Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lettre H


Panckoucke (1p. 406-422).
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H

HACHER (v. act.) c’est l’art de disposer des lignes ou traits à l’aide du crayon, de la pointe ou du burin, pour donner l’effet aux différens objets que l’on veut ombrer, soit en dessin, soit en gravure. On hache aussi en peinture : c’étoit même une manœuvre très-familière aux anciens, comme on le voit par les peintures antiques qu’on a découvertes. Pour hacher, on se sert de lignes droites, courbes ou ondoyantes ; quelquefois on les combine ensemble, en les croisant en forme de lozange ou de quarré, suivant l’objet qu’on veut représenter. Le sens dans lequel il convient de disposer ces traits n’est par arbitraire : c’est à la forme, au mouvement, à la dureté, à la mollesse de la chose qu’on représente, aussi bien qu’à la perspective, à indiquer le sens que doivent suivre les hachures, & si elles se doivent combiner en lozange ou en quarré. Si l’objet est rond, les hachures doivent être circulaires ; s’il est uni, elles doivent être plates ; s’il est inégal, elles doivent participer de ces inégalites. Pour exprimer une substance dure, elles se croisent quarrément, & pour exprimer un objet qui a de la mollesse, elles se coupent en lozange. Enfin, pour parvenir à donner l’effet convenable, soit à une gravure, soit à un dessin, le grand art est de les varier, de manière cependant qu’elles indiquent toujours l’inflexion ou la forme générale des différens objets qu’elles servent à peindre. S’il y a plusieurs hachures les unes sur les autres, ainsi qu’il arrive le plus souvent, il faut toujours que celle qui exprime la forme de l’objet soit la dominante, en sorte que toutes les autres ne servent qu’à la glacer, à la fondre, à en augmenter l’effet. (Article de l’ancienne Encyclopédie.)

HACHURE (subst. fém.) Se dit des lignes ou traits dont on se sert pour exprimer les demi-teintes et les ombres dans le dessin. En gravure, ces traits se nomment tailles. Il y a des hachures simples, doubles, triples, &c. Les simples sont formées par des lignes paralleles ; les doubles, triples, &c. sont formées par des lignes qui se croisent entr’elles. (Article de l’ancienne Encyclopédie.)

HARDI, HARDIÉSSE (adj.), (subst. fém.) La hardiesse est, dans la carrière des arts, la marche d’un homme qui va sûrement parce qu’il connoît bien son pas & la route qu’il doit suivre ; sa démarche a la grace de la liberté,


parce qu’il ne craint ni de s’égarer, ni de se heurter, ni de tomber. On ne peut le confondre avec l’audacieux qui court sans savoir où il va, se heurte, tombe & se relève pour retomber encore.

La hardiesse suppose donc la science, ou elle n’est que l’impudence d’un charlatan. L’homme habile est hardi, parce qu’il a la conscience de ce qu’il peut ; l’ignorant est audacieux, car ce qu’il est incapable de faire, il ne le connoît même pas.

La hardiesse répand un charme singulier sur les ouvrages de l’art. Il manque quelque chose pour plaire à ce qui est même bien fait, s’il est fait avec timidité. Le spectateur souffre de la peine qu’a supporté l’artiste, & ce sentiment diminue ses plaisirs. D’ailleurs la timidité est un sentiment froid, & tout ce qu’elle produit devient froid comme elle. Il faut échauffer ses juges, si l’on ne veut pas qu’ils soient sévères & même quelquefois injustes.

Un jugement prompt & sain, une pratique assidue, sont les vrais moyens de parvenir à la hardiesse louable. Avec une théorie étendue, mais sans pratique, on exécute timidement ce que l’on fait ; on connoît bien ce que l’on doit faire, mais on le fait avec peine : c’est, en tout, la grande habitude qui est la cause de l’aisance, & c’est l’aisance qui produit la hardiesse. On est timide, quand on prévoit qu’on pourra manquer ce qu’on se propose ; on est hardi quand on a coutume de faire & de réussir.

De grands maîtres ont été timides dans l’exécution ; mais ce n’est pas leur timidité qui fait leur mérite. Elle est toujours un défaut ; &, comme nous l’avons dit ailleurs, il n’est aucun défaut qu’on ne puisse excuser par l’exemple d’un maître.

On peut dire qu’il est des défauts qui nuiroient moins au succès que la timidité, parce qu’elle semble annoncer des fautes même lorsqu’il n’y en a pas. Sa marche incertaine paroît toujours voisine de la chute ; & comme elle ne montre pas la sûreté qui promet la réussite, on ne peut croire qu’elle ait réussi. Le mot d’un professeur de l’art ne manque pas de justesse « Si vous faites des fautes, disoit-il aux élèves, faites-les hardiment. » Ce mot ressemble à celui de Voltaire qui disoit à un jeune poëte tragique : « Frappez fort, si vous ne pouvez frapper juste. » Mais Voltaire ni le professeur ne disoient : « Faites des fautes, ne frappez pas juste. » S’il est un moyen d’éviter les fautes en travaillant hardiment, c’est de se rendre compte d’avance, par une esquisse arrêtée, de l’ordonnance, des formes, de l’effet & de la couleur. Mais ce moyen devient insuffisant, si l’on n’a pas l’aisance & la pratique du faire.

Tout cet article peut se réduire à un vers de la Fontaine :

Travaillez, prenez de la peine.

C’est en prenant de la peine qu’on acquiert la facilité, & c’est la facilité qui donne la hardiesse. (Article de M. Levesque.)

HARMONIE. (subst. fem.). L’harmonie, selon les Grecs, étoit fille de Mars & de Vénus : charmante allégorie, qui, mariant ensemble la force & la beauté, leur fait produire l’ordre, dirigé vers le plaisir & la félicité des êtres sensibles ; ordre qui, sans doute, est nécessaire à la satisfaction des dieux, comme aux bonheur des hommes.

Examinons l’harmonie dans l’art dont traite cet ouvrage, d’après l’idée allégorique des anciens, en laissant nos lecteurs en faire une application plus vaste à tout ce qui, parmi les hommes, est susceptible de force & de beauté.

Le mot harmonie s’applique dans la peinture à la couleur, au clair-obscur, enfin à l’ensemble d’une composition. On dit, ce peintre a une couleur harmonieuse ; la connoissance qu’il a du clair-obscur donne beaucoup d’harmonie à ja couleur ; enfin, il y a une harmonie charmante dans le tout ensemble de cet ouvrage.

Si nous suivons le sens étymologique dans ces différentes acceptions, nous dirons que l’harmonie de la couleur consiste dans la force du coloris, qui dans chaque objet représenté, en fait approcher, autant qu’il est possible, l’imitation au degré des objets imités, & dont la beauté vient du choix de ces objets & du soin que le peintre doit prendre de ne pas salir ses teintes, en les accordant pour les rendre harmonieuses.

Le mot harmonie appliqué au clair-obscur, suppose de même que l’artiste, ayant bien étudié les effets innombrables de la lumière, a choisi dans une composition ceux qui, produisant les plus grands effets, doivent y répandre un charme qui attache les regards.

Enfin, dans le tout ensemble, le mot harmonie suppose que la disposition de toutes les parties est telle qu’elle concourt à l’énergie que comporte le sujet, par conséquent à la sorte de beauté qu’il doit produire.

L’ordre, comme on le voit, est indispensablement lié à ces idées ; car si, dans la couleur, on n’étoit occupé que de la force & de la beauté des teintes, le tableau point avec


ces dispositions, pourroit sort bien n’être pas harmonieux & n’être pas même d’accord. Le clair-obscur soumis, comme je l’ai dit, aux loix des deux sciences exactes, la perspective & les règles d’incidence & de reflexion des rayons de la lumière, établit plus nécessairement cet ordre indispensable pour l’harmonie de la couleur. Ce qui fait qu’il n’est guère possible de concevoir l’harmonie de la couleur, sans supposer l’harmonie du clair-obscur. Cependant la pratique apprend aux artistes que certaines couleurs par elles-mêmes & relativement les unes aux autres, semblent se prêtet plus facilement à l’harmonie que d’autres.

Il en résulte que la plus parfaite harmonie de la couleur, celle qui satisfait davantage les regards, consiste non-seulement dans la succession des teintes modifiées selon l’ordre de la lumière & des ombres, mais encore dans un choix de couleurs dont une infinité d’objets laissent la disposition au peintre.

L’harmonie du coloris & celle du clair-obscur sont principalement jugées & senties par l’organe de la vue. Si elles influent sur l’esprit & sur l’ame, c’est par le repos satisfaisant dans lequel elle laissent le regard, repos qui laisse à l’esprit & à l’ame plus de facilité pour être affectés & touchés.

On peut encore pousser plus loin les droits des harmonies dont j’ai parlé, en considérant que l’harmonie du coloris & du clair-obscur peuvent acquérir, par les soins & l’habileté de l’artiste, quelque différence de caractère, & que ces différences bien assorties aux sujets, doivent, par l’impression qu’en reçoit la vue, préparer l’ame à des affections relatives à ces sujets, les faire durer & les fortifier.

Une harmonie claire, aimable, & en quelque façon riante, ajoute aux charmes d’un sujet agréable ; une harmonie plus sombre peut convenir à des sujets tristes, & il peut y avoir pour les artistes de génie quelques nuances intermédiaires entre les points principaux que j’ai désignés.

On peut objecter que, dans la nature, une scène infiniment touchante, pathétique, déchirante, se passe souvent dans un lieu, ou se trouve éclairée par un jour qui n’a nul rapport avec le caractère de l’événement, & cependant elle n’en cause pas moins toutes les impressions qui lui appartiennent. Il résulteroit de cette observation que l’expression devroit absolument l’emporter sur toutes les autres parties de la peinture ; mais on ne refléchit pas, en appuyant trop exclusivement sur cette préférence, que dans les evénemens que nous offre la nature ; on compte pour rien la nécessité où elle est d’être sans cesse soumise aux loix & aux effets de la lumière qui produit l’harmonie, & au juste ensemble des corps qui produisent les mouvemens. Ce qui reste imprimé seulement dans le souvenir, sont les mouvemens caractérisés des actions qui attirent, qui fixent l’attention, & les expressions qui agissent sur l’ame. Lors donc qu’on avance que préférablement à tout, c’est l’expression qui est la partie vraiment intéressante de la peinture, on ne développé pas assez la pensée qui suppose les autres parties nécessaires, comme des perfections qui, pour parler ainsi, vont sans dire ; mais s’il en est ainsi dans le méchanisme de la nature, il n’en est pas de même dans la pratique du peintre, & il ne sauroit regarder, vû les connoissances qu’il faut acquérir & les difficultés qu’il faut surmonter, l’harmonie, la correction, la couleur comme des objets qu’il ne faut pas compter.

