Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Harmonie

Panckoucke (1p. 407-411).

HARMONIE. (subst. fem.). L’harmonie, selon les Grecs, étoit fille de Mars & de Vénus : charmante allégorie, qui, mariant ensemble la force & la beauté, leur fait produire l’ordre, dirigé vers le plaisir & la félicité des êtres sensibles ; ordre qui, sans doute, est nécessaire à la satisfaction des dieux, comme aux bonheur des hommes.

Examinons l’harmonie dans l’art dont traite cet ouvrage, d’après l’idée allégorique des anciens, en laissant nos lecteurs en faire une application plus vaste à tout ce qui, parmi les hommes, est susceptible de force & de beauté.

Le mot harmonie s’applique dans la peinture à la couleur, au clair-obscur, enfin à l’ensemble d’une composition. On dit, ce peintre a une couleur harmonieuse ; la connoissance qu’il a du clair-obscur donne beaucoup d’harmonie à ja couleur ; enfin, il y a une harmonie charmante dans le tout ensemble de cet ouvrage.

Si nous suivons le sens étymologique dans ces différentes acceptions, nous dirons que l’harmonie de la couleur consiste dans la force du coloris, qui dans chaque objet représenté, en fait approcher, autant qu’il est possible, l’imitation au degré des objets imités, & dont la beauté vient du choix de ces objets & du soin que le peintre doit prendre de ne pas salir ses teintes, en les accordant pour les rendre harmonieuses.

Le mot harmonie appliqué au clair-obscur, suppose de même que l’artiste, ayant bien étudié les effets innombrables de la lumière, a choisi dans une composition ceux qui, produisant les plus grands effets, doivent y répandre un charme qui attache les regards.

Enfin, dans le tout ensemble, le mot harmonie suppose que la disposition de toutes les parties est telle qu’elle concourt à l’énergie que comporte le sujet, par conséquent à la sorte de beauté qu’il doit produire.

L’ordre, comme on le voit, est indispensablement lié à ces idées ; car si, dans la couleur, on n’étoit occupé que de la force & de la beauté des teintes, le tableau point avec


ces dispositions, pourroit sort bien n’être pas harmonieux & n’être pas même d’accord. Le clair-obscur soumis, comme je l’ai dit, aux loix des deux sciences exactes, la perspective & les règles d’incidence & de reflexion des rayons de la lumière, établit plus nécessairement cet ordre indispensable pour l’harmonie de la couleur. Ce qui fait qu’il n’est guère possible de concevoir l’harmonie de la couleur, sans supposer l’harmonie du clair-obscur. Cependant la pratique apprend aux artistes que certaines couleurs par elles-mêmes & relativement les unes aux autres, semblent se prêtet plus facilement à l’harmonie que d’autres.

Il en résulte que la plus parfaite harmonie de la couleur, celle qui satisfait davantage les regards, consiste non-seulement dans la succession des teintes modifiées selon l’ordre de la lumière & des ombres, mais encore dans un choix de couleurs dont une infinité d’objets laissent la disposition au peintre.

L’harmonie du coloris & celle du clair-obscur sont principalement jugées & senties par l’organe de la vue. Si elles influent sur l’esprit & sur l’ame, c’est par le repos satisfaisant dans lequel elle laissent le regard, repos qui laisse à l’esprit & à l’ame plus de facilité pour être affectés & touchés.

On peut encore pousser plus loin les droits des harmonies dont j’ai parlé, en considérant que l’harmonie du coloris & du clair-obscur peuvent acquérir, par les soins & l’habileté de l’artiste, quelque différence de caractère, & que ces différences bien assorties aux sujets, doivent, par l’impression qu’en reçoit la vue, préparer l’ame à des affections relatives à ces sujets, les faire durer & les fortifier.

Une harmonie claire, aimable, & en quelque façon riante, ajoute aux charmes d’un sujet agréable ; une harmonie plus sombre peut convenir à des sujets tristes, & il peut y avoir pour les artistes de génie quelques nuances intermédiaires entre les points principaux que j’ai désignés.

