Enquête sur la monarchie/Discours préliminaire/II

Nouvelle librairie nationale (p. xiii-xv).

II

DURÉE DE LA PREUVE

Entre la prévision de 1900 et son échéance de 1914 s’est étendu ce large espace de quinze années durant lesquelles un homme a le temps d’accomplir ses premières forces d’adolescent. Les conscrits qui avaient vingt ans le jour du premier ou du dernier coup de feu ont pu entendre leurs parents discuter de la menace que nous présentions alors comme l’inévitable effet de la démocratie. De tous ces jeunes survivants, mûris par une épreuve qui les a laissé mutilés, blessés, épuisés, beaucoup doivent se rappeler que nous étions presque les seuls à nous montrer tout à fait insensibles aux fallacieuses promesses de paix allemande comme aux rêveries du pacifisme français. S’il leur vient à l’esprit de récapituler nos vieilles instances pour replacer l’armée, la marine, la politique de défense nationale au premier rang des préoccupations du pays, ils doivent voir que le langage d’autrefois est condamné à peu varier aujourd’hui : l’attitude et la puissance de l’Allemagne ne varient pas, ni l’attitude ni la puissance des amis qu’elle a en France dans ce monde républicain qui revient aux doctrines que nous vîmes fleurir en 1900. La victoire n’a rien apporté de neuf Ici nous ne démarrons pas des maximes d’expérience qui sous les Rois gardaient la France et la défendaient, mais la Démocratie manifeste la même absence de vue pratique, elle s’attache aux mêmes visions mystiques, aggravées par les mêmes intérêts de caste et de clan qui ont découvert et démantelé la patrie !

Le souci jaloux de ses luttes intérieures détourne le démocrate du devoir de la lutte extérieure, à moins que le même souci ne l’y précipite dans des conditions également dangereuses. Cette primauté de l’intérêt de faction peut s’appeler la règle de la démocratie. Le Temps ne change rien ni à l’être du gouvernement populaire, ni aux conditions territoriales et nationales du pays. Que peuvent deux ou trois semaines d’années ? Qu’est-ce que la pincée des changements qu’elles amènent dans l’esprit public ? Le païen peut chanter son ruit hora, le chrétien son ruat cœlum. Sur un globe fidèle à la substance de ses intérêts et de ses passions, la République reste la République, l’Allemagne reste l’Allemagne. Tant que ce qui est, est, les lois de l’être ne succombent ni à l’effort de l’âge ni au branle de l’univers. Que notre monde ne soit pas éternel, que ses matériaux s’écoulent, c’est l’évidence ; mais que sa forme dure, que ses rapports essentiels soient fixes, et qu’ils vivent autant que lui, l’évidence n’est pas moins claire.

C’est dans ce sentiment qu’il nous faut approcher du corps de la France et considérer le rapport des révolutions passées avec les besoins permanents. Le travail que je réimprime a tenté de fixer ce rapport pour la période qui va de César, de Clovis, de Charlemagne et de Hugues le Grand à l’an 1900. Il reste à considérer le même rapport pour le petit écart de compas qui mesure la distance de l’heure présente à celle où ce gros livre a été écrit. Nous y verrons beaucoup d’accidents de personnes et de cataclysmes de peuples ; d’amendement à la loi des choses, aucun. Beaucoup de ceux qui ont collaboré avec nous ne pourront se relire ici. Où sont nos premiers inspirateurs et nos maîtres. Buffet et Lur-Saluces ? Où notre cher Jules Lemaître, notre grand Maurice Barrès ? Où est Sully-Prudhomme ? Où est mon ami Frédéric Amouretti ? Où est Henri Vaugeois ? Et vous, Léon de Montesquiou, vous, Lionel des Rieux, vous, Octave Tauxier, vous, Hugues Rebell, Albert Jacquin, Eugène Ledrain, Richard Cosse ? J’ai cité par son nom le directeur-fondateur de l’Action Française. Je dois nommer le directeur-rénovateur de la Gazette de France, Gustave Janicot, qui avait ouvert ses colonnes à notre Enquête. Et je ne puis taire le nom de la dernière recrue de l’Enquête sur la Monarchie avant la guerre : le général Mercier, justicier de la trahison, éditeur du canon de 75 à qui remonte le bonheur des premières victoires. Ah ! pour être tout à fait juste, je devrais réunir dans la même évocation tout le jeune public, royaliste et républicain, qui se mêla à cette discussion passionnée. Où sont-ils et où dorment-ils, dans quelle nécropole de l’arrière ou du front ? Mais toutes leurs cendres éparses exhalent un esprit de vie immortel, parce que les institutions qu’ils ont considérées, les causes qu’ils ont examinées font partie de ce qui tient au cœur, à l’esprit, au corps même de l’animal politique éternel. Les hommes passent, la nature humaine survit. Il faudrait que les conditions de l’existence fussent bien profondément altérées par des facteurs chimiques ou astronomiques inédits pour que les conditions étudiées ici fussent beaucoup changées. Comment un simple laps de vingt-cinq ans ne les aurait-il pas vérifiées trait pour trait ?