Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Décius


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DÉCIUS (Philippe), fils naturel de Tristan de Dexio (A), qui faisait assez de figure à la cour des ducs de Milan, a été un fort célèbre jurisconsulte. Il naquit l’an 1454, et fut instruit soigneusement aux belles-lettres dans Milan. La peste l’ayant obligé à sortir de cette ville, il se retira auprès de son frère, qui professait le droit civil à Pavie (B). Il commença d’étudier la même science à l’âge de dix-sept ans, et donna beaucoup de peine par son esprit disputeur à Jason Mainus et à Jacques Putéus ses maîtres (C). Il les embarrassa plus d’une fois par ses objections. Il fatigua aussi tellement son frère, à force de lui proposer des difficultés, que les censures qu’il en reçut le contraignirent à chercher ailleurs la solution de ses doutes. Il soutint des thèses publiques la seconde année de ses études de jurisprudence, et il réussit parfaitement bien. Il alla l’année suivante à Pise avec son frère, qu’on y appela pour la profession en droit. Il y donna tant de preuves de son esprit et de sa science, qu’à l’âge de vingt et un ans il y obtint la chaire des institutes. Il s’attira un grand nombre d’auditeurs, et fit admirer entre autres choses les bons mots dont il se servait dans ses disputes publiques [a]. Sa réputation s’augmenta lorsqu’il fut promu quelque temps après à la charge de professeur extraordinaire aux lois civiles ; mais néanmoins il ne vivait pas content, il se plaignait de la petitesse de ses gages (D). François Accolti, qui avait eu seul la profession ordinaire du soir, en ayant été dispensé à cause de sa vieillesse, on mit à sa place Barthélemi Socin. Notre Décius mit tout en œuvre pour avoir part à cette place, et il avait déjà obtenu ce qu’il souhaitait (E) ; mais on l’en priva, dès qu’on eut su que Socin menaçait de se retirer si l’on faisait ce partage. Pour dédommager Décius, on lui donna la profession en droit canonique. Ce fut par les intrigues de Socin [b], qui espéra que Félinus remporterait toute la gloire de cette fonction ; Félinus, dis-je, qui enseignait depuis long-temps le droit canonique, et qui le savait parfaitement. Socin se trompa dans ses conjectures : Décius fut plus suivi que Félinus, et lui causa tant de chagrin par cette supériorité de gloire, qu’il le contraignit à s’absenter. Félinus se retira brusquement [c]. Les curateurs de l’académie, ayant su la cause de cette retraite, se fâchèrent fort contre Décius, et le privèrent de ses charges. Ils en furent réprimandés par Laurent de Médicis ; et cela fut cause que quand il alla à Florence, pour demander le payement de ses gages, ils lui dirent d’un ton assez rude qu’il s’en retournât à Pise. Il répondit qu’il n’en ferait rien, puisqu’il avait accepté la profession que ceux de Sienne lui avaient offerte ; mais il fallut qu’il y renonçât, et qu’il reprît ses emplois à Pise, car on le menaça de retenir les arrérages de sa pension, et l’on défendit le transport de ses effets. On lui fit quelques avantages, et on lui promit de l’associer à Socin au bout de deux ans. Socin, qui était à Sienne, ayant su cela, fit dire qu’il ne retournerait point à Pise si cette promesse s’exécutait. Cette menace fit une telle impression, qu’on déclara à notre Philippe qu’il pourrait se retirer si Socin venait reprendre sa profession. Il se retira en effet à Sienne dès le retour de Socin, et y fut professeur en droit canonique, et puis en droit civil. Il fit un voyage à Rome, environ l’an 1490, et fut désigné auditeur de Rote par Innocent VIII. Il se consacra à l’état ecclésiastique ; mais ayant reçu les premiers ordres, il ne put aller plus loin à cause de sa bâtardise. Quelques auteurs ont supprimé cet obstacle, et ont mieux aimé débiter que par complaisance pour son père et pour son frère, et par l’ennui de réciter son bréviaire chaque jour, il quitta Rome et s’en retourna à Sienne [d]. Il s’y vit exposé à l’envie de quelques autres professeurs, ce qui l’obligea d’aller à Pise, où il enseigna tantôt le droit canonique, et tantôt le droit civil, non sans beaucoup de querelles (F). Il fut appelé à Padoue pour la première chaire du droit canonique l’an 1502. Louis XII le regardant comme son sujet, et le voulant faire professeur à Pavie, le redemanda aux Vénitiens, qui, après une grande résistance, acquiescèrent enfin aux volontés de ce roi (G). Décius arriva à Pavie vers la fin de l’an 1505, et s’y montra digne de l’empressement que Louis XII avait témoigné pour lui. Il obtint après sept années de profession deux mille livres de gages ; ce qu’aucun professeur n’avait jamais eu dans cette université. Les démêlés de la France avec Rome le précipitèrent dans mille malheurs. Étant consulté par Louis XII sur la célébration d’un concile, il opina qu’un petit nombre de cardinaux étaient en droit de le convoquer, et fit un livre là-dessus. Conformément à ce dogme, on tint un concile à Pise, et il y suivit les prélats du parti français. Cela irrita de telle sorte Jules II, qu’il le déclara excommunié. Cette peine ne fut pas apparemment aussi difficile à soutenir, que le ravage qu’on fit faire dans la maison de Décius, lorsque Pavie fut prise (H). Ne se voyant pas en sûreté dans l’Italie, il se retira en France, où il obtint une charge de conseiller au parlement de Grenoble (I). Il alla joindre à Lyon, par ordre du roi, les débris de l’assemblée de Pise, et puis il professa la jurisprudence dans l’académie de Valence [e]. Après la mort de Jules II, il fut absous par Léon X, qui lui offrit une profession en droit canonique à Rome. Comme il craignait d’offenser le roi par l’acceptation de ces offres, il les refusa [f]. Après la mort de Louis XII, il fut appelé à Pise ; mais François Ier. ne lui permit point d’y aller, et l’envoya professer le droit canonique à Pavie. Il en sortit n’étant point payé de ses gages, et voyant Milan assiégé par les troupes de l’empereur Maximilien, il retourna à Pise ou ses gages de professeur montèrent d’abord à huit cents écus d’or, et enfin à 1500. Il mourut à Sienne le 13 d’octobre 1535, à l’âge de quatre-vingt et un ans, et fut enterré à Pise dans le tombeau de marbre qu’il s’était fait faire. Il avait une bâtarde, qu’il aimait beaucoup, et qui fut très-impudique (K). Sa mémoire fut fort courte les dernières années de sa vie [g] (L). On a plusieurs livres de sa façon : on y remarque qu’il donnait la gêne aux interprètes, et qu’il citait quelquefois à faux [h]. Ses commentaires sur les décrétales sont fort estimés [i]. Nous marquerons quelques méprises de M. Moréri (M).