Le sens physique de la vue étant celui qui transmet a l’ame spirituelle les impressions qu’elle préfere à tout, doit lui même être satisfait ; ainsi un peintre qui a un grand mérite dans l’expression & qui en auroit un trop foible dans le coloris, dans la correction & dans l’harmonie, seroit un artiste très-imparfait, quoique pussent alléguer en sa faveur les hommes d’un esprit fin & sensible, qui, devinant ses intentions, lui pardonneroient en leur faveur d’avoir manqué à ce que l’art exige.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette discussion, qui demanderoit d’être traitée particulièrement, aujourd’hui sur-tout qu’on semble, d’après la tournure de l’esprit répandu plus généralement, exiger cette partie intéressante, dont tout le monde est effectivement jaloux avec trop de préférence sur les autres parties constitutives de l’art, parce qu’il n’y a guère à la vérité que les seuls artistes qui puissent en juger avec entière connoissance de cause.

Pour vous jeunes artistes, à qui il n’appartient pas encore de discuter les questions délicates de votre art, ayez foi à ceux qui en sont bien instruits, à vos maîtres, & ils vous répéteront sans cesse : apprenez à dessiner correctement, à peindre avec vérité, à donner l’harmonie nécessaire à vos tableaux, & joignez-y l’expression dont votre ame ou votre génie est susceptible ; si vous remplissiez parfaitement toutes ces conditions, vous seriez le premier des peintres ; si vous acquerez les premieres à un dégré raisonnable, vous serez peintre ; & si à cette dose moyenne, vous joignez ce qui touche, vous atteindrez une harmonie du tout ensemble qui satisfera assez pour vous placer dans un rang distingué parmi ceux qui pratiquent & qui ont exercé votre art. (Article de M. Watelet.)

Le mot Harmonie nous vient des Grecs, peuple si sensible à la qualité qu’il exprime, & qui dut à cette sensibilité la langue la plus harmonieuse. On trouve l’origine de ce mot dans


les verbes αρω, αρμοζω, j’adapte, j’unis, je rends convenable, & dans le substantif αρμος, articulation, jointure. Il répond donc en musique & en peinture au mot accord ; car plusieurs choses qui peuvent s’adapter, se joindre, se convenir, doivent nécessairement être d’accord entr’elles : voyez l’article Accord. Toutes les parties da la peinture ont leur harmonie.

Si les diverses parties de l’ordonnance sont convenables au sujet & s’accordent entr’elles à en pénétrer plus profondément l’ame du spectateur, il y aura harmonie de composition : voyez l’article Composition.

Si toutes tes parties de la composition tendent à rendre plus sensible ce qu’elle doit exprimer, si toutes les parties d’une même figure s’accordent avec le sentiment intérieur dont l’artiste suppose qu’elle est affectée, il y aura harmonie d’expression. Voyez l’article Expression.

Si dans las variétés du faire, on reconnoît qu’il est le produit d’une seule main, d’une seule intelligence, il y aura harmonie d’exécution. Voyez l’article Fait.

Si les formes de chaque figure s’accordent mutuellement entr’elles ; si toutes indiquent le même âge, le même tempérament ; le même embonpoint, la même maigreur, si toutes sont également quarrées ou arrondies, musclées, ou coulantes, il y aura harmonie de dessin. Voyez l’article Correspondance. Ces différentes sortes d’harmonies conviennent également à la peinture & à la sculpture.

Si l’ombre & la lumière ne contrastent pas durement entr’elles, si des demi-teintes bien graduées conduisent artistement du clair à l’obscur, il y aura harmonie de clair-obscur.

Enfin, si l’artiste a soin de n’avoisiner que des couleurs amies ; si chacune de ses teintes participe toujours de celle qui la précède & qui la suit, il y aura harmonie de tons & de couleur.

C’est tout ce que nous nous permettrons de dire sur cette partie capitale de l’art. Dans ce que nous pourrions ajouter, nous craindrions d’inspirer peu de confiance aux lecteurs, & nous laisserons parler des maîtres.

Il ne sera question ici que des deux dernières sortes d’harmonies ; nous avons suffisamment traité des autres dans les articles auxquels nous venons de renvoyer.

Mengs, nous paroît avoir bien défini l’harmonie, en la regardant comme l’art de trouver un terme moyen entre deux extrêmes.

Il regarde le Corrège comme le grand maître de l’harmonie, « Ce peintre plaça, dit-il, un espace entre chaque partie, tant des jours & des ombres que des tons & des couleurs. Il remarqua mieux qu’aucun autre, qu’après une certaine tension, les yeux ont besoin de repos. C’est pourquoi après avoir placé une couleur franche & dominante, il avoit soin de la faire suivre d’une demi-teinte ; & lorsqu’il vouloit de nouveau employer une partie brillante, il ne revenoit pas tout de suite au dégré de teinte d’où il étoit parti, mais il conduisoit l’œil du spectateur, par une gradation insensible, au même dégré de tension ; de sorte que la vue étoit réveillée de la même manière qu’une personne endormie est tirée du sommeil par le son d’un instrument agréable ; réveil qui ressemble plutôt à un enchantement qu’à un repos interrompu. » (Voyez ce que le même artiste nous a fourni sur l’harmonie du Correge à l’article Ecole.)

Mengs, a encore parlé de l’harmonie dans ses leçons pratiques de peinture. Nous allons rapporter les préceptes qu’il y a consignés, en observant cependant qu’il s’écarte quelquefois de son sujet, & que plusieurs de ses maximes se rapportent moins à l’harmonie qu’à l’art de colorer.

Il établit que les couleurs claires étant celles qui produisent la plus forte impression sur les organes de la vue, on doit les employer dans les endroits où l’on veut que l’œil du spectateur se porte & s’arrête le plus, & cet endroit doit-être la partie principale, & la plus intéressante du tableau.

« Si l’on le propose, ajoute-t-il, de produire une sensation douce, comme dans les sujets gracieux, il faut maintenir le plus qu’il est possible, la vue du spectateur dans cette sensation, & ne la lui laisser perdre qu’insensiblement. Ainsi du clair il faut le conduire, non pas à l’ombre, mais à des demi-teintes, & le guider doucement & par dégrés de la premiere ombre à des ombres plus fortes, sans passer tout-à-coup d’une faible obscurité aux plus grandes ténèbres. »

« Si, au contraire, le sujet est terrible, & demande une expression forte, les effets du tableau doivent être analogues à ce caractère ; il faut, pour les produire, opérer en raison inverse de la manière précédente. »

« Les couleurs brillantes & les couleurs mattes, doivent être employées plus ou moins abondamment, suivant que le sujet est gai ou triste, gracieux ou sombre. »

« Toutes les couleurs peuvent-être rompues par le blanc & par le noir, en les plaçant de manière qu’il en reste peu de parties éclairées, parce que toutes les couleurs se dégradent dans l’ombre & y perdent leur vivacité. »

« Le rouge demeure toujours dur quand on l’emploie pur, & qu’on ne l’enveloppe pas de quelque couleur mœlleuse qui lui serve de vehicule, en tempere la crudité & em-


pêche les rayons lumineux de réfléchir avec trop de force. »

« Le peintre doit observer de quel ton de couleur est l’accord général ; car en supposant par exemple, qu’il soit rougeâtre, on pourroit employer le rouge pour les figures du second & du troisième plans ; on se servira du bleu dans les endroits les plus proches de l’œil, & l’on procédera suivant le même raisonnement, lorsque le ton général sera d’une teinte différente. Il est rare cependant que le rouge puisse servir d’harmonie générale à un tableau, vu que cette couleur est celle qui réfléchit le plus la lumière. L’orangé, composé de la couleur la plus claire, & d’une autre qui est la plus pure, est la plus dure de toutes les couleurs mixtes. Le verd est la plus agréable, parce qu’il est formé du mêlange de la couleur la plus claire, & de la couleur la plus obscure, ce qui fait qu’il ébranle les nerfs sans les fatiguer. Le violet est, de toutes les couleurs composées, la plus forte, parce qu’il approche de la couleur la plus obscure, ce qui fait qu’il occasionne un sentiment triste. »

« On inférera de ce que je viens de dire, qu’un peut varier à l’infini toutes les couleur, & l’on connoîtra la manière de les employer avec utilité. Ajoutons que, pour parvenir à un bon équilibre des couleurs dais un tableau, il faut se rappeller que nous avons cinq sortes de matériaux ou couleurs pour rendre tous les objets de la nature, le blanc, le jaune, le rouge, le bleu, & le noir. Deux de ces couleurs sont claires, le blanc & le jaune ; deux sont obscures, le bleu & le noir. Le rouge est intermédiaire entre ces deux classes de couleurs, & je l’appelle la couleur la plus pure, parce qu’il n’appartient ni à la lumière ni aux ténèbres, & qu’il réfléchit également le jour & l’obscurité. C’est de ces seuls matériaux que se sert le peintre, & c’est en employant plus ou moins les uns & les autres, qu’il parvient à exprimer des caractères décidés & distincts, par le moyen des sensations que ces couleurs produisent sur l’organe de la vue. »

« Supposons que l’on n’employe, pour faire un tableau, que le noir & le blanc. Il sembleroit qu’il n’en résultera qu’un tout sans expression, par sa trop grande uniformité. Cependant si, eu égard au sujet que l’on veut traiter, on employe plus de blanc, ou plus de noir, ou plus ou moins de demi-teintes, on produira, malgré l’uniformité de caractère de ces deux couleurs, des sensations très-variées. Rapprochera-t-on les deux extrêmes ? l’expression sera forte & dure. Mettra-t-on entre l’un & l’autre, un grand intervalle de demi-teintes ? Le caractère sera doux. Fera-t-on suivre un dégré de teinte par le dégré qui en approchera plus, & ainsi progressivement, en distinguant seulement assez une teinte d’une autre pour détacher les objets ? Il resultera de cette manœuvre un ouvrage fort suave. Si c’est par masses que l’on separe les clairs des clairs, & les ombres des ombres, l’ouvrage aura de la grandiosité. En un mot, en employant avec intelligence ces différens moyens on imprimera le caractère convenable aux différentes productions. »

« Mais ait lieu d’employer seulement le noir & le blanc, comme nous venons de le supposer ; fera-t-on usage de la variété des couleurs ? Alors on pourra augmenter à l’infini la signification & l’expression qu’on se proposera de donner au tableau. »

« Mais il faut éviter avec soin de répéter plusieurs fois la même force & la même grandeur des jours & des ombres, ainsi que les extrêmes des sans & des autres, & s’attacher toujours à la vérité ou à la vraisemblance. Sur-tout il faut se rappeller que le clair-obscur est la base de la partie de la peinture qu’on nomme harmonie, & que les couleurs ne sont que des tons qui servent à caractériser la nature des corps ; que par conséquent on doit les employer suivant leur caractère général de clarté ou d’obscurité, & suivant les règles du clair-obscur. »

