FABLE VI.

Le Chat, & le Grillon.



QVe l’homme ſe ſert mal de ſon raiſonnement !
Qu’injuſte fut la Loy ſuprême
Qui ſoûmit l’Animal impitoyablement
A tel qui ne ſçait pas ſe gouverner luy-meſme,
Et que tout Animal inſtruit facilement.

Ainſi s’exhaloit en murmure,

Certain Grillon ſeditieux,
Qui bien-toſt euſt changé l’ordre de la Nature,
Si Grillons décidoient dans le Conſeil des Dieux.

C’eſt bien à toy, mon cher, à faire le Critique,
Interrompit un vieux Matou,
Qu’un peu de cendre chaude attiroit prés du trou
De noſtre Grillon Satirique.
Encore ſi c’eſtoit quelque Chat comme moy,
Qui blaſmât la ſuprême Loy,

Je luy pardonnerois de ſe donner carriere.
Matou courant de nuict, de Goutiere, en Goutiere,
Peut ſe formaliſer d’avoir l’homme pour Roy.
Il luy voit en ſecret, commettre tant de crimes,
Suivre tant de folles maximes.
Icy fait le lutin, le frenetique Epoux,
Croyant que grilles & verroux
Rendent une Epouſe fidelle,
Pendant que le Galant qui luy tient en cervelle,
Doit aux ſeuls ſoupçons du jaloux,

Toutes les faveurs de la Belle.
Là, garde le Mulet quelque credule Amant,
Comptant pour un Siecle un moment,
Penſant que ſa Philis le compte à ſa maniere,
Et l’égale en deſirs comme en fidelité.
Que s’il pouvoit en Chat paſſer par la Chattiere,
Seroit bien-toſt guery de ſa credulité.
Es-tu témoin des ſerenades,
Et des nocturnes promenades,
Où s’occupent ſouvent les plus ſages mondains ?

Paſſes-tu quelquesfois ſur les toits les plus ſaints,
D’où lorgnant par un trou, le rusé Solitaire,
J’ay veu l’hypocriſie, à tel degré monter,
Que moy Matou, je n’oſe raconter,
Ce que tel qu’on croit Saint, n’a pas honte de faire.
Chacun ſçait ce qu’il ſçait, reprit d’un ton chagrin,
Le Grillon mal content de ſon petit deſtin :
Si tu vois le Bigot démentir ſa grimaſſe,

Je voy peut-eſtre plus, ſans partir de ma place.
J’entends ſouvent le Magiſtrat
De ſon Foyer prendre des Villes,
Le Cavalier parler, de matieres civiles,
Et le Bourgeois, trancher du Potentat.
Tel qui ne peut trouver, de party pour ſa fille,
De tout le genre humain, fait le Chef de Famille,
Et croit eſtre nommé de Dieu pour le pourvoir ;
Il donne celuy-cy de puiſſance abſoluë,

A telle que peut-eſtre, il n’aura jamais veuë,
Et qu’il ne devra jamais voir.
Que diray-je de la licence
Que ſe donne leur médiſance ?
Eſt-il rien de ſacré pour ces Prophanes-là ;
Un de ces ſoirs j’entendois dire………………
A cét endroit de la Satyre,
Le Patron de caſe appella ;
Sa voix pour nos cenſeurs, fut pis qu’un coup de foudre.
Matou ne fit qu’un ſaut, juſques au trou du Chat,
Et Grillon ſe croyant deſia reduit en poudre,

Rentra plus mort que vif dans ſon ſombre grabat.