Esterhazy, selon son propre récit, que plus tard. — Il dit en effet (Dép. à Londres) que Du Paty lui remit la plaquette dans les premiers jours de novembre, que la fille Pays la porta à l’imprimerie de la Croix (le 5 ou le 6, précise le Père Bailly), que le Père Bailly refusa de publier l’article et que Du Paty le réclama alors pour le remanier. — C’est là, déjà, une preuve péremptoire que la note où il est question de la plaquette à réclamer (5 ou 6 novembre) ne fait pas corps avec le brouillon de la lettre du 25 octobre, qui, dès lors, ne peut pas être de Du Paty. Mais, ici encore, Esterhazy a dû finalement se convaincre lui-même de mensonge. Relatant ces incidents devant la Cour de cassation : « Je vous dépose, dit-il, le texte qui m’a été donné et je vais vous déposer la note. » (I, 581.) Et, en conséquence, il déposa deux pièces (liasse n° 2, annexes au n° 74).
  153. Cass., I, 581, Esterhazy.
  154. Ibid. : « Au bureau de poste de la rue du Bac, Henry me prévint que le général de Boisdeffre n’avait pas encore reçu du général Billot communication de ma lettre. J’insiste sur ce fait que, si le colonel Henry était informé de ce retard, il n’avait pu l’être que par le général de Boisdeffre attendant donc l’effet de ma lettre et, par conséquent, en connaissant l’emploi. Henry me dit : « Le ministre va garder ça pendant cinq ou six jours avant de prendre une décision, selon son habitude… » — Du Paty écrivit, dans l’après-midi, à Esterhazy : « Votre lettre n’est pas encore arrivée au général de Boisdeffre ; il a été décidé que vous le saisiriez directement ; trouvez-vous ce soir, à onze heures, à l’endroit ordinaire, pour lettre à lui adresser. » (Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 55.)
  155. « Je vais partir en manœuvres. »
  156. Voir t. Ier, 157.
  157. Esterhazy, Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 56. — Selon Esterhazy, ce Braut était un ami d’Hadamard ; ils ne se connaissaient même pas. L’immeuble qu’ils habitaient est, en fait, composé de deux maisons, l’une ayant son entrée au 53 de la rue de Châteaudun, où habitait Hadamard, l’autre au 62 de la rue de la Victoire, où habitait Braut.
  158. Esterhazy, Dép. à Londres, 1er mars 1900.
  159. Dép. à Londres, 1er mars. — Esterhazy montra ces diverses lettres, et celles qui seront reproduites plus loin, au consul de France devant lequel il déposait et qui les transcrivit dans le texte officiel, Esterhazy attribue tous les billets anonymes à Du Paty, qui les aurait écrits d’une écriture contrefaite ou fait copier par sa femme. Selon Christian (Mémoire, 105), Esterhazy lui aurait dit qu’il avait brûlé tous les billets de Du Paty, sauf un seul, un jour qu’il craignait une perquisition. Il n’aurait donc gardé que les billets d’Henry : pourquoi ?
  160. Dép. à Londres, 1er mars.
  161. Cette lettre, du 29 octobre 1897, fut produite à l’enquête Pellieux, à l’instruction Ravary et au procès Esterhazy. En voici le texte : « Mon cher camarade, permettez-moi de faire appel à vos souvenirs pour un renseignement du plus grand intérêt pour moi. En février 1894, je vous ai envoyé, sur votre demande, une notice relative au rôle joué en Crimée par le 4e hussards à Eupatoria, un des régiments qui se trouvaient alors sous les ordres de mon père. Bien que je vous aie envoyé ce petit travail chez un de vos amis, rue de Lafayette ou rue de Châteaudun, si mes souvenirs sont exacts, parce que vous alliez partir en permission, je n’ai pas reçu de réponse de vous. J’aurais grand intérêt à savoir, le plus tôt possible, si vous n’auriez pas le souvenir d’avoir à cette époque, ou par la suite, prêté ce petit travail, sans valeur pour eux, à un de Vos camarades du ministère de la Guerre. Veuillez agréer, etc… »
  162. Dép. à Londres, 1er mars 1900. — À son procès, comme aux enquêtes précédentes, Esterhazy raconte : « J’ai cherché au ministère de la Guerre ; le capitaine Brault n’y était plus ; il était parti sans laisser d’adresse, mais j’ai su qu’il était en garnison à Toulouse. » (127.) — « Je finis par découvrir qu’il était à Toulouse. » (Cass., II, 93.)