« Pour qu’il résulte de l’emploi des couleurs de la grace & un parfait accord, il est nécessaire d’en bien observer l’équilibre. Quoique nous ayons distingué cinq couleurs, se il n’y en a réellement que trois, le jaune, le rouge & le bleu, car le blanc n’est pas une couleur, il n’est que la réprésentation de la lumière, & le noir celle de sa privation. Quand l’occasion sa présentera de mettre sur la toile, quelqu’une de ces couleurs pures, il faudra chercher l’occasion de mettre à côté une couleur rompue. Supposons qu’on soit obligé d’employer le jaune pur ; on l’accompagnera du violet qui résulte du mélange du rouge & du bleu. Si c’est le rouge pur que vous employez, vous y joindrez par la même raison, le verd, qui est compose du bleu & du jaune Mais l’union du jaune & du rouge, qui forme le troisième mélange, ne peut pas être employé souvent avec fruit, parce que la teinte en est trop vive : il faut donc y joindre le bleu, ou du moins l’accompagner de cette couleur. »

« Ces matériaux mis en œuvre de la manière que je viens de dire, en plus ou moins grande quantité, serviront à donner


aux choses le caractère qui leur convient. Mais on doit se garder de mettre dans un tableau trop de couleurs pures & brillantes. On peut marier ensemble toutes les couleurs par le moyen du blanc & du noir ; le blanc en ôte la dureté & les rend suaves & tendres ; le noir les dégrade & les amortit. Les couleurs composées de deux couleurs franches, peuvent de même être amorties & rendues tendres, en y mêlant un peu de la troisième couleur pure. Ce que je viens de dire doit s’appliquer non-seulement aux draperies, mais encore au coloris des chairs, & même aux fonds, en començant toujours par se régler sur la partie principale, avec laquelle il faut accorder tout le reste. »

On pourroit désirer, peut-être, un peu plus de clarté dans l’exposition de cette doctrine. Dandré-Bardon traite le même sujet avec moins de profondeur, mais en même temps avec moins d’obscurité.

« l’harmonie de la nature, dit-il, envisagée relativement à ses couleurs, dérive de la participation des nuances que le soleil communique à tous les objets, qui tantôt se mirent les uns dans les autres, & tantôt se réflechissent réciproquement les rayons qu’ils reçoivent de l’astre du jour. De même, l’harmonie d’un tableau consiste dans une communication de tons opérée par le rapport des couleurs, par l’uniformité des lumières & par la modification des ombres. »

« Pour conduire un ouvrage de peinture à une harmonie parfaite, il faut donc premièrement que la plupart des couleurs soient liées d’amitié, & qu’elles entrent dans la composition les unes des autres : on en excepte à peine celles qui sont destinées à former les plus piquantes oppositions. Secondement, que toutes les lumières soient à l’unisson relativement aux plans & aux masses dont elles font partie, » (ce qui ne signifie pas qu’elles doivent-être à l’unisson dans toutes les masses & sur tous les plans, mais seulement sur chaque plan & dans chaque masse) : « Troisièmement que les parties refletées réjaillissent réciproquement, & empruntent les nuances des objets voisins, comme les glaces reçoivent & réverbèrent les traits & les couleurs des corps qui leur sont présentés. Quatrièmement, que toutes les formes comprises dans les masses d’ombre soient amorties par la privation de la lumière, à raison de son plus ou moins de vivacité. Qu’à cet égard, l’éclat des couleurs locales soit plus ou moins éteint, sans néanmoins que les objets perdent entièrement le ton qui leur est propre. »

« La nature, dit il ailleurs, est susceptible de toutes sortes de couleurs, ainsi que de toutes sortes de formes, elle réunit les nuances lei plus antipathiques & les plus bizarres. Le chef-d’œuvre de l’art, consiste à mettre en harmonie celles qui paroissent les moins liées d’amitié. Ce résultat est l’effet de la participation des lumières, de la modification des demi-teintes, de la rupture des ombres, & de la justesse des reflets. »

« Un moyen infaillible de mettre les couleur en harmonie, est de n’associer que n celles qui sont douces & sympathiques. Eston forcé par la nature du sujet d’en introduire qui soient d’un autre caractère ? il faut les groupper & les accoster, de manière qu’elles se mirent les unes dans les autres ; les disposer de façon que la lumière ne prête qu’une même nuance aux premiers clairs, & que leurs ombres ne présentent qu’une masse uniforme, dans laquelle néanmoins on entrevoye le ton propre de chaque objet. »

« A l’harmonie des couleurs, on joindra le rapport qu’elles doivent avoir avec l’expression du sujet. Soit qu’il doive inspirer la consternation ou l’allégresse, on peut réveiller l’harmonie par des tons accidentels qui, dissonans en apparence, servent à la rendre plus singulière & plus frappante. »

« Pour diriger l’harmonie au plus haut degré de perfection, il faut mettre de la conformité entre le caractère de la manœuvre & celui de la couleur. Un personnage rustique, dont les carnations d’un ton hâlé & grossier, seroient peintes d’un style agréable & mœlleux ; une jeune nymphe, dont les chairs fraîches & vermeilles seroient traitées d’un pinceau maussade & heurté, présenteroient l’un & l’autre un faire qui ne seroit point en harmonie avec la couleur. »

HE

HÉROIQUE. (adj.) Le genre héroïque est celui qui représente les actions des hommes de la très-haute antiquité. Il doit entrer beaucoup d’idéal dans le style héroïque ; mais tout est perdu si l’on y admet le style théâtral : car le théâtral n’est qu’une répréséntation imparfaite de l’homme naturel, & l’héroïque doit être au dessus de l’homme. (L.)

HÉROS (subst. masc.) On appelle héros ou demi-dieux ces hommes de la haute antiquité que l’on croyoit enfans des dieux, ou qui ont été déifiés, ou qui ont vécu enfin dans les siècles qu’on nomme héroïques. On comprend en général dans le nombre des héros tous les hommes qui ont vécu jusqu’au siège de Troye. Homère leur donne une force bien supérieure à celle


des hommes de son temps. « Le fils de Tydée prit, dit-il, une pierre, masse énorme, que deux hommes tels qu’ils sont aujourd’hui ne pourroient soulever : seul, il la lança facilement. » Homère n’est pas moins le maître des artistes que des poëtes : l’idée qu’il nous donne des héros, l’artiste doit l’exprimer. Leur nature doit être au-dessus de l’humanité & approcher de celle des Dieux. Dans leur jeunesse ils ne sont pas tout à fait des Apollons, mais ils ressemblent à l’Antinoüs ; dans la force de l’âge ils ne sont pas des Jupiter Olympien, mais on reconnoît qu’ils ne peuvent céder qu’à Jupiter ; audacieux comme Diomède, ils attaqueroient même le Dieu Mars : leur vieillesse majestueuse n’offre aucun signe de décrépitude, on voit qu’elle est encore loin de la destruction ; elle n’a plus la vivacité de la jeunesse, ni la force de l’âge viril, mais elle a l’empire de la sagesse. Dans tous les âges, leurs formes sont grandes ; l’artiste a négligé dans toutes les parties ces petites formes qui annoncent à l’homme sa foiblesse. Leur maintien est simple, car le fort n’a besoin d’aucune affectation. Ils ont la taille haute, & par conséquent la tête petite ; car l’artiste donnât-il à ses figures une hauteur gigantesque, elles seroient courtes si elles avouent de grosses têtes. L’Hercule Farnèse est grand, non parce qu’il est collossal, mais parce que sa tête est petite ; on peut faire un nain collossal. L’expression se peint sur les traits des héros sans les trop altérer : leur colère ne dégénère point en fureur ; la douleur extrême ne dégrade pas entièrement leur beauté, parce que leur ame vigoureuse sait résister à la plus violente douleur. Le Laocoon souffre, mais il est encore beau : il ne s’écrie pas comme le Stoïcien que la douleur n’est point un mal ; mais il sent le mal, & il en est presque vainqueur. S’il ne présentoit qu’un visage hideux, si la souffrance dégradoit entièrement la beauté noble de ses traits, il intéresseroit moins : ce ne seroit plus un héros souffrant ; ce seroit un esclave à la torture. (Article de M. Levesque.)

HEURTER. (v. act.) « Ce peintre affecte de heurter ses tableaux ; cette esquisse n’est que heurtée. » Le heurté, regardé comme une qualité indifférente en soi, & qui peut être bonne ou mauvaise, suivant l’usage qu’on en fait, est l’oppose du fondu ; regardé comme un défaut, il est l’opposé du leché.

Dans on tableau fondu, les teintes, se succédant les unes aux autres par des nuances insensibles, se noyent les unes dans les autres, & ne peuvent être discernées que par un œil expert : dans un tableau heurté, les teintes sont posées largement, on pourroit dire brutalement, les unes à côté des autres ; non seulement leur succession brusque est très sensible, elle est même choquante, si l’on regarde l’ouvrage de fort près : mais quand on le voit de loin, l’air s’interpose entre le tableau & l’œil du spectateur, fond & noie ces teintes, & change l’ébauche grossière en une peinture terminée. On disoit des fresques de Lanfranc, que l’air les finissoit.

Ce n’est donc pas un défaut de heurter les figures collossales d’une coupole élevée ; c’en seroit un, d’en fondre les teintes, comme dans un tableau de Chevalet. Même dans un tableau qui n’est pas destiné à être vu de fort loin, certaines parties doivent être heurtées, pour faire valoir la délicatesse de celles qui demandent un fini plus précieux. Ainsi le feuillé d’un arbre touffu, son vieux tronc rongé par le temps, une terrasse, des brossailles doivent être heurtées, & n’offriroient qu’une froide sécheresse, si elles étoient fondues comme les chairs de la jeune Nymphe qui se promène dans ce paysage. Tous les objets bruts doivent être plus ou moins heurtés ; tous les objets qui ont de la délicatesse, doivent être plus ou moins soignés. Quelques Peintres, tels que le Tintoret, ont eu la pratique de heurter généralement leurs tableaux : c’est au spectateur à se placer à la distance convenable pour les finir. Mais on n’en peut dire autant de la manière capricieuse de Rembrandt, qui, dans un même tableau, fondoit certaines parties, & ne faisoit que heurter d’autres parties du même genre ; qui terminoit une tête, & ne faisoit qu’ébaucher une main. Comme on ne peut se tenir en même tems près du tableau pour examiner la tête, & loin du tableau pour considérer la main ; on est justement choqué de ce défaut d’accord dans le faire d’un même ouvrage.

Les premières pensées des peintres ne sont que des esquisses très-heurtées : ils ne les font que pour eux, & elles deviennent quelquefois dans la suite très-précieuses aux vrais connoisseurs. Ceux qui ne le sont pas, les recherchent aussi pour le paroître, & quoiqu’ils n’y voient rien eux-mêmes, ils veulent y faire voir mille choses aux ignorans, dont ils sont leurs admirateurs : (article de M. Levesque.)