  1. Plura alia que provocatus perlepida dicteria, jocosaque scommata inter disputandum dicebat sæpius excepto pro jucundis vulgo recitabantur. Panzirolus, de clar. Leg. Interpret., pag. 301. Voyez aussi Forst. Hist. Juris Civil., lib. III, cap. XXXIX, pag. m. 533.
  2. Voyez Forsterus, Hist. Juris Civilis, lib. III, cap. XXXIX, pag. m. 534.
  3. Environ l’an 1483.
  4. Alii ejus natales celantes rem aliter narrant. Cùm Tristanus pater, et Lancellotus frater factum non probarent, et ipse in canonicis horis quotidiè recitandis tædio afficeretur, relictâ Româ, iterum ad Senenses remeavit. Panzirolus, de claris Legum Interpretibus, pag. 505.
  5. Voyez la remarque (I).
  6. M. Doujat, Præn. Canon., pag. 617, n’a pas bien compris ceci ; il veut que Décius les ait acceptées.
  7. Tiré de Panzirole, de claris Legum Interpretibus, lib. II, cap. CXXXV.
  8. Idem, ibidem.
  9. Doujat., Prænot. Canon., pag. 618.

(A) Il était fils naturel de Tristan de Dexio. ] Ses ancêtres ayant quitté le village de Dexio [1] s’établirent à Milan, et y prirent le nom du village où ils étaient nés [2]. Cette famille avait subsisté plus de trois cents ans [3] à Milan avec quelque éclat, lorsque ce Tristan naquit.

(B) Il se retira auprès de son frère, qui professait le droit civil à Pavie. ] Il était né de légitime mariage, et s’appelait Lancelot. Il mourut à Pavie, l’an 1500 [4].