On peut objecter que, dans la nature, une scène infiniment touchante, pathétique, déchirante, se passe souvent dans un lieu, ou se trouve éclairée par un jour qui n’a nul rapport avec le caractère de l’événement, & cependant elle n’en cause pas moins toutes les impressions qui lui appartiennent. Il résulteroit de cette observation que l’expression devroit absolument l’emporter sur toutes les autres parties de la peinture ; mais on ne refléchit pas, en appuyant trop exclusivement sur cette préférence, que dans les evénemens que nous offre la nature ; on compte pour rien la nécessité où elle est d’être sans cesse soumise aux loix & aux effets de la lumière qui produit l’harmonie, & au juste ensemble des corps qui produisent les mouvemens. Ce qui reste imprimé seulement dans le souvenir, sont les mouvemens caractérisés des actions qui attirent, qui fixent l’attention, & les expressions qui agissent sur l’ame. Lors donc qu’on avance que préférablement à tout, c’est l’expression qui est la partie vraiment intéressante de la peinture, on ne développé pas assez la pensée qui suppose les autres parties nécessaires, comme des perfections qui, pour parler ainsi, vont sans dire ; mais s’il en est ainsi dans le méchanisme de la nature, il n’en est pas de même dans la pratique du peintre, & il ne sauroit regarder, vû les connoissances qu’il faut acquérir & les difficultés qu’il faut surmonter, l’harmonie, la correction, la couleur comme des objets qu’il ne faut pas compter.

Le sens physique de la vue étant celui qui transmet a l’ame spirituelle les impressions qu’elle préfere à tout, doit lui même être satisfait ; ainsi un peintre qui a un grand mérite dans l’expression & qui en auroit un trop foible dans le coloris, dans la correction & dans l’harmonie, seroit un artiste très-imparfait, quoique pussent alléguer en sa faveur les hommes d’un esprit fin & sensible, qui, devinant ses intentions, lui pardonneroient en leur faveur d’avoir manqué à ce que l’art exige.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette discussion, qui demanderoit d’être traitée particulièrement, aujourd’hui sur-tout qu’on semble, d’après la tournure de l’esprit répandu plus généralement, exiger cette partie intéressante, dont tout le monde est effectivement jaloux avec trop de préférence sur les autres parties constitutives de l’art, parce qu’il n’y a guère à la vérité que les seuls artistes qui puissent en juger avec entière connoissance de cause.

Pour vous jeunes artistes, à qui il n’appartient pas encore de discuter les questions délicates de votre art, ayez foi à ceux qui en sont bien instruits, à vos maîtres, & ils vous répéteront sans cesse : apprenez à dessiner correctement, à peindre avec vérité, à donner l’harmonie nécessaire à vos tableaux, & joignez-y l’expression dont votre ame ou votre génie est susceptible ; si vous remplissiez parfaitement toutes ces conditions, vous seriez le premier des peintres ; si vous acquerez les premieres à un dégré raisonnable, vous serez peintre ; & si à cette dose moyenne, vous joignez ce qui touche, vous atteindrez une harmonie du tout ensemble qui satisfera assez pour vous placer dans un rang distingué parmi ceux qui pratiquent & qui ont exercé votre art. (Article de M. Watelet.)

Le mot Harmonie nous vient des Grecs, peuple si sensible à la qualité qu’il exprime, & qui dut à cette sensibilité la langue la plus harmonieuse. On trouve l’origine de ce mot dans


les verbes αρω, αρμοζω, j’adapte, j’unis, je rends convenable, & dans le substantif αρμος, articulation, jointure. Il répond donc en musique & en peinture au mot accord ; car plusieurs choses qui peuvent s’adapter, se joindre, se convenir, doivent nécessairement être d’accord entr’elles : voyez l’article Accord. Toutes les parties da la peinture ont leur harmonie.

Si les diverses parties de l’ordonnance sont convenables au sujet & s’accordent entr’elles à en pénétrer plus profondément l’ame du spectateur, il y aura harmonie de composition : voyez l’article Composition.

Si toutes tes parties de la composition tendent à rendre plus sensible ce qu’elle doit exprimer, si toutes les parties d’une même figure s’accordent avec le sentiment intérieur dont l’artiste suppose qu’elle est affectée, il y aura harmonie d’expression. Voyez l’article Expression.

Si dans las variétés du faire, on reconnoît qu’il est le produit d’une seule main, d’une seule intelligence, il y aura harmonie d’exécution. Voyez l’article Fait.

Si les formes de chaque figure s’accordent mutuellement entr’elles ; si toutes indiquent le même âge, le même tempérament ; le même embonpoint, la même maigreur, si toutes sont également quarrées ou arrondies, musclées, ou coulantes, il y aura harmonie de dessin. Voyez l’article Correspondance. Ces différentes sortes d’harmonies conviennent également à la peinture & à la sculpture.