HI

HIÉROGLYPHE (subst. mas.) Ce mot vient du grec. ιερος sacré & de γλνφω sculpter, graver. Il signifie une sorte d’écriture, dans laquelle, au défaut des caractères alphabétiques ou syllabiques, on employe les images des choses mêmes dont on veut entretenir le lecteur. Cette écriture se nomme sacrée ou sacerdotale, parce que les prêtres de l’Egypte se la réservèrent lorsque les caractères syllabiques eurent été inventés. Mais elle naquit d’abord de la nécessité, & non pas du desir de s’exprimer mystérieusement. On peignit, on sculpta les idées, parce qu’on ne possédoit pas encore l’art de les écrire. Les prêtres conservèrent dans la suite cette écriture énigmatique, pour se réserver à eux seuls le secret de la science qui étoit la base de leur autorité.

Toutes les nations, pour pouvoir se communiquer entre elles, ont employé l’écriture hiéroglyphique, lorsqu’elles ne connoissoient pas encore d’autres manières d’écrire. Les Chinois, les Indiens, les Egyptiens, les Etruriens, les Scythes, les Méxicains ont eu leurs hiéroglyphes.

On peut donc croire que c’est pour suppléer à l’écriture, & pour représenter les objets de leur culte, que les peuples ont inventé la peinture & la sculpture. Le besoin créa des arts bruts & sauvages ; mais chez quelques nations, la religion les embellit. Des arts grossiers suffisoient à tracer les caractères destinés à fixer la pensée fugitive : mais les arts, parvenus au plus haut degré, n’eurent jamais assez de perfection pour remplir l’idée que les hommes se firent de leurs Dieux. Les artistes luttèrent du moins avec courage contre cette difficulté invincible ; ils cherchèrent à exprimer la plus grande beauté, dont l’imagination puisse se faire une idée ; & s’ils ne parvinrent pas entièrement à celle qu’ils se formoient de la beauté divine, ils trouvèrent du moins une beauté plus qu’humaine, qu’ils nommèrent beauté idéale. (article de M. Levesque.)

HISTOIRE. (subst. fém.) Ce terme, dans le langage de la peinture, désigne ce qu’on regarde généralement comme le premier & le principal genre des imitations dont s’occupe cet Art.

On dit un peintre d’histoire, un tableau d’histoire. Il sembleroit, si l’on en jugeoit par cette dénomination, qu’un tableau d’histoire ne devroit représenter que des faits historiques. Cependant on comprend sous cette même dénomination, tout ce que nous connoissons de la mythologie & des fables anciennes, sans distinguer ce qu’elles peuvent contenir d’historique, d’emblematique, ou d’absolument fabuleux ; nous y comprenons même les sujets que nous offrent les Poëtes tragiques, épiques & les romanciers distingués, tant anciens que modernes. On voit que ces objets, joints à ceux que nous ont transmis les historiens, forment au genre dont il est question, un domaine si considérable, qu’il a droit à la prééminence dont il a joui jusqu’à présent. Aussi, les peintres d’histoire en jouissent-ils encore parmi ceux qui ont les connoissances réelles de l’art, & qui pas ses ouvrages arbitrairement d’après des idées superficielles, ou d’après les goûts exclusifs de la personnalité & de la propriété.

Les Artistes, qui se bornent à un genre particulier de représentation, tels que les paysagiste, les peintres d’animaux, de fabriques, de fleurs, &c. ne se permettent pas ouvertement de vouloir partager avec l’histoire, cette prééminence qui lui est due ; mais quelques genres moins distans, & que j’appellerai même limitrophes, se croyent autorisés à disputer, non sans quelques raisons apparentes & spécieuse, l’avantage d’avoir place au premier rang.

Certainement tout peintre qui imite parfaitement un objet visible, est un excellent peintre ; mais celui qui imite avec succès les objets les plus difficiles à représenter, doit posséder de plus grands talens. Et combien n’en doivent pas réunir en effet, ceux qui entreprennent ce que l’histoire de tous les tems, les religions de tous les siècles, les imaginations de tous les pays, les productions de tous les génies connus ont créé & consacré, en épuisant, pour ainsi dire, les passions, les actions, les mouvemens, les beautés, les vices & les vertus. Le peintre d’histoire embrasse à la fois toutes les formes de la nature, tous ses effets, & toutes les affections que l’homme peut éprouver.

La nature embellie, & souvent divinisée par l’exaltation des idées les plus sublimes, offre à l’artiste, qui se dévoue au genre de l’histoire, une réunion de difficultés presque innombrables à surmonter. Comment ceux qui les ont vaincues, & ceux qui font encore les plus grands efforts pour en triompher, ne jouiroient-ils pas d’une distinction si bien méritée ? Quels autres genres d’ouvrages dans la peinture ont été immorta. lisés dans les tems & les pays où les Arts étoient exercés avec plus de succès, & jugés avec plus de connoissance ? Quels autres Artistes que ceux des premiers genres, excitent en nous, par leurs réputations conservées après tant de siècles, un sentiment d’estime aussi élevé ? Quels autres enfin, dans ces âges éloignés, & depuis la renaissance des Arts, ont contribué, autant qu’eux, à la gloire nationale des pays où ils ont vécu ? Pourroit-on écrire ou se permettre d’avancer, que, s’il n’avoit existé que des représentations, telles que les autres genres en peuvent produire, l’on eût accordé à la Peinture les noms d’Art céleste, d’Art divin ? Enfin le plus beau tableau de paysage, la plus parfaite représentation d’animaux, celle-même des actions, & des passions communes peuvent-ils élever rame à ces sentimens & à ces impressions qui la font sortir d’elle-même, & la forcent à s’oublier pour ne s’occuper que d’une illusion ; & la description seule d’un tableau, dont le sujet historique ou fabuleux présente le courage dans toute son énergie, &


la générosité, la continence, la magnanimité, toutes les vertus enfin dans leur sublimité, ne produit-elle pas plus d’effet que les imitations dont s’occupent les genres particuliers ?

Mais c’est d’après une partie de cet exposé même, que les Artistes, qui peignent aussi la nature humaine sans fiction, animée par des passions, à la vérité moins ennoblies, & qui représentent enfin dans des scènes moins héroïques, les impressions du vice & de la vertu, prétendent à des droits qu’il est plus difficile de leur disputer. Aussi la Peinture, en couronnant ses poëmes épiques, & ses tragédies, ne refuse pas les prix qui sont dus aux poëmes moins élevés, tels que ses drames & ses comédies.

Les Artistes, qui se sont livrés à ces genres, peuvent, comme opinion personnelle, reprocher au merveilleux d’être hors de la nature, & aux héros d’offrir souvent des êtres imaginaires ; ils peuvent penser avec plus de raison encore, que le talent de toucher le cœur & d’attacher l’esprit, leur étant commun avec le genre de l’histoire, ils doivent participer à toutes les distinctions qu’on accorde à ce genre.

Mais les hommes distingués par le don qui a, de tout temps, eu le droit à la plus grande admiration, je veux dire par une imagination féconde, ont créé par-tout où ils se sont trouvés, d’autres êtres que ceux de leur espèce, des perfections plus sublimes que celles qu’ils possédoient, d’autres mondes enfin que celui qu’ils ont habité. Ils ont établi & ont fait admettre comme vrai, sur-tout dans l’Empire des arts, dont l’imagination & l’enthousiasme sont les divinités, ce que la froide raison dédaigne comme chimérique ou fabuleux. Il est certain qu’il se développe, chez les hommes réunis & excités par l’usage qu’ils font de leur esprit, des besoins physiques & moraux d’une sorte de superflu, & que ces besoins deviennent plus exigeans que ceux du strict nécessaire. C’est par leur instigation que, de tout temps, & dans tous les pays, les hommes ont admis le surnaturel, le merveilleux, les prodiges, & c’est sur ce fonds, qui a donné lieu en partie aux plus grandes institutions, à celles qui impriment le plus de respect, que les Arts-Libéraux ont bâti leurs chefs-d’œuvre. C’est à l’aide des êtres célestes, qu’ils s’élèvent au dessus des idées purement terrestres ; c’est à l’aide des qualités qu’il faut bien donner à ces êtres, qu’ils subliment les vertus & les qualités humaines ; c’est enfin à l’aide des formes plus parfaites qu’il a fallu leur donner, qu’ils sont parvenus aux beautés qu’on nomme idéales.

Ces consentions semblent tellement appropriées, à notre nature, qu’elles te reproduisent par-tout, & qu’elles parviennent non

à s’établir, mais à être consacrées. C’est donc d’après le besoin du merveilleux, que les Poëtes & les Peintres ont représenté des actions, des scènes, des accidens, des qualités, des formes même surnaturelles. Lorsque des circonstances heureuses les ont guidés à la perfection, ils ont étudié & approfondi, non seulement les mystères de l’ame & de l’esprit humain, mais la construction du corps, ses proportions, ses mouvemens ; ils ont procédé d’abord, par le choix le plus recherché : mais pour faire ce choix, & pour en embellir leurs ouvrages, il a fallu que les Peintres, & les Sculpteurs sur-tout, qui s’occupent des formes visibles, représentassent le corps humain sans voile. Plus ils l’ont observé, comparé, étudié nud, rlus ils ont fait de progrès vers la perfection à laquelle l’Art éclairé les invitoit d’atteindre.

Ils se sont donc écartés des usages les plus universels, ceux des vêtemens, ainsi que de plusieurs autres obstacles qu’ils trouvoient dans la nature, & qu’ils ont fait céder à de sublimes conventions. Après avoir franchi ces pas importans, ils se sont avancés dans les régions fabuleuses, & d’après les conventions reçues, ou d’après leur propre imagination, ils ont créé des Dieux humains, & des hommes divinisés ; ils les ont représentés habitant & maîtrisant les élémens. Leurs scènes ont été, tantôt le vague des airs, & les régions olimpiennes ; tantôt la surface mobile, & les abymes des eaux ; tantôt enfin des Royaumes souterrains & embrâsés par des feux éternels.

Alors leurs méditations, leurs observations, leurs études, leurs talens exercés se sont aggrandis, & il a été difficile sans doute que ceux qui ont réussi, ne se regardassent pas comme au-dessus des Artistes, qui peignoient, à la vérité, ce que la nature humaine a d’intéressant, les mœurs, les passions, mais qui les représentoient sans offrir tous les mouvemens, & toutes les beautés dont elles sont susceptibles. Il étoit difficile encore que hommes instruits, les hommes en qui l’imagination imagination prenoit l’essor, n’eussent pas, pour des Artistes qu’ils voyoient s’élever à cette hauteur, une considération particulière.

