Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre XXV. Nécessité de pratiquer.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 315-317).
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CHAPITRE XXV. NÉCESSITÉ DE PRATIQUER. modifier

82. Mais comme, même avec un œil pur, c’est-à-dire avec un cœur simple et sincère, on ne peut lire dans le cœur d’un autre, ce sont les tentations qui mettent au jour ce que les actes ou les paroles laissent ignorer. Or il y a deux espèces de tentations : ou l’espoir d’acquérir quelque avantage temporel, ou la crainte de le perdre. Il faut bien prendre garde, tout en cherchant la sagesse qui ne se trouve que dans le Christ en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science[1], il faut bien prendre garde à ne pas nous laisser tromper, sous le nom du Christ, par des hérétiques ou par des gens peu éclairés et partisans de ce siècle. Voilà pourquoi le Seigneur continue et nous dit : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là entrera dans le royaume des cieux. » Par là nous sommes avertis de ne pas nous imaginer qu’il suffise de dire : « Seigneur, Seigneur » pour être un arbre bon et porter de bons fruits. Les bons fruits consistent à faire la volonté du Père qui est dans les cieux, selon l’exemple que le Seigneur lui-même nous en a donné dans sa personne.
83. On pourrait être embarrassé d’arranger ce passage avec cet autre de l’Apôtre : « Personne parlant dans l’Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus ; et personne ne peut dire Seigneur Jésus, que par l’Esprit-Saint[2]. » En effet, d’une part, nous ne pouvons dire que des hommes ayant l’Esprit-Saint n’entreront pas dans le royaume des cieux, s’ils persévèrent jusqu’à la fin ; et, de l’autre, nous ne pouvons affirmer que ceux qui disent Seigneur, Seigneur » et n’entrent pas dans le royaume des cieux, ont l’Esprit-Saint. Que signifient donc ces paroles : « dire Seigneur Jésus », sinon que, sous ce mot dire, l’Apôtre sous-entend la volonté et l’intelligence de celui qui parle ? De son côté le Seigneur a dit cri général : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux. » Car celui qui ne veut pas ou ne comprend pas ce qu’il dit, a cependant l’air de dire ; mais celui-là seul dit réellement qui exprime sa volonté et sa pensée par le son de sa voix. C’est ainsi que, plus haut, dans l’énumération des fruits du Saint-Esprit, le mot joie, est pris dans son sens propre, et non dans celui où l’Apôtre l’emploie quand il dit : « Elle (la charité) ne se réjouit point de l’iniquité[3]. » Comme si on pouvait se réjouir de l’iniquité ! Comme si ce n’était pas là une agitation, un troublé de l’âme, et non la joie, que les bons seuls peuvent goûter ! Donc on peut avoir l’air de dire, quand on se contente de parler, sans comprendre et sans pratiquer ce qu’on exprime ; et c’est en ce sens que le Seigneur dit : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux. » Mais ceux-là parlent véritablement et proprement chez qui la volonté et l’intelligence sont d’accord avec la parole, et c’est à ce point de vue que l’Apôtre a dit : « Personne ne peut dire Seigneur Jésus que par l’Esprit-Saint. »
84. Un point très important et relatif à ce sujet, c’est donc qu’en cherchant à connaître la vérité, nous ne nous laissions point tromper, non seulement par ceux qui se couvrent du nom du Christ sans que leur conduite y réponde, mais encore par certains faits et par certains prodiges, comme le Seigneur en a fait en vue des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous y laisser prendre et de ne pas toujours supposer une sagesse invisible là où nous voyons un miracle visible. C’est pourquoi il ajoute : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons chassé les démons, et en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? Et alors je leur dirai : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité. » Le Seigneur ne reconnaîtra donc que celui qui pratique la justice. Car il a défendu même à ses disciples de se réjouir de telles choses, par exemple, de ce que les démons leur obéissaient. « Mais, leur dit-il, réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux[4] » c’est-à-dire, je pense, dans cette cité de la Jérusalem céleste, où régneront seulement les justes et les saints. « Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre, que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu[5] ? »
85. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que les injustes ne peuvent faire ces miracles visibles, et regardera-t-il commodes menteurs ceux qui diront : « C’est en votre nom que nous avons prophétisé, et chassé les démons et fait beaucoup de miracles. » Qu’il lise alors tout ce qu’ont fait les magiciens d’Égypte par opposition à Moïse, le serviteur de Dieu[6] ; ou s’il ne le veut pas, par la raison que ces magiciens n’agissaient pas au nom du Christ, qu’il lise au moins ce que le Christ lui-même a dit, en parlant des faux prophètes : « Alors si quelqu’un vous dit : Voici le Christ, ici ou là, ne le croyez pas. Car il s’élèvera de faux « Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands signes et des prodiges, jusqu’à induire en erreur, s’il peut se faire, même les élus[7]. »
86. Combien donc un œil pur et simple est nécessaire pour trouver la voie de la sagesse, autour de laquelle les hommes pervers déploient tant d’artifices et d’erreurs ! Échapper, à toutes leurs embûches, c’est parvenir à la paix assurée, à l’immuable et solide sagesse. Car il est extrêmement à craindre de ne pas voir, dans la chaleur de la discussion et de la dispute, ce qu’il n’est donné qu’à un petit nombre de voir ; vu que le bruit de la contradiction est peu de chose, quand on n’en fait pas soi-même. C’est à cela que se rattachent ces paroles de l’Apôtre : « Il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu dispute, mais qu’il soit doux envers tous, docile, capable d’enseigner, parlent, reprenant modestement ceux qui sont d’une opinion opposée ; dans l’espérance que Dieu leur donnera un jour l’esprit de pénitence pour connaître la vérité[8]. » Donc : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[9]. »
87. Il faut par conséquent bien faire attention à la terrible conclusion de tout ce discours. « Ainsi quiconque entend ces paroles que je dis et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. » En effet ce n’est qu’en agissant qu’on donne de la solidité à ce qu’on entend ou à ce qu’on comprend. Et si le Christ est la pierre, comme l’enseignent plusieurs endroits des Écritures[10], celui-là bâti t sur le Christ, qui met ses leçons en pratique. « La pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur la pierre. » Celui-là ne craint donc pas les superstitions ténébreuses, car la pluie n’a pas d’autre signification, quand on la prend en mauvais sens ; ni les vaines rumeurs des hommes, que l’on compare aux vents, je pense ; ni le torrent de celle vie, l’entraînement des concupiscences charnelles qui inonde, pour ainsi dire, la terre. En effet, voilà les trois genres d’adversité qui abattent l’homme que la prospérité séduit, mais on n’a rien à en craindre quand on a une maison, fondée sur la pierre, c’est-à-dire, quand on ne se contente pas d’entendre les ordres du Seigneur, mais qu’on les accomplit. Celui au contraire qui les entend et ne les accomplit pas, est grandement exposé à tous ces périls : car il n’a pas de fondement solide ; en entendant et en n’accomplissant pas, il élève un édifice ruineux. Le Christ ajoute donc : « Et quiconque entend ces paroles que je dis et ne les accomplit point, sera semblable à un homme insensé qui bâtit sur le sable ; la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle s’est écroulée et sa ruine a été grande.« Or il arriva que lorsque Jésus eut achevé ces discours le peuple était dans l’admiration de sa doctrine ; car il les instruisait comme ayant autorité et non comme leurs scribes et leurs pharisiens. » J’ai indiqué plus haut que tout avait été prédit, par le Psalmiste, quand il disait : « J’agirai en mettant, ma confiance en lui ; les paroles du Seigneur sont des paroles pures, de l’argent éprouvé par le feu, dégagé de la terre, purifié jusqu’à sept fois[11]. » C’est ce nombre sept qui m’a fait rattacher ces préceptes aux sept sentences que le Seigneur a exprimées au commencement de ce discours, et aux sept opérations du Saint-Esprit mentionnées par le prophète Isaïe[12]. Mais soit qu’on adopte cette division, soit qu’on en préfère une autre, il faut accomplir ce que nous avons appris du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.
Traduction de M. l’abbé DEVOILLE.

  1. 3
  2. 1 Cor. 12, 8
  3. Ib. 13, 6
  4. Lc. 10, 20
  5. 1 Cor. 6, 9
  6. Ex. 7, 8
  7. Mt. 24, 23-26
  8. 2 Tim. 2, 24
  9. Mt. 5, 9
  10. 1 Cor. 10, 4
  11. Ps, 11, 6, 7
  12. Isa. 11, 2, 3