Si l’ombre & la lumière ne contrastent pas durement entr’elles, si des demi-teintes bien graduées conduisent artistement du clair à l’obscur, il y aura harmonie de clair-obscur.

Enfin, si l’artiste a soin de n’avoisiner que des couleurs amies ; si chacune de ses teintes participe toujours de celle qui la précède & qui la suit, il y aura harmonie de tons & de couleur.

C’est tout ce que nous nous permettrons de dire sur cette partie capitale de l’art. Dans ce que nous pourrions ajouter, nous craindrions d’inspirer peu de confiance aux lecteurs, & nous laisserons parler des maîtres.

Il ne sera question ici que des deux dernières sortes d’harmonies ; nous avons suffisamment traité des autres dans les articles auxquels nous venons de renvoyer.

Mengs, nous paroît avoir bien défini l’harmonie, en la regardant comme l’art de trouver un terme moyen entre deux extrêmes.

Il regarde le Corrège comme le grand maître de l’harmonie, « Ce peintre plaça, dit-il, un espace entre chaque partie, tant des jours & des ombres que des tons & des couleurs. Il remarqua mieux qu’aucun autre, qu’après une certaine tension, les yeux ont besoin de repos. C’est pourquoi après avoir placé une couleur franche & dominante, il avoit soin de la faire suivre d’une demi-teinte ; & lorsqu’il vouloit de nouveau employer une partie brillante, il ne revenoit pas tout de suite au dégré de teinte d’où il étoit parti, mais il conduisoit l’œil du spectateur, par une gradation insensible, au même dégré de tension ; de sorte que la vue étoit réveillée de la même manière qu’une personne endormie est tirée du sommeil par le son d’un instrument agréable ; réveil qui ressemble plutôt à un enchantement qu’à un repos interrompu. » (Voyez ce que le même artiste nous a fourni sur l’harmonie du Correge à l’article Ecole.)

Mengs, a encore parlé de l’harmonie dans ses leçons pratiques de peinture. Nous allons rapporter les préceptes qu’il y a consignés, en observant cependant qu’il s’écarte quelquefois de son sujet, & que plusieurs de ses maximes se rapportent moins à l’harmonie qu’à l’art de colorer.

Il établit que les couleurs claires étant celles qui produisent la plus forte impression sur les organes de la vue, on doit les employer dans les endroits où l’on veut que l’œil du spectateur se porte & s’arrête le plus, & cet endroit doit-être la partie principale, & la plus intéressante du tableau.

« Si l’on le propose, ajoute-t-il, de produire une sensation douce, comme dans les sujets gracieux, il faut maintenir le plus qu’il est possible, la vue du spectateur dans cette sensation, & ne la lui laisser perdre qu’insensiblement. Ainsi du clair il faut le conduire, non pas à l’ombre, mais à des demi-teintes, & le guider doucement & par dégrés de la premiere ombre à des ombres plus fortes, sans passer tout-à-coup d’une faible obscurité aux plus grandes ténèbres. »

« Si, au contraire, le sujet est terrible, & demande une expression forte, les effets du tableau doivent être analogues à ce caractère ; il faut, pour les produire, opérer en raison inverse de la manière précédente. »

« Les couleurs brillantes & les couleurs mattes, doivent être employées plus ou moins abondamment, suivant que le sujet est gai ou triste, gracieux ou sombre. »

« Toutes les couleurs peuvent-être rompues par le blanc & par le noir, en les plaçant de manière qu’il en reste peu de parties éclairées, parce que toutes les couleurs se dégradent dans l’ombre & y perdent leur vivacité. »

« Le rouge demeure toujours dur quand on l’emploie pur, & qu’on ne l’enveloppe pas de quelque couleur mœlleuse qui lui serve de vehicule, en tempere la crudité & em-


pêche les rayons lumineux de réfléchir avec trop de force. »