Voilà donc, à ce que je pense, l’origine & la marche de cette prééminence, dont, jusqu’à présent, ont joui les Artistes qu’on nomme Peintres d’histoire. Que quelques uns de ceux, qui approchent le plus de ce genre, & qui y touchent, pour ainsi dire, mettent en avant la perfection de leurs talens, & l’imperfection trop commune de la plupart de ceux qui les rivalisent : ce moyen ne sera jamais que captieux, parce qu’il suffit, comme je l’ai dit, de leur opposer le nombre des Peintres immortels, qui, malgré les difficultés que j’ai dési-


gnées, ont acquis cette supériorité de talent qui semble décider la question.

Quant à ceux qui penseroient que la perfection ou la vérité physique de quelque imitation que ce soit, est ce qui doit décider seul du degré d’estime que mérite un ouvrage de peinture, leur opinion se peut réduire à ceci : des animaux représentés avec une parfaite vérité, offrent un tableau qui a une plus grande perfection d’imitation qu’un sujet historique imparfaitement représenté. Il est impossible de leur donner un plus grand avantage ; mais si vous admettez une perfection égale, les difficultés vaincues par le Peintre d’histoire, je le repète encore, l’emportent tellement sur celles qu’a eu à surmonter le Peintre de genre, qu’on ne peut balancer à déciderpour le premier.

Si l’Artiste de genre insistoit, en observant que le Peintre, qui parvient à faire une plus exacte illusion, est celui qui doit l’emporter, puisqu’il exerce un art, dont l’objet est de tromper ; on pourroit a’ors opposer les genres les uns aux autres, & l’on prouveroit aisément que les objets les plus communs, représentés par des espèces d’ouvriers en peinture, trompent quelquefois plus complettement, en prenant ce terme dans son sens propre, que ne peuvent jamais faire tous les genres les plus estimables. En effet, une canne peinte & supposée attachée par un clou à une muraille, engagera même un artiste à avancer la main pour la prendre. Certainement, jamais l’animal le plus parfaitement peint, ni à plus forte raison son sujet d’histoire, un paysage, n’ont pu occasionner une semblable illusion.

En voilà assez je crois, pour mettre au moins sur la voie de cette discussion ceux qui ne sont pas assez instruits pour essayer d’y prendre parti. Mais j’ajouterai que si les Peintres d’histoire veulent conserver leur prééminence, il est plus important eue jamais qu’ils redoublent de soin, d’étude & de courage. On a vu au mot Artiste une partie des qualités qui leur sont nécessaires. Je me refuse à développer pourquoi ces qualités deviennent rares, & leur réunion plus difficile : mais je repèterai, que l’ennemi le plus dangereux de la peinture, est le luxe & la trop grande richesse répandue dans une nation. Lorsque ces deux vices des Empires sont parvenus à leur degré extrême, les ouvrages des Arts entrent dans la classe des somptuosités, des superfluités, des meubles enfin soumis à la mode. Ils ne peuvent manquer alors d’être assujettis au caprice personnel, & d’une autre part, l’évaluation de leur prix, qu’on est bientôt porté à regarder comme le tarif de leur mérite, dépend du grand nombre des hommes riches qui ne consultent que leur goût particulier ou la fantaisie régnante. Pourroient-ils, manquant de lumières, apprécier autrement la valeur vraiment libérale des ouvrages des Arts ? Et ce sont cependant ces juges qui parviennent à former ce qu’on appelle l’opinion publique & les arrêts du goût.

Ajoutons que le commerce des ouvrages de l’Art, devenu plus actif & plus raffiné, ne contribue pas moins aux erreurs qui s’établissent dans le jugement de ces ouvrages, que les marchands des objets mécaniques recherchés parle luxe, n’influent sur les extravagances des modes.

Par toutes ces raisons, les Artistes sont enfin obligés de céder à la volonté plus forte de ceux qui les dominent par le besoin qu’ils en ont. L’Art doit s’affoblir, en paroissant même gagner quelque chose dans des parties autrefois plus négligées.

Quel remède à ce mal ? il n’est peut-être que des pailliatifs. La destinée des connoissances, est de se perdre par degrés, comme elles le sont acquises, & par les mêmes causes qui les ont portées à leur perfection. C’est ainsi que les principes de la vie nous conduisent enfin à la perdre. On peut cependant penser qu’ainsi que le régime & le secours de la raison soutiennent & prolongent l’existence, de même la sagesse des administrations, l’influence dominante des Princes & des Grands, peuvent retarder la décadence des Arts, parce qu’eux seuls peuvent combattre avec avantage la sorte d’empire que s’arroge l’ignorante opulence.

C’étoit les Etats, les Villes, les Princes qui se disputoient les ouvrages des premiers genres dans la Grèce ; c’étoit eux qui soutenoient les Artistes, qui destinoient leurs travaux à faire partie des monumens qui ont porté jusqu’à nous la gloire de cette nation privilégiée. Voilà les exemples ; il ne s’agit que de les suivre, & j’ose répondre du succès. (Article de M. Watelet.)

HISTORIÉ (adj.) Portrait historié ; on employe cette expression, pour signifier la représentation d’une ou de plusieurs personnes que le Peintre travestit, à l’aide d’un costume emprunté de l’Histoire ou de la Fable, ou bien qu’il peint occupées à quelque action qui leur donne de l’intérêt ou du mouvement.

Une jeune beauté peinte avec les attributs de Flore, d’Hébé, d’une Vestale, est un portrait historié. Un Père de famille, représenté instruisant les enfans dont il est entouré, tandis que sa femme paroît, dans ce même tableau, jouir avec délice de ce spectacle doublement intéressant pour son cœur, est de même un assemblage de portraits historiés.

Rien n’est plus ordinaire dans ceux qui se font peindre, que le desir de voir historiés, leurs


portraits. Rien de plus nécessaire que la réussite, & de plus ridicule, lorsque l’Artiste ne réussit pas.

Les portraits indispensablement historiés parmi nous, sont ceux qui ont rapport à des évènemens publics, & à des fonctions ou cérémonies, dans lesquelles on représente des Princes, des Grands, des Magistrats, enfin des Officiers municipaux.

Les portraits des Princes & des Grands, sont plus sujets à être historiés que d’autres. La Peinture accumule, par flatterie, ou d’après les desirs de l’orgueil, des allégories froides, un costume que l’on peut appeller ambitieux, enfin les actions & les expressions souvent les plus exagérées. C’est bien pis encore, quand elle joint des modes modernes, capricieuses, ridicules, aux idées qu’elle emprunte de l’ancienne mythologie, comme quand elle a mis la tête de Louis XIV, coëffée d’une énorme perruque, sur le corps d’Apollon.

Dans les portraits historiés qui représentent, par exemple, des corps de Magistrature, & sur-tout des corps municipaux, le plus souvent la vanité bourgeoise contraint l’Artiste à sacrifier les intérêts de l’Art au desir qu’a chacun des individus, de figurer dans le tableau, au moins autant que dans la cérémonie ; aussi ne manquent-ils pas d’exiger qu’on les voye le plus complettement qu’il est possible, de face, sans ombre sur-tout, & sans qu’aucune expression dérange ou leur coëffure, ou leur habillement, ou la sérénité riante d’une physionomie qui se complait à être représentée.

Il en résulte ordinairement, ou par les bornes du talent de l’Artiste, ou par son obéissance forcée, que ces tableaux destinés à consacrer un évènement, & à inspirer à son occasion quelque idée de respect, inspire la dérision.

Il en est de même encore d’une grande partie des portraits historiés, que les particuliers dictent aux Artistes : comme ce sont les prétentions & la vanité qui les composent, elles rendent d’autant plus ridicules ces compositions, qu’elles y mettent plus de recherches, & ces portraits enfin ne sont jamais plus bêtes, que lorsqu’on a voulu y mettre plus d’esprit.

Une des rairons principales du mauvais effet que produisent les affectations représentées par la Peinture, c’est que toutes ces choses, dans la nature, ne s’offrent au moins que passagèrement, au lieu que dans les tableaux, elles se trouvent consignées, comme à perpétuité ; qu’elles s’y présentent sans cesse aux regards, de manière qu’il n’est guère possible qu’on n’en soit choqué tôt ou tard, & qu’alors on ne s’en moque habituellement.

Au reste, la sculpture semble, à cet égard, manifester encore davantage le ridicule des portraits historiés, parce que les statues représentent représentent plus complettement l’homme que le tableau. En effet, les statues l’offrent sous plus d’aspects, & sous des formes plus sensibles, puilqu’elles sont palpables.

La statue de la place des Victoires, par cette raison, expose, d’une manière plus sensiblement choquante, l’orgueil immodéré, & l’affectation d’une domination révoltante, qu’un tableau qui auroit été composé dans le même caractère.

Le véritable intérêt des Princes & des hommes illustres à qui on élève des statues, sur-tout si elles sont, historiées est donc qu’elles n’offrent jamais d’allégories fastueuses ni offensantes pour l’humanité.

C’est dans cet objet des Arts, que les grands principes des convenances doivent dicter les règles du véritable goût, du goût de tous les temps.

Si on les enfreint, on doit s’attendre qu’il arrivera un moment, où, ce qu’on regardoit comme noble, grand, imposant, paroîtra ridicule, petit & choquant, & ce sera pour toujours. On doit avouer que cette faute n’est pas entièrement celle des Princes ils sont peu instruits des convenances universelles, soit morales, soit artielles.

Les portraits historiés, soit qu’ils représentent des princes, soit qu’ils représentent des particuliers, deviennent ou des dérisions, ou des critiques amères, lorsqu’ils ne sont pas simples, & que les accessoires ne sont pas appropriés avec la plus grande finesse de goût au caractère qu’ils doivent avoir, & aux loix de la convenance, des bienséances & des conventions utiles.

Les tableaux-portraits, consacrés à la gloire ou à la vanité des Royaumes & des villes, ont lieu relativement à certains évènemens qui occasionnent des actes publics ; espèce de pantomimes nobles, dont les motifs sont quelquefois aussi louables que l’exécution en est ridicule.

Il est plus ordinaire, par toutes les raisons que j’ai exposées, que l’Artiste consacre les ridicules de l’exécution, que le mérite de l’intention.

Cet abus du genre étoit moins ordinaire cependant, lorsque les peintres d’histoire étoient chargés de ces sortes de grandes compositions, parce qu’indépendamment des connoissances, & de l’habitude plus grande de disposer un grand nombre de figures, il jouissoient d’une certaine considération qui pouvoit les affranchir des volontés des hommes puissans par leurs places & leur rang. Lorsque Titien, Rubens, Van-Dyck, Raphaël peignoient le portrait historié, quel original en effet, auroit osé leur imposer la loi de faire en tableau ridicule ? Ces Artistes suivoient donc plus universellement les convenances générales & celles de l’Art. La manière savante & franche dont l’Artiste saisissoit le maintien, le caractère ; l’habileté’avec laquelle, dans les


portraits particuliers, il avouoit les défauts de ses modèles, sans les exagérer ; la vérité enfin de la couleur, de l’effet, & la beauté du faire donnoient à ces représentations, le mérite durable dont elles sont susceptibles.

