Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre II. Pour voir Dieu il est nécessaire que le cœur soit pur.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 287-288).

LIVRE SECOND.
SECONDE PARTIE DU SERMON[1].
CHAPITRE PREMIER.

POUR VOIR DIEU IL EST NÉCESSAIRE QUE LE CŒUR SOIT PUR. modifier

1. Après la miséricorde, dont l’étude termine notre premier livre, vient la pureté du cœur, par où nous commençons le second livre. Or la pureté du cœur est en quelque sorte celle de l’œil destiné à voir Dieu, et que l’on doit avoir soin de tenir simple autant que l’exige la dignité de l’objet qu’il peut contempler. Mais il est difficile que dans cet œil en grande partie purifié, il ne se glisse pas quelque saleté provenant des choses mêmes qui accompagnent ordinairement nos bonnes actions, comme la louange humaine, par exemple. S’il est dangereux de mal vivre, qu’est-ce que bien vivre et renoncer à la louange ; sinon être ennemi du monde qui est d’autant plus misérable que la vie régulière lui déplaît davantage ? Si donc ceux parmi lesquels vous vivez ne vous louent pas quand vous faites le bien, ils sont dans l’erreur ; s’ils vous louent, vous êtes en danger, à moins que votre cœur ne soit si simple et si pur que, dans le bien que vous Mites, vous n’ayez point en vue les louanges des hommes ; que vous ne soyez plus disposé à féliciter ceux qui goûtent et approuvent le bien, qu’à vous féliciter vous-même, quoique vous meniez une vie régulière quand même on ne vous en louerait pas ; et enfin, à moins que vous ne compreniez crue l’éloge qu’on fait de vous n’est utile à celui qui le fait, qu’autant qu’il rapporte l’honneur de votre bonne conduite, non à vous mais à Dieu, dont toute âme fidèle est le temple très saint et qu’il veut accomplir ce que dit David : « Mon âme se glorifiera dans le Seigneur ; que ceux qui ont le cœur doux écoutent et soient dans l’allégresse[2]. » C’est donc le propre de celui qui a l’œil pur de faire le bien sans égard aux louanges des hommes, sans les avoir en vue dans le bien qu’il fait, c’est-à-dire de ne jamais faire le bien pour plaire aux hommes. En effet on pourra simuler le bien, si l’on se propose seulement d’être loué, car, l’homme ne pouvant lire au fond du cœur, ses éloges peuvent tomber à faux. Ceux qui agissent ainsi, c’est-à-dire qui simulent le bien, ont le cœur double. Celui-là a donc seul le cœur simple, c’est-à-dire pur, qui s’élève au-dessus des louanges humaines ; qui en faisant le bien, n’a en vue et ne cherche à plaire qu’à Celui qui pénètre les consciences. Et tout ce qui sort de sa conscience pure est d’autant plus louable qu’il a moins en vue les louanges humaines.

2. « Prenez donc garde, dit le Seigneur, de ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux » c’est-à-dire prenez garde de pratiquer la justice pour que les hommes vous voient et de chercher là votre satisfaction. « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » non pas précisément si vous êtes vus des hommes, mais si vous faites le bien pour en être vus. En effet qu’en serait-il de ce qui a été dit au commencement de ce sermon : « Vous êtes la lumière du monde ? une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne ; et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; qu’ainsi donc votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres ? » Mais ce n’est point là que le Seigneur fixe le but, car il ajoute : « et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux[3]. » Et ici, comme il défend de se proposer ce but, c’est-à-dire de faire le bien pour être vu des hommes, aprè05s avoir dit : « Prenez garde de faire votre justice devant les hommes, pourra être vus d’eux » il n’ajoute rien : ce qui prouve qu’il n’a pas défendu de faire le bien devant les hommes, mais de le faire pour être vu d’eux, c’est-à-dire de viser à cette fin, de fixer là son but.

3. En effet l’Apôtre nous dit : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ[4] » bien qu’il dise ailleurs Complaisez à tous en toutes choses, comme je le fais moi-même[5]. Pour ceux qui ne savent pas comprendre, il y a là une contradiction pourtant en disant qu’il ne plaît pas aux hommes, il veut dire qu’il ne fait pas le bien pour leur plaire, mais pour plaire à Dieu, à l’amour duquel il voulait amener tous les hommes en cherchant à leur plaire. Il avait donc raison de dire qu’il ne plaisait pas aux hommes, parce qu’en cela il n’avait en vue que de plaire à Dieu : et il n’avait pas moins raison de recommander de plaire aux hommes, non pour chercher là une récompense à de bonnes actions, mais parce qu’on ne peut plaire à Dieu sans se présenter comme modèle à ceux qu’on veut sauver, et que personne n’est tenté d’imiter celui qui ne lui plaît pas. Ainsi comme il ne serait point déraisonnable de dire : En prenant la peine de chercher un vaisseau, ce n’est pas un vaisseau, mais une patrie, que je, cherche ; de même l’Apôtre pouvait dire : En cherchant à plaire aux hommes, ce n’est pas aux hommes, mais à Dieu que je plais : car, mon but n’est pas là, mais je tends à être imité par ceux que je veux sauver. C’est ainsi qu’il dit en parlant des oblations faites pour les saints « Non que je recherche vos dons, mais je désire le fruit qui en résultera[6] » c’est-à-dire en recherchant vos dons, ce ne sont pas vos dons que je recherche, mais les fruits qui en résulteront pour vous. Car c’était là un indice du progrès qu’ils avaient faits dans les voies du Seigneur, puisqu’ils offraient de bon cœur ce que l’Apôtre leur demandait, non pour son plaisir, mais pour entretenir les liens de la charité.
4. Quant à ce que le Seigneur ajoute : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » cela prouve simplement que nous devons nous tenir en garde pour ne pas chercher la récompense de nos bonnes œuvres dans les louanges humaines, c’est-à-dire pour ne pas nous imaginer que nous puissions y trouver le bonheur.

  1. Mat. VI-VII
  2. Psa. 23,3
  3. Mat. 5, 14-16
  4. Gal. 1, 10
  5. 1Co. 10, 32
  6. Phil. 4, 17