« Le peintre doit observer de quel ton de couleur est l’accord général ; car en supposant par exemple, qu’il soit rougeâtre, on pourroit employer le rouge pour les figures du second & du troisième plans ; on se servira du bleu dans les endroits les plus proches de l’œil, & l’on procédera suivant le même raisonnement, lorsque le ton général sera d’une teinte différente. Il est rare cependant que le rouge puisse servir d’harmonie générale à un tableau, vu que cette couleur est celle qui réfléchit le plus la lumière. L’orangé, composé de la couleur la plus claire, & d’une autre qui est la plus pure, est la plus dure de toutes les couleurs mixtes. Le verd est la plus agréable, parce qu’il est formé du mêlange de la couleur la plus claire, & de la couleur la plus obscure, ce qui fait qu’il ébranle les nerfs sans les fatiguer. Le violet est, de toutes les couleurs composées, la plus forte, parce qu’il approche de la couleur la plus obscure, ce qui fait qu’il occasionne un sentiment triste. »

« On inférera de ce que je viens de dire, qu’un peut varier à l’infini toutes les couleur, & l’on connoîtra la manière de les employer avec utilité. Ajoutons que, pour parvenir à un bon équilibre des couleurs dais un tableau, il faut se rappeller que nous avons cinq sortes de matériaux ou couleurs pour rendre tous les objets de la nature, le blanc, le jaune, le rouge, le bleu, & le noir. Deux de ces couleurs sont claires, le blanc & le jaune ; deux sont obscures, le bleu & le noir. Le rouge est intermédiaire entre ces deux classes de couleurs, & je l’appelle la couleur la plus pure, parce qu’il n’appartient ni à la lumière ni aux ténèbres, & qu’il réfléchit également le jour & l’obscurité. C’est de ces seuls matériaux que se sert le peintre, & c’est en employant plus ou moins les uns & les autres, qu’il parvient à exprimer des caractères décidés & distincts, par le moyen des sensations que ces couleurs produisent sur l’organe de la vue. »

« Supposons que l’on n’employe, pour faire un tableau, que le noir & le blanc. Il sembleroit qu’il n’en résultera qu’un tout sans expression, par sa trop grande uniformité. Cependant si, eu égard au sujet que l’on veut traiter, on employe plus de blanc, ou plus de noir, ou plus ou moins de demi-teintes, on produira, malgré l’uniformité de caractère de ces deux couleurs, des sensations très-variées. Rapprochera-t-on les deux extrêmes ? l’expression sera forte & dure. Mettra-t-on entre l’un & l’autre, un grand intervalle de demi-teintes ? Le caractère sera doux. Fera-t-on suivre un dégré de teinte par le dégré qui en approchera plus, & ainsi progressivement, en distinguant seulement assez une teinte d’une autre pour détacher les objets ? Il resultera de cette manœuvre un ouvrage fort suave. Si c’est par masses que l’on separe les clairs des clairs, & les ombres des ombres, l’ouvrage aura de la grandiosité. En un mot, en employant avec intelligence ces différens moyens on imprimera le caractère convenable aux différentes productions. »

« Mais ait lieu d’employer seulement le noir & le blanc, comme nous venons de le supposer ; fera-t-on usage de la variété des couleurs ? Alors on pourra augmenter à l’infini la signification & l’expression qu’on se proposera de donner au tableau. »

« Mais il faut éviter avec soin de répéter plusieurs fois la même force & la même grandeur des jours & des ombres, ainsi que les extrêmes des sans & des autres, & s’attacher toujours à la vérité ou à la vraisemblance. Sur-tout il faut se rappeller que le clair-obscur est la base de la partie de la peinture qu’on nomme harmonie, & que les couleurs ne sont que des tons qui servent à caractériser la nature des corps ; que par conséquent on doit les employer suivant leur caractère général de clarté ou d’obscurité, & suivant les règles du clair-obscur. »

« Pour qu’il résulte de l’emploi des couleurs de la grace & un parfait accord, il est nécessaire d’en bien observer l’équilibre. Quoique nous ayons distingué cinq couleurs, se il n’y en a réellement que trois, le jaune, le rouge & le bleu, car le blanc n’est pas une couleur, il n’est que la réprésentation de la lumière, & le noir celle de sa privation. Quand l’occasion sa présentera de mettre sur la toile, quelqu’une de ces couleurs pures, il faudra chercher l’occasion de mettre à côté une couleur rompue. Supposons qu’on soit obligé d’employer le jaune pur ; on l’accompagnera du violet qui résulte du mélange du rouge & du bleu. Si c’est le rouge pur que vous employez, vous y joindrez par la même raison, le verd, qui est compose du bleu & du jaune Mais l’union du jaune & du rouge, qui forme le troisième mélange, ne peut pas être employé souvent avec fruit, parce que la teinte en est trop vive : il faut donc y joindre le bleu, ou du moins l’accompagner de cette couleur. »