D’ailleurs, un grand Peintre d’histoire ne peignoit le plus souvent que de grands personnage, ou du moins des personnages distingués. S’il sacrifioit de son temps ou de ses loisirs à des objets moins importans, il arrivoit que l’estime qu’obtenoient ses ouvrages & la gloire de son nom resté dans la mémoire des hommes, & consacre dans les collections, prêtoient, aux sujets mêmes inférieurs, une dignité que ces sujets n’avoient point par eux-mêmes. Le particulier ignoré devoir vivre dans la postérité par le mérite de la vérité & par le grand talent de l’Artiste.

Pour vous, jeunes Artistes, c’est à votre âge qu’on aime à historier des portraits, & ce penchant naît assez souvent de prétentions dans votre talent, comme il naît des prétentions de la vanité dans ceux qui les exigent ; mais si vous cédez, ou à votre penchant, ou au desir d’une jeune beauté, ne choisissez, pour son travestissement, ni Vénus, ni Hébé, ni Flore. Ces noms portent l’imagination plus loin que ne peut atteindre votre modèle. Ces costumes vous porteront vous-même à un idéal éloigné de la ressemblance que vous aviez dessein de saisir. Il vaut d’ailleurs bien mieux pour le modèle & pour l’Artiste, qu’on dise, en voyant le portrait naturel & vrai d’une jeune personne : « C’est ainsi que devoit être sans doute Vénus » ; que de dire « si Vénus n’avoit eu que cette beauté, elle n’auroit pas eu tant d’autels ». (Article de M. Watelet.)

HISTORIQUE. (adj.) On dit le genre de l’histoire, le genre historique, la poësie du genre historique. C’est cette poësie qui fera sur-tout l’objet de cet article.

On désigne en peinture, par le mot histoire, ou genre historique, l’art d’exprimer avec élévation & avec choix les actions des Dieux, & celles des hommes que leur célébrité a places au-dessus des hommes ordinaires.

Tous les genres de peinture, même les plus communs, doivent parler aux yeux. Il en est d’un style bas qui savent récréer, instruire & quelquefois émouvoir ; mais en ne nous offrant que la représentation de scènes, dont les modèles peuvent se montrer à nos yeux. Cette dernière distinction est ce qui caractérise spécialement ce qu’on appelle les genres proprement dits, & ce qui les fait différer de ce qu’on nomme l’histoire. Non-seulement l’imitation des fleurs, des fruits, & d’autres objets inanimés, doivent être rangés dans la classe des genres, mais encore les scènes champêtres ou domestiques, les sujets de marine ou de guerre sont des genres, parce que la composition n’en est pas poétique, que dans l’exécution tout y est fait d’après des objets communs, & que le résultat en est de rendre simplement la nature.

Le devoir du peintre d’histoire, est d’élever l’ame par la noblesse du sujet, & par la grandeur du style, & de présenter à notre esprit tout ce qu’il peur concevoir au de-là même de ce qui est possible.

Ainsi point de tableaux d’histoire sans poësie. C’est de ce genre qu’on a voulu parler, quand on a dit, que la peinture est une poësie muette : muta poësis dicitur (Dufresnoy, de arte graphicâ)….

On doit traiter l’histoire en peinture comme un sujet héroïque dans l’art des vers :

Nil parvum, aut humili modo,
Nil mortale loquar……

Ces mots d’Horace, signifient en langage de peinture : “je ne m’occuperai pas de sujets obscurs & rampans ; & je ferai des hommes au-dessus de l’homme même”. Ainsi bien loin d’astreindre le peintre d’histoire à la fidélité d’un biographe ou d’un historien, on doit exiger qu’il traite les sujets à la manière d’Homère, ou d’Euripide.

Ce que nous posons ici comme principe, pourtoit être regardé comme systême, si nous ne prouvions, par des exemples irrécusables, que la peinture d’histoire ne peut avoir lieu sans poësie, que cette qualité seule lui donne de la clarté, du mouvement, & en constitue le vrai caractère.

Citons d’abord un tableau de la galerie où Rubens a représenté divers traits de la vie de Marie de Médicis. Cet artiste, vraiment peintre d’histoire, avoit à représenter la mort de Henri IV, & la régence donnée à la Reine. Avant que de parler de son ouvrage, supposons que ce sujet soit proposée à un artiste qui ne connoisse ni les droits, ni l’étendue de l’art. D’abord, il ne concevra pas qu’on puisse placer le corps du Roi dans le même tableau, où se fait l’élection de la régente. Ajoutons à la supposition que cependant on l’exige de lui : alors, d’un côté il fera voir Henri mort sur un lit, entouré d’officiers de cour ; & de l’autre, l’assemblée d’un conseil où présidera la Reine. Or, cette peinture sans unité d’action, ne désignera ni le héros, ni le sujet de l’assemblée.

Voyons à présent comment il falloit peindre ce sujet, pour le rendre intelligible & digne des principaux acteurs. Le corps du Roi Henri est enlevé & porté au nombre des Dieux qu’on


apperçoit dans l’olympe, par le Temps & par Jupiter. En effet ; c’est par le Temps, que toutes choses sont déterminées, c’est par le maître des Dieux, que les héros reçoivent la récompense des grandes actions, & qu’ils deviennent immortels. La Gloire & la Renommée, au milieu des trophées d’armes que Henri a laissés sur la terre, s’affligent de sa perte, & regrettent de n’avoir plus de si hauts faits à publier. Cette partie du tableau toute morale, amene la régence donnée à Marie de Médicis. Cette Reine en longs habits de deuil, accompagnée de la Prudence & de la Sagesse, reçoit des mains de la France la boule du gouvernement. Les grands du royaume, se prosternant autour de son trône, paraissent l’assurer de leur zèle & de leur soumission. On voit comment ce tableau, par la disposition des figures qui le composent, devient clair & exprime divers événemens, sans cependant diviser l’action.

Ce n’est pas que nous prétendions que l’allégorie soit essentielle dans une scène pittoresque, pour la rendre poëtique ; nous sommes loin de cette pensée, & nous n’avons apporté en exemple, le tableau de Rubens, que pour montrer que si la poësie allégorique peut contribuer à la clarté du sujet, ja poësie simple, celle qui n’introduit pas d’êtres purement métaphysiques, doit à plus forte raison, le rendre en même temps, & plus piquant & plus facile à comprendre.

Proposons un sujet où la poësie simple puisse augmenter l’intérêt d’un fait historique. Ce sera si l’on veut, le miracle de la manne, nourrissant les Israëlites dans le désert.

Un esprit froid & littéral, se contentera de présenter la figure de Moyse, disant au peuple d’Israël. « Voilà le pain que le seigneur vous donne à manger. » Les Israëlites mangeront, & seront occupés à recueillir la manne pour leur journée, car tout cela est du texte. Mais le Poussin, qui a prouvé par tant d’ouvrages que le peintre doit-être poëte, même quand il s’agit de rendre les vérités historiques, admet, indépendamment des figures dictées par l’historien, une fille faisant partager à sa mère le lait de son sein, nourriture que son enfant réclame avec larmes, comme un bien qui n’est qu’à lui. Mais hélas c’étoit la seule ressource qui restoit à cette malheureuse fille pour appaiser un peu la faim d’une mère cherie, puisqu’elle n’avoit pas encore apperçu la chute de la manne. Poussin, fait voir deux jeunes gens qui se disputent cette nourriture, en se battant : caractère de la vivacité de leur âge, & sur-tout d’un appétit que l’on ne croit jamais pouvoir assouvir.

Ces deux grouppes, qui n’ont pas été sugérés par l’historien, répandent sur le sujet un touchant intérêt, une variété piquante, & indiquent poetiquement que la manne a été envoyée du ciel dans un temps de famine.

Si, malgré ces exemples, on persistoit à prétendre que les tableaux d’histoire doivent suivre fidelement les faits historiques ; qu’y ajouter de nouvelles idées, changer la disposition de la scène, c’est dénaturer les sujets ; si on veut qu’enfin la peinture d’histoire, soit enchaînée par la lettre du texte historique ; que les raisonneurs créent donc de nouveaux grands-maîtres, & qu’ils produisent des moyens inconnus jusqu’ici, pour instruire par l’art de peindre.

Il nous reste à prouver la nécessité du choix dans les formes, & dans la couleur des objets qui doivent composer un tableau d’histoire. Il est étonnant que la nécessité de ce choix n’ait pas été sentie, ou du moins ait semblé ne pas l’être, par des artistes qui doivent connoitre le prix des statues antiques, & des chef-d’œuvres de l’école Florentine, & de l’école Romaine ; & il est encore surprenant qu’en négligeant ce choix, ils aient réduit cette négligence en principe. Mais tel est l’abus du raisonnement de la part d’hommes peu instruits. Ils ont dit : le tableau doit-être une copie de la nature, la seule tâche du peintre est de chercher à l’imiter telle qu’elle est ; s’il y parvient, il a atteint son but, & prétendre l’embellir, est une chimérique prétention. Ce raisonnement n’est point applicable à l’art de peindre l’histoire. Les faits que cet art représente, ne sont pas sous nos yeux, ils ne sont transmis à notre pensée que par le récit des historiens ; c’est notre imagination seule qui s’en forme des tableaux, & c’est aussi l’imagination que l’art doit satisfaire. Ainsi, quand l’ouvrage de l’artiste doit m’offrir un Apollon, les idées que je me suis faites de cette figure céleste, ne peuvent être égalées par le portrait le pies exact d’un beau jeune homme qui aura servi de modèle à l’artiste. Pourquoi ? c’est qu’il n’est point de jeune homme dans la nature, qui réunisse toutes les beautés dont mon esprit aura formé celles d’Apollon. Comment donc représenter ce dieu ? Les Grecs nous l’ont appris : c’est en rassemblant toutes les beautés éparses dans diverses figures de jeunes hommes, & composant de ces beautés, comme dans la figure sublime du Belvèdere, un ensemble plu, parfait que la nature même, prise dans le plus bel individu. De ce raisonnement découlent deux vérités bien remarquables ; la première, c’est que l’excellence offerte par l’art, n’est point purement idéale, mais qu’elle est le résultat du talent de bien copier la nature choisie. La seconde c’est qu’elle suppose dans l’artiste capable de ce choix, plus de connoissances,


plus de justesse & infiniment plus de goût que dans celui qui copie servilement la nature comme elle se rencontre sous ses yeux. Et voilà ce qui constitue le grand style, le style propre à l’histoire. Remarquons en passant que, par rapport aux formes & aux proportions, le sculpteur est astreint aux mêmes loix que le peintre d’histoire.

