Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre VI. Le sel de la terre et la lumière du monde. — Le boisseau et le chandelier.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 262-263).
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CHAPITRE VI. LE SEL DE LA TERRE ET LA LUMIÈRE DU MONDE. – LE BOISSEAU ET LE CHANDELIER. modifier

16. C’est donc avec beaucoup de raison que le Sauveur dit ensuite : « Vous êtes le sel de la terre : » montrant par là qu’il faut regarder comme insensés ceux qui recherchant l’abondance des biens temporels, ou craignant d’en être privés, perdent les biens éternels que les hommes ne peuvent ni donner ni ôter. « Si donc le sel perd sa vertu, avec quoi salera-t-on ? » C’est-à-dire si vous, par qui les peuples doivent en quelque sorte être assaisonnés, vous perdez le royaume des cieux par crainte des persécutions temporelles, où trouvera-t-on des hommes pour vous délivrer de l’erreur, quand Dieu vous a choisis pour en guérir les autres ? Le sel affadi « n’est donc plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. » Or ce n’est point celui qui souffre persécution qu’on foule aux pieds, mais celui à qui la crainte de la persécution ôte sa vertu. En effet, on ne peut fouler aux pieds que ce qui est à terre ; mais celui-là n’est point à terre qui, bien qu’il souffre beaucoup ici-bas dans son corps, est cependant fixé au ciel par le cœur.
17. « Vous êtes la lumière du monde. » Comme il a dit plus haut : « Vous êtes le sel de la terre » il dit maintenant : « Vous êtes la lumière du monde. » Or parla terre dont il parle plus haut, il ne faut pas entendre celle que nous foulons des pieds du corps, mais les hommes qui l’habitent, et même les pécheurs ; car c’est pour les assaisonner et détruire leurs mauvaises humeurs que le Seigneur leur a envoyé le sel apostolique. Et, par monde, il ne faut pas entendre ici, le ciel et la terre, mais.leshommes qui sont dans le monde, qui aimant le monde et que les apôtres ont mission d’éclairer. « Une ville ne peut être cachée.quandelle est située sur une montagne » c’est-à-dire quand elle est fondée sur une grande et éclatante justice, justice désignée aussi par la montagne sur laquelle le Seigneur fait entendre sa parole. « Et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau. » Comment interpréter ces paroles ? « Mettre sous le boisseau » signifie-t-il simplement cacher une lampe, comme qui dirait : Personne n’allume une lampe pour la cacher ? Ou bien ce mot de boisseau a-t-il une autre signification ? Mettre une lampe sous le boisseau signifie-t-il préférer les avantages du corps à la prédication de la vérité, en sorte qu’on cesse de l’enseigner de peur de subir quelque désagrément dans les choses corporelles et passagères ? En tout cas ce mot de boisseau est bien choisi : soit à cause de la mesure dans laquelle chacun recevra la récompense de ce qu’il aura fait, selon ce témoignage de l’Apôtre : « Afin que, là, chacun reçoive ce qui est dû à son corps[1] » et suivant cet autre texte où l’idée de mesure personnelle, se retrouve encore : « Selon la mesure avec laquelle vous aurez mesuré, mesure vous sera faite[2] » soit parce que les biens passagers, qui concernent le corps, commencent et finissent dans un nombre de jours déterminé, indiqué peut-être par le boisseau ; tandis que les biens éternels et spirituels ne sont point resserrés dans de telles limites[3] : « Car ce n’est pas avec mesure que Dieu donne son esprit[4]. » Donc quiconque obscurcit et voile la lumière de la bonne doctrine sous les avantages temporels, met la lampe sous le boisseau. « Mais sur le chandelier. » Ce qui a lieu quand on assujettit son corps au service de Dieu, en sorte que la prédication de la vérité ait le dessus et l’esclavage du corps le dessous ; et que cependant ce même esclavage du corps fasse briller la doctrine, laquelle s’insinue dans l’esprit des auditeurs par la voix, par la langue, par les autres mouvements du corps qui contribuent aux bonnes œuvres. L’Apôtre met donc la lampe sur le chandelier, quand il dit : « Je ne combats pas comme frappant l’air ; mais je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé[5]. » Dans ce qui suit : « Afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » il faut, je pense, entendre par maison, le lieu que les hommes habitent, c’est-à-dire ce monde, dans le sens où il est dit plus haut : « Vous êtes la lumière du monde » à moins qu’on ne veuille y voir la figure de l’Église : ce qui n’est point déraisonnable.

  1. 2 Cor. 5, 10
  2. Mt. 7, 2
  3. Rét. l. 5, ch. 19, n. 8.
  4. Jn. 3, 34
  5. 1Co. 9, 26-27