FABLE V.

Le Papillon, le Freſlon, & la Chenille.



UN vieux Freſlon depuis long-temps
Avoit fait des deſſeins ſur une Tubereuſe ;
Un Papillon, nouveau fils du Printemps,
Traverſoit en ſecret, ſa fortune amoureuſe.

De grand murmure, & de ſanglant combat,
Se vit alors la prochaine apparence,
C’eſt touſiours de la concurrence,
Que naiſſent le bruit & l’éclat.
A maintenir leurs droits, les Rivaux s’appreſterent.
Pere Freſlon de bourdonner,
Papillon de papillonner,
Tant volerent, tant bourdonnerent,
Qu’enfin l’Amour ils obligerent,
A juger de leur different.
Il cite devant luy le Couple concourant,
Leur ordonne à tous deux, d’expoſer l’aventure :

Jamais ſans doute avant ce jour,
Ils ne s’eſtoient trouvez en telle conjoncture ;

Mais tout parle dans la Nature,
Quand il s’agit d’obeyr à l’Amour.
Je ſuis, dit le premier, un Freſlon qu’on eſtime
Pour ſon labeur & pour ſon rang.
D’un eſſain renommé le Prince legitime
Me reconnoiſt pour eſtre de ſon Sang :
Cette tubereuſe naiſſante,
Par ſa jeuneſſe floriſſante,

A ſceu meriter mon ardeur ;
Depuis le jour qu’elle eſt écloſe,
Je voltige ſans ceſſe autour de cette Fleur,
Et quitte pour la voir, Lys, Anemone, & Roſe,
Qui tenoient de ma part, ces ſoins à grand honneur.
Ce foible Papillon, cette fragile engeance,
Qui parmy nous s’oſe à peine enrôler,
Sans redouter l’effet de ma vengeance
Sur mes traces ſemble voler.
Si pour travailler à ma taſche,

Je donne à mes deſirs, un moment de relaſche,
Ou vais ſuccer d’un fruit le naiſſant vermillon,
Quand ie viens reparer prés de ma Tubereuſe,
Une abſence ſi douloureuſe ;
J’y retrouve touſiours l’aſſidu Papillon :
Faut-il qu’un Freſlon de ma ſorte,
Chery de Flore, envié des Zephirs,
Souffre qu’un Papillon apporte
Un obſtacle ſecret à ſes tendres deſirs ?
Qu’il oſe impunément luy diſputer la place,
Exciter ſa colere, & ſes ſoupçons ialoux ?

Ay-je tord de vouloir reprimer cette audace ?
Grand Dieu, je m’en rapporte à vous.

C’eſt, dit le Papillon, avoir mauvaiſe grace,
Et faire à ce Dieu mal ſa Cour,
Que d’expoſer ſon travail & ſa Race,
Quand il s’agit des faveurs de l’Amour.
Moy Papillon, je ne me vente
Ny d’anceſtres fameux, ny d’exploits importans ;

Mais ma parure eſt éclatante,
Et j’en change tous les Printems.
À la ſaison que les Roſes nouvelles
Eſtalent à mes yeux leurs beautez naturelles,
Si je me trouve épris de leurs jeunes appas,
Je ne prends point mon vol vers elles,
Que l’éclat qui ſort de mes aîles
Ne m’ait devancé de cent pas.
J’ay du brillant, de la jeuneſſe,
De l’enjoument, & de la propreté :
Je ſuis leger, je le confeſſe,
Mais je rends grace au Ciel de ma legereté,

Lors que Papillonnant, de fleurette en fleurette,
Indifferemment ie muguette
Tout ce qui paroiſt à mes yeux,
Cette inconſtance eſt ſouvent une addreſſe
Pour inſpirer à la Fleur ma Maiſtreſſe
Le deſir de m’arreſter mieux.
Si d’un illuſtre Sang ta vanité ſe louë,
En humble Papillon j’avouë
De ne meriter pas cét honneur comme toy ;
Mais pour finir la diſpute amoureuſe,
Demandons à la Tubereuſe,
Lequel luy plaiſt le plus, du Freſlon, ou de moy.


Malgré le royal Parentage,
Le Papillon auroit eu l’avantage,
Si la Fleur euſt reglé ſon ſort :
Il eſtoit jeune, il eſtoit agreable ;
Mais pendant que tous deux redoubloient leur effort,
Pour obtenir un Arreſt favorable,
Une Chenille impitoyable
Achevoit ſourdement de les mettre d’accord.

Ainſi voit-on finir parmy les creatures,
Maintes & maintes avantures ;

On entre en concurrence ; & de feux, & de ſoins
On ſe diſpute, on ſe querelle,
Pendant que le Rival qu’on redoute le moins,
Triomphe en ſecret de la Belle ;
Et laiſſant aux Muguets, le murmure & l’éclat,
S’enrichit du butin, ſans aller au combat.