Mais, dira-t-on, de très-grands artistes n’ont pas connu ce choix de formes, & leurs ouvrages n’en sont pas moins très-précieux. Vaine objection. Les artistes qu’on cite pour exemple, n’ont pas été de vrais peintres d’histoire, ou bien s’ils tenoient à quelques égards à cette classe, c’étoit par la poësie & la grandeur de leurs compositions, & par la simplicité & la force de leur coloris. Car le style historique embrasse toutes les parties de l’art ; & l’on place, par indulgence, dans la classe de l’histoire, des ouvrages où ce style ne règne que dans quelques parties, pourvu du moins qu’elles soient capitales.

D’après la thèse que je viens d’établir, un homme instruit, en voyant le très-beau tableau du cabinet du Roi, représentant les vendeurs chassés du temple, ne rangera pas Jacques Jordaens au nombre des peintres d’histoire. En effet, la composition de ce tableau, est tellement embarrassée d’objets accumulés les uns sur les autres, que, sans une figure qui offre à-peu-près le caractère convenu pour celles du Christ, il seroit impossible de découvrir le sujet. Cette figure elle-même est dans une attitude si basse & si gauche, qu’on doute de sa dénomination & de son action. Les autres figures du tableau vétues à la flamande, dans lus attitudes les plus triviales, & sous les formes les plus communes, n’ont rien qui ne sente le marché d’Anvers. Quant au coloris, les détails qui en sont charmans pour un tableau de genre, nuiroient à un sujet d’histoire, par le brillant des teintes qui attaqueroit trop vivement l’œil du spectateur. Car on ne sauroit trop le dire, c’est dans la simplicité des teintes, comme dans celles des formes, que réside principalement la grandeur du style qui doit être celui de l’histoire, & qui caractérise bien plus son essence, que le choix du sujet. En effet, un sujet peut-être puisé dans l’histoire, & devenir, par la manière dont il est traité, une véritable bambochade, un simple tableau de genre.

Cependant comme nous l’avons déja insinué on est à-peu-près généralement convenu de ranger dans la classe des peintres d’histoire, des artistes qui n’ont pas eu, dans toutes les parties, le style propre de l’histoire, mais qui l’ont possedé du moins, dans quelques parties capitales, & dans un dégré éminent. Ainsi par la grandeur de ses effets, par la richesse, la poësie, & l’abondance de ses compositions, Rubens y tient sa place & y occupe même un rang très-distingué, comme Paul-Veronèse par la magnificence de ses ordonnances. Le Tintoret a des masses, & des partis d’effet si imposans ; son dessin même à un stile si grand, ses attitudes sont si faciles, qu’il peut être réputé peintre d’histoire, malgré la bisarrerie de ses inventions, & les incorrections de ses proportions & de ses formes. ([1]) Enfin on ne refuse pas même ce rang à Jacques Bassan, quoiqu’il ait adopté des attitudes communes, & des caractères de têtes aussi peu nobles ; parce que son coloris étoit simple, ses teintes puissantes & ses effets larges & bien cadencés. Les ouvrages de ce grand peintre, se sont peu conservés : mais dans ceux qui ont le moins noirci, on peut voir la raison de l’estime qu’il à obtenue de ses contemporains. P. Véronèse, lui en a donné un témoignage non équivoque, en lui confiant pendant plusieurs années l’éducation pirtoresque de Carletto-Cagliari son fils.

Mais quels qu’aient été les talens de tous ces hommes à qui l’on ne peut guère, je crois, refuser le titre de peintres d’histoire, reconnoissons du moins que la prééminence de ce titre, doit être réservée à ceux qui se sont distingués par l’excellence du dessin & de l’expression. Quelle doit être en effet la science des artistes qui peuvent courir cette carrière d’une manière distinguée ? Combien toutes les parties qui composent le corps humain doivent leur être connues, pour disposer à leur gré de tous ses mouvemens, de toutes ses proportions, de toutes ses affections suivant l’âge, le rang, le pays & l’état physique des sujets qu’ils veulent rendre ? Etude réflechie sur les monumens antiques ; connoissance approfondie de la partie d’anatomie, où résident les organes des mouvemens ; chaleur de pensée pour les caractères, sentiment pour la peinture des passions ; détails sur les costumes : tel est


à-peu-près, sur l’objet seul de la figure humaine, ce que doit posséder le peintre d’histoire, dans les parties propres à l’art du dessin. Car l’architecture, la perspective, l’histoire de tous les pays, la connoissance de beaucoup de branches d’histoire naturelle, sur-tout d animaux, & des végétaux, la mythologie, les usages, les instrumens civils militaires & religieux, des peuples anciens & modernes ; toutes ces branches & bien d’autres que j’admets, ne peuvent être regardées que comme des connoissances accessoires aux parties spéciales qui constituent le peintre du grand genre, considéré comme dessinateur. Qu’on y joigne actuellement le mérite du coloris propre à chaque sujet & aux divers espaces, & on aura une idée de l’art de peindre l’histoire, & de ce qu’on est en droit d’en attendre. (Article de M. Robin).

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HOMME (subst. masc.) L’homme a été vrai semblablement l’unique objet de l’art naissant, & il est resté le principal objet de l’art perfectionné. Le premier sauvage qui a tracé maladroitement un contour, ou qui a grossièrement représenté le relief d’une figure, a cherché, dans ses travaux informes, à imiter la figure humaine ; car c’est de l’homme que l’homme a toujours été le plus occupé.

Ne connoissant rien de plus parfait que lui-même, il a donné aux deux qu’il a imaginés une forme humaine. Le dieu suprême, pour le sauvage encore brut, est l’homme d’en haut, l’homme qui roule & lance le tonnerre, l’homme qui loge sur les montagnes. Homère pour exprimer les dieux, dit souvent ceux qui habitent les maisons de l’Olympe.

C’est le besoin qui a inspire les arts nécessaires à la vie ; c’est la religion qui a donné naissance aux beaux arts. Les premières représentations que l’homme ait essayées furent celles de ses dieux, & par conséquent des imitations de la figure humaine, puisque c’étoit cette figure qu’il prêtoit aux dieux.

S’il a dans la suite imité des animaux, des plantes, cette imitation avoir pour objet de suppléer à l’écriture qu’on ne connoissoit pas encore. Tels furent les caractères hiéroglyphiques des Egyptiens.

Mais cette sorte de représentation fut très-imparfaite, parce que l’art étoit encore sauvage. Quand il commença à se perfectionner, on avoit déja trouvé l’écriture alphabétique. Il ne s’occupa donc pas à perfectionner le supplément de l’écriture, parce que ce supplément devenoit inutile.

L’art fut encore assez long-temps consacré à la religion, c’est-à-dire, à représenter les dieux qui avoient des figures humaines. Ensuite il se proposa de perpétuer le souvenir des grands hommes ; ce fut donc l’homme qu’il continua d’imiter.

Ce premier objet des arts, en fut toujours presque l’unique objet chez les Grecs ; les Romains, leurs élèves, ne firent que marcher sur leurs traces & les suivre de loin. Aussi ne peut-on donner aucune preuve que les anciens aient réussi dans l’imitation du paysage. Du moins ce qu’on voit de paysages & de fabriques dans leurs bas-reliefs est-il d’une imitation fort imparfaite. S’ils ont plus approché de la vérité dans l’imitation de quelques animaux, c’est que la structure des animaux se rapproche de celle de l’homme, & qu’il ne faut pas une très-longue étude à celui qui fait représenter la figure humaine, pour passer à la représention d’un animal. Cependant on ne peut prouver par aucun monument que les anciens aient réussi aussi bien que les modernes dans la représentation des chevaux, quoique leurs sculpteurs eussent des occasions fréquentes de faire des quadriges.

On a lieu de soupçonner aussi que les anciens n’ont pas été si loin que les modernes dans la couleur & le clair-obscur, & cette imperfection apparente peut avoir été chez eux le résultat d’une réflexion profonde. Ces artistes philosophes auront bientôt reconnu qu’il est absolument impossible à l’art de parvenir à une parfaite imitation de la nature dans ces deux parties & sur-tout dans la première ; & au lieu de s’obstiner à poursuivre ce qu’ils ne pouvoient atteindre, ils se seront contentés pour ces parties d’une apparence vraisemblable. C’est ainsi qu’ils seront sagement convenus de borner leurs études les plus sérieuses à l’imitation des formes & à l’expression.

Ces bornes apparentes qu’ils donnèrent à l’art, en le renfermant dans l’imitation de l’homme, leur en firent étendre en effet les limites ; car les deux grands moyens de parvenir aux plus brillans succés, sont, de ne point partager ses efforts, & de savoir bientôt renoncer à faire des efforts inutiles.

Ce n’est point en effet se borner, que de se restreindre à l’imitation de l’homme ; c’est donner à l’art l’objet le plus beau qu’il puisse se proposer ; c’est lui offrir le but qu’il est le plus difficile d’atteindre ; c’est lui présenter la palme la plus glorieuse qu’il puisse recueillir.

Aussi, quoique nos idées sur l’art soient fort différentes de celles des anciens, nous avons toujours conservé la supériorité au genre qui se propose de représenter l’homme dans tous ses mouvemens, & dans toutes ses affections, & c’est ce que nous appellons le genre de l’histoire.

Et qu’est-ce que la représentation, je ne dirai pas d’une fleur, d’un fruit, d’un arbre, d’un paysage ; mais d’un mer en fureur, d’un ton-


nerre enflammé, des convulsions le la nature, & du bouleversement de cette nature insensible, comparée à la représentation de l’homme jouissant du calme de la sagesse, ou, agité par l’orage des passions ? Toutes les autres imitations me laissent froid, si celle de l’homme n’y est pas associée. Je vois en’peinture, un vaissaeu tourmenté par la tempête, un arbre, un édifice, renversés par la foudre, un pays entier bouleversé par un tremblement de terre : j’admire l’adresse de l’artiste, je suis étonné de ce qu’il a si bien menti, lorsque son art ne lui permettoit pas d’atteindre à l’exacte vérité : mais s’il veut m’émouvoir & parler à mon ame, qu’il représente l’homme voyant, du rivage, son fils près d’être submergé, l’homme qui frémit de crainte, lorsque que la foudre a frappé, l’arbre sous lequel il cherchoit un asyle, l’homme fuyant la terre qui l’a vu naître, & qu’un tremblement va détruire.