  163. Lettre du 3 novembre 1897 produite aux enquêtes et au procès Esterhazy.
  164. Bernard.
  165. Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 58 et 59 : « Il était mort, écrit Esterhazy, ou disparu. »
  166. Cass., I, 584, Esterhazy. — Ces grilles furent saisies par Bertulus. (Cass., II, 235, cote 5 du scellé 4.)
  167. Esterhazy (Dép. à Londres, 26 février 1900) donne le texte du billet d’Henry : « Le général Gonse demande que vous désigniez si possible un intermédiaire sûr pour communiquer. On a pensé à votre beau-frère. Réfléchissez et répondez ce soir ; urgent. Vous donnerez la réponse à D. P. »
  168. Cass., I, 182, (Cons. d’enq.), Esterhazy : « Quelques jours après l’entrevue de Montsouris, Du Paty arrive avec une femme voilée au pont Alexandre-III et me fait connaître qu’il ne peut plus avoir avec moi de relations directes ; Mme Pays est acceptée comme intermédiaire. » De même, Cass., I, 581. Plus tard (Dép. à Londres, 26 février), il dit qu’il rencontra « tous les jours » Mme Du Paty, à une heure fixée et à un endroit désigné la veille. — Précédemment, à l’enquête Bertulus, Esterhazy avait affirmé qu’il avait vu Mme Du Paty pour la première fois le jour où il était allé demander au colonel de lui servir de témoin contre Picquart (II, 247). — Marguerite Pays dit tantôt qu’elle n’a vu Du Paty et la marquise que deux fois (Cass., I, 797), tantôt qu’elle n’a jamais vu Mme Du Paty (II, 240). — Cass., I, 444, Du Paty : « Mes relations indirectes ont eu lieu par des intermédiaires, dont les uns m’ont été désignés ou imposés par mes chefs, et dont les autres se sont imposés à moi ou m’ont été imposés par les circonstances. » Au conseil d’enquête d’Esterhazy, Du Paty convient que Marguerite Pays fut l’un des intermédiaires choisis (II, 185).
  169. Dép. à Londres, 26 février 1900.
  170. 23 octobre 1897.
  171. Mémoires de Scheurer.
  172. Procès Zola, I, 97, Leblois : « Je suis l’avocat du colonel Picquart. » C’est ce qu’il ne cessa de dire à Pellieux, à Ravary, à Fabre : « Vous n’avez en réalité, lui dit le juge, songé qu’à une chose : amener le gouvernement à poursuivre Esterhazy pour trahison ? — Je proteste, répond Leblois, contre cette interprétation de mes actes ; elle est contraire aux faits et à mes intentions. » (196.) Fabre lui rappelle la décision du conseil de l’Ordre qui l’a frappé pour avoir fait à Scheurer une communication qu’il n’avait pas le droit de faire, comme avocat ; Leblois répond que « l’interprétation donnée par le juge à cette décision devrait, si elle était fondée, lui assurer le bénéfice de la maxime : Non bis in idem. D’ailleurs les événements ont prouvé que Picquart avait besoin d’être défendu. » (Instr. Fabre, 116, 177, 181, 196, etc.)
  173. Enq. Pellieux, 30 nov. 1897, Picquart ; Instr. Fabre, 138, Leblois.
  174. Enq. Pellieux, 30 nov., Picquart.
  175. Rennes, I, 461, Picquart.
  176. Enq. Pellieux, 30 nov., Picquart.
  177. Cass., II, 97, Enq. Pellieux, Esterhazy.
  178. Mémoires de Scheurer.
  179. 24 octobre 1897.
  180. 25 octobre.
  181. 27 octobre 1897.
  182. « Gaston Méry s’installa dans un fauteuil… Je n’aurais jamais cru qu’un homme appartenant à un pareil journal se permît de venir chez moi. » (Mémoires de Scheurer.)
  183. Matin du 29 octobre 1897.
  184. Libre Parole du 29.