Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre XXIII. Les fils adoptifs de Dieu. — Conclusion de la première partie.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 286).

CHAPITRE XXIII. LES FILS ADOPTIFS DE DIEU.— CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE. modifier


78. Quant à ce qui suit sous forme de conséquence : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux » il faut l’entendre dans le sens de ces paroles de saint Jean Il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu[1]. » Car naturellement il n’a qu’un Fils, lequel ne peut absolument pas pécher ; et nous, en vertu du pouvoir que nous avons reçu, nous devenons enfants de Dieu, en tant que nous accomplissons ses préceptes. C’est pourquoi l’Apôtre appelle adoption notre vocation à l’héritage éternel, par laquelle nous pouvons être les cohéritiers du Christ[2]. Nous devenons donc enfants par la régénération spirituelle, et nous sommes adoptés pour le royaume de Dieu, non en qualité d’étrangers, mais comme ses créatures et les œuvres de ses mains ; en sorte que, par un premier bienfait, sa toute-puissance nous a fait être quand nous n’étions pas, et par un second bienfait, il nous a adoptés pour nous faire jouir avec de lui de la gloire éternelle, en qualité d’enfants et dans la proportion de nos mérites. Aussi ne dit-il pas : Faites cela parce que vous êtes les enfants ; mais : Faites cela pour que vous soyez les enfants
79. Or, en nous appelant ainsi par son Fils unique, il nous appelle à lui ressembler. Car, comme il est dit ensuite : Le Père fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes. » Soit donc que vous entendiez ici par soleil, non cet astre visible aux yeux du corps, mais cette sagesse dont il est dit : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle[3] » et encore : « Le soleil de justice s’est levé pour moi » et ailleurs Mais pour vous qui craignez le nom du Seigneur, le soleil de justice se lèvera[4] » et que la pluie soit pour vous la diffusion de la doctrine de vérité, puisque celle-ci a en effet apparu aux bons et aux méchants et que le Christ a été évangélisé aux uns comme aux autres : soit que vous préfériez voir ici le soleil qui brille non seulement aux yeux corporels des hommes, mais à ceux des animaux, et la pluie qui fait croître les productions destinées au soutien de notre corps, interprétation qui me semble la plus probable ; en sorte que le soleil spirituel ne se lèverait plus que pour les bons et les saints, ainsi que s’en plaignent les méchants dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon : « Et le soleil ne s’est pas levé pour nous[5] » et que la pluie spirituelle ne tomberait plus que sur les bons, les méchants étant figurés par la vigne dont il est dit : « J’ordonnerai aux nuées de ne plus répandre leur rosée sur elles[6] » quelle que soit, dis-je, celle de ces deux interprétations que vous adoptiez, on y voit toujours l’effet de la grande bonté de Dieu, qu’il nous est ordonné d’imiter si nous voulons être ses enfants. Car quel est l’homme, assez ingrat pour ne pas reconnaître quel soulagement nous procurent en cette vie ce flambeau visible et la pluie matérielle ? Et ce soulagement, nous voyons qu’il est commun ici-bas aux justes et aux pécheurs. Le Christ ne dit pas seulement : « Qui fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants » mais : « Son soleil » c’est-à-dire celui qu’il a fait, qu’il a fixé et qu’il a tiré du néant, comme on l’écrit dans la Genèse de tous les luminaires[7] Lui qui peut bien appeler sien tout ce qu’il a créé de rien afin de nous apprendre avec quelle libéralité il veut que nous donnions à nos ennemis ce que nous n’avons pas créé nous-mêmes, mais reçu de sa munificence.
80. Or qui peut être prêt à supporter des injures de la part des faibles, dans la mesure qui est utile à leur salut ; à aimer mieux souffrir l’injustice d’un autre que de rendre la pareille ; à accorder à quiconque lui demande, ou l’objet demandé si cela est possible, ou s’il ne le peut raisonnablement, au moins un bon conseil, un cœur bienveillant ; à ne point se détourner de celui qui veut lui emprunter ; à aimer des ennemis, à faire du bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent ? Oui, qui donc accomplit tout cela, sinon l’homme pleinement, parfaitement miséricordieux ? Ce seul conseil mis en pratique suffit à soulager le malheur, avec l’aide de Celui qui a dit : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice[8]. » Mais il me semble à propos de terminer ici ce volume déjà bien long, et de laisser les lecteurs un peu respirer et reprendre des forces pour méditer ce qui doit faire le sujet d’un autre livre.

  1. Jn. 1, 12
  2. Rom 8, 17 ; Gal. 4, 5
  3. Sag. 7, 26
  4. Mal. 3, 2
  5. Sag. 5, 6
  6. Isa. 5,6
  7. Gen. 1,16
  8. Os. 6, 6