« Ces matériaux mis en œuvre de la manière que je viens de dire, en plus ou moins grande quantité, serviront à donner


aux choses le caractère qui leur convient. Mais on doit se garder de mettre dans un tableau trop de couleurs pures & brillantes. On peut marier ensemble toutes les couleurs par le moyen du blanc & du noir ; le blanc en ôte la dureté & les rend suaves & tendres ; le noir les dégrade & les amortit. Les couleurs composées de deux couleurs franches, peuvent de même être amorties & rendues tendres, en y mêlant un peu de la troisième couleur pure. Ce que je viens de dire doit s’appliquer non-seulement aux draperies, mais encore au coloris des chairs, & même aux fonds, en començant toujours par se régler sur la partie principale, avec laquelle il faut accorder tout le reste. »

On pourroit désirer, peut-être, un peu plus de clarté dans l’exposition de cette doctrine. Dandré-Bardon traite le même sujet avec moins de profondeur, mais en même temps avec moins d’obscurité.

« l’harmonie de la nature, dit-il, envisagée relativement à ses couleurs, dérive de la participation des nuances que le soleil communique à tous les objets, qui tantôt se mirent les uns dans les autres, & tantôt se réflechissent réciproquement les rayons qu’ils reçoivent de l’astre du jour. De même, l’harmonie d’un tableau consiste dans une communication de tons opérée par le rapport des couleurs, par l’uniformité des lumières & par la modification des ombres. »

« Pour conduire un ouvrage de peinture à une harmonie parfaite, il faut donc premièrement que la plupart des couleurs soient liées d’amitié, & qu’elles entrent dans la composition les unes des autres : on en excepte à peine celles qui sont destinées à former les plus piquantes oppositions. Secondement, que toutes les lumières soient à l’unisson relativement aux plans & aux masses dont elles font partie, » (ce qui ne signifie pas qu’elles doivent-être à l’unisson dans toutes les masses & sur tous les plans, mais seulement sur chaque plan & dans chaque masse) : « Troisièmement que les parties refletées réjaillissent réciproquement, & empruntent les nuances des objets voisins, comme les glaces reçoivent & réverbèrent les traits & les couleurs des corps qui leur sont présentés. Quatrièmement, que toutes les formes comprises dans les masses d’ombre soient amorties par la privation de la lumière, à raison de son plus ou moins de vivacité. Qu’à cet égard, l’éclat des couleurs locales soit plus ou moins éteint, sans néanmoins que les objets perdent entièrement le ton qui leur est propre. »

« La nature, dit il ailleurs, est susceptible de toutes sortes de couleurs, ainsi que de toutes sortes de formes, elle réunit les nuances lei plus antipathiques & les plus bizarres. Le chef-d’œuvre de l’art, consiste à mettre en harmonie celles qui paroissent les moins liées d’amitié. Ce résultat est l’effet de la participation des lumières, de la modification des demi-teintes, de la rupture des ombres, & de la justesse des reflets. »

« Un moyen infaillible de mettre les couleur en harmonie, est de n’associer que n celles qui sont douces & sympathiques. Eston forcé par la nature du sujet d’en introduire qui soient d’un autre caractère ? il faut les groupper & les accoster, de manière qu’elles se mirent les unes dans les autres ; les disposer de façon que la lumière ne prête qu’une même nuance aux premiers clairs, & que leurs ombres ne présentent qu’une masse uniforme, dans laquelle néanmoins on entrevoye le ton propre de chaque objet. »

« A l’harmonie des couleurs, on joindra le rapport qu’elles doivent avoir avec l’expression du sujet. Soit qu’il doive inspirer la consternation ou l’allégresse, on peut réveiller l’harmonie par des tons accidentels qui, dissonans en apparence, servent à la rendre plus singulière & plus frappante. »

« Pour diriger l’harmonie au plus haut degré de perfection, il faut mettre de la conformité entre le caractère de la manœuvre & celui de la couleur. Un personnage rustique, dont les carnations d’un ton hâlé & grossier, seroient peintes d’un style agréable & mœlleux ; une jeune nymphe, dont les chairs fraîches & vermeilles seroient traitées d’un pinceau maussade & heurté, présenteroient l’un & l’autre un faire qui ne seroit point en harmonie avec la couleur. »