Deux poëmes couronnés/01/04

P.-G. Delisle (p. 41-48).


IV

FRANÇOIS I.

 Au même temps François le roi chevaleresque
Formait dans son esprit un projet gigantesque.
Après avoir vogué pendant plusieurs longs mois,
Bravé mille périls et la mort mille fois,
Colomb avait trouvé ces régions lointaines
Où mes rois se taillaient de superbes domaines ;

Et François indigné fevoir les autres rois
Se hâter de ranger ces pays sous leurs lois,
Se disait en son cœur : « Quoi ! ces illustres princes.
« Osent se partager ces immenses provinces
« Sans s’occuper de moi, sans me garder ma part ?
« Pensent-ils que craintif je me tiens à l’écart ?
« Mon drapeau flottera sur ces lointaines ondes,
« Et la foi par mes soins éclairera ces mondes ! »

 Un jour qu’il, fit sortir ses fidèles valets.
Il se retira seul au fond de son palais
Et tomba tout à coup dans un sommeil étrange.
Il eut alors un songe ; Il vit venir un ange.
Comme un globe de feu qui glisse dans les airs
Cet ange s’avançait sur les vagues des mers ;
Et les ondes sous lui courbaient leur cime fière ;
Et sur ses pas restait un sillon de lumière,

Comme un lien de paix, un symbole d’amour
Qui devaient à la Finance attacher de ce jour
Les rives d’où venait le messager céleste.
L’ange approchait toujours, et d’un sublime geste
Montrait au fond des mers un rivage lointain :
— « Vois-tu, s’écriait-il, ô vaillant souverain,
« Vois-tu cet autre monde enseveli dans l’ombre ?
« Quand l’Europe à son tour comme un vaisseau qui sombre,
« Aura vu s’entr’ouvrir, dans la suite des temps,
« Le gouffre de l’oubli sous ses pas chancelants,
« Ce monde jeune encor, plein de sève et de vie,
« Verra toute la terre à ses lois asservie.
« Alors il fleurira comme les rejetons
« Dont les tendres rameaux se couvrent de boutons,
« Pendant que tout près d’eux un vieil arbre se fane.
« Jusqu’ici cependant c’est dans un but profane
« Que les grands de l’Europe ont volé sur ces bords.
« Leur immense avarice a cherché des trésors.

« Mais toi, va du Seigneur publier la clémence ;
« Et porter en ces Houx la divine semence. ! »

 Ainsi parlait cet ange, et le son de sa voix :
Vibrait comme le cor qui chante sous les bois.
Il s’approcha du prince et sa lèvre vermeille
Lui murmura tout bas d’autres mots à Toreille ;
De son sommeil aloi*s aussitôt s’éveillant,
Le roi vit s’envoler un fantôme brillant.

 Le soleil n’avait pas de ses rayons d’opale
Éclairé bien souvent la grande capitale,
Lorsque devant le trône un illustre marin
Vint tenir se langage au jeune souverain :
— « De ses feux bienfaisants l’astre du jour inonde
« Sans jamais sa lasser tous les peuples du monde ;

« Il pare l’orient des plus vives couleurs ;
« L’occident se réchauffe à ses douces ardeurs.
« Ainsi de notre foi la céleste lumière
« Devrait illuminer la terre {toute entière ;
« Et j’ose croire, ô roi, que le désir de Dieu
« Est qu’elle soit ainsi répandue en tout lieu,
« Elle est, comme le jour de l’orient sortie ;
« Sa course à l’occident ne s’est pas ralentie,
« Mais cependant il est au-delà de ces mers
« Des peuples que Satan tient encor dans ces fers,
« Des lieux que l’ignorance étreint dans ses ténèbres,
« Comme au milieu des nuits, dans ses ongles funèbres,
« Le hibou taciturne étreint un jeune oiseau.
« Prince, ne faut-il pas qu’enfin de son flambeau
« La foi daigne éclairer ces malheureux rivages ?
« Dieu ne refuse pas aux nations sauvages
« Qui vivent comme l’ours au milieu de leurs bois,
« Le rayon de soleil qui brille sur nos toits :

« Ne veut-il pas aussi ce Dieu dans sa clémence,
« Que la lumière arrive à leur intelligence,
« Et que leur cœur rempli de respect et d’amour
« Sache adorer enfin et prier chaque jour
« Celui qui fit pour l’homme et le ciel et la terre.
« J’ai déjà sillonné sur ma barque légère
« Jusques à l’Occident, l’océan étonné.
« Ce voyage hardi vous l’aviez ordonné.
« Le succès fut heureux mais la gloire incomplète,
« Car nulle terre alors ne fut notre conquête,
« Et la France à ces lieux, vous le savez, ô roi,
« N’a pu donner encor ni son nom, ni sa foi.
« Mais daignez à mes soins confier un navire,
« J’irai, s’il plaît au ciel, fonder un vaste empire
« Où le nom de la France et celui du Seigneur
« Seront ensemble unis au fond de chaque cœur. »

Quel était ce marin dont la voix inspirée
Retentissait ainsi sous la voûte dorée
De l’antique château des souverains français ?
Ô Cartier, c’était toi ! Fier d’un premier succès,
Tu te laissais bercer de la douce espérance
D’être agréable au ciel comme utile à la France.
Le roi surpris, ému, t’embrassa tendrement,
Et d’accomplir tes vœux fit alors le serment.