Mais sans doute, l’artiste qui a consacré ses principales études à représenter toujours imparfaitement, mais cependant d’une manière séduisante, la foudre, une tempête, un tremblement de terre & les théâtres de ces phénomènes, n’a pu étudier l’homme assez profondément, pour représenter toute la beauté de ses formes, & toute l’énergie des affections qu’il éprouve à ces différens spectacles. Je serai donc bien plus fortement remué par l’artiste supérieur, qui, ayant fait de l’homme sa principale & même son unique étude, ne fera que m’indiquer le tonnerre, la tempête, le tremblement de terre, & me représentera, dans toute leur perfection, les formes & l’expression de l’homme qui est témoin de ces phénomènes.

Il est donc certain que les artistes de l’antiquité avoient choisi la plus grande, la plus belle partie de l’art ; & s’ils ont surpasse les modernes dans cette partie, on peut dire qu’ils leur ont été supérieurs dans l’art.

Méprisons encore les anciens maîtres de l’art : rions de ce qu’ils ignoroient ce qu’ils n’ont pas voulu connoître : énorgueillissons-nous de nos avantages dans des parties subalternes : je crois voir un adroit faiseur d’acrostiches, un patient remplisseur de bouts rimés, vouloir usurper le trône d’Homère.

Les anciens, peut-être, n’auroient pas représenté un coup de tonnerre aussi bien qu’un de nos paysagistes ; mais ils auroient représenté le Dieu qui lance la foudre, & j’aurois frémi au seul aspect de ses sourcils : ils n’auroient point, par le fracas de ce que nous appellons une grande machine, représenté le jugement dernier, ou la chûte des anges ébelles ; mais ils auroient représenté le Juge des anges & des hommes, & mon œil timide auroit pu soutenir à peine cette imposante représentation. Ils auroient moins occupé mes yeux, & peut-être mon esprit ; mais ils auroient dominé sur mon ame. C’est donc l’homme que l’art doit sur-tout étudier, s’il veut exercer sir l’homme l’empire le plus puissant. (Article de M. Levesque.)

HONNEUR. (subst. masc.) L’honneur d’un artiste est d’exceller dans son art ; mais il perdra pour son talent, tout le temps qu’il ne craindra pas d’employer à la recherche des honneurs, & cette recherche occupant une partie de l’es esprits, au moment où il recevra les honneurs qu’il aura poursuivis, il sera moins digne de les obtenir.

Mais s’il est dangereux pour les artistes de courir après les honneurs, il est très-avantageux pour l’art que les honneurs viennent les chercher. On ne sauroit douter que ceux qui furent accordés aux arts dans l’ancienne Grèce, n’aient contribué beaucoup à leur perfection.

Les villes d’la Grèce honoroient sans doute la peinture, quand elles enrichirent Zeuxis, & quand, dans la suite, elles recurent avec reconnoissance le présent de les ouvrages.

Un édit public ne permit qu’aux personnes libres d’exercer les arts ; on eût craint qu’ils ne fussent souillés par des mains qui avoient porté des fers. Les élémens de la peinture, ou plutôt du dessin, furent ce qu’on apprit, avant toutes choses, aux enfans de condition libre.

Pamphile, le maître d’Apelles, exigeoit un talent de ceux qui vouloient apprendre son art : si les autres maîtres suivirent son exemple, les enfans du bas peuple, à qui la démocratie permettoit de s’élever aux charges publiques, & de prendre part aux plus grands intérêts de l’état, ne pouvoient aspirer à cultiver les arts.

Alexandre aimoit Apelles, se plaisoit à venir s’entretenir avec lui dans son attelier, & ne s’offensoit pas des réponses quelquefois un peu familières du peintre.

Ce Démétrius, à qui ses conquêtes firent donner le nom de Poliorcetes, (le preneur de villes) ne marqua pas moins de bienveillance pour Protogènes. Le prince, pour se délasser du siège de Rhodes, alloit visiter l’artiste dont la maison étoît dans la campagne.

Les arts ne furent pas de même considérés à Rome. Il est vrai que des patriciens exerçoient la peinture ; mais suivant l’esprit public des Romains, c’étoit l’homme alors qui honoroit l’art & dans la Grèce, c’étoit l’art qui honoroit l’homme.

Les arts, après leur renaissance, furent excités par des honneurs. Léonard de Vinci mourut dans les bras du Roi de France. Le fier Jules II honoroit Michel-Ange autant qu’il pouvoit honorer quelqu’un ; c’est-à-dire, que du moins il le considéroit un peu plus que les Monsignori de sa cour.

Raphaël, aimé de Léon X, eut l’espérance d’être cardinal.


L’Empereur Maximilien se plaisoit à voir travailler Albert Durer, & l’. Ce peintre obtint l’estime de Charles-Quint de Ferdinand, son Frère, Roi de Hongrie & de Bohëme.

On connoit la considération que le terrible Henri VIII, Roi d’Angleterre, eut pour Holbeen. « De sept paysans, je pourrois faire sept comtes comme vous, dit-il à un seigneur ennemi d’Holbeen ; mais de sept comtes, je ne pourrois faire un Holbeen. »

Nous avons fait connoître à l’article Ecole, les honneurs que Rubens reçut à la cour de Philippe IV, Roi d’Espagne, & à celle de Charles II, Roi d’Angleterre.

Si l’artiste vit dans un temps où l’art ne soit pas honoré, qu’il le considère & s’honore lui-même. Si les riches, les grands ont peu d’estime pour les arts, qu’il se garde bien de les fréquenter ; il perdroir auprès d’eux l’énergie qui lui est nécessaire, concevroit quelque doute sur la dignité de sa profession & risqueroit de se moins estimer lui même, en se voyant médiocrement estimé. L’illusion d’un noble orgueil lui est utile ; qu’il la conserve précieusement. (Article de M. Levesque.)

HORIZON. (subst. masc.) Ce mot a, dans le langage de la peinture, la même signification que dans la langue ordinaire ; c’est-it-dire, qu’il sert à nommer la ligne où se réunissent le Ciel & la terre : il vient d’un mot grec qui signifie déterminer, fixer la limite. Cependant on s’en sert dans la peinture, sous deux rapports différens : le premier est relatif à la perspective. On appelle horizon, ou ligne horizontale, la ligne sur laquelle aboutissent les rayons visuels. On nomme horizon, l’endroit du tableau où la terre touche au ciel, & c’est la seconde application de ce mot. Mais on exprime plus proprement cette partie du tableau par le mot lointain. En ce sens, la meilleure méthode de rendre l’horizon relativement aux couleurs, aux effets & aux manières diverses des habiles peintres, pourroit former un article qui sera mieux placé sous le mot Lointain. Ainsi nous nous contenterons de dire ici quelque chose sur l’horizon dans la perspective.

Nous avons établi que c’étole sur la ligne horizontale que se plaçoit le point où le réunissent les rayons visuels, & qu’on appelle communément le point de vue. C’est une convention d’autant mieux fondée que l’œil de l’homme qui contemple, sans intention particulière, une vaste campagne, ou l’étendue de la mer, s’arrête ordinairement à l’horizon.

La ligne de l’horizon doit être en perspective du niveau le plus exact : aussi employe-t-on figurément les expressions, ligne horizontale, surface, plan horizontal, pour exprimer le niveau de ces plans, de ces surfaces, de ces lignes. Cette qualité spéciale de l’horizon en perspective, détermine la différence de cette application du mot, d’avec celle qui se donne à l’horizon ou lointain, dans une peinture, car ce lointain ou horizon peut être très varié de formes.

Ce n’est pas une chose indifférente pour un peintre, que de bien ou mal placer, dans son ouvrage, la ligne horizontale. Si elle est placée haute, il faudra voir davantage le dessus des objets ; si cette ligne est basse, ces dessus ou profondeurs deviennent plus raccourcies.

Un artiste raisonnable se détermine sur ce choix par la place que doit occuper son ouvrage, & par les objets qu’il le propose de rendre. S’ils sont d’une nature à produire une parfaite illusion, tels que des meubles, de l’architecture, ou tous autres objets sans mouvement ; alors il doit suivre la loi donnée par la nature, & placer l’horison suivant le lieu qu’occupera le regardant. S’il fait un tableau d’histoire, alors sans s’écarter de cette loi d’une maniére choquante, il doit cependant s’en éloigner autant qu’il le faut pour conserver de la grace, disons plus, de la vraisemblance dans son ouvrage : autrement ce seroit le cas de lui appliquer cette leçon :

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

En effet, supposons qu’un peintre ait à faire un tableau destiné à être placé à vingt pieds


de terre ; s’il met l’horizon tel qu’il seroit dans la nature, s’il voyoit d’en bas la scène réelle qu’il veut peindre, il placera cette ligne à 14 ou 15 pieds au dessous du bas de son tableau ; & alors toutes les hauteurs des objets de son tableau, deviendront raccourcies, & produiront des effets désagréables, sur-tout dans un sujet dont l’action se passeroit sur la terre, & par rapport aux figures debout.

D’un autre côté, lorsque les peintres choisissent un horison trop haut, les objets de leurs tableaux ont l’air de se renverser sur les spectateurs. C’est une pratique qui produit des effets ridicules, & qu’il faut fuir, quoique le Tintoret en ait fait un assez fréquent usage.

Ainsi pour concilier la vraissemblance avec la nécessité de plaire, il est avantageux de placer la ligne d’horizon un peu bas, sur-tout lorsque le tableau doit être élevé, sans cependant le faire sortir de la scène.

Nous savons que cette conciliation est contre le systême de quelques peintres qui n’ont pas fait difficulté de placer l’horizon hors d’œuvre, quand l’exposition de leur tableau leur a semblé l’exiger. L’art de peindre est aussi l’art de plaire, & on peut sacrifier cette loi de rigueur, sur-tout lorsque des peintres habiles en perspective, en ont usé ainsi. Il nous suffit de cirer le Vouet, le Sueur, Jouvenet, la Hyre & Carle Maratte, qui sont assurément des modèles à suivre sans balancer. (Article de M. Robin.)


  1. M. Reynolds n’a pas précisément exclu du genre de l’histoire les artistes que cite ici l’auteur de cet article ; mais il a divisé ce genre en deux classes La première, bien supérieure à l’autre, est composée des maîtres qui ont joint la profondeur de pensée, la grandeur d’expression, la simplicité de composition, à la pureté des formes, & dont le coloris sage ne fait que rendre plus puissante encore l’expression générale. La seconde classe, longo sed proxima intervallo, est composée des peintres qu’il nomme d’apparat, & qui séduisent le spectateur par la magnificence du spectacle & par l’éclat du coloris. Il range dans cette classe Rubens, Paul Véronèse, &c. & prouve que même les qualités qui ont fait la gloire de cet artistes, seroient nuisibles au premier genre, qu’on pourroit appeller le genre pur & expressif. On tireroit à-peu près le même résultat des écrits de Mengs, d’où il faudroit conclure que le premier, le vrai genre de l’histoire, est celui que, pendant long-temps, presque tous les artistes de l’Europe semblent être convenus d’abandonner. (Note de l’Editeur.)