(C) Il donna beaucoup de peine par son esprit disputeur à..... ses maîtres. ] Voici ce qu’en dit Panzirole : Quos argumentis quandoque exagitavit, atque æstuantes reliquit. Fratri quoque assiduis interrogationibus molestus non semel cum objurgatione rejectus est [5]. Il n’y a rien de plus importun qu’un jeune écolier qui a de l’esprit, et qui aime la dispute : je ne m’étonne donc pas que celui-ci ait été grondé par son frère. La réprimande fut apparemment bien forte, puisque le jeune homme n’osa plus harceler son frère, et que même il ne le consulta point lorsqu’il entreprit de soutenir des thèses publiques [6]. Lancelot renouvela ses censures et le nomma téméraire, et disputa contre lui avec l’intention, si je ne me trompe, de le mettre à bout pour l’humilier ; mais il fut repoussé si vertement qu’il tomba dans l’admiration, et qu’il avoua devant l’assemblée que son frère le surpasserait bientôt. Un tel aveu ne serait point dur à un père, comme il l’est à un frère aîné. Impugnanti problemata Lancelloto tanto acumine argumento rejecit, ut admiratus coram astantibus se brevi ab illo superatum iri prœdixerit [7]. Paul Jove, parlant comme témoin oculaire, assure que notre Philippe disputait avec plus d’ardeur que qui que ce fût. Enarrabat subtillissimè, et uti sæpè vidimus, longè omnium acerrimè disputabat [8]. Rapportons encore un fait. Décius, étant professeur à Pise, fit disputer Laurent Pucci [9] contre les thèses que Barthélemi Socin avait conseillé à un écolier de soutenir publiquement. Le lendemain de la dispute on vit paraître une affiche qui apprenait que dans huit jours ces mêmes thèses converties en problèmes seraient soutenues de part et d’autre par Pucci entre les étudians, et par Décius entre les docteurs. On fut alarmé de cela, et l’on en craignit les suites ; car on comprit qu’un tel procédé tendait au déshonneur des autres docteurs régens. C’est pourquoi le principal du collége défendit à Décius de passer outre, à peine de la prison [10].

(D) Il se plaignait de la petitesse de ses gages. ] Voici un endroit désavantageux à sa mémoire : j’avoue que la flétrissure serait plus grande si le défaut dont il est ici question ne paraissait pas souvent ; mais enfin la multitude des professeurs mercenaires, trop intéressés, et sollicitant avec trop d’instances une augmentation de gages, n’efface pas le défaut de cette conduite. Quoi qu’il en soit, notre Philippe, couvert de gloire et honoré de l’approbation publique, ne laissait pas de se chagriner en considérant sa pension ; il la trouvait trop petite, et il s’en plaignait aux curateurs de l’académie. L’un d’eux lui donna de fort belles espérances ; car, ajouta-t-il, je suis très-persuadé de votre mérite. J’aimerais mieux, répondit le professeur, être mal dans votre esprit. On voulut savoir la raison d’une réponse aussi extraordinaire que celle-là. C’est, reprit-il, que si vous aviez de moi une mauvaise opinion, j’espérerais de meilleurs gages en vous désabusant ; mais puisque ma pension est très-petite pendant que vous m’estimez, il ne me reste aucune espérance. Le latin de Panzirole exprime mieux tout cela ; je le rapporterai donc : « Cùm tenui stipendio se ali apud Gymnasii præfectos quereretur, Alomanusque Renutius inter illos senior eum bono animo esse jussisset, quòd benè apud se audiret, Philippus, Mallem inquit, ut sinistram de me opinionem haberetis. Illis responsi novitatem mirantibus, et rationem perquirentibus, Si de me, respondit, prava concepta esset opinio, detecto errore, ampliùs stipendium sperare possem : sed cùm benè audiens parvo adhuc digner honorario, nihil mihi spei reliquum esse potest [11]. » J’ai remarqué mille et mille fois dans les vies des jurisconsultes composées par Panzirole, que pour relever la gloire des professeurs, il observe très-exactement les augmentations de leurs gages. Il est certain qu’elles témoignent qu’on était persuadé qu’ils étaient propres à faire fleurir une académie : elles sont donc une marque de leur esprit et de leur capacité. L’amour-propre toujours attentif à sa justification, ingénieux sur cela plus qu’on ne le pourrait dire, ne manque point de se servir de ce beau tour, et d’éluder par ce moyen les reproches de vénalité et d’avarice ; mais il ne peut guère fermer la porte à ces deux difficultés. L’une est que ces amplifications de gages sont presque toujours l’effet des plaintes et des sollicitations importunes de ceux qu’on en gratifie, ou des menaces qu’ils font de se retirer pour suivre une vocation plus lucrative [12]. L’autre est que ces vocations plus lucratives ne seraient pas adressées à des gens que l’on croirait désintéressés, et uniquement sensibles à la belle gloire. Notre Décius n’avait point cette sensibilité, et ne passait point pour l’avoir. Il sautait comme un chevreuil de lieu en lieu, d’académie en académie ; il sortit et il revint, selon les mesures des pensions qu’on lui promettait, et il voulut bien marquer lui-même dans son épitaphe, qu’enfin ses gages montèrent à 1500 écus d’or. Il craignit que le terme d’aureus ne fit pas assez connaître la grandeur du prix que ses leçons avaient coûté : il y joignit donc les mots barbares in auro. Pilippus Decius, revocatus in Italiam ab excelsâ Florentinorum republicâ posteaquàm stipendium M. D. aureorum in auro pro lecturâ consecutus fuisset, de morte cogitans, hoc sepulchrum sibi fabricari curavit [13]. Il insinue qu’il ne songea à la mort qu’après qu’il fut parvenu à cette grande pension. Titulo res digna sepulchri. Cette épitaphe méritait plus la censure par cet endroit-là que par la grossièreté du style [14]. Qu’on ne dise point qu’il refusa les mille écus d’or, que le sénat de Milan, la ville de Bologne et la république de Venise lui offrirent pendant qu’il n’en touchait que huit cents à Pise [15] ; car sans doute il les refusa par l’espérance d’être payé avec usure de ce refus : et nous voyons en effet que l’académie de Pise lui augmenta sa pension, et la fit beaucoup plus forte que celle qu’il eût pu toucher dans d’autres académies. Notez en passant que M. Wharton a un peu péché contre les lois de l’exactitude, lorsqu’il a dit que les Florentins le rappelèrent en Italie par une pension de 1500 écus d’or [16].

(E) Il voulut avoir part à la place de F. Accolti, et il avait déjà obtenu ce qu’il souhaitait. ] Quelques-uns assurent qu’il exerça actuellement la charge, et qu’elle ne lui fut ôtée qu’après que Socin, outré de douleur de voir son école vide, eut demandé ou sa démission ou celle de Décius. Bartholomæus Socinus, juris Cæsarei in eodem gymnasio professor, cùm se discipulis viduatum doleret, aut semetipsum aut Philippum munere suo dimitti petiit [17]. Je trouve plus vraisemblable le narré de Panzirole : c’est que Socin demanda cela dès qu’il eut su la promesse qu’on avait faite à notre Philippe, et avant que d’avoir pu observer qu’un tel concurrent lui était préjudiciable.

(F) Il enseigna à Pise,..... non sans beaucoup de querelles. ] Socin ne fut pas le seul qui ne voulut point l’avoir pour antagoniste, c’est-à-dire, qui ne voulut pas faire ses leçons à la même heure que lui, et sur les mêmes matières. Il paraît par l’ouvrage de Panzirole que dans les universités d’Italie on appariait ainsi les professeurs, et que ceux qui étaient ainsi appariés passaient pour l’émule, pour l’antagoniste, pour le concurrent l’un de l’autre. Ils étaient presque toujours en guerre ouverte, et ils s’échauffaient quelquefois si furieusement dans les disputes publiques, qu’on y allait assister comme à un combat de gladiateurs. Notre Décius s’était rendu si redoutable qu’il y avait peu de professeurs qui voulussent être appariés avec lui. On se plaignait de ses médisances et des artifices dont il se servait pour attirer les auditeurs. Ibi (Pisis) eum omnes concurrentem recusare, hominem ut maledicum, malisque artibus auditores captantem criminari [18]. Antoine Coccus eut le courage d’entrer en lice avec lui : ils se firent une rude guerre, et lancèrent l’un sur l’autre les railleries les plus basses et les plus indignes de la gravité de leur caractère. Mox ad matutinam ejusdem juris (Pontificii) sedem translatus Antonium Coccum Florentinum ob veterem æmulationem durum adversarium concurrentem invenit. In eâ contentione ita se exagitârunt, ut ne fœdis scommatibus præter omnem gravitatem abstinuerint [19]. Jason Mainus, appelé à la profession du droit civil, ne voulut point avoir Décius pour antagoniste : il représenta que la bienséance ne permettait pas que deux professeurs natifs de la même ville se fissent la guerre. Là-dessus, il fut ordonné que notre Philippe retournerait à la profession du droit canonique [20]. Mainus n’eut pas toujours cette retenue ; il fut brouillé jusques à l’excès avec Decius [21].

(G) Louis XII...... le redemanda aux Vénitiens qui, après une grande résistance, acquiescèrent aux volontés de ce roi. ] L’ambassadeur de France insista avec tant de force dans le sénat de Venise pour obtenir Décius, que l’envoyé des Florentins ne put s’empêcher de dire qu’il en ferait rapport à ses maîtres. Il trouvait là une singularité notable. Ludovicus Gallorum rex Decium, velut subjectum, Ticinum revocat, sed Venetis eum dimittere recusantibus, Regius Orator maximam in senatu contentionem exercuit, quod admiratus Joannes Bernardi Oricellarius, qui ibi pro Florentinis legatus aderat, se ingentem ob unum hominem inter Excelsos principes ortam altercationem vidisse Florentinis relaturum dixit [22]. Apprenons de là à réfuter une méprise de Paul Jove : il dit que le gouverneur français fit venir de Pise à Pavie notre Décius [23]. M. Wharton est tombé dans la même faute [24].

(H) On ravagea la maison de Décius lorsque Pavie fut prise. ] Pavie ayant été prise, le cardinal de Sion fit mettre au pillage le logis de Décius ; on y dissipa la bibliothéque. On voulut même tirer du cloître de Saint-André la fille de ce professeur, laquelle n’avait que dix ans ; mais à la prière des religieuses on l’y laissa, après l’avoir dépouillée de tous ses biens. Pour faire que rien n’échappât à la vengeance, l’on ordonna que tous les effets de Décius fussent livrés au public [25]. Paul Jove raconte que le cardinal de Sion ne fit piller dans Pavie que le logis de Philippe Décius [26]. Ceci arriva l’an 1512. Forsterus s’est donc abusé lourdement ; car, après avoir rapporté que ce grand jurisconsulte se plaint, se egenum, inopem, à patriâ ejectum, fortunis omnibus absque suâ culpâ spoliatum, præter spem (unicum miserorum solatium) nihil habere, il ajoute, hæc autem perpessus est anno 1498 [27]. M. Varillas eût dû parler de cette infortune, puisqu’il n’a point cru devoir se taire sur un malheur plus petit. Philippe Décius, dit-il [28], ne fut pas exempt du ressentiment de Jules.... Il avait irrité au dernier point la cour de Rome, en offrant au concile de Pise de disposer les matières dont il aurait à traiter, et de fournir les autorités qui serviraient à les appurer. On craignait encore de lui qu’il n’écrivît en faveur des résolutions qui y seraient prises, et que son autorité ne les fit agréer partout où elle était respectée. On lança contre lui pour l’en empêcher toutes les foudres de l’Église ; et on le mit en tel état, qu’encore qu’il fût universellement aimé et estimé dans Milan où il remplissait si dignement la première chaire de jurisprudence, il n’osait sortir de sa maison que rarement et fort accompagné. Il se trompe quand il dit que Décius était professeur en jurisprudence dans Milan.

(I) Il obtint une charge de conseiller au parlement de Grenoble. ] Cette ville n’appartient pas à la Gaule Narbonnaise, comme Panzirole le prétend. In Narbonensi provinciâ, dit-il [29], Gratianopoli cum ccl aureorum honorario Senator est declaratus. Il ne marque pas l’année ; je ne sais si M. Allard la marque bien, lorsqu’il dit que Décius fut honoré de cette charge l’an 1514 [30] ; et je doute de ce que dit Panzirole, que Décius régenta le droit à Valence après avoir été conseiller au parlement de Grenoble. Je croirais plutôt qu’il fut conseiller en ce parlement, après avoir professé le droit dans l’académie de Valence.

(K) Il avait une bâtarde..…. qui fut très-impudique. ] On prétend que ses désordres étaient accompagnés d’imprudence : ainsi son père avait la douleur d’en être instruit ; mais il faisait semblant de les ignorer. Cette fille n’avait pas même la force de sauver les apparences : on la voyait badiner et folâtrer dans les rues avec de jeunes garçons ; ce qui n’est pas en Italie, comme en quelques autres lieux, un signe équivoque d’impudicité, mais une preuve convaincante. Voici un autre désordre : au lieu de gagner de l’argent par sa mauvaise conduite, elle y dépensait beaucoup, car elle achetait fort cher les caresses des jeunes hommes. Citons Panzirole. Filiam naturalem in deliciis habuit, quæ citharam edocta, dissimulante patre, minùs honestam cum adolescentibus, quos magnâ etiam pecuniâ conducebat, vitam egisse dicitur, et cum illis in publico jocari non erubescebat [31]. Mettons Décius au catalogue dont j’ai parlé en un autre lieu [32]. Au reste, sa fille unique, si nous en croyons Paul Jove [33], fut mariée avec un noble Siennois.

(L) Sa mémoire fut fort courte les dernières années de sa vie. ] Elle lui manqua lorsqu’il fut question de conférer à Corras la qualité de docteur [34]. D’autres disent qu’il ne se souvenait d’aucun paragraphe ni d’aucune loi, et qu’à peine pouvait-il dire un mot en latin. Sub finem vitæ adeò factus est obliviosus, ut nullius legis vel paragraphi reminisci, et vix latini quid proloqui potuerit [35]. Je n’ai point trouvé ces paroles dans l’auteur que Freher cite ; mais j’ai trouvé tout ce fait un peu amplement dans un ouvrage de Corras même. Voici comme il parle [36] : Quin et nostrâ hâc ætate Philippus Decius, egregius jurisconsultus, anno 1536 [37] (quo tempore me in Senensi academiâ doctoratûs titulo donavit) adeò senectute emarcuerat, ut nullius legis aut paragraphi ex jure nostro recordaretur : imò ægrè quicquam latinè proloqui posset. Quare quùm mihi ipsa gradûs insignia conferre conaretur, alium quendam è collegis oportuerit prodire, qui verba solita nuncuparet.

(M) Nous marquerons quelques méprises de M. Moréri. ] 1o. L’exactitude ne souffre point que l’on dise que Décius a vécu au commencement du XVIe. siècle ; car il étoit né l’an 1454, et il avait acquis une grande réputation avant l’âge de trente ans. 2o. Il étudia sous son frère, premièrement à Pavie, et puis à Pise. Il ne fallait donc pas se contenter de faire mention de Pise. 3o. Jason, Barthélemi Socini, et Jérôme Zanetini, ne furent point ses précepteurs : il ouït leurs leçons publiques ; mais ce n’est pas ce qu’on nomme en notre langue, avoir tels et tels pour précepteurs. 4o. Je doute qu’il ait été marié : Panzirole n’en dit rien, quoiqu’il le suive pas à pas dans les plus petites démarches de sa vie, et qu’il lui donne expressément une bâtarde. Cet argument négatif me paraît ici préférable à l’affirmation de Paul Jove [38]. 5o. Décius ne se retira point à Pavie, il y fut appelé par Louis XII. 6o. Il n’alla point à Pavie en sortant de Pise, car il était professeur à Padoue lorsque Louis XII le fit venir à Pavie. Paul Jove a trompé ici beaucoup de gens : ab ipsis Pisis, dit-il [39], ubi uxorem duxerat, Ticinum à Gallo præside, opimis stipendiis evocatus. 7o. S’étant retiré en France, après le pillage de sa maison, il ne s’arrêta point deux ans à Bourges, comme l’assure M. Moréri après Paul Jove [40]. Le silence de Panzirole me paraît démonstratif contre cela, et d’ailleurs la chronologie n’est point favorable à M. Moréri. Il veut que Décius, s’étant arrêté à Bourges deux ans, ait été appelé à Valence par Louis XII, et honoré d’une charge de conseiller au parlement. La maison de cet habile homme fut pillée l’an 1512, et il y a beaucoup d’apparence qu’il n’arriva en France que vers la fin de la même année. Or Louis XII mourut le 1er. jour de janvier 1515. Il vaut mieux croire ceux qui disent que Décius, à son arrivée dans le royaume, fut pourvu de la charge de conseiller. M. Doujat se trompe de placer cela sous l’année 1510 [41]. 8o. Décius ne fut point enterré à Pavie, mais à Pise. 9o. Au lieu de nimis venustè dans les vers de Latomus, il faut lire minùs venustè.

Notez encore une faute de Paul Jove. Il dit que Décius, étant retourné en Italie, s’engagea au service de l’académie de Sienne : ce fut au service de celle de Pise. Notez aussi une faute de M. le Laboureur : il veut que Jean Jacques de Mêmes, professeur en droit à Toulouse, ait eu pour collègue Philippe Décius [42]. Celui-ci n’a jamais enseigné là.

  1. Proche de Milan.
  2. Panzirolus, de claris Legum Interpretibus, lib. II, cap. CXXXV, pag. m. 209.
  3. Ultra CCC annos cum dignitate vixerunt. idem, ibid.
  4. Idem, ibidem.
  5. Idem, ibidem.
  6. Inconsulto fratre propositiones publicè disputandas ediderit. Idem, ibid.
  7. Panziro., de claris Leg. Interpret., p. 300.
  8. Paulus Jovius, Elog., cap. LXXXVIII, pag. m. 207.
  9. Qui depuis fut cardinal.
  10. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 301, 302.
  11. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 301.
  12. Conférez ce qui est dit dans la remarque (A) de l’article Accarisi (François), et dans la remarque (G) de l’article Alciat (André).
  13. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 309.
  14. On en fit des railleries. Voyez Paul Jove, Élog., pag. 208.
  15. Demùm Pisas cum DCCC. aureorum stipendio omnium supremus conductus est, ubi et à Mediolanensi senatu, et à Bononiensibus, Venetisque mille aureorum annuâ promissione frustra solicitatus per multos annos perseveravit, donec ad MD. aureorum honorarium pervenit. Panzirolus, de clar. Leg. interpret., pag. 308.
  16. Henricus Wharton, in Appendice ad Historiam litterariam Gulielmi Cave, pag. 202.
  17. Henr. Whart., in App. ad Hist. lit. Gul. Cave., pag. 203.
  18. Panz., de claris Legum interp., p. 305.
  19. Idem, ibid.
  20. Ex eodem, ibid.
  21. Voyez la remarque (F) de l’article Mainus.
  22. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 307.
  23. Ab ipsis Pisis ubi uxorem durerat Ticinum à Gallo præside opimis stipendiis evocatus. Jovius, Elogior. pag. 207.
  24. Wharton, in Append. ad Hist. litter. Gul. Cave, pag. 202.
  25. Tiré de Panzirole, de claris Legum Interpret., pag. 307, 308.
  26. Unam omnium Decii domum militi diripiendam dedit. Jovius, Elogior pag. 207. Warthon, in Append. ad Hist. litterar. Gul. Cave, pag. 302, le dit aussi.
  27. Forsterus, Hist. Juris civilis, pag. 535. Il cite l’épître dédicatoire des Conseils de Décius.
  28. Varillas, Hist. de Louis XII, liv. VIII, vers la fin, pag. m. 85, à l’ann. 1512.
  29. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 308.
  30. Allard, Biblioth. de Dauphiné, pag. 87.
  31. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 308.
  32. Dans la remarque (G) de l’article Stilpon, tome XIII.
  33. Jovius, Elogior. pag. 207.
  34. Senio confectus memoriæ adeò infirmæ fuit, ut Joanni Corrasio msignia doctorum traditurus defecerit. Panzirolus, de claris Legum interpret., pag. 309.
  35. Freherus, in Theatro, pag. 814. Il cite Forsterus, in Hist. Juris civilis Rom., lib. II, cap. XXXIX.
  36. Joh. Corrasius, Notis in Arrestum Parlamenti Tholosani, pag. m. 71. Je n’ai point l’édition française ; ainsi je cite la version latine faite par Hugues Sureau.
  37. Panzirole et tous les autres biographes, mettent la mort de Décius à l’an 1535.
  38. Pisis ubi uxorem duxerat. Jovius, Elogior. pag. 207.
  39. Jovius, ibid. Whart., Freherus, Theatr. Vir. ill., pag. 814, disent la même chose.
  40. In civitate Biturigum jus divinum edocuit per duos fermè annos. Jovius, Elog. pag. 207. Wharton, Freher, etc., disent le même.
  41. Doujat., Prænotion. canonicæ, pag. 617.
  42. Le Labour., Addit. aux Mémoires de Casteln., tom. II, pag